Michel VOITURIER
« Chaque geste borne l’explorable ». Ce vers, pépite d’un des livres parmi les plus intrigants de Michel Voiturier, recèle un faisceau lumineux à l’ombre duquel il est possible de saisir l’ampleur d’une œuvre mal connue, peut-être parce que protéiforme, où la poésie, objet de première attention, cède à parts égales au rang des publications à la nouvelle, au théâtre, à la critique littéraire et artistique. De livre de poésie en livre de poésie cependant, le Tournaisien paraît élargir un champ où il avance à pas comptés, comme espérant mettre le pied sur la mine implosive ouvrant, avec force échos, des galeries souterraines où sa voix rebondira, relayant des préoccupations tout à la fois contemporaines, sociales, flirtant avec l’universel pour éviter une mise en scène trop égotiste.
En apparence, Michel Voiturier arpente une place symbolique, peinte par Chirico, et qui ressemble trait pour trait à celle de sa ville natale, à proximité de laquelle il réside toujours, là où il est « né sous les bombes », dit-il, au coin d’une rue perpendiculaire, le 19 avril 1940. Traversé par l’Escaut tout autant qu’il le hâle, Michel Voiturier ne singe pas une posture littéraire attachée aux clichés de la Belgique francophone. Il rayonne dans la langue où il s’est immergé. « La tyrannie du dictionnaire n’impose pas l’imaginaire » , car il faut « Habiter l’image », titre d’un livre anthologique.
Avec une biographie marquée par des ruptures, des drames, des rudesses professionnelles qui le firent professeur au Zaïre et dans le Hainaut, chroniqueur dans diverses publications journalistiques ou dématérialisées, Michel Voiturier eut pu sombrer dans la facilité et le pathos, larmoyer ou flageller la parole dès qu’il décide de la prendre. Quand il vire à l’à-pic de ces ravins, c’est d’une limpidité crue : « Le cri sort des lèvres. Aux spasmes des enfantements. Quand le bassin parfois se déchire. Quand la torture est à se mordre les dents. Le cri sort des livres. Lors peuvent les mots être sang mais d’ores et déjà jamais d’oubli. » Les pépites qu’il trouve, combien même ne rechigne-t-il pas à faire exploser les images dans la lignée des grands surréalistes belges, sont le produit de l’exploitation de longues veines patiemment repérées et cultivées.
Dans « Dits en plain désert », il travaille dans la première partie du livre les « Perfidies de la frontière ». Une déclinaison d’une richesse inouïe où les mots autant que les sons, l’histoire comme les dernières informations du monde sont traitées dans un creuset où la dramaturgie est toute entière contenue dans la maîtrise des modulations. Qu’il écrive pour un public averti avec une langue interpellant l’attention ou pour ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler le « jeune public », Michel Voiturier garde la même intransigeance. Préoccupé d’art, traînant encore une réputation sulfureuse de critique impitoyable, Michel Voiturier est particulièrement attentif au travail des autres poètes, aînés ou contemporains, dont il imprègne à l’envi les nombreux ateliers d’écriture qu’il anime en Belgique et en France.
Jean Dumortier, dans la préface à « Voiturier des mots » dit que « Voiturier n’écrit pas. Il entaille, il grave, il dégrossit, il cisaille, il taille dans le vif, dans le dermes des sentiments et des corps, des conventions et des mythes ». Parmi les plus nécessaires écrivains belges francophones d’aujourd’hui, Michel Voiturier a toujours eu préoccupation de maintenir vivace l’exigence littéraire de cette francophie, et en particulier à travers Unimuse. L’association créée en 1949 par des écrivains du Tournaisis tels Gilbert Delahaye, Robert Geeraert, Émile Langlet, Jean Stienon du Pré, Paul Mahieu, Maurice Gérin et André Rodenbach, est en quelque sorte la Maison de la poésie de Hainaut occidental, mais sans locaux. Michel Voiturier en a présidé les destinées de 1985 à 2005, et fit un gros travail autour de l’édition et de la poésie vivante.
Eric Sénécal
(Revue Les Hommes sans Epaules)
Poésie : Céramiques pour arc-en-ciel, Unimuse, 1960. Prélude pour un amour, Unimuse, 1964. AGREssives AGREssivicités, Unimuse, 1974. Luminaires du temps, EBES, 1976. Vitrolines (Sonate à trois), Froissart, 1977. Graphies d'un corps, Unimuse,1977. Fragments arraché à la cité, Unimuse, 1982. Blanc Pays, Antoing : PAC, 1987. Sous l'alanguie la vie (Lieux tressoirs), Rougerie, 1988. Mutinerie, ensuite, L'Arbre à Paroles, 1989. D'ordinaire c'était pour héler, Rougerie, 1990. Sur une déchirure si faille, Rougerie, 1996. Le mot l'espace, Tandem, 1998. Zodiaque, Atelier de Lithographie Bruno Robbe, 1999. Habiter l'image, L'Arbre à Paroles, 2006. Dits en plain désert, éditions clarisse, 2006, Prix PoésYvelines 2009.
Essais : Rolet, l'intuition du vital, Maison de la Culture, 2004. Sur les traces des écrivains en Hainaut occidental, La Renaissance du Livre, 2001. Sur les pas des écrivains de l'Escaut, Octogone, 1998. Allez les vers!, Labor, 1993. Tournai à coeur ouvert, Duculot, 1978. Dico d'injures post-modernes, Norina, 2004.
Théâtre : Métro, boulot, robot (Démocratie mosaïque 3), Lansman, 1998. Démarcation (Démocratie mosaïque 1), Lansman, 1996. Chronique locale, Centre dramatique hainuyer, 1985.
Nouvelles : Saisons d'Escaut, Unimuse, 1986 (en collaboration). Escaut, de-ci de-l'eau, Les Déjeuners sur l'herbe, 2012.
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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