Samuel BREJAR
SAMUEL BRÉJAR, LE BRETON QUI DESCENDAIT DES INCAS
De 1993 à 2006, le poète breton Samuel Bréjar a fondé avec Noëlle Yábar-Valdez, en 1993, les éditions John Donne & Cie, qui ont publié, jusqu’en 2006, deux semestriels de création littéraire, dont il fut le directeur : Rimbaud Revue, en français, et Neruda Internacional, en espagnol, précédé par Revista Sur. Samuel Bréjar a animé Rimbaud Revue, semestriel international de création littéraire, qui fut, durant ses 38 numéros, l’une des toutes meilleures revues de poésie contemporaine. Et j’ai eu l’honneur d’y collaborer et d’être l’ami de Samuel Bréjar. De la rigueur dans l’éditorial et la présentation, avec des découvertes et redécouvertes, une ouverture totale et alors rare sur le monde. Rimbaud Revue, fut aussi accompagnée par un supplément, qui devint une revue à part entière, en espagnol : Neruda Internacional. Le projet de Samuel Bréjar est d’emblée affirmé : « Tribune d’actualité littéraire et d’expérimentation poétique. Notre ambition est d’être une agora pour accueillir et rassembler toutes les voies nouvelles de la poésie de notre temps et nous aspirons aussi à être un trait d’union entre les revuistes qui le désirent afin que tous les courants de pensée et de - Création contemporains puissent s’y croiser et s’y affronter. La revue souhaite donc s’affirmer comme un des lieux de communication de la culture poétique, mais à contre-courant de tout calcul politique, commerciale ou médiatique. » Samuel accueillait fraternellement, mais avec exigence. Plancoët, de son vivant et avec l’aide incontournable de Noëlle, son épouse, dialogua ainsi avec les peuples et poètes du monde entier.
Notre ami Samuel Bréjar avait toutefois une particularité, pour un Breton : le teint cuivré d’un Inca. Les Bretons descendaient-ils des Incas ? On sait ce monde celte, vaste et mystérieux, mais de là à l’imaginer s’étendre jusqu’au Machu Picchu (extraordinaire cité inca du XVe siècle, au Pérou, perchée sur un promontoire rocheux), c’est vraiment un peu trop forcer sur le délicieux whisky Eddu ! Qui le sût, à l’époque, car il était d’une grande modestie et très secret sur sa « première vie » ? Il n’était ni Celte ni Breton, sinon d’adoption. Oui, qui sût, que le nom de Samuel Bréjar fut le pseudonyme du poète, militant révolutionnaire et guérilléro Péruvien Gilberto Yábar-Valdez, compagnon de Che Guevara (« Homme de douleur, ton cri a voulu être oiseau parmi les absents, cri pareil à l’abîme qui te contient ») dans la lutte armée et ami de Pablo Neruda ?
Gilberto Yábar-Valdez est né à Lima (Pérou), en 1939. À l’âge de quinze ans, suite à la mort soudaine de son père, dans un accident de voitures, il est obligé de quitter le Lycée, tenu par les Jésuites, où il a fait toutes ses études depuis le primaire, pour travailler et aider sa mère. Il suit des cours du soir et gagne sa vie pendant la journée. Il prend brutalement conscience de la réalité de la condition ouvrière, des plus démunis, paysans, et plus particulièrement, Indiens autochtones, dont un grand nombre sont venus s’installer à Lima dans l’espoir de trouver de meilleures conditions de vie ; ce qui, bien sûr, n’est pas le cas : « Chacun supporte la stupeur de sa respiration, admet sa défaite, son ghetto, mais nul ne peut plus tenir avec sa sous-vie qui se rétrécit, qui se renonce. »
Tout en poursuivant ses études pour obtenir le Bac, ses diplômes de linguistique et de littérature hispano-américaine, Gilberto Yábar-Valdez s’engage politiquement pour défendre les intérêts des plus démunis.
Jusqu’au début des années 1970, cet engagement lui vaut des poursuites, suivies d’emprisonnement et de tortures, de blessures par balles, ainsi que plusieurs condamnations à l’exil politique, au Chili, en Argentine et au Brésil, où il vit à plusieurs reprises. Pour échapper à l’armée péruvienne, Gilberto Yábar-Valdez passe des nuits entières à se cacher, notamment dans les cimetières. Pendant ce temps, une fois ses diplômes obtenus, il a, pendant neuf ans, exercé le professorat avant de se consacrer entièrement à la littérature.
Durant cette période, profitant d’un voyage d’études, avec l’une de ses classes, au bord du Lac Titicaca (qui forme une frontière entre le Pérou et la Bolivie), Gilberto se déguise en curé pour rejoindre Che Guevara et lui transmettre de l’argent, dans les Andes boliviennes.
En 1971, Gilberto Yábar-Valdez quitte définitivement le Pérou pour le Mexique où il fait la connaissance, en 1972, de sa future femme, Noëlle Vuillermoz, avec laquelle il s’installe en France, en 1973, dans les Côtes d’Armor. Le poète-révolutionnaire péruvien internationaliste Gilberto Yábar-Valdez, devient ainsi le poète breton Samuel Bréjar. Le couple (une fille, Yanelia, naît en 1973) se consacre alors entièrement à la poésie, la publication de deux revues et de livres, à Plancoët, jusqu’en 2006, année du décès de Samuel Bréjar. « La poésie n’a jamais cessé, au fond, de miner les formes, les us et coutumes de la réalité, et cependant, nous sommes prêts à persister et à signer, c’est fatal... Il y a des idéalistes insensés, en marge du gain et du profit, recrus de fatigue et bien à sec, qui continuent à s’acharner pour cette chose mystérieuse et indéfinissable qu’on appelle poésie et qui se débattent contre nos bouffons, nos mythomanes, nos vantards et nos fourbes, nos frimeurs, nos minables et nos mystificateurs », nous dit Samuel Bréjar. Je te salue camarade Gilberto, poète Samuel, mon ami, l’usage du cri seul, peut trouer le silence.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
À lire (poésie en espagnol) : Todas las Mordazas, 1965 ; Hallazgos del raro comportamiento, 1967 ; Legajos del Archivista, 1969 ; Los cantos destruídos, 1970 ; Cuentero del Duende, 1971 ; Palabras ardidas, 1972. Poésie en français : Les écrits de l'Andin, 1978 ; Les Exiliades, 1981 ; Argot de la Horde, 1983 (1° éd.) ; Les Archives d'Ariel, 1985 ; Zoo des mots, 1990 ; réunis dans Le livre des mots, 1992 ; Qori Kontur, 2001 ; Argot de la Horde, 2001 (2° éd.). Théâtre : Les Ardeurs de l'Été, 1983 ; Le Masseur de Crocodiles, 1984, traduit en espagnol par Noëlle Yábar-Valdez : El Domador de Cocodrilos, en 2009 ; Les Rois ruinés, 1985 ; La Nuit, 1989 ; Le silence, 1991.
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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