Collection Les HSE
Je serai l'assassin des asphodèles
Postface d'Odile Cohen-Abbas
Alain BRETON
Poésie
ISBN : 978-2-912093-75-2
220 pages -
20,5 x 13 cm
15 €
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De recueil en recueil, l’auteur a caressé la maison onirique, évoqué l’univers des pirates, dit l’amour et l’humour tout en fêtant le règne naturel contre l’emprise des villes, en se donnant pour but d’édifier son visage dans l’œuvre en marche afin de concilier « la poésie et la vérité ».
Ici, l’écriture prête allégeance au lyrisme dans la recherche d’une pacification. Le constat de ce qui est perçu des sensations, liesse et amertume, fait aussi parler l’enfance, chanter la Beauté et pleurer les plaies universelles. Mais, pour Alain Breton, si la poésie est essentiellement un « événement d’être et de langage », elle doit avoir pour but de nous faire entrer dans le jardin des métamorphoses.
Voici donc, cinq ans après Les Éperons d’Éden, le dernier recueil d’un auteur qui retrouve un peu le ton, l’ébullition de Ça y est, le monde, dans un va-et-vient nerveux mais nourri de fantaisie, entre le poème d’amour et de colère, les mythes et les légendes, l’érotisme et la mort, et des tentatives d’autoportrait.
Les Hommes sans Epaules éditions
*
Au chien andalou
Moi je veux toujours courir
mais sans jamais me rattraper
dans le jour qui m’emporte
et l’engouement du soleil
Seul toujours seul
ainsi disait Buñuel Luis sagace artiste espagnol
Seul dans le reste d’eau des fenêtres
l’agate de l’Atlantide
Seul sur un chemin où l’on s’enferme
à chaque fois avec ses rites ses nuages
jusqu’à ce que l’heure s’endorme on ne sait où
Seul dans l’égotisme de la flaque
contre la pluie et ses lanceurs de couteaux
le génie de l’éclair
alors qu’au ciel pendent les oiseaux
chiourme chantée par les plus niais
que l’ombre des plaines prend de la voix
au passage des animaux inouïs
Seul toujours seul
et comme dans un thriller le vent
le vent qu’on interroge sans fin
qui jamais ne ramène le bon cadavre
Alain BRETON
(Poème extrait de Je serai l’assassin des asphodèles, Les Hommes sans Épaules éditions, 2022).
Lectures critiques :
« Tout est âme en toi quand je t’aime
par le tigre et la cornaline
Sur ta rivière décachetée
je suis le titulaire du philtre
Suspendu à l’Yggdrasil
tenu par le serment des mille respirations
quand par miracle
tu apparais
dans la chambre secrète
des lieux où je t’invente »
Ce poème d’Alain Breton rappelle tout ce que le mot asphodèle peut évoquer en nous : la mort, la liberté, la beauté, l’amour, la magie, le mystère… Mais, le recueil est parsemé d’inattendus, de détours, de sauts à l’aveugle, de cris de colère, et de gestes d’apaisement.
« Jadis nous surprit Orphée contrebandier de peaux et de tabac
Sa lyre réglait tout un empire
dont la règle fut le chant
et Eurydice celle qui n’applaudit pas
militante d’un club où l’on fait la vaisselle
à laquelle on ne confie pas le whisky
dans la cité maudite
ni l’or des Incas pour une brocante à la Jamaïque
ni les spectres qui jonglent avec les yeux des chats
cochers de l’irréel »
Alain Breton nous balade, nous conduit, nous perd et nous retrouve. Cache-cache des mots et splendeur du verbe qui, soudain, libère, parfois à contre-sens.
Odile Cohen-Abbas, dans sa postface, l’interpelle :
« Visions prospectives et apocalyptiques s’enchevêtrent que régénèrent toujours des indices ou fragments fictionnels du présent. Vous êtes si prodigue, Alain Breton, quand vous distribuez le vrai et le faux, le sordide et le beau, les songes des hommes qui prennent naissance dans les vieilles eaux, les antagonismes du désir, votre passion indissoluble de l’humour et de la tragédie ! »
Alain Breton épuise la langue pour en faire un creuset dans lequel la matière des mots peut assurer une résurrection, celle du poème, de l’éclair lumineux qui enchante par la lucidité. C’est terrible et jubilatoire.
« C’est toujours la même chose
sous les sphères
on remercie bien tard
le petit âne pour ses biscuits
et l’aigle qui a du lustre
Un peu prétentieux pourtant de ses serres
sait-il faire jouir au mieux sa compagne
en garde-t-il le goût dans ses rondes
quand il fait le malin dans le vent
ô grand-maître qui ne se pose que pour l’arbre
ou tuer »
La déambulation d’Alain Breton est une quête éperdue du passage étroit entre la mort et la vie, l’horreur et l’extase, entre le poème et le silence.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, avril 2022).
*
Quand on court contre le temps on a toujours du retard dans ses lectures, ses écritures, et tout le reste… Mais au moins poser un parcours. Rendez-vous avec des livres…
Donc lire… Alain Breton
Premier recueil de poèmes de lui que je lis. Mais j’avais déjà découvert plusieurs de ses textes dans diverses anthologies (du Nouvel Athanor, notamment) et avoir l’intention d’en lire plus.
Intriguée par le titre, Je serai l’assassin des asphodèles, éd. Les Hommes sans Épaules, 2022
Elles sont assez belles ces fleurs, fréquentes en bords méditerranéens, les asphodèles. Mais la mort, c'est elles qui la marquent. Au moins dans la culture antique (et parfois encore comme par une mémoire culturelle inconsciente), fleurs pour orner les tombes. Les tuer serait-ce tuer la mort ? En acceptant que la poésie soit (comme le dit Roberto Juarroz, cité en exergue principal) une forme de folie qui nous préserve du bon sens et des stupides idoles qui dévorent la vie des hommes. Et ainsi... qui nous permet de vivre et de mourir en tant que nous-mêmes. Le sujet de la mort est bien là. Celle qui nous guette, celle qui environne, celle que la société veut éloigner, celle qu'en fantasme on se souvient d'avoir vécue, habitant l'histoire en personnage du passé, celle de l'image des Érinyes / dans chaque gare... Celle que les humains infligent ainsi que firent nos ancêtres (mais...). Mais, car le monde est autre, cruel autrement. Cependant s'il y a présence du tragique des vies, il y a, en contrepoint, l'art des oiseaux. Métaphore de plus de sens.
Parcours rapide. Mais assez pour grappiller des fragments, y revenir, et noter qu’il aime citer (j’ai lu et relu les autres exergues…). Assez aussi pour avoir senti l’esprit, comme un voyage intérieur, s’interrogeant sur les émotions qui donnent épaisseur à tout ce que l’on vit, et, en arrière-profondeur de pensée, regardant comme de haut tous ces instants, ces bribes d’itinéraire, cherchant le sens, et la liberté intérieure qui se construit avec et contre le temps. Mais, comme le dit en exergue Marie-Claire Bancquart, éclairant le poème qui suit, p.135 (Nulle route que vers le dedans), le voyage est intérieur, pour se demander où avoir eu lieu (p.170), et se définir en poète visiteur du cri (p.178)
Citations…
Un jour je parlerai de choses et d’autres
car je n’ai pas promis
(Ces deux vers, p.11, suivent le titre Comment édifier un précipice, et l’exergue d’Alain Simon, dont je copie la dernière ligne, je viens pour seulement les philtres). On a le programme intime de l'écriture, sans obligation, mais avec un risque pris, ce précipice dressé dont on peut tomber, mais si la poésie s'autorise une forme de folie (Roberto Juarroz), elle a sa magie, ses philtres (Alain Simon). Mais les philtres, c'est Alain Breton qui les crée. Et ils ont leur efficacité, comme le démontre la postface d'Odile Cohen-Abbas, car elle voit aussi la face lumineuse qui vient de ces créations voyageuses, de ces rêves dont l'amour n'est pas absent.
Qui suis-je
même pas le mangeur de ciel
Plutôt de la lignée des Poissons
une simple arête qui clame la jetée
et donne écriture aux planètes
(p.53)
J’ai vieilli je ne dépends plus que de mes souvenirs
et de l’herbe si lente après la nuit
(p.93)
Et je ne savais pas
que ma vie irait toujours au poème
pour ne surtout rien comprendre
sauf la magie
(p.136)
Marie-Claude SAN JUAN (in tramesnomades.hautetfort.com, 2022).
*
Le jeu appartient à la poésie, un jeu qui peut être sérieux, ou pas ; qui peut se colorer de toutes les émotions ou au contraire tenir une seule note ; un jeu qui s’opposerait à la vie ou, au contraire, serait la vie même, rendue à son éclat royal, à ses féeries, à la drôlesse mystique des métamorphoses et du « fouillis », toujours libre et toujours en geôle.
Telle est la promesse jamais démentie de la poésie d’Alain Breton. Le voyage, la liberté donc, est le motif principal de ce triple recueil ; mais seulement ceux qu’on peut faire avec des poèmes-légendes, ceux qui retranscrivent notre vie complète en dix vers, mais qui débordent la seconde et l’espace. Il y a les spires d’un rêve « tenu par le serment de mille respiration », la femme du Nord, Betty Boop, le grotesque, les oiseaux, une magie médiévale ou amérindienne, mille et un noms de fleurs, le grand âge des arbres, tandis que « mes branches ne gardent rien du silence des oiseaux », la stupéfaction paisible devant la source « dont le souci est l’élégance » ; puis enfin toi, « cet errant irisé de hantise », jusqu’au moment ultime : « Et puis la mort s’est approchée / c’est-à-dire le couteau sans date », la mort qui est « la source moissonnée ».
Il y a du M. Plume dans les poèmes d’Alain, « Prince en Absurdie en Tartarie dans un boudoir », du cocasse espiègle, de « l’hypothétique enjoué », remarque très justement Odile Cohen-Abbas dans sa postface ; mais avec la lucidité de celui qui sait devoir sa mort à la ciguë des vanités de ce monde, et son paradis d’avoir gardé un œil vigilant sur les sources moqueuses du rire (« Mon Dieu m’a accordé le rire / pour triompher de moi »).
Enfin, et – pour ceux qui se baissent – il y a de la morale dans ces vers, celle forgée par un « optimisme tragique » à la Diogène qui « va parmi les rues mal éduquées » ; et aussi celle que l’on dit du bout des lèvres, la nuit, à son ami le plus cher : « Ô poètes n’empruntez pas ne pillez pas / – et voler quoi puisque tout est lumière ».
Pierrick de CHERMONT (in revue Les Hommes sans Epaules n°56, octobre 2023).