Collection Les HSE
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Une Chambre avec légende, pour mériter son titre, célèbre la joie, la ferveur d'un être qui possède un être, l'autre, qui s'est emparé de lui. "Nous deux mais - ton regard a capturé le ciel - moi je monte sur la mer - si j'ai froid à ton ventre..." Car l'amour se vit aussi dans ses propres marges, quand l'absence allonge provisoirement la distance, le recul. Alain Breton joue habilement du paradoxe. Aucune page du recueil ne prête à confusion : il ne s'agit pas de lettre d'amour qu'on n'aurait pas osé envoyer, ni de déclarations restées dans la gorge, ni de dédicaces mondaines sur éventail, il ne s'agit pas de trahison indécente, surtout pas de tutoiement déclaratif, surtout pas de ces mots bêtasses des intimités amoureuses. Quand Alain Breton dit "tu", la deuxième personne n'est pas tout à fait au singulier. Elle est un pluriel qui est un : "Tu vivais comme un songe à perte de vue ", mais aussi : "il lécha le ciel sur ce qui restait de sa nuque." La forme grammaticale ne modifie pas le propos qui s'affirme érotique, l'Eros énergumène de Valéry, qui ne fut pas amoureux seulement de la jeunesse d'une Parque. Cet Eros géniteur d'énergie implique que les manoeuvrés-manoeuvrants de la passion élargissent l'autre amour, l'amour du monde, ce monde qui les porte comme une eau, fût-elle agitée ou tranquille, et qui assume pour eux un nouvel aspect, qui rassure par la belle santé de la première Parque, inquiète par la vigilance de la troisième, la carabosse aux ciseaux. "... on n'entend la pluie faire ses feuilles dans la rue" et de l'aube.... " les repentirs où gerce la chiourme des étoiles" pendant que dans le poème - qui se souvient du combat de Michaux -, "il déchiffre à la hâte - il la lève, - la lave - la dénude, la goûte... pour la déloger au centre des nébuleuses", pour "retrouver les seins trotte-menu et tous les doigts de miel." Tout cela ne serait qu'inutiles redites sur l'éternel quatuor des amants avec chacun son amour, si le "vierge et le vivace", la qualité donc de l'écriture, n'ajoutait le "charme", au sens gidien, à la cohérence du recueil, la légende en somme "exigée" pour cette chambre où "les bruits se font livrer des fleurs".
le lit retient nos fleuves
je te prends de vitesse
je t'abandonne à peine
un nom, une plainte, un parfum
je recouvre ton corps
et j'endors les grands fonds
de tes pleurs merveilleux
- mes prisonniers de guerre
Chercheuse d'or, de crosses et de houles
à peine enfourchées les étoiles endormies
la pie a repoussé
l'heure du thé dans la plaine
et nous tambourinons
sur la treille et l'osier
avant la neige, ce chérubin
voici le bizuthage du ring
où meurt la mariée
dans un bruit de moineaux
Alain BRETON
(Poèmes extraits de Une Chambre avec légende, Les Hommes sans Epaules, LGR, 1999).
Critique
Alain Breton refuse les facilités des "comme" qui dépaysent. les métaphores atteignent aux extrêmes de la compression de sens à laquelle peut résister la métonymie. De justesse. L'image bifurque vers une autre image qui ne semblait pas l'attendre, engendre le plaisir poétique réel, qui est bien de découvrir que ler dévoiement contrôlé des mots, leurs rebonds inattendus sont source d'enchantement et de significations intenses. Dans la Chambre avec légende, on dort dans un éveil secret : "nuit perdue en mer sur la page blanche des seins - nuit tardive aux mouchards du soleil - nuit dans le soupir de l'aulne où des larmes resquillent - fais que jamais je ne retombe - du mâchicoulis de ton amour." Ah! Ce mâchicoulis ! Si près d'un amour à nouveau nommé, trois, voire même quatre sens...
Jean DUBACQ
(in Les Hommes sans Epaules n°9, 2000).