Hors Collection
Lucien Coutaud, les années du Cheval de Brique
Catalogue de l’exposition du Musée de Trouville, Villa Montebello, Printemps 2018
Christophe DAUPHIN
Lucien COUTAUD
Jean BINDER
Livre d'art - Les HSE/ALC Editions
ISBN : 9782956318415
148 pages -
21 x 29,7 cm
15 €
- Présentation
- Du même auteur
Admiré par les grands poètes, écrivains de son temps (Jean Cocteau, Paul Claudel, Paul Éluard, Boris Vian, Gilbert Lely, Maurice Blanchard, Georges Limbour…) et peintres de son temps (Pablo Picasso, Salvador Dali, Max Ernst, Yves Tanguy…), Lucien Coutaud (1904-1977) est l’un des peintres les plus singuliers et les plus féconds du XXe siècle.
Ce peintre génial maîtrisait absolument toutes les techniques et excellait dans tous les domaines, comme son œuvre en témoigne, qui comprend près de deux mille peintures et gouaches, davantage encore de dessins, vingt-neuf tapisseries Coutaud fait partie de la première génération des artistes du renouveau de la tapisserie d’Aubusson ; ses cartons à grandeur d’exécution sont fameux et toujours réalisés à la gouache, avec une thématique toujours en accord avec son monde pictural), cent soixante eaux-fortes sur cuivre, vingt-neuf lithographies, vingt-cinq créations de décors et de costumes pour le théâtre et l’opéra, quarante-trois livres illustrés, d’André Fraigneau, en 1925, à Pauline Réage et son Histoire d’O, en 1972.
L’œuvre de Lucien Coutaud est une mythologie qui découle d’un monde profondément ancré dans la mémoire et l’imaginaire du peintre : la Nîmes de son enfance, la Rhénanie de la Loreley, la Provence du marquis de Sade et la Normandie du Cheval de Brique ; et c’est justement cette dernière période qui est l’objet (et c’est une première, il était temps !) de l’exposition de Trouville. Coutaud a vécu de 1952 à sa mort en 1977, en Normandie, dans le Calvados, sur la côte Fleurie. Il y a bâti un monde au sein duquel les êtres se métamorphosent, les corps se fragmentent, pénétrés tant par le végétal que par le minéral. Aux éléments mêlés est associé l’homme, la chair, l’être vivant. Coutaud peint aussi pour se protéger, déjouer les menaces qu’il sent dans le réel, se constituant, derrière ses tableaux, une zone de repli, qui n’est pas une fuite, mais une mise en œuvre des forces de l’imaginaire, pour ouvrir à tous, d’autres voies : celle du surréel, de la poésie élevée en mode de vie et de l’Éroticomagie.
Christophe DAUPHIN
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Lucien COUTAUD LES ANNEES DU CHEVAL DE BRIQUE 1952-1977
Le Musée de Trouville - Villa Montebello organise avec le concours de l’Association Lucien Coutaud, du 17 mars au 3 juin 2018, une exposition consacrée aux années normandes de Lucien Coutaud.
Membre fondateur du Salon de Mai, figure majeure de la Jeune peinture française dans l’immédiat aprèsguerre, revendiqué par la seconde Ecole de Paris, Lucien Coutaud, né en 1904, disparu en 1977, connut le succès dès le début des années 30. Son œuvre, onirique, toujours placé sous le signe du rêve, de l’étrange, de l’érotisme, élaboré en marge du surréalisme, conserve aujourd’hui encore son aura de mystère, reste d’une étonnante actualité. Cette exposition permettra de mettre en évidence, au delà de son apparente diversité, la cohérence de l’univers du peintre, un univers poétique dont le principal fil conducteur pourrait être le jeu, la métamorphose, un univers dominé par le désir.
Quand Lucien Coutaud vient en vacances à Trouville l’été 1952, il n’est pas un inconnu, mais un peintre, un graveur, un décorateur de théâtre et un cartonnier de tapisserie déjà célèbre. Ce sera pour lui un véritable coup de foudre et dès l’été 1953, il s’installe à la sortie de Villerville, en direction de Trouville, dans une demeure dominant la plage des Graves, découverte par sa compagne au mois de décembre précédent, qu’il dénommera le Cheval de Brique et c’est ce lieu et sa plage face à l’Estuaire, la pointe de La Hève, qui sera pendant un quart de siècle sa dernière source d’inspiration, le lieu ultime de sa peinture.
Exposer Lucien Coutaud, ses peintures de l’Estuaire, face à l’Hôtel des Roches noires où il s’était installé l’été 1952, face à l’Estuaire, à deux pas du Cheval de Brique, on ne pourrait faire mieux, En ce lieu, cette exposition fait sens.
Depuis longtemps, déjà, je peins les formes et les couleurs d'un monde imaginaire, tout d'abord tragique par suite des angoisses passées, puis surnaturel, irréel, certains disent même, magique. Cet univers je le porte en moi depuis toujours. J'aime donner un nom à chacune de mes peintures. Bien souvent, j'ai songé, et je songe encore, qu'en juxtaposant dans un certain ordre tous les titres de mes toiles, j'arriverai à composer un poème. […] Mon travail ne tardera pas à être envahi d'une nouvelle lumière, d'une matière différente que j'ai découverte sur la terre, dans la mer et les cieux normands que je puis contempler de mon atelier du "Cheval de Brique" à Villerville-sur-Mer. Ce nouveau lieu d'observation entraînera un élargissement, un épanouissement de mon champ visuel et de ma sensibilité. Des thèmes particuliers, méridionaux et cathares, Montségur, Quéribus et Roquevaire de Sauve, le pays des fourches d'alisiers en bénéficieront. Les peintures où se retrouvent les taureaumagies qui me poursuivent depuis mon adolescence, conçues proche de la Manche, prennent une nouvelle intensité, entre autres celle qui est dédiée au Sar Péladan. Parallèlement aux taureaux composés de formes humaines enlacées, des navires surgissent çà et là, eux aussi, apparentés aux taureaux par leurs enchevêtrements charnels. Et ce n'est pas fini, parce que "La jeune fille au bateau" va nous conduire aux poissons de l'estuaire ou d'ailleurs. Pourquoi ces affinités entre taureaux, bateaux et poissons ? Tout simplement parce que gens de plage, gens de l'intérieur, poissons, navires et souvenirs taurins parviennent à ne plus faire qu'un tout qui se correspond, se mélange et s'emmêle, impressionné par l'air marin qui l'entoure. Pendant la période des poissons surgissent des têtes accompagnées de pensées et d'iris. Il y a peu de visages dans mon œuvre, un visage est une chose si grave à regarder, à toucher, à manier, mais parfois l'envie me prend de peindre l'un d'eux. Et cela me conduit à l'apparition des oiseaux surmontés d'une fleur en place de tête : les oiseaux sont par leurs couleurs des fleurs volantes. Un groupe de ces fleurs volantes regarde l'arbre, le cèdre qui vient ponctuer à souhait la toile. Mais un arbre sans descendance n'est pas un arbre : "Les sœurs du cèdre" viennent pour ensuite laisser la place aux "Dames du cèdre" qui se sont transformées en iris et pensées superposées pour le plaisir de ce vieux compagnon. Revenons sur le rivage, peuplé de ces femmes à marée basse. Ces femmesfleurs m'ont servi à composer trois panneaux de tapisserie, qui ornent le paquebot "France". Quelques fleurs encore avec ce Cavalier du dimanche et ce visage d'orientale. On retrouve encore des femmes-fleurs, dans cette série de toiles sur "les planches" qui bordent la plage de Deauville et où estivantes, baigneuses et curieux apparaissent et disparaissent derrière leurs cabines en toiles de couleurs. A nouveau ces personnages surgissent du lointain marin, du proche des vagues, pour venir s'inscrire sous la présence d'une main, le tracé d'un bras, le volume d'une poitrine ou d'une longue jambe. Après ces vues des planches et des êtres qui les peuplent, le silence se fait, le sable se vide, les vents, les pluies et les nuits chasseront ces souvenirs jusqu'à la prochaine saison. Les véritables habitants reprennent enfin possession du sol de leurs plages, pour y poursuivre leurs travaux inutiles. Les faucheurs de vagues affûtent leurs faux, comme ceux qui fauchent les blés dans les prés.
Lucien Coutaud, 1962.
Si je suis attiré par un corps, ce n'est pas par l'ensemble qui, presque toujours, est banal, comme répété à peu de chose près, à des milliers d'exemplaires, mais par un des fragments de ce corps. Un doigt de pied, le pouce d'une main, un œil, la partie rare d'un mollet. Ce choix déclenche en moi, en ma main, la construction, la composition et l'élaboration de ce personnage mêlé aux végétaux, aux minéraux, à l'eau et au ciel, perçus de la même manière, il formera ce tout, cet insolite mystère que j'aime à peindre. En définitive, j'aime être étonné moi-même par ma toile. Sinon, je suis certain de n'avoir pas atteint le but.
Lucien Coutaud, 1964.
Je fais dessins et gouaches sans propos précis. Je les laisse venir. Je les retrouve ensuite, je les examine pour les reconnaître. Il arrive évidemment que certains m'entraînent vers une toile pour s'y installer plus confortablement. C'est d'ailleurs avec un pinceau que je dessine, et avec de l'huile. Je tiens à garder en dessinant la sensation de peindre. [...] J'ai un grand goût pour la gouache. L'air normand lui conserve longtemps son humidité. Ce qui permet de la travailler plus longuement. Tandis que l'huile, en Normandie, sèche tout de suite. On vit dans le mystère...
Lucien Coutaud, 1964.
Toutes ces toiles sont admirablement peintes [...] ; ses compositions doivent d'ailleurs une grande partie de leur pouvoir de fascination et de leur puissance poétique à cette manière qu'à le peintre de doser les gris, de hachurer les ocres, de créer de subtiles transparences, de découper les formes ou, tout au contraire, de les noyer dans l'espace, de les nimber, de les effilocher comme si elles étaient attaquées par le vent qui déchire, le sable qui érode, par l'eau qui glace ou le brouillard qui dissout. […] Et si les plages ocellées de flaques de ciel gardent l'image des marées que le peintre admire depuis son atelier, les souvenirs imposent leurs visions et viennent se décalquer, en surimpression : ainsi sous le ciel normand naissent comme par enchantement les "cirques de l'estuaire", les "faucheurs de vagues", les "chapeaux de mer", ou les corridas que l'aficionado Lucien Coutaud aime à recréer ; ce dramaturge de l'insolite, dans ses dernières œuvres, retrouve en songe ses souvenirs nîmois et compose alors des créatures en empilant curieusement des maisons aux toits de tuiles romanes, ponctuées de ruelles étroites et ombreuses, de lucarnes et de fenêtres, sommées de têtes de taureaux ; il se plait aussi à intégrer dans ses toiles récentes des oreilles, des yeux et des mains : mains ouvertes montrant des paumes ciselées en forme de pubis, mains en forme de griffes ou de serres, fermées sur leur secret ou désignant, l'index pointé, une invisible cible ; elles deviennent tour à tour visage ou ventre, comme dans "Une magicienne" peinte en 1968, curieusement anthropomorphe malgré sa tête végétale...
Paul Duchein, « L’univers magique de Coutaud », 4 septembre 1969.
Les surréalistes ? Coutaud les a bien connus. Il a fréquenté Breton, Aragon, Eluard qui avait sa préférence. Il rencontre encore parfois Soupault, « mais je n'ai jamais appartenu au groupe surréaliste, pour des raisons politiques, à cause du caractère difficile de Breton et parce que j'ai toujours voulu rester indépendant ». Cette indépendance, Coutaud la vit. Il ne la revendique pas. [...]. « Tout ce que je vois, tout ce qui m'entoure me sert pour mon travail. [...] ». La vie, « Je l'aime, oui, je la supporte, je ne veux pas dire que j'en profite, car j'ai horreur de tout ce qu'il y a dans ce mot ». [...]. On traverse à nouveau le jardin où Coutaud se plait à vous faire admirer la beauté des arbres, le cèdre en particulier dont il regrette qu'il ait été déserté par la famille de corneilles qu'il aimait à y voir s'ébattre.
Guy Pacheu, « Un moment avec le peintre Lucien Coutaud », 1er septembre 1970.
[...] Mes personnages se sont engendrés les uns les autres. Je suis passé d'une certaine forme à une autre. Pourquoi ? Je n'en sais rien. [...] L'oeil cruel qui vous regarde dans mes tableaux, c'est sans doute une libération pour moi. Je crois que ma vraie nature s'exprime par la peinture. Une nature que je ne connais peut-être même pas. [...] Très souvent mes corps sont scindés en plusieurs parties. C'est une idée de la mise en cause du corps, qui cherche à la détruire, à la corroder, à la ronger, à l'agresser, à la transpercer, peut-être pour trouver un corps nouveau qui me plairait beaucoup plus. [...] J'aime peu le visage. Je préfère les visages sans bouche, sans oreilles, sans yeux, des masques. Très souvent le corps lui-même s'effiloche, on dirait que le vent l'emporte, qu'il s'en va par morceaux. Il y a une espèce de volonté de détruire, de scinder un corps (récemment j'ai peint des corps sans bras), ou de sectionner les membres, de les regarder se promener comme s'ils étaient en apesanteur. [....] Une chose vous conduit à l'autre, une sorte de ballet de l'imaginaire, un grand ballet. Je suis réfugié dans mon rêve. Je me réfugie dans ma peinture, dans mes dessins, dans mes gravures : c'est un excellent refuge, c'est une très bonne caverne. On peut respirer tout de même, mais on est à l'abri de la pluie, du froid, de la vie. Mais j'y participe quand même, bien entendu. J'aime beaucoup la pluie. [...] Quand je travaille, je vois l'eau tomber sur la mer. L'eau du ciel lave tout. Il ne reste que l'érotisme, le rêve, la mort, tout ce qui me tente.
Lucien Coutaud, Entretien avec André Parinaud, Galerie - Jardin des Arts, mai 1974.
Fragments de rêves, débris du réel, mêlés aux visions d’un poète, tel se présente dans sa continuité l’œuvre de Lucien Coutaud.
Jean Binder, Notes pour une exposition, 2004.
Le peintre le plus important a avoir travaillé sur la Côte fleurie, depuis Boudin et Monet.
Christophe Dauphin, de l’Académie Mallarmé, 2018.