Collection Les HSE
Comme un cri d'os, Jacques Simonomis
Le Cri d'os n°41/42 et ultime dernier
Christophe DAUPHIN
Jacques SIMONOMIS
Essai
ISBN : 9782912093424
240 pages -
13 X 20.5 cm
17 €
- Présentation
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- Du même auteur
L’aventure de la revue Le Cri d’os s’est achevée en mai 2003, avec la parution d’un ultime numéro double, après avoir publié en dix ans, plus de neuf cents notes de lecture, trois cents auteurs différents, quatre-vingt illustrateurs et réalisé de nombreux numéros spéciaux (Max Jacob, L’école la poésie, François Jacqmin, L’Homme et l’œuvre, Jean Cassou, Le surréalisme américain, Norbert Lelubre, Théodore, Luc Decaunes, L’Érotisme…) Moins de deux ans plus tard, le 15 février 2005, le fondateur et directeur du Cri d’os, Jacques Simonomis, disparaissait à l’âge de soixante quatre ans. Le Cri d’os renaît de ses cendres, en 2015, l’espace d’un ultime dernier numéro. Comme un cri d’os, Jacques Simonomis, est un essai, suivi d’un choix de textes, qui a paru initialement en 2001, sous le titre de Jacques Simonomis, l’imaginaire comme une plaie à vif, et qui reparaît en 2015, dans une édition revue et augmentée à l’occasion du dixième anniversaire de la disparition de Jacques Simonomis. Dans la lignée d’un Tristan Corbière, d’un Alfred Jarry ou d’un Paul Vincensini, Jacques Simonomis, irrité par la bêtise bien-pensante de ses contemporains, a toujours pris fait et cause pour ce qui sort de la norme. Aucune trace du « politiquement correct » chez lui ; mais plutôt de l’humour d’attaque, de la dérision. Son œuvre est taillée d’un seul tenant dans les méandres mystérieux de la vie, avec son ton, son style, ses différents registres (qui savent aussi parfaitement s’imbriquer les uns dans les autres), ses images, son vocabulaire ; le tout inséparable de la vie collective ; de la vie en société. Cette vie qui, tour à tour, mènera le poète du désarroi à la révolte ; de la douleur à l’amour ; de la dérision à l’imaginaire ; de l’humour au merveilleux burlesque et déchiré.
UN IRRÉGULIER DU VERBE AU JARDIN DES PLANTES
(Extrait)
AVANCE. Vers la cuisse du monde, homme dévisagé dans l’acné du poème. Crame à jamais l’écho mesquin. Précède l’invisible espèce avec ton matos d’os et de peaux de bancals. Drope les millénaires en suçant ta blessure. À une époque où il apparaît indispensable de tout étiqueter, absolument tout ; il est certain que Jacques Simonomis donne du fil à retordre. Humoriste, original, auteur populiste, fabricant d’étranges petites histoires, misérabiliste, poète libertaire, etc. Que n’a-t-on pas entendu à son propos pour tenter de le ranger sous une bannière quelconque. À dire vrai, tout cela rend un étrange son de casserole, bien loin de la réalité. Simonomis n’aspire à aucune classification. Il se place dans le sillage de la famille des inclassables, celle des « irréguliers du verbe » : Jules Laforgue, Charles Cros, Tristan Corbière, Gaston Couté, Alfred Jarry, George Fourest, Jacques Vaché, Max Jacob, Raymond Queneau, Jean Follain, Boris Vian, Jean Tardieu, Théodore Koenig, Norge, André Hardellet, André Frédérique, George L. Godeau ou Paul Vincensini. Car chez eux, comme chez Simonomis, qui se tient en marge de tout mouvement par l’écriture et le besoin d’indépendance, la poésie éventre le mot et lui met les tripes à l’air . Chez lui, l’humour (comme support dynamique et percutant des idées, par son pouvoir de dérision) est bien sûr présent, décisif et incisif, comme un certain art de vivre et de juger la réalité, mais sans être une fin en soi. L’émotion, la douleur, la révolte, l’amour, le quotidien, le réel, l’insolite, le fantastique, l’amitié, sont tout aussi présents au sein de l’œuvre. Simonomis est un poète solidement ancré dans son temps. Avec près de quarante volumes et plaquettes à son actif, il a signé une œuvre singulière ; et si, au réalisme des débuts, l’imaginaire et l’insolite renouvèlent et ajoutent une nouvelle dimension à l’œuvre, à compter du début des années 90 ; ils n’en effacent pas pour autant l’humain, le réel et ses plaies, qui sont les principales caractéristiques de la dramaturgie humaniste simonomisienne. Le poète brouille les pistes, mais ne les efface pas.
(..) Simonomis dévorait la vie avec excès, comme pour conjurer les blessures et les frustrations d’une jeunesse bafouée et mal vécue. Simonomis, c’était le fils du peuple et de la mère-caresse, de la mère-douleur et du père volage qui dépensait sans compter l’argent du ménage. Une enfance mutilée jusque dans les rides de la mère. Simonomis, c’était le jeune homme au regard d’abîme, au dossard illisible, qui dût gagner son pain adolescent. C’était l’autodidacte total, parfait et rageur, l’homme de la culture intégrale, y compris et surtout populaire, les plaies du réel, la marche sur le fil du rasoir. Simonomis - il me l’a dit à plusieurs reprises -, n’avait pas peur de la mort. Comment d’ailleurs, aurait-il pu la craindre, après avoir écrit sans chiqué aucun à l’âge de vingt ans : Si je me respectais - et ce dans l’absolu - je me serais pendu - un beau jour de cafard, - mais, part de lâcheté - part de curiosité - j’ai décroché la corde - pendue dans ma pensée - et maintenant muni - de ce porte-bonheur - je continue la vie - en me crachant dessus. Il en fallait de l’humour pour pouvoir mettre en joue tout cela ; et de l’humour, Simonomis n’en manquait pas tant dans sa vie que dans son œuvre. L’humour simonomisien est un art de vivre et de juger la réalité ; sa canne-épée, synonyme d’attaque et d’autodéfense. L’imaginaire explose dans la foulée. Simonomis invente son monde et son univers, qui débouchent sur une mythologie personnelle. En cela, dans un monde aussi étriqué que le nôtre, l’aventure du Cri d’os créa-t-elle un espace de liberté et d’ouverture en libérant un précieux oxygène. Derrière la bonhommie de l’ours, comme derrière son rire énorme, il y avait tant de fêlures. Tout était à vif. Simonomis était parfois entêté, emporté et maladroit, susceptible, mais toujours fraternel et entier.
Christophe DAUPHIN
MARCHE ENCORE
(Merde à la guerre !)
Marche encore, témoin lourd, briseur d’années, l’ardoise électronique désignant ta poitrine. Porte au loin la série des blessures. Espère la pariétaire qui jaillira de ton engrais.
Le rap et la techno martèlent un poème qui te pousse aux reins :
Kosovo ! Kosovo !
crie le perroquet noir
sur l’épaule du monde
Mais en Turquie la terre tremble
en Grèce à Taïwan
Tempêtes ouragans typhons
raz-de-marée Japon Floride
et après ?
Les dieux toussent
la mort naturelle
La Tchétchénie
c’est où Zazie ?
Et qu’es-aco le Kurdistan ?
Au Timor oriental
pas de riz
mais des balles
Quant à l’Afrique
pas de panique
ça marche !
Pour le Noël des gosses
Pensez kalachnikov
Je paie les bombes
tu reconstruis
Tournent les arsenaux
le chômage recule
Les charniers puent la peste
le perroquet hurleur
prend de l’exactitude
il s’ébroue
de grosses gouttes de sang
percent la peau du monde
Sacré drapeau
le rouge est mis
les veines charrient
des larmes de rasoir
Zéro tués pour nous
O.K. O.K. O.K.
Pour les morts
pas de calculette
les criminels seront jugés plus tard
après trop tard
pour l’ordre la Justice
la vérité sort de la bouche des bébés
coupés en morceaux
les puits sont pleins d’os
de bouillie
Sous les ponts l’eau circule
c’est l’oubli
devoir de mémoire et de repentance
Et nos crânes diaphanes
dans le désert
jusqu’au ciel
Tout est tranquille
Ta pyramide est trop petite
Verechtchaguine ![1]
À coups d’ouvre boîtes crâniennes sans anesthésie
ni l’ombre de Dunant
LA GUERRE EST EN NOUS
sur nous
C’est le théâtre des opérations l’art militaire
la science militaire
La tactique de mon cœur
était de vous aimer
Le sol fumait du sang
comme dix cosaques ivres
LES HÉROS SONT DES VICTIMES
Messieurs les Anglais tirez les premiers
Nicolas Chauvin soldat-Laboureur
qu’est-ce qui pousse ?
Notre vie est un Waterloo
Stendhal Victor Hugo
Contre les mines
lâchez les amputés
Le carnage la volupté
métiers du meurtre du viol du pillage
boucheries de civils
Les croix de bois les gazés l’ypérite
Sur la planète rien de nouveau on tue
Fournier Pergaud Apollinaire
tous les morts sont des gogos
« Il sut aimer, quelle épitaphe ! »
Camarades squelettes
vos xylophones
font dans ma tête
un bal de fer
Nous couvrons l’événement d’un cercueil en plastique
et les linceuls
en papier hygiénique
Le perroquet bègue s’affûte :
Kosovo ! Kosovo !
Il pleuvra demain.
(..)
(À plusieurs voix) :
Mots érogènes hallucinogènes
mots bikinis gros mots pour haltérophiles
dans le fleuve en crue de la vie
Mots rodéos et spermatiques
élastiques
mots spectaculaires hissés au pinacle
mots chaussures à mon pied
mots sans préservatifs
mots sprint et marathon
Mots poings américains
battes de base-ball
ceinturons cloutés
fusils à pompe
mots banlieues mots baston
mots en bottes d’assaut
en poignard de para
couteaux de nettoyeurs de tranchées
en 14-18 mots magnum 343
et 6,35 pour sac de dame
avec crosse en ivoire
mots pistolets de carrosse à silex
sous Louis XV
contre les voyous destructeurs du langage
mots boulons billes d’acier
grilles d’arbres lancées
contre les C.R.S. en 1968
mots de mauvaise foi
et de mauvaise humeur
Présents-couchés les mots
partisans barreurs de la mort
Hardi les mots Vire au guindeau
pour le Valparaiso des petits cercueils blancs
Mots pour Passionarias des hanches
mots parents
mots pour enfantelets
flûtés moutons sucrés
satinés chicards courtois
rabonnis ragoûtants hospitaliers
chevaleresques mignards benoîts
mots portables et malades de la peste
ferrés madrés retors
humanitaires philanthropiques
Mots partis pour la montagne
mots qui parlent dans les œufs
dans la nuit toujours insomniaque
mots martyrs de la science
mots requinqués des hospices de la langue
réanimés d’urgence in extremis
mots Help
ventres ronds chaînes de montres
rameurs solitaires atlantiques
mots canebières
naufrageurs équarrisseurs
bannis interdits enterrés déterrés
ancêtres mots de la Mer Morte
vécus rongés jusqu’à l’os
mots jaja mots tutu
Lâchez la meute des mots
poivrés marmoréens
Peuple des mots dont les rois
sont les poètes
Remonte la planète d’un regard circulaire, et va.
Jacques SIMONOMIS
Extraits de Le Calfat des étoiles, 2002.
[1] Peintre Russe (1842-1904), auteur de L’Apothéose de la guerre, où l’on voit une pyramide de crânes dans le désert.
Lectures critiques :
Enveloppe ouverte, on croit un moment halluciner ! Une nouvelle livraison de la revue Le Cri d’os, pourtant disparue en 2003 ! La couverture est un peu plus étroite et le papier différent, avec ici photo couleur et pelliculage… En fait, elle ressuscite pour un n° spécial consacré entièrement à feu son animateur, le poète Jacques Simonomis, grâce à Christophe Dauphin et aux Hommes sans Épaules éditions.
On est donc aux confins du numéro de revue et de la monographie. La revue a existé dix ans entre 2003 et 2013, s’est arrêtée au n° 40 (moitié trimestrielle, moitié semestrielle). Et Jacques Simonomis s’est éteint, il y a dix ans tout juste.
Cette présentation en trompe l’œil et pour rire ferait presque oublier que Simonomis fut surtout un poète avant d’être, une décennie durant, un revuiste incontournable. L’hommage qui lui est rendu remet les choses en perspective. Christophe Dauphin, dans une première partie fournie, s’attarde chronologiquement sur la vie et l’œuvre du poète, en s’intéressant à chacun de ses recueils. Ainsi qu’à son engagement libertaire et humaniste, qui lui fera consacrer des études à Tristan Corbière et Gaston Couté... Pacifiste aussi puisqu’il connut la guerre d’Algérie pendant vingt-huit mois, comme toute cette génération de poètes qui en fut profondément marquée. Simonomis reste original, puisque sa poésie, et au-delà son écriture, sont difficilement classables. Gravité et légèreté se croisent, réalisme et imagination voisinent, fantastique, fantaisie et humour cohabitent, le tout dans une langue où le lexique n’a pas de limite. Simonomis qui a fait de son nom un palindrome, a trouvé un style, une plume et un ton pour le moins singuliers.
Nous qui ne sommes pas « nés » / gens sans terre sans fortune / petit peuple qu’on range / d’un coup de trompe ou de langue / avec la meute... Il a su faire de son socle prolétarien un tremplin pour un imaginaire débridé, insolite et fantaisiste. On a / volé le tapis volant / reflétri le roseau pensant / coupé la bosse au dromadaire / fait la guerre au propriétaire. Avec grand appétit de vie et conquête du temps : je ne crois plus à mon déclin j’appartiens à la route / j’ai faim. Son sens du merveilleux se marie parfaitement à l’érotisme dont le poète est friand : De mes poings sortent des oiseaux. Autour de tes seins, je tatoue des poèmes que tu ne peux pas lire.
Jacques Simonomis est à lire, ou découvrir. « J’écris pour ne pas me rendre », écrit-il. Poète plus complexe qu’il ne paraît, il a su couler sa poésie si personnelle dans l’éventail des formes, de l’aphorisme à l’histoire courte pour chaque fois faire mouche :
Perfectionniste, il raturait ses ratures.
LE CLANDESTIN
Le train s’arrêta. Je sautai sur le ballast et longeai les wagons plombés à la recherche d’un signe. Un ver luisant me prit la main. Nous évitions les aiguillages où le destin bascule car nous voulions toucher le bout des nuits, là où la solitude, la liberté et la mort étendent sur le champ le drap du jour nouveau.
Jacques MORIN ("La revue du mois" in dechargelarevue.com, mai 2015).
*
"Dans le travail d’information que mène Ent’revues, repérer les revues naissantes est la moindre des choses. Aviser de la fin d’une revue est moins évident : la revue s’arrête-t-elle, est elle arrêtée, empêchée, agonisante ? Et puis un dernier numéro peut apparaître, épuisant les inédits, fonds de tiroirs, de rédaction. Il ne s’agit pas de cela ici. Le Cri d’os, achevé d’imprimer cet avril 2015, est le « no 41/42 et ultime dernier ». Cette revue fut créée en 1993 et publiée jusqu’en 2003 sous la direction de Jacques Simonomis. Sous ce palindrome spéculaire se cache – à peine – un autodidacte atypique, poète truculent et combatif, « [de] la lignée d’un Corbière, d’un Alfred Jarry ou d’un Paul Vincensini ». D’ailleurs, il écrit :
« JE SUIS SIMONOMIS ho hisse
mon nom claque sur mes cuisses
avec mes mains
rieuses paysannes. »
Il est mort il y a dix ans : Les Hommes sans Épaules éditions lui rendent hommage en publiant cette livraison singulière. Il s’agit de la réédition d’un essai de Christophe Dauphin paru en 2001, revu et augmenté, et complété d’un important choix de textes et poèmes reflétant l’œuvre multiple, foisonnante.
Laissons la parole à celui qui fut aussi un animateur de Soleil des loups (1985-1992) :
« Je ne veux pas mourir dans la peau d’un revuiste, mais dans celle d’un poète indépendant. J’aurais acquis, dans cette aventure, un immense respect pour les responsables de revues, même celles que je n’aime pas ou qui m’ont été hostiles. J’ai fait ce que j’ai pu, comme j’ai pu, avec ce que j’avais. En définitive, Le Cri d’os m’aura apporté plus d’emmerdements que de joie. Mais il est trop tôt pour dresser un bilan. »
À noter, Les Hommes sans Épaules seront présents au 25e Salon de la revue, et présenteront sur leur stand la revue Le Cri d’os."
ENT’REVUES, le journal des revues culturelles (in entrevues.org, mai 2015).
*
" Un remarquable et inattendu hommage au maître d’œuvre de la revue Le Cri d’os qui parut de 1993 à 2003, soit la même époque que Gros Textes. Ce numéro met également l’accent sur le poète Simonomis. L’ensemble est une passionnante page d’histoire littéraire de la marge et nous donne à lire quelques échantillons de la langue riche d’un qui apprit le métier chez Corbière, Couté ou Richepin. "
Yves ARTUFEL (in grostextes.over-blog.com, 11 mai 2015).
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« Jacques Simonomis nous a quittés en 2005, deux ans après avoir publié le dernier numéro de la revue Le Cri d’os, fondée en 1993. Nous devons à Christophe Dauphin ce numéro exceptionnel et inattendu d’une revue emblématique en hommage à son fondateur. Le Cri d’os, annonce-t-il, ce sont « neuf cents notes de lecture, trois cents auteurs différents, quatre-vingts illustrateurs » plus « de nombreux numéros spéciaux consacrés à Max Jacob, L’école la poésie, François Jacqmin, L’Homme et l’œuvre, Jean Cassou, Le surréalisme américain, Norbert Lelubre, Théodore Koenig, Luc Decaunes, L’Erotisme…) ». Une œuvre énorme, tranchante et puissante comme seuls les poètes savent le faire.
Cet ultime numéro est composé de deux parties, un long portrait, presque une biographie avisée, dressé par Christophe Dauphin, compagnon de route de Jacques Simonomis, et un ensemble de textes et poèmes choisis de Jacques Simonomis. Et d’abord ces mots de Christophe Dauphin qui donne un sens aigu au nom de la revue, Le Cri d’os : « Simonomis dévorait la vie avec excès, comme pour conjurer les blessures et les frustrations d’une jeunesse bafouée et mal vécue. Simonomis, c’était le fils du peuple et de la mère-caresse, de la mère-douleur et du père volage qui dépensait sans compter l’argent du ménage. Une enfance mutilée jusque dans les rides de la mère. Simonomis, c’était le jeune homme au regard d’abîme, au dossard illisible, qui dut gagner son pain d’adolescent. C’était l’autodidacte total, parfait et rageur, l’homme de la culture intégrale, y compris et surtout populaire, les plaies du réel, la marche sur le fil du rasoir. Simonomis – il me l’a dit à plusieurs reprises –, n’avait pas peur de la mort. (…) Simonomis invente son monde et son univers, qui débouchent sur une mythologie personnelle. En cela, dans un monde aussi étriqué que le nôtre, l’aventure du Cri d’os créa-t-elle un espace de liberté et d’ouverture en libérant un précieux oxygène. Derrière la bonhommie de l’ours, comme derrière son rire énorme, il y avait tant de fêlures. Tout était à vif. Simonomis était parfois entêté, emporté et maladroit, susceptible, mais toujours fraternel et entier. »
Et de citer Jean Despert : « il faut l’avoir vu se hérisser lorsqu’on tente de se mettre en travers de sa liberté d’homme et de poète. Car, il y a le poète, le narrateur, le critique, le polémiste, l’homme aux quelque trente ouvrages drus comme lui, chargés d’humour et de dynamite de tendresse pour les uns, d’acide décapant pour les autres, avec cette sensibilité à vif de peau et de cœur qui vous entre dans la poitrine et le cerveau pour y creuser un chemin qui vous mènera parfois plus loin qu’il ne le souhaitait… »
L’homme, talentueux, est attachant et ne laisse pas indifférent, il secoue, il réveille. Les témoignages recueillis pour ce numéro ultime concordent sur un point essentiel, ceux qui le côtoient se sentent davantage vivants.
Jacques Simonomis a commencé à écrire tôt pour n’être publié qu’à trente-cinq ans. Bien sûr, il se heurta à l’indifférence et à la bêtise du milieu littéraire dans lequel il ne connaissait personne. Son premier recueil, Les Sirènes avec nous, paraîtra en 1975, une poésie troubadouresque qui précèdera une trilogie de jeunesse au caractère très vital. Il commence à fréquenter les poètes mais à part Jean Cassou, ces rencontres ne seront pas décisives et se révèleront plutôt décevantes. Avant de fonder Le Cri d’os, il collaborera à de nombreuses revues et en animera certaines comme Soleil des loups de 1985 à 1991.
Son œuvre est marquée par la gravité, notamment quand il traite de la guerre : il a vécu la guerre d’Algérie. Jacques Simonomis ne laisse passer aucune des turpitudes humaines même s’il sait aussi faire preuve de légèreté, s’exerçant à la caricature ou au burlesque. L’œuvre est sombre. Mais plane toujours dans ses poèmes la lumière, même pâle, qu’apportent la révolte et l’inconditionnalité. Et l’amour, toujours présent à travers sa compagne et muse, Yvette Demay.
Le flibustier laisse son œuvre comme un hymne à la liberté. Il appelle au combat permanent. Il a cherché des mots pour se battre, il les a trouvés, il nous les a laissés pour que nous poursuivions le combat."
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 7 juin 2015).
*
« Après nous, un dossier encore pour Simonomis. Avant tout le dernier numéro 41/42, posthume hélas, du « Cri d’os », hommage imposant et essentiel de Christophe dauphin au grand Jacques, plus que complet, grâce aux documents prêtés par sa chère Yvette et les souvenirs encore si vivants de l’impossible et si humain et authentique anar. »
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).
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"Ce fort volume de 240 pages, donné comme l’ultime dernier de la revue Le Cri d’os [1993-2003], cependant édité par Les Hommes sans Épaules, s’avère un régal. La première moitié du volume est consacrée à une présentation du poète Simonomis, 37 ouvrages parus, un prix obtenu en 1993 auprès de la SGDL, un poète peu connu donc, présentation signée Christophe Dauphin. Et la seconde moitié fournit un copieux choix de poèmes qui retient plus que l’attention.
La présentation, riche d’informations sur la vie poétique des cinquante dernières années, est conduite avec adresse, lucidité, et une confraternité du meilleur aloi. C’est une analyse de l’œuvre et un témoignage à la fois dont les cinq parties se lisent d’une traite. Cela commence par le vif portrait d’un « jeune homme au regard d’abîme, au dossard illisible, qui dut gagner son pain adolescent ». Au travail, en effet, dès l’âge de 17 ans, le poète a acquis sa culture en autodidacte. Il pourra écrire, ne publiant son premier volume qu’à 35 ans, « ma poésie ne sort pas des livres ». Péguy, rapporte Gérard Cléry dans sa préface à ce livre, notait qu’un « mot n’est pas le même selon un écrivain ou un autre : l’un se l’arrache du ventre, l’autre le tire de son pardessus ». Simonomis écrivait à peau nue. C’est sans doute en partie pourquoi « le milieu le reçut à bras fermés » et pourquoi cet ouvrage est si émouvant.
Christophe Dauphin, qui a de même présenté Jean Breton ou la poésie pour vivre en 2003, rappelle sans ambiguïté : « La poésie fait-elle autre chose que fouiller cette plaie qu’est l’homme ? » Le critique a des trouvailles, c’est-à-dire un style : « les images glapissent […] le poète se bonifie livre après livre […] il a l’humour d’attaque ». Il a su prendre le pouls de l’œuvre de Simonomis consignant cette grave facétie : « La vie n’est pas sérieuse, la preuve c’est qu’on en meurt. »
Le critique distingue trois plaques tectoniques dans cette œuvre. La première, dans le temps, s’apparente à la poésie des sans-grade, d’un pessimisme actif. Lui succède une poésie picrocholine que Dauphin préfère d’ailleurs rattacher à la nature des contes. Enfin il y a toute une part proche de Vincensini, si naturelle qu’elle parle aux enfants, et qui, dans de courts poèmes en prose, rejoint parfois Godeau. Ces trois axes s’interpénètrent. Ce sont en fait les frontières qui varient.
Le choix de poèmes, nourri, procurant une belle anthologie sur 120 pages, illustre bien ce que le critique a su lire et donner l’envie de lire. Un des premiers poèmes publiés, "Le Puits", en 1976 fait qu’on ne peut mieux dire : « Mi-larmes, mi-colère / mécontent de ce bas bonheur / je descendais dans le cafard / nu, sans poignard, cigale à folie noire […] Je ne crois plus à mon déclin, j’appartiens à la route / j’ai faim. » À ce cycle faut-il rattacher les poèmes sur la guerre d’Algérie, dans un choix établi par Jean Breton et publié en 1999 sous le titre La Villa des roses ? Le très beau poème qui donne son titre à ce volume devrait en tout cas être étudié au collège. Donner à partager la nature même de l’injustice, la plaie de l’homme, quoi de plus nécessaire ? Simonomis ne conciliait-il pas ce qu’attend la jeunesse : « Donnez-moi les mots pour me battre » en même temps que « la tactique de mon cœur / était de vous aimer ». On lit encore ce cri d’os, comme il disait : « j’ai voulu vivre sans mentir » et, les illusions consumées, « les yeux ne sont pas faits pour se regarder écrire ».
Un fort beau volume, donc, qui confère à ses auteurs, l’un vif et la mémoire de l’autre lui devant de le rester, une pleine et entière reconnaissance. Puissiez-vous, qui passez, la partager à votre tour !"
Pierre PERRIN (in recoursaupoeme.fr, août 2015).
*
"Le Cri d'os a cessé de paraître en mai 2003 avec son n° 39/40… Et voici que Christophe Dauphin publie un hommage à Simononomis, l'animateur de cette revue, décédé en février 2005; un n° 41/42 et ultime dernier qui se présente comme les précédents à peu de choses près, les amateurs reconnaîtront. Cet hommage regroupe une préface de Gérard Cléry, un essai de Christophe Dauphin (intitulé Comme un cri d'os, Jacques Simonomis, paru en 2001 sous un autre titre et ici revu et complété), un choix de textes et de poèmes de Simonomis et une bibliographie de ce dernier. Le livre est complété par de nombreuses illustrations et une liste des poètes et des illustrateurs publiés dans Le Cri d'os de mai 1993 à mai 2003.
J'ai toujours dans ma bibliothèque les livres de Jacques Simonomis, ceux que j'ai achetés comme ceux que j'ai reçus en service de presse de sa part ou de celle de son épouse Yvette après sa disparition… L'un d'entre eux me fit une telle impression, La Villa des roses (publié en 1999 par la Librairie-Galerie Racine) que je le place aux côtés de La Question d'Henri Alleg (ouvrage que celui-ci complétera en 2001 par un entretien co-édité par Le Temps des cerises et Aden)… J'avoue que j'ai ouvert à nouveau La Villa des roses : l'impression est toujours la même…
L'essai est une bonne introduction à l'œuvre de Simonomis qui pourrait apparaître hétérogène à ses nouveaux lecteurs : de l'humour au conte en passant par la dénonciation et l'indignation ! C'est que, comme le souligne Christophe Dauphin il n'y a chez lui "aucune trace du politiquement correct". On peut lire aussi dans cet essai un intéressant développement sur le poème en prose et une comparaison avec l'utilisation de la prose par Benjamin Péret qui vise à mettre en évidence l'originalité de Jacques Simonomis : "… les petites histoires de Simonomis ne relèvent pas, même si certaines s'en approchent fortement, du poème en prose" et "Le conte de Péret relève de l'écriture automatique, du surréel. Le conte de Simonomis, d'une réalité qui dérape, pour gagner les terres de l'imaginaire, du burlesque et de l'humour". Le plus beau et le plus intéressant chapitre de cet essai est sans doute celui consacré à la guerre d'Algérie et à la publication de La Villa des roses. C'est le constat implacable de la démarche d'un appelé du contingent, non politisé et qui n'est pas encore poète : comment Simonomis réagit à ce qu'il voit et à ce qu'il subit. La Villa des roses est un très beau livre, un livre utile comme disait Paul Éluard… Un livre toujours d'actualité : on peut relever dans ce qu'écrit Christophe Dauphin ces mots : "On le sait, nombreux sont ceux qui n'accepteront pas et n'acceptent toujours pas d'avoir dû lâcher leurs privilèges", mots qui renvoient à l'article paru sur le site internet La Faute à Diderot qui rappelle que la nostalgérie (1) est toujours de mise… Façon de dire ici que La Villa des roses est toujours à lire ou à relire.
Christophe Dauphin illustre son essai par un choix de poèmes qui permet de se faire une idée précise du talent de Simonomis : presque tous les recueils sont représentés. Cette anthologie est une épreuve de rattrapage pour tous ceux qui n'auraient pas encore lu le poète… Certes, le "politiquement correct" est absent de cette poésie. Mais ce sont les poèmes de l'époque 1954-1962, écrits pendant la guerre d'Algérie, qui ont ma préférence : peut-être est-ce dû aux bruits de bottes, aux explosions, aux miaulements des shrapnels et autres fantaisies guerrières qui dominent actuellement le monde… Pour ne pas désespérer des hommes."
Lucien WASSELIN (in recoursaupoeme.fr, août 2015).
Note 1: Nostalgérie. L'interminable histoire de l'OAS. Christian Langeois a lu le dernier livre d'Alain Ruscio.
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" Une belle photographie de couverture offre au lecteur la bienvenue chez Jacques Simonomis, qui ouvre une porte en guise d’accueil poétique. Une façon aimable de convier à la lecture de ce brillant essai signé Christophe Dauphin ; essai de 150 pages suivi d’une sélection des principaux ouvrages de Simonomis. Tous les textes majeurs sont bien entendu au rendez-vous et l’on peut lire et relire les extraits les plus représentatifs de ce poète utilement secondé par une épouse admirable (le fameux « colibri ») qui fit beaucoup pour sa notoriété et qui poursuit encore aujourd’hui les retombées d’une oeuvre trop tôt interrom-pue. Tout, chez Jacques Simonomis, était prétexte à poème ; tout tournait autour de la poésie, en tout premier lieu la revue Le Cri d’os, qu’il fonda après avoir fait ses « humanités » dans d’autres publications poétiques. Ce coup d’essai fut un coup de maître (40 numéros parus) et sa grande facilité d’élocution fit beaucoup pour la revue, mais également pour l’oeuvre personnelle du poète. Il savait « payer de sa personne » et n’hésitait pas à prendre la parole en public, à faire une conférence ; ce qui lui procurait une certaine audience, qui se répercutait sur le nombre croissant de ses lecteurs. Christophe Dauphin a su, en cet essai, privilégier le côté « grand public » de Simonomis, son désir d’être le plus près possible des gens. Le présent volume (Le Cri d’os n°41/42) consacre plus de 100 pages à une sélection très « pointue » des oeuvres du poète. Les photographies y abondent, en compagnie de différentes personnalités du monde poétique. Détail émouvant : la tombe de Jacques Simonomis au cimetière du Père-Lachaise, à Paris :
AMIS
Amis
aidez-moi de vos voix lointaines
quand mon corps hésite
Caressez-moi de mots que nous aimons ensemble
tous unis
contre la varlope
de la mort qui chante
Le bruit insidieux
de son atelier
ne faiblit jamais
la cheminée
crache des visages
Le mot de vie
c’est un prénom de femme
Mon amour
embrassons-nous toujours
sur la route froide
L’invincible silence
a piégé la nuit
Jean CHATARD (in revue Les Hommes sans Epaules n°40, octobre 2015).
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" Venu d'outre-tombe la revue Le Cri d'os n°41/42 ressuscitée pour un seul numéro par Christophe Dauphin. Ayant bien connu et apprécié Simonomis, je me réjouis de ce retour temporaire et vous invite vivement à aller vous requinquer à la lecture de ce numéro gargantuesque."
Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°63, septembre 2015).
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"Christophe Dauphin est le maître d'oeuvre de cet ultime numéro de la revue Le Cri d'os, créée et animée de 1993 à 2003 par Jacques Simonomis. L'ouvrage, illustré de nombreuses photos, se compose d'une présentation de l'homme (décédé en 2005) et du poète à l'oeuvre protéiforme par Gérard Cléry; d'un essai bien documenté de Christophe Dauphin qui fait découvrir le critique et le revuiste sans concession, l'aventure de la revue et un ensemble de poèmes choisis, sous le titre : La poésie n'a pas de barreaux."
Marie-Josée CHRISTIEN (in Spered Gouez n°21, ocotobre 2015).
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"Dans la lignée d’un Tristan Corbière, d’un Alfred Jarry ou d’un Paul Vincensini, la poésie de Jacques Simonomis est teintée de l’humour d’attaque, de la dérision. Elle est taillée d’un seul tenant dans les méandres mystérieux de la vie, avec son ton, son style, ses différents registres."
Electre, Livres Hebdo, 2015.