Comme un cri d'os, Jacques Simonomis

Collection Les HSE


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Comme un cri d'os, Jacques Simonomis

Le Cri d'os n°41/42 et ultime dernier
Christophe DAUPHIN
Jacques SIMONOMIS

Essai

ISBN : 9782912093424
240 pages - 13 X 20.5 cm
17 €


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L’aventure de la revue Le Cri d’os s’est achevée en mai 2003, avec la parution d’un ultime numéro double, après avoir publié en dix ans, plus de neuf cents notes de lecture, trois cents auteurs différents, quatre-vingt illustrateurs et réalisé de nombreux numéros spéciaux (Max Jacob, L’école la poésie, François Jacqmin, L’Homme et l’œuvre, Jean Cassou, Le surréalisme américain, Norbert Lelubre, Théodore, Luc Decaunes, L’Érotisme…) Moins de deux ans plus tard, le 15 février 2005, le fondateur et directeur du Cri d’os, Jacques Simonomis, disparaissait à l’âge de soixante quatre ans. Le Cri d’os renaît de ses cendres, en 2015, l’espace d’un ultime dernier numéro. Comme un cri d’os, Jacques Simonomis, est un essai, suivi d’un choix de textes, qui a paru initialement en 2001, sous le titre de Jacques Simonomis, l’imaginaire comme une plaie à vif, et qui reparaît en 2015, dans une édition revue et augmentée à l’occasion du dixième anniversaire de la disparition de Jacques Simonomis. Dans la lignée d’un Tristan Corbière, d’un Alfred Jarry ou d’un Paul Vincensini, Jacques Simonomis, irrité par la bêtise bien-pensante de ses contemporains, a toujours pris fait et cause pour ce qui sort de la norme. Aucune trace du « politiquement correct » chez lui ; mais plutôt de l’humour d’attaque, de la dérision. Son œuvre est taillée d’un seul tenant dans les méandres mystérieux de la vie, avec son ton, son style, ses différents registres (qui savent aussi parfaitement s’imbriquer les uns dans les autres), ses images, son vocabulaire ; le tout inséparable de la vie collective ; de la vie en société. Cette vie qui, tour à tour, mènera le poète du désarroi à la révolte ; de la douleur à l’amour ; de la dérision à l’imaginaire ; de l’humour au merveilleux burlesque et déchiré.


UN IRRÉGULIER DU VERBE AU JARDIN DES PLANTES

(Extrait)

 AVANCE. Vers la cuisse du monde, homme dévisagé dans l’acné du poème. Crame à jamais l’écho mesquin. Précède l’invisible espèce avec ton matos d’os et de peaux de bancals. Drope les millénaires en suçant ta blessure. À une époque où il apparaît indispensable de tout étiqueter, absolument tout ; il est certain que Jacques Simonomis donne du fil à retordre. Humoriste, original, auteur populiste, fabricant d’étranges petites histoires, misérabiliste, poète libertaire, etc. Que n’a-t-on pas entendu à son propos pour tenter de le ranger sous une bannière quelconque. À dire vrai, tout cela rend un étrange son de casserole, bien loin de la réalité. Simonomis n’aspire à aucune classification. Il se place dans le sillage de la famille des inclassables, celle des « irréguliers du verbe » : Jules Laforgue, Charles Cros, Tristan Corbière, Gaston Couté, Alfred Jarry, George Fourest, Jacques Vaché, Max Jacob, Raymond Queneau, Jean Follain, Boris Vian, Jean Tardieu, Théodore Koenig, Norge, André Hardellet, André Frédérique, George L. Godeau ou Paul Vincensini. Car chez eux, comme chez Simonomis, qui se tient en marge de tout mouvement par l’écriture et le besoin d’indépendance, la poésie éventre le mot et lui met les tripes  à l’air . Chez lui, l’humour (comme support dynamique et percutant des idées, par son pouvoir de dérision) est bien sûr présent, décisif et incisif, comme un certain art de vivre et de juger la réalité, mais sans être une fin en soi. L’émotion, la douleur, la révolte, l’amour, le quotidien, le réel, l’insolite, le fantastique, l’amitié, sont tout aussi présents au sein de l’œuvre. Simonomis est un poète solidement ancré dans  son temps. Avec près de quarante volumes et plaquettes à son actif, il a signé une œuvre singulière ; et si, au réalisme des débuts,  l’imaginaire et l’insolite renouvèlent et ajoutent une nouvelle dimension à l’œuvre,  à compter du début des années 90  ; ils n’en effacent pas pour autant l’humain, le réel et ses plaies, qui sont les principales caractéristiques de la dramaturgie humaniste simonomisienne. Le poète brouille les pistes, mais ne les efface pas.

(..) Simonomis dévorait la vie avec excès, comme pour conjurer les blessures et les frustrations d’une jeunesse bafouée et mal vécue. Simonomis, c’était le fils du peuple et de la mère-caresse, de la mère-douleur et du père volage qui dépensait sans compter l’argent du ménage. Une enfance mutilée jusque dans les rides de la mère. Simonomis, c’était le jeune homme au regard d’abîme, au dossard illisible, qui dût gagner son pain adolescent. C’était l’autodidacte total, parfait et rageur, l’homme de la culture intégrale, y compris et surtout populaire, les plaies du réel, la marche sur le fil du rasoir. Simonomis - il me l’a dit à plusieurs reprises -, n’avait pas peur de la mort. Comment d’ailleurs, aurait-il pu la craindre, après avoir écrit sans chiqué aucun à l’âge de vingt ans : Si je me respectais - et ce dans l’absolu - je me serais pendu - un beau jour de cafard, - mais, part de lâcheté - part de curiosité - j’ai décroché la corde - pendue dans ma pensée - et maintenant muni - de ce porte-bonheur - je continue la vie - en me crachant dessus. Il en fallait de l’humour pour pouvoir mettre en joue tout cela ; et de l’humour, Simonomis n’en manquait pas tant dans sa vie que dans son œuvre. L’humour simonomisien est un art de vivre et de juger la réalité ; sa canne-épée, synonyme d’attaque et d’autodéfense. L’imaginaire explose dans la foulée. Simonomis invente son monde et son univers, qui débouchent sur une mythologie personnelle. En cela, dans un monde aussi étriqué que le nôtre, l’aventure du Cri d’os créa-t-elle un espace de liberté et d’ouverture en libérant un précieux oxygène. Derrière la bonhommie de l’ours, comme derrière son rire énorme, il y avait tant de fêlures. Tout était à vif. Simonomis était parfois entêté, emporté et maladroit, susceptible, mais toujours fraternel et entier. 

Christophe DAUPHIN


MARCHE ENCORE

(Merde à la guerre !)

Marche encore, témoin lourd, briseur d’années, l’ardoise électronique désignant ta poitrine. Porte au loin la série des blessures. Espère la pariétaire qui jaillira de ton engrais.

Le rap et la techno martèlent un poème qui te pousse aux reins :

Kosovo ! Kosovo !

crie le perroquet noir

sur l’épaule du monde

 

Mais en Turquie         la terre tremble

en Grèce         à Taïwan

Tempêtes        ouragans         typhons

raz-de-marée  Japon  Floride

et après ?

 

Les dieux toussent

la mort naturelle

 

La Tchétchénie

c’est où Zazie ?

Et qu’es-aco le Kurdistan ?

 

Au Timor oriental

pas de riz

mais des balles

 

Quant à l’Afrique

pas de panique

ça marche !

 

Pour le Noël des gosses

Pensez kalachnikov

 

Je paie les bombes

tu reconstruis

 

Tournent les arsenaux

le chômage recule

 

Les charniers puent la peste

le perroquet hurleur

prend de l’exactitude

il s’ébroue

de grosses gouttes de sang

percent la peau du monde

 

Sacré drapeau

le rouge est mis

les veines charrient

des larmes de rasoir

 

Zéro tués pour nous

O.K. O.K. O.K.

 

Pour les morts

pas de calculette

les criminels seront jugés plus tard

après   trop tard

pour l’ordre la Justice

la vérité          sort de la bouche des bébés

coupés en morceaux

les puits sont pleins d’os

de bouillie

 

Sous les ponts l’eau circule

c’est l’oubli

devoir de mémoire et de repentance

 

Et nos crânes diaphanes

dans le désert

jusqu’au ciel

Tout est tranquille

 

Ta pyramide est trop petite

Verechtchaguine ![1]

 

À coups d’ouvre boîtes crâniennes  sans anesthésie

ni l’ombre de Dunant

LA GUERRE EST EN NOUS

sur nous

C’est le théâtre des opérations           l’art militaire

la science militaire

 

La tactique de mon cœur

était de vous aimer

 

Le sol fumait du sang

comme dix cosaques ivres

LES HÉROS SONT DES VICTIMES

 

Messieurs les Anglais tirez les premiers

Nicolas Chauvin        soldat-Laboureur

qu’est-ce qui pousse ?

 

Notre vie est un Waterloo

Stendhal         Victor Hugo

 

Contre les mines

lâchez les amputés

 

Le carnage      la volupté

métiers du meurtre     du viol            du pillage

boucheries de civils

 

Les croix de bois        les gazés         l’ypérite

 

Sur la planète rien de nouveau          on tue

Fournier         Pergaud          Apollinaire

tous les morts sont des gogos

 

« Il sut aimer, quelle épitaphe ! »

 

Camarades squelettes

vos xylophones

font dans ma tête

un bal de fer

Nous couvrons l’événement d’un cercueil en plastique

et les linceuls

en papier hygiénique

 

Le perroquet bègue s’affûte :

Kosovo ! Kosovo !

Il pleuvra demain.

 

(..)

 

(À plusieurs voix) :

 

Mots érogènes            hallucinogènes

mots bikinis               gros mots pour haltérophiles

dans le fleuve en crue de la vie

 

Mots rodéos et spermatiques

élastiques

mots spectaculaires hissés au pinacle

mots chaussures à mon pied

mots sans préservatifs

mots sprint et marathon

 

Mots poings américains

battes de base-ball

ceinturons cloutés

fusils à pompe

mots banlieues           mots baston

mots en bottes d’assaut

en poignard de para

couteaux de nettoyeurs de tranchées

en 14-18         mots magnum 343

et 6,35 pour sac de dame

avec crosse en ivoire

mots pistolets de carrosse à silex

sous Louis XV

contre les voyous destructeurs du langage

mots boulons  billes d’acier

grilles d’arbres lancées

contre les C.R.S. en 1968

mots de mauvaise foi

et de mauvaise humeur

 

Présents-couchés les mots

partisans barreurs de la mort

 

Hardi les mots            Vire au guindeau

pour le Valparaiso des petits cercueils blancs

 

Mots pour Passionarias des hanches

mots parents

mots pour enfantelets

flûtés  moutons         sucrés

satinés            chicards          courtois

rabonnis         ragoûtants       hospitaliers

chevaleresques           mignards        benoîts

mots portables et malades de la peste

ferrés              madrés           retors

humanitaires              philanthropiques

 

Mots partis pour la montagne

mots qui parlent dans les œufs

dans la nuit toujours insomniaque

mots martyrs de la science

mots requinqués des hospices de la langue

réanimés d’urgence    in extremis

mots Help

ventres ronds             chaînes de montres

rameurs solitaires       atlantiques

mots canebières

naufrageurs    équarrisseurs

bannis interdits           enterrés          déterrés

ancêtres mots de la Mer Morte

vécus  rongés jusqu’à l’os

mots jaja         mots tutu

 

Lâchez la meute des mots

poivrés                       marmoréens

 

Peuple des mots dont les rois

sont les poètes

 

Remonte la planète d’un regard circulaire, et va.

 

             Jacques SIMONOMIS

                        Extraits de Le Calfat des étoiles, 2002.


[1] Peintre Russe (1842-1904), auteur de L’Apothéose de la guerre, où l’on voit une pyramide de crânes dans le désert.