Les Hommes sans Épaules


Dossier : ROGER-ARNOULD RIVIÈRE, le poète de la cassure

Numéro 25
180 pages
Premier semestre 2008
17.00 €


Sommaire du numéro



Éditorial : Entre cri et silence !, par Christophe DAUPHIN

Les Porteurs de Feu : Poèmes de Gérald NEVEU, Robert CHAMPIGNY

Ainsi furent les Wah : Poèmes de Dominique DUMONT, Josette SÉGURA, André-Louis ALIAMET, Nicolas GILLE, Estelle DUMORTIER, Albert GONTRAN, Emmanuel BERLAND, Jean-Pierre VÉDRINES

Le poème surprise : un poème de Bernadette ENGEL-ROUX

Dossier : Roger-Arnould RIVIÈRE, le poète de la cassure, par Michel PASSELERGUE, Christophe DAUPHIN, Poèmes de Roger-Arnould RIVIERE, Raymond BUSQUET, Michel PASSELERGUE

Une voix, une œuvre : Monique ROSENBERG, par Paul FARELLIER

Vers les terres libres : Christiane VESCHAMBRE, par Paul FARELLIER

Le cri de l'oubli : Ernest DELÈVE

Avec la moelle des arbres : notes de lecture de Jean CHATARD, Christophe DAUPHIN, Jacques TAURAND, Karel HADEK, Paul FARELLIER

La chronique des revues, par César BIRÈNE

Infos / Échos des HSE

Présentation

ENTRE CRI ET SILENCE !

Éditorial (Extrait)

par Christophe DAUPHIN


                   que le plus sûr crachat soit mon offrande

                         R.-A. Rivière


« ... Roger-Arnould Rivière n’avait pas trente ans quand il disparut. Il n’avait publié, à deux cents exemplaires –dont 10 exemplaires nominatifs, avec deux dessins de Cricor Garabétian – qu’une seule plaquette de son vivant, Masques pour une Ordalie (éd. Paragraphes, juin 1953), dont le premier projet comportait deux fois plus de poèmes et portait le titre de « Entre cri et silence ». C’est à propos de Masques pour une Ordalie qu’André Breton a écrit: « Du premier au dernier ces poèmes sont admirables ». Dense, fluide, poignant et imagé, le lyrisme de Roger-Arnould Rivière traduit le mal de vivre avec une force et une lucidité inédites : Apôtre de la déchirure –émiettant dieu parmi le grain –dans un grand crissement –de pouce tellurique. »

Breton fut l’un des seuls à saluer Roger-Arnould Rivière, un poète qui a été totalement ignoré de son vivant. Alors, faut-il reprocher aux critiques qui reçurent son livre en 1953 de ne pas en avoir aussitôt reconnu la force somptueuse et tragique, à la fois ? Justice lui sera rendue dix ans plus tard. C’est en 1963 que, grâce au poète lyonnais Raymond Busquet (1926-1979), Guy Chambelland devait éditer les Poésies complètes de Rivière. Busquet donnera également une belle étude sur le poète de Tarare, son ami, dans l’anthologie de Pierre Seghers, les Poètes maudits d’aujourd’hui (éd. Seghers) : « Rivière pratiquait la poésie comme une ascèse masochiste. La création est vraiment pour le poète la blessure originelle. » Ce n’est pas rien. Malgré tout, peu de chose subsiste de ce poète au lyrisme  noir, vénéneux et merveilleux. Les poèmes de celui qui a écrit : Je sais que la détonation contient le même volume sonore que les battements de cœur qui bâtissent toute une vie, sont aujourd’hui introuvables. Il était plus que temps d’y remédier. Ce fut le choix des HSE et du poète Michel Passelergue, qui a déjà écrit dans la revue, ainsi que sur Rivière. Sachons au moins, aujourd’hui, reconnaître la place de Roger-Arnould Rivière parmi les poètes de notre temps, car il ne suffit pas d’écrire et de publier des poèmes ou de la prose découpée en vers, pour se prétendre poète. Il y en a beaucoup trop qui confondent l’homme de lettres avec l’homme de l’être, la versification et la création, la gratuité verbale et la poésie, la langue bétonnée et l’aura, l’objet langagier et le poème, l’huile et la mèche, l’extériorité et l’intériorité, le marteau et l’enclume, le cliché et la métaphore, le folklore et le fatum humain, l’avant-garde et l’arrière-garde. Pour tout dire, l’être et le paraître. Le poète a, avant tout, un devoir de regard, mais pas d’écriture. La poésie est un vivre et non un dire, comme le rappelle le poète belge Ernest Delève, dans son poème que nous ne pouvions pas rater vu son titre, « Nous les porteurs de feu », et que nous publions dans ce numéro.

Certains empilent les poèmes sans parvenir pour autant à être des poètes, contrairement à d’autres, qui n’en écrivant pas, le sont pourtant davantage. Ce fut le cas de notre regretté Christophe de Ponfilly, qui a disparu tragiquement le 16 mai 2006. Les HSE lui ont dédié leur précédent numéro. Écrivain et cinéaste, la poésie a profondément imbibé sa vie, son œuvre et sa révolte. On n’écrit pas pour écrire. Le poème doit être habité, le poème doit être vécu et j’y incorpore bien sûr la dimension onirique. La poésie requiert un enjeu d’être total, et pour tout dire, émotiviste, car l’émotion est l’équation du rêve et de la réalité; elle jaillit brutalement, comme une réaction devant l’irritation d’une blessure, pour mettre le sujet hors de soi. « Je est un autre ». La poésie est un organisme, un postulat du sang. Elle est un règne. La vie existe dans la poésie, et la poésie existe dans ce que nous appelons l’Émotivisme, un je qui résiste dans le nous, un nous qui réside dans le je. L’Émotivisme s’incarne poétiquement en l’homme. Dans cet enjeu d’être total, ils sont nombreux, ceux qui, connus, inconnus, comme Roger-Arnould Rivière ou Gérald Neveu, l’un des deux « Porteurs de feu » de ce numéro, y ont laissé jusqu’à leur vie, alors que d’autres, bien plus nombreux encore, et qui, noircisseurs de pages, professionnels du plat réchauffé, lequel d’ailleurs, me souffle René Crevel, n’est souvent « qu’une vulgaire assiette au beurre », courtisans et « poètes » médaillés de tous les champs de foire de France et de Navarre, dès le premier biberon, répandent leur rien à vivre et leur rien à dire en logorrhée, page après page, recueil après recueil. Importants dérisoires, vous vous reconnaîtrez. Roger-Arnould Rivière vous adresse son plus sûr crachat. Considérez-le comme une offrande. Cessez de nous envoyer vos livres, nous ne les ouvrons plus. Cessez de nous envoyer vos poèmes, nous ne les publierons pas… »


Christophe DAUPHIN

(Extrait de l’éditorial Entre cri et silence !, in Les Hommes sans Epaules n°25, 2008).



CRÂNE DE PLOMB LASCIF


Crâne de plomb lascif

lit-cage de mes années

sous tes linges croupis

ta mariole de vie

s’insurge ventre dru


J’ai soif de coucheries

sur les remblais de sel

où des scorpions odieux

se pourlèchent les moelles


Passions à l’étuvée

laits de gonfles fortuites

tes orgues et tes guis

crèvent sur l’ongle blanc


de cimes à peine taillées

replètes à mi-poursuite

entre l’épure et le large.


Roger-Arnould RIVIERE

(in Les Hommes sans Epaules n°25, 2008).



JE TE RECONNAITRAI DOULEUR…


Je te reconnaîtrai douleur à cette tache vive

    tournesol du dépit fleur de vase et de feu

    roue sans moyeu du même visage pressenti

    et retenu longtemps à l’anneau du soleil

    je cernerai ce tourbillon de vide rose et cru

    porcelaine lacérée de cris et de lames

    j’y tonnerai le vacarme d’un nom

    à résonance de chair et d’âme

et dans le cercle trahi par le miel de ma voix

    sur un espace de corolle et d’yeux

    je contraindrai la présence inquiète de l’éloignée

pour qu’elle ait désormais demeure calme

    sur l’arête multiple des vents

    et paix parmi le sang différé de la glaise.


Roger-Arnould RIVIERE

(in Les Hommes sans Epaules n°25, 2008)



Revue de presse

2008 – À propos du numéro 25

    « Si l’on connaît l’itinéraire poétique de Gérald Neveu, ici présenté par Christophe Dauphin, je découvre (dans les HSE n°25), Robert Champigny (1922-1984) disciple de Gaston Bachelard, mais dont les quelques poèmes lus dans le numéro sont une invitation à plus ample relation… Autre dossier par Michel Passelergue et Christophe Dauphin : Roger-Arnould Rivière, plus lyrique si j’ose ainsi écrire. Un beau numéro. »
    Jean-Michel Bongiraud (Pages Insulaires n°3, octobre 2008).

    « Christophe Dauphin n’est pas seulement surréaliste de l’avant-dernière heure, mais aussi (et faut-il penser « surtout » ?) fervent de la SF première de Rosny aîné, non pour sa Guerre du Feu mais pour le si mal connu Félin géant, où il a trouvé les « porteurs de feu » et les « Wah » de ses Hommes sans Épaules. Le numéro 25 parle de Gérald Neveu, rejeté partout et mort si jeune dans la misère, de Robert Champigny, dont la belle devise fut « Il ne faut pas laisser de traces », ce que pratiquement tous les poètes nient, trop sûrs d’eux. Enfin, au-delà des Wah, un dossier est consacré à Roger-Arnould Rivière par Michel Passelergue… On redemande de telles découvertes. »
    Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°226, novembre 2008).