Guy CHAMBELLAND
Guy Chambelland (né à Dijon le 5 décembre 1927 et mort à Cerisiers (Yonne) le 13 janvier 1996) créa et dirigea Le Pont de l’Épée (82 numéros de 1957 à 1983), soit la meilleure revue de découverte poétique de la fin du XXème siècle. Le Pont sous l’Eau lui succèdera de 1988 à 1996, le temps de 8 numéros. Les titres peu banals de ces deux revues proviennent de l’histoire de Lancelot, l’œuvre de Chrétien de Troyes. Lancelot doit se rendre sur une île pour délivrer la reine Guenièvre qui y est retenue prisonnière. Le chevalier doit traverser une eau profonde qui est le refuge de monstres. Pour ce faire, Lancelot doit emprunter un des deux ponts qui s’offrent à lui : le « Pont de l’Épée » ou le « Pont sous l’Eau ». Il choisit le premier ; les monstres qui devaient l’attendre à son arrivée disparaissent, et il atteint l’autre rive, sain et sauf.
Guy Chambelland est né le 5 décembre 1927, à Dijon, la cité d’Aloysius Bertrand, d’un père de lignée bourgeoise, d’une mère d’origine savoyarde et de condition ouvrière, qui tient une boutique de luxe. Son enfance est celle d’un solitaire. Il accomplit ses études à Dijon puis à Paris. Il est renvoyé du collège des Jésuites, et par la suite, d’un autre lycée, mais devient tout de même professeur certifié de français. Il exerce durant sept années, de 1950 à 1957. Il démissionne, ne pouvant supporter la rigueur stupide et étroite de l’Administration, comme l’aspect désuet des programmes.
Guy Chambelland apprend les rudiments du métier d’imprimeur et s’oriente définitivement vers la poésie. Chambelland imprime les premiers numéros de sa revue sur une presse à pédale qui date de 1871. Le premier numéro du Pont de l’Épée (1957) est consacré à Aloysius Bertrand. Plus tard, en 1973, il lancera le prix de poésie du Pont de l’Épée.
En 1961, il quitte Dijon et s’installe dans le Sud, au mas de la Bastide d’Orniol (Gard), au bord de la Cèze. De son mas, il milite contre la promotion immobilière pour défendre les garrigues du bord de la Cèze, et imprime un périodique qui sera l’organe du comité de défense : Vallée de la Cèze (15 numéros, de 1971 à 1976).
En 1964, il s’installe à Bagnols-sur-Cèze. L’Aventure est lancée et peut prendre son envol. Poète, éditeur, critique fameux, Guy Chambelland sera également animateur et l’éditeur de gazettes d’humeur telles que L’Insolent (cinq numéros de 1989 à 1992) et L’Anarque (un numéro en 1987), au sein desquelles, vers la fin de sa vie, il confirmera (en se faisant de nombreux ennemis) son grand talent de pamphlétaire et de polémiste, renouant avec l’une des grandes traditions, aujourd’hui perdue, de la poésie française. Car Chambelland n’hésitera jamais à mettre les pieds dans le plat, pour combattre ceux qu’ils nommaient volontiers les « cuistres » et les « paltoquets », en s’en prenant d’ailleurs, la plupart du temps, à des personnalités installées et assises ou à des institutions.
Travailleur acharné, Chambelland n’abandonnera jamais sa quête d’authenticité, en faisant fi des modes comme des cultures d’apparat ou des politiques. De Dijon à sa désormais mythique librairie parisienne, située au 23, rue Racine, où il s’installera en juin 1980, en passant par le midi de la France, Chambelland ne cessera de promouvoir ses poètes comme d’arpenter ces chemins de traverse qu’il voudra absolument voir converger vers la beauté : « L’histoire c’est une texture d’absurdité et de saloperies. La beauté c’est l’illumination dans cette misère. » Cronos, Thanatos et Éros se taillent les morceaux de choix et reviennent inlassablement arpenter les abîmes du poète, dans cette vision tragique, car réelle, des faits de l’existence d’un homme qui regarde toujours la vie et la mort de face : Je n’ai rien, ne suis rien qu’un rire qui s’épuise – une statue de ciel dans les mains du figuier – Une rose, une hanche, une rare musique – agrègent désespérément ce que je fus. Le poète doit alors dialoguer avec la beauté ; inventer ses dieux personnels et affirmer son existence d’homme.
Guy Chambelland était de ces personnes qui considèrent la poésie « pour une vérité qui ne néglige la démonstration (sinon la réflexion) que du moment qu’elle se fait merveille, cérémonial, surprise, qu’elle nous tire de l’ennui d’exister, qu’elle nous donne à rêver la vie, nous fait vivre au-dessus (ou plus profond), qu’elle fait en sorte que tout se passe comme si, par le pouvoir des mots, les dieux parfois visitaient l’homme ».
Guy Chambelland, depuis sa rencontre avec Jean Breton, en 1958, était devenu un ami très proche des HSE. Ainsi à sa mort, en 1996, deux de ses amis, Elodia Turki et Alain Breton reprirent la librairie-galerie du 23, rue Racine, pour y fonder les éditions Librairie-Galerie Racine.
Guy a été publié dans la 2ème et la 3ème série de la revue. Un dossier lui a été consacré (par Jean Breton) dans Les HSE n°7 (2ème série, 1993). Deux numéros spéciaux de la 3ème série des HSE (le n°7/8 en 2000 et surtout, celui qui fait référence, le n°21 en 2006) lui ont été consacrés, incluant à eux deux de nombreux témoignages et des études, un choix de poèmes et la réédition du recueil Limonaire de la belle amour.
À lire : La Claire campagne (Talantikit, 1954), L’Œil du cyclone (éd. Millas-Martin, 1963), La Mort la mer (Le Pont de l’Épée, 1966), Limonaire de la belle amour (éd. Saint Germain-des-Prés, 1967. Réédition Les Hommes sans Epaules, 2000), Courtoisie de la fatigue (éd. Chambelland, 1971), Noyau à nu (éd. Saint Germain-des-Prés, 1977), Scenario 13, sous le nom de Jean Sannes, (Le Pont de l'Epée n°41, 1977), Requiem pour une femme bleue, sous le nom de Jean Sannes, (Le Pont de l’Épée, 1977), Les Dieux les mouches (éd. Saint Germain-des-Prés, 1988), Ricercare, sous le nom d'Edmond Carle, (Le Pont sous l'Eau n°7, 1993), Barocco Metrico (Le Pont sous l’eau, 1996), L’Ire de la rame - anthologie - (La Bartavelle, 1997), Comme des Dieux montent le noir du lait, poèmes choisis 1961-1996, (Les Hommes sans Epaules n°21, 2006).
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules)
A Consulter sur le site des HSE: la Fiche auteur de Jean Sannes (pseudonyme de Guy Chambelland).