Dans la presse

 

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Lectures :

Lyrisme assumé, lumineux, en dialogue avec les peintures (collages parfois ?), saisissantes de justesse abstraite et d’intuition. L’ensemble irradie le souvenir d’une beauté sans cesse recommencée, captée au vol à son insu, comme si l’on se retrouvait enfermé quelques minutes (heures, jours, années-lumière : leur confusion bienvenue) dans un jardin hors du temps.

Le vol d’un oiseau, son ombre fugace, la mélodie d’un ruisseau, le friselis d’une robe - rien de tout cela n’est à proprement parler décrit et pourtant : on en ressort avec la sensation d’émerger du rêve d’un mage, un peu sonnés de devoir retrouver le RER matinal et les escalators d’acier.

Demeure la lumière. Merci Alain Breton.

Adeline BALDACCHINO, 25 juin 2026.

*

Le Grand Cerf est un mythème mystérieux et révélateur, commun à plusieurs traditions. Arbre de vie reliant la terre et le ciel, sa solarité en fait un symbole de l’avènement de la lumière. En alchimie, il est le Mercure, pendant de la Licorne, associée au Soufre. Ce couple signifie aussi l’union de l’esprit et de l’âme. Il est significatif que l’œuvre d’Alain Breton, textes et peintures nous accompagne en attendant la parole du Grand Cerf. D’ailleurs, en sous-titre, n’a-t-il pas discrètement glissé le mot « miracles ». Alain Breton fait de l’Apparaître, ce qui se donne à « Voir » une matière de Liberté, mots et images, poèmes et pentures, parfois témoignages, parfois cris, parfois invocations…

Que la forêt soit, qu’elle conduise le ciel vers le gouffre des arbres, vers les plaies invisibles du jour : que la pluie soit aimante, que la lumière obéisse au canard, grand hurleur facile, qu’elle vacille, s’exalte.

Le soir, entend-elle la voix qui meurt dans les ramiers ?

Outre le Grand Cerf, il y a aussi le Chat, animal psychopompe, qui fait pont entre le visible et l’invisible, inattendu, insaisissable, mais toujours présent, témoin ancien de nos pérégrinations.

Et aussi l’arbre, la forêt, la nuit, l’étoile, la pluie, le baiser, le poète, la femme, l’homme… dans une longue méditation qui est aussi une marche, libre, vers la beauté.

Hâte-toi, pressé par la nuit délétère. Sois son compagnon au fragile tabac.

Marche sans repère – l’azur t’accueillera.

Chaque rameau sera la rencontre.

Un ruisseau dans le soir entama le chemin.

 

Alain Breton transforme chaque instant en miracle. Question d’attention, de disponibilité, de regard, d’intensité… Ici, la Nature et la Conscience ne sont qu’un.

Viendra l’aube, l’heure des chiens. Un seul chêne les connaîtra et de sera la montagne tranquille.

Une abeille dénoncera les fleurs. Un vent nous sera confié, une eau nous attendra – celle du torrent, fier de sa démesure.

Quelques nuages montreront comment bien faire au soleil.

Le seigneur sera, dans sa lumière extrême, le chant d’un oiseau.

 

L’ouvrage, très initiatique, est un véritable manifeste de l’instant présent, ce véhicule invisible de l’être qu’il nous faut sans cesse reconquérir pour que se réalise le miracle d’une seule Chose.

Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 6 août 2025).

*

Avec Alain Breton – qui a reçu le prix Mallarmé en 2024 pour son livre Je ne rendrai pas le feu –, la poésie retrouve son pouvoir d’enchantement. Sa puissance évocatrice est dans le pacte intime qu’il noue entre les mots et la nature, rendue à sa pureté originelle. On est là, comme le « Grand Cerf » mythique du titre semble l’indiquer, dans une sorte de pratique chamanique de l’écriture qui révèle, derrière les apparences, un monde sacralisé et harmonieux où les animaux parlent, où les arbres sont des complices bienveillants, où le ruisseau est un ami, où l’herbe est accueillante.

Ce qu’il évoque, dans sa méditation active, relève d’une sorte de mystique immanente du lieu où il vit, avec ses murets, sa rivière, ses talus, son chat, les arbres, la neige parfois, la pluie, le vent, le jour, la nuit, autant d’entités vivantes – rien d’abstrait – qui l’accompagnent dans sa quête.

Son illumination, qui n’est pas sans rappeler celle décrite par Rimbaud dans « Aube », éclaire sans chercher à la résoudre l’énigme d’être au monde : le mystère doit demeurer mystère, mais se donne à saisir charnellement derrière le sens par une sensibilité constamment aux aguets.

Il se dégage de ces poèmes, qui sont de véritables hymnes à la nature, une intense volupté qui irradie et tend à devenir cosmique, d’autant plus qu’on y sent la présence de la femme aimée, du moins son souvenir et l’espoir de son retour.

Un extrait sera le mieux à même de rendre l’esprit de ce livre, par ailleurs superbement illustré par les peintures de l’auteur : « Notre aurore s’effaçait dans les fleurs errantes. Nous avions souri au monde facile : les sources se donnaient à nos regards, des criquets accordaient des audiences ; les herbes recevaient. Même l’araignée fit un pacte avec la fougère. / Juste dire merci lorsque merci est une offrande. » Il y a comme ça des livres qui ont encore à voir avec la merveille. 

Alain ROUSSEL (in en-attendant-nadeau.fr, 19 septembre 2025).

 

 




Lectures :

Marie Murski a traversé l’enfer. Elle écrit dans une encre de lave qui dessine des arabesques de toute beauté bien que souvent terrifiantes. Dans le Faust de Goethe, nous avons appris de la bouche même de Méphistophélès que l’enfer c’est ici. Plus tard, un autre grand poète, Jacques Higelin, a chanté lui aussi « Ici, c’est l’enfer ». C’est par le Poème que Marie Murski a échappé à l’enfer.

 

Poème chevalier blanc

tu rames empierré dans mes rivières à sec

tu surréalises tu vers-librismes tu alexandrines

tu couvres d’illuminés

mes cahiers couinant de pelotes d’épingles

triste tricot gisant les mailles en l’air

tu veilles aux lueurs démentes

mon corps crocus écarquillé pauvre de moi

 

Poème

à mon chevet de coquette lépreuse

en cavale de bataille et de fièvre

tu parles doux tu romantises

ta main fraîche étoilée sur mon front

me console depuis toujours

 

Poème

prince de sang

tu as grandi mine de rien

comme un pur diamant


Tu te tiens magnifique

contre mes volets fatigués

malgré tout tu es resté.

 

Avec Marie Murski, nous connaissons la nature de l’enfer et nous apprenons à reconnaître les démons. Si l’enfer est ici, les démons sont parmi nous, les démons, ce sont nous, bien souvent.

 

VIOL

 

Mère utérine a hurlé

écartelée nue dans la cabane avec les hommes

sur elle

 

Trois

Ils étaient trois

Chaque parcelle de sa peau gémit l’histoire terrifiante

Sa matrice hurle de douleur et d’épouvante

Malgré elle son ventre se resserre sur la semence

des trois hommes

 

Semences et sangs mêlés

Milliards de têtards à tête chercheuse

qui grouillent en elle

Qui grouillent

Elle les sent pulluler véloces et torpilleurs

vifs comme des ruisseaux

ils envahissent tous les recoins de sa chair

tous les couloirs muqueux

durant une nuit un jour une nuit

 

Les hommes sont partis à l’aube du deuxième jour

Ils sont rentrés chez eux pour dormir

près de leur femme ou chez leur mère

 

La cabane est calme elle flotte entre terre et ciel

Mère-utérine allongée nue sur le grabat

désarticulée

regarde ses cuisses tâchées de sang

Son bas ventre poisseux dégage une odeur de mort

Elle voudrait l’essuyer se laver elle tend la main

Et soudain elle sait

son ventre le sait son cœur le sait

le grand tremblement de mon histoire a commencé

dans le désastre des couloirs muqueux

une rencontre a eu lieu

 

C’est le début de mon histoire

 

Beaucoup le savent ou le pressentent, la poésie sauve, réconcilie, avec soi-même avant le monde, libère. Sans la poésie, l’humanité aurait déjà disparu. Marie Murski a trouvé l’intervalle par lequel se faufiler hors de l’enfer.

 

Passer l’amour par un trou d’enfer

tirer le fil jusqu’à l’usure

apposer son cœur ouvert

sur les guerres

les ailes en croix de la colombe

sur les bombes

s’y fracasser puis enlever les mots


Courir et brandir à son doigt

le dernier pompon du manège

 

Tuer Père inconnu fuir Mère-le danger

entrer en saison froide

maigrir jusqu’à plus soif

puis enlever des mots

 

Mettre du rouge sur sa bouche

prendre l’air et séduire tous les marins du port

les aimer en grappes

dans a vieille robe de mariée

un à un les épouser

puis enlever des mots

 

Après

le poème nu

frissonne au bord du monde

c’est alors qu’il faut l’écrire

le serrer dans ses bras

le bercer jusqu’à l’aube

en prenant soin de son regard.

 

Marie Murski est sortie de l’enfer pour créer un jardin de lumière sans rien oublier de ce qui fait l’enfer. Si elle crie aujourd’hui, c’est avant tout pour que nous entendions.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 14 juillet 2025).

*

L’ensemble de ses recueils écrits de 1977 à 2019 a été édité en un seul volume par la même maison d’édition. Après s’être consacrée à plusieurs romans et avoir témoigné des violences infligées aux femmes, Marie Murski revient à la poésie avec « la rage d’écrire ».

Elle écrit à la première personne, sans détours ni fioritures, délivrant son cri douloureux et brut de sa gangue. Venue « de nulle part / née de père inconnu en père inconnu / en mère-utérine hostile », repoussant les fantômes du passé, elle « se rempli(t) de soi » et de confiance retrouvée en ses mots. « Pas d’ancêtre / pas de lieu », fille de l’univers, désormais elle « voyage en poésie ».

Si elle affirme ne plus aimer « ce monde / dans lequel (elle) vi(t) », elle contemple néanmoins d’un regard aimant l’Atlantique du bout de la pointe de Mousterlin, guettant « le poème primitif / le plus beau poème du vaste monde ».

Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°31, 2025).

*

Dans ce recueil de poésie, Marie Murski nous offre une poésie intense, vibrante d’amour et de passion. Chaque poème est une étincelle qui mêle force et délicatesse, dureté et douceur, comme deux faces inséparables.

On y sent l’auteure plus apaisée que dans ses précédents écrits, et surtout animée par l’envie de nous parler d’amour, comme si elle l’avait véritablement rencontré. C’est un livre qui se lit à petites gorgées, chaque page apportant son lot d’émotion et de vérité.

Un recueil fort, sensible, qui nous invite à ressentir plutôt qu’à simplement lire.

Vérone Lix'elle (in lespatchoulivresdeverone, 10 septembre 2025).

 

 




Lectures :

"Les deux volumes de Pour un soleil de femmes, forment une contre-histoire de la poésie contemporaine!"

Electre, 2025

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Avec Pour un soleil de femmes 1, Chroniques pour un soleil de combats en poésie, de Lucie Delarue-Mardrus à Claude de Burine, Christophe Dauphin rédige une véritable contre-histoire féministe de la poésie contemporaine en rétablissant les femmes, corps, âme et esprit, à leur place, autour de la grande table solaire de l’art. Elles sont 41, conviées enfin au festin souvent frugal de la création, 22 dans ce premier volume.

Elles ont pour noms :Lucie Delarue-Mardrus, Thérèse Martin, Jeanne Bucher, Nusch Eluard, Suzanne Césaire, Gisèle Prassinos, Madeleine Novarina, Joyce Mansour, Virginia Tentindo, Annie Le Brun, Renée Brock, Thérèse Plantier, Thérèse Manoll, Cécile Miguel, Alice Colanis, Maria Breton, Jocelyne Curtil, Jacquette Reboul, Francesca Caroutch, Janine Magnan, Marie-Christine Brière & Claude de Burine. Elles sont femmes du surréalisme ou d’ailleurs, de littérature ou de poésie, de lettres et de l’être.

« Les textes consacrés à nos soleils sont de longueur inégale et vont de l’essai au portrait, en passant par la chronique. Ils sont inédits mis à part certains extraits qui ont paru en revues ou dans des magazines. Ils ont été écrits séparément les uns des autres, sans le souci de constituer un livre. Cela explique les absences, que certain(e)s pourraient déplorer, d’« icônes » du féminisme ou de la création. Dresser un tel panorama n’est pas notre dessein, mais nous ne perdons pas au change, avec les femmes dont il est question ici, qui méritent d’être découvertes ou redécouvertes. »

Cet hommage, amoureux, n’exclut pas la lucidité sur le talent, le rayonnement, l’influence bienfaisante comme sur les combats que chacune, en son propre style, a dû mener, bien souvent contre les hommes qui disaient les aimer ou prétendait les protéger, d’elles-mêmes bien sûr. « Le combat fut long, constate Christophe Dauphin, pour que la femme s’écrive elle-même. »

Cette contre-histoire de la littérature, de la poésie et de l’art, si nécessaire, éclaire l’histoire tout court.

Chaque femme est absolument unique, un univers impossible à cerner mais que Christophe Dauphin cherche à révéler avec respect, éclairant des recoins inconnus où sont dissimulés des trésors. Leurs mondes croisent tous les mondes, ceux de la banalité à l’horreur, ceux de la beauté, du secret et de l’amour. Les découvrir c’est aussi nous découvrir. La poésie féminine porte la fonction philosophique de l’interrogation des évidences. Les entendre, c’est traverser les formes accoutumées pour accéder aux champs de la liberté car elles sont à la fois du centre et des marges, elles voient au plus près, la peau, et au plus loin. Elles ne sont pas seulement poètes par leurs textes, elles le sont par leurs vies dont elles font tantôt un champ de bataille, tantôt un laboratoire alchimique, tantôt une œuvre d’art.

Christophe Dauphin n’écrit jamais sans faire coïncider l’intention et l’accomplissement. Ce livre est important, il ne fait pas seulement œuvre de réparation ou de réhabilitation, il découvre, dévoile, laisse le temps et l’espace au féminin, aux féminins, car ils sont innombrables. Il invite au retournement.

Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 4 novembre 2025).

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Voici un moment que je m’étais promis de parler de ces deux livres. Le livre d’Odile Cohen-Abbas, « Christophe Dauphin les yeux grands ouverts » (éditions unicité, 2025), qui est un essai sur l’œuvre poétique de Christophe Dauphin, et le dernier essai de ce dernier : « Pour un soleil de femmes 1, Chroniques d'un soleil de combats en poésie de Lucie Delarue-Mardrus à Claude de Burine ».

Encore fallait-il le temps de les lire pour leur rendre justice. Je ne saurais trop vous encourager à découvrir l’inépuisable générosité de Christophe Dauphin, poète, essayiste, éditeur, revuiste, passeur ; son ardeur et sa colère, son exigence et sa formidable capacité à tirer de l’ombre toutes les ressources les plus hétérodoxes, c’est à dire essentielles, du poème. Le volume consacré au « soleil de femmes » est une mine absolue, « contre-histoire féministe de la poésie contemporaine » plein de figures rares animées par les mêmes élans qui sont ceux de Christophe - et les miens : la poésie pour vivre et le surréalisme, unis dans l’émotivisme. Pour en savoir plus, commandez, lisez, découvrez, des mondes s’ouvriront.

Adeleine BALDACCHINO (Le printemps des poètes, décembre 2025).

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Pour un soleil de femmes 1, Chroniques d’un soleil de combats en poésie de Lucie Delarue-Mardrus à Claude de Burine.

Elles semblaient déjà prêtes à entrer dans ces pages, à y inscrire leur philosophie sensitive, sensuelle, combative et morale. On dirait, de fait, qu’un accord subtil, antérieur, implicite, prédestinait ces femmes du pays normand, ces femmes du surréalisme et ces femmes de la poésie pour vivre, à trouver leur temps de justice, leur reconnaissance, leur blason intellectuel et poétique et leur consécration définitive, entre ces lignes faites d’appels de part et d’autre, des leurs d’abord, vivants, superbement, au-delà de la mort, de l’histoire, des échecs et des réussites, et de celui de Christophe Dauphin qui aspirait profondément, à sa manière intègre et rebondissante, à leur rendre hommage.

 

Il semble véritablement qu’en amont des travaux de recherche positive, des strates d’échange, de rencontre, de partage, mystérieuses, et une intuition supérieure, aient guidé et prédéterminé la volonté de l’ouvrage. Étranges entrelacements de conjonctions passées et présentes, d’un homme, remué intérieurement, assidument, amoureusement, attelé à sa table d’étude, et d’un flux et reflux de souvenirs historiques. Quel est le lien intime personnel qui relie le poète à cette douce et forte gent féminine ? Quelles rumeurs de l’inconscient, de l’onirique s’insinuent dans ses marges ? Quoiqu’il en soit, Christophe Dauphin marque son œuvre de cette porte authentiquement sculptée de la mémoire.

Elles sont nombreuses, diverses, ces femmes, reliées entre elles par l’époque où les thèmes, mais chacune apparaissant dans sa découpe de lumière et auréolée de son génie individuel.

Le style est frappé d’un sceau d’empathie si véridique, si violent, qu’il semble que l’on ne puisse plus détacher l’empathie de l’écrit, l’amour de l’écriture de l’écriture de l’amour, des formes les plus extrêmes, les plus engagées de la sympathie, dans un livre dont le projet de redonner prophétiquement parole et sens au désir des femmes, est l’épicentre.

Or précisément parce que le sujet traite de cette femme proche et lointaine, il s’agit avant tout de lever quelques résistances ou malentendus, et d’appréhender le présent ouvrage avec une pensée et une sensibilité à neuf. Œuvre d’érudition, assurément, quant à ses qualités d’exigence, de concision, d’abondance de thèses et de documents, mais d’une érudition qui ne se borne aucunement à une forme abstraite, spéculative – donnant lieu à une nébuleuse de faits à la fois existants et inexistants, objectifs, subjectifs, opérants et inopérants –, mais agissant dans le sens de dégrossir tous les matériaux humains, sociaux, psychologiques, historiques, et de tendre vers une analytique profonde de l’être et de la vie.

 Il faut attendre le tout début du XXe siècle, pour assister à l’essor créateur des femmes en littérature comme en poésie.

Voici donc ces femmes qui invitent à des rencontres et des voyages dans le temps (du tout début du XXe siècle à nos jours), dans différents pays (de la France à l’Iran, en passant par l’Espagne, l’Arménie, le Bangladesh, l’Ukraine, le Liban ou la Palestine), à partir de leurs œuvres-vies, en phase d’être délivrées de la forteresse inexpugnable de préjugés où elles étaient enfermées. Ou plutôt voici que Christophe met l’accent, rassemble tous les faisceaux de l’œuvre sur les moyens, les étapes forcenées, héroïques de leur fuite.

Et nous sentons s’inscrire maints stigmates d’indicible amour en nous, maintes blessures et cicatrices miraculeuses au fil des siècles et des situations, comme plongés au sein même de leur évasion. Cette symbiose, cette compassion motrice, identificatrice, allie aux thèmes, aux circonstances factuelles, le substrat si cher au cœur de l’auteur du principe d’« émotivisme » : un serment de foi esthétique, plénière, aboutissant à une transmutation / transfiguration / révélation sensible et émotionnelle du réel.

Et comment parler autrement de ces femmes qui établissent proprement, à travers leurs sens et leur corps et des circonstances si contraires, une métaphysique du courage et de l’héroïsme !

Ces poètes ont ouvert la route à plusieurs générations de femmes. Ne sont-elles pas les grandes aînées des voix féminines majeures de notre temps ? Leur apparition marque indéniablement une évolution dans le rapport des femmes à la carrière littéraire. Leurs textes expriment une perception toute personnelle de la réalité autour du thème central de l’amour et de son rapport avec différents aspects de la vie féminine : l’homosexualité, la maternité, la filiation, la vie professionnelle, le mariage et la sensualité.

De Lucie Delarue-Mardrus à Thérèse Martin, de Jeanne Bucher à Nusch Éluard, Suzanne Césaire, Gisèle Prassinos, Madeleine Novarina, Joyce Mansour, Virginia Tentindo, Annie Le Brun, de Renée Brock à Thérèse Plantier, Thérèse Manoll, Cécile Miguel, Alice Colanis, Maria Andueza Breton, Jocelyne Curtil, Jacquette Reboul, Francesca Yvonne Caroutch, Janine Magnan, Marie-Christine Brière, Claude de Burine - la liste est longue mais il serait offensant d’en oublier une tant leurs beautés, leur force, leur bravoure a dû contenter le Créateur du sixième jour, et c’est pourquoi il faut non seulement lire la liste, mais prononcer chaque nom distinctement – de toutes ces égéries donc, s’érige tout le spectre des possibles féminin.

Qu’il y ait ou non entre elles une communauté de destin, elles semblent toutes sous l’influence d’une injonction intérieure – peut-être eu égard à cette première Eve subversive, à ce féminin originel libre antérieur à toutes conditions – qui les pousse d’une part à accomplir chimiquement, intellectuellement leur individuation, mais aussi sur le plan social et collectif à réaliser ce qu’impliquait d’appartenir à leur genre : un combat pour révéler cette femme millénaire, pour aider cette part la plus douée et la plus rétractile d’elles-mêmes que les instances familiales et institutionnelles avaient laissé délibérément s’étioler, s’atrophier, pour l’aider à naître, à s’extraire et légitimer totalement, honorifiquement, cette naissance et cette haute extraction.

De la nature de cet honneur, Christophe Dauphin a pleinement conscience. La tâche immense dont il s’est investi – le cœur y est tant que tout nous semble de bon aloi – corroborant ses propres valeurs, et sa profonde considération d’autrui, sa tâche va dans ce sens de restaurer ou d’établir cette dignité et cette unité féminines dont l’absence entrainerait, n’a pu entrainer jusque là que douleur, trouble et dissociation. Car c’est sans doute sous la menace d’une mort psychique évidente, d’une implacable mort aux trousses psychologique que ces femmes ont dû accomplir tenacement, témérairement, la particularité de leur destin. Cette convergence de causes, comme s’il n’existait en vérité qu’une seule estime glorieuse dans son rapport à soi et au monde, une seule tacite et nécessaire dignité, fait de ces pages un grand livre qui rehausse, redore dans un enchantement inaugural, éthique et poétique, notre confiance éprouvée en notre humanité.

Nous attendons le second tome.

 

Ode à l’espagnole : Maria Andueza Breton !

 

Lavons les mots dans la rivière de notre vécu,

nous n’avons pas d’autre voie navigable à

notre disposition.

Jean Breton

 

Premier souvenir : juin 1990. Je traverse l’arrière-cour du 17, rue des Grands-Augustins, à Paris. J’accède au « sanctuaire » du Milieu du Jour éditeur par un petit couloir dont les murs sont des livres de poèmes du sol au plafond. Les livres, une femme est occupée à les ranger, à les classer, avec respect et délicatesse. Elle flotte dans sa blouse bleue trop grande pour elle et ses mains volettent, papillons au-dessus des piles de manuscrits. Elle trie aussi le courrier, en silence, alors que le saxophone de Coltrane s’envole sur plusieurs octaves et réaligne l’horizon sur la corde du Merveilleux. Cette femme qui vient m’accueillir, c’est Maria.

Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Épaules, 2025).




Deux approches critiques

Comme des meilleurs vins millésimés, Paul Farellier a sélectionné pour chaque année écoulée, et depuis 1968, une bouteille de son excellent cru poétique. Publiés ici où là, les textes qu’il nous offre dans cette rigoureuse anthologie sont choisis pour leur représentativité, leur qualité, le goût subtil de leur longévité et, quelque part, leur tendresse donnée au temps qui court.
Choisir un extrait de texte dans cette superbe sélection est dénaturer le message initial car la plupart des poèmes représentés ici le sont dans un contexte pourvoyeur d’instants privilégiés. Chaque âge a son destin, chaque vers son empire.

« cette sorte de voix mate et sans écho,
ce faible cri de lanterne,
une étoile sourde qu’on distingue à peine

au vent venu de la nuit. »

La démarche qui accompagne ce poème fascine, car c’est le regard même que Paul Farellier privilégie entre tous, opérant sur un choix qui importe déjà un choix supplémentaire où ne surnagent, en fin de compte que les seuls grands textes douloureux des « bonnes années », alors qu’il ne reste

« plus rien qu’un soleil ras
pour faucher les pluies glaçantes. »

Un petit livre tendre et pathétique.

Jean CHATARD, note (mars 2009) pour la revue Le Mensuel littéraire et poétique.

 

Paul Farellier est un poète du souffle et de la distance. Ces poèmes naissent du creusement, du travail, de soins et d’attente. Ils maturent dans la grande cuve à poèmes, nous offrant des millésimes qui selon le poète lui-même peuvent varier selon la terre, le soleil, les pluies, l’attention du vendangeur. Quarante poèmes pour quarante années, le choix du poète a dû être bien difficile. Un peu de hasard a pu s’inscrire dans ce choix mais certaines années sont d’une qualité rare et c’est sans attendre que nous devons déguster ces poèmes.
Des instants, des lumières, un regard sur un vécu, l’oiseau qui s’envole, le silence toujours en recherche dans l’œuvre de Paul Farellier, tout cela impose un moment poétique dense et questionnant. « J’écosse la mémoire » écrit le poète qui tente peut-être de ne pas laisser s’égarer le moindre tremblement dans ce que nous pourrions relier à un vers précédent : «Tout le métier d’aimer». C’est que le poème de Paul Farellier ne semble pas vouloir rester dans la solitude même si les apparences sont parfois trompeuses chez ce poète assez secret. Son espace poétique s’appuie sur la réflexion philosophique et métaphysique tout autant que sur les éléments du monde et de la nature accomplissant par son poème une symbiose qui nous conduit à vivre avec lui la matière du monde comme son néant. Ainsi par l’union du paysage et de la lumière comme connaissance d’une finitude acceptée, nous pouvons lire ces très beaux vers :

« il a gelé blanc
                          et la lumière est prise ».

Silence, beauté, lumière, des étoiles que Paul Farellier ne doit plus chercher. Elles nous semblent véritablement atteintes dans ce recueil.

Monique W. LABIDOIRE, in revue Poésie sur Seine, n° 68, printemps 2009.