Jacques HÉROLD
Jacques Hérold (1910-1987) est l’un des plus grands peintres surréalistes et du du XXe siècle. Éminemment poétique et complexe, sa création n’a jamais cessée d’évoluer sous le signe du feu et de l’imaginaire le plus débridé. De 1930 à 1986, les périodes ne cessent de se succéder, certes, mais sans pour autant effacer ou gommer la thématique et les acquis des précédentes. Œuvre en perpétuelle ébullition, chaque période s’enrichit des thématiques de celle qui l’a précédée. « J’aurais voulu que ce soit ça, ma peinture : l’invasion du corps par une substance à la fois solide et liquide, cristalline, lumineuse, extrêmement subtile, l’or potable, l’élixir des alchimistes », a rapporté Jacques Hérold à Michel Butor (in Hérold, Le Musée de Poche, Paris, 1964). C’est l’alchimie que Jacques Hérold cherche toujours à atteindre. Une gouache de 1943, telle que Personnages écorchés, en est un exemple. La gouache d’Hérold, nous montre un couple d’écorchés. La femme est en mouvement, dynamique, cristallisée, écorchée au niveau des cheveux, de la poitrine, des cuisses, des mollets et de la plante des pieds. A son côté, l’homme semble figé et pétrifié. Il est davantage écorché, à vif sur la quasi-totalité de son corps, que cristallisé et donc vulnérable ; davantage en « mou » qu’en « dur », par rapport à la femme. L’insouciance de l’une semble renvoyer à l’angoisse de l’autre. Les causes en sont bien sûr le précaire de la vie et l’incertitude des moyens d’existence, ainsi que Hérold l'a peinte, l’année même de son retour à Paris, en juin 1943. Quelles sont-elles les grandes périodes de la création héroldienne ? Nous en avons déterminé six (in Jacques Hérold et le surréalisme, Silvana Editoriale-Musée Cantini, 2010), soit :
Les « Germinations 1930-1934 ». Dès les premières œuvres peintes par Jacques Hérold à son arrivée, à Paris, le thème de la germination est reproduit de manière obsessionnelle sous la forme de l’éclosion, de l’enracinement, de la naissance ou plutôt de la renaissance, de l’émergence du corps et de l’envol. Hérold part de ce qui enfoui, de l’inconscient, à l’état de larves, de vers et de graines, et qui va germer.
Les « Ecorchés 1934-1938 », dont Je t’raime (1938) est assurément un des sommets. Avec son pinceau-scalpel, Hérold y met à nu les rouages palpitants, les muscles frémissants et les organes sensibles, dans le but de « doter chaque chose d’une structure musculaire qui seule peut exprimer le mouvement. ». Le peintre écorche les êtres pour exalter la vie en dévoilant ses principes moteurs. Ici, en l’occurrence, il s’agit du désir, de l’Amour. Au centre du tableau, un couple vu de dos, avance vers l’horizon. La femme, dont la tête s’appuie tendrement sur l’épaule de l’homme, est parée d’une robe nuptiale. L’homme est entièrement écorché, d’un rouge très vif, vermillon. Le couple avance sur un tapis constitué par l’association d’une chouette (jaune vif) et d’un hibou grand-duc (marron), soit l’union de deux rapaces écorchés, solitaires et nocturnes. Pour Hérold, la peinture ne doit pas refaire la réalité, ainsi, Jolie Blonde (huile sur toile, 1938) présente un mollusque écorché sort de sa coquille et tient dans son unique main un poisson jaune lui même mis à nu. Le mollusque, non sans humour, est coiffé par une vague de feu, jaune et écorchée comme il se doit.
« Pour traduire mes préoccupations de façon concrète, il me fallut doter nécessairement chaque chose d’une structure musculaire qui seule à mes yeux, pouvait exprimer le mouvement. Je procédai à un écorchage systématique non seulement des personnages mais encore des objets, du paysage, de l’atmosphère. Jusqu’à arracher la peau du ciel » écrit Jacques Hérold (in Le Surréalisme Encore et Toujours, 1943).
Les « Cristallisations 1938-1948 ». En 1938, Hérold rejoint définitivement le groupe surréaliste et participe désormais à toutes les manifestations collectives. La guerre s'annonce et va bientôt l'obliger à gagner le midi de la France. Tout à coup, les choses se figent et coagulent comme du sang. La peinture d'Hérold subit et profite de ce précipité chimique auquel Breton et la poésie surréaliste donnent tant d'importance : la cristallisation. Cristaux de givre, d'abord. Le verre, la vitre, la vitrine, ou le miroir, se couvrent d'un gel qui fabrique à toute vitesse ses pointes et ses éclats de glace. Jacques Hérold n’abandonne pas ses recherches et sa thématique de l’écorchement des êtres et des choses, mais il les durcit, parce que l’œuvre doit tendre à la cristallisation, à la beauté dure, convulsive et rayonnante. Les muscles en sang deviennent des strates de cristal. Si Hérold durcit les êtres et les choses, c’est aussi par esprit de résistance (Brauner de son côté, va créer des œuvres de contre-envoûtements) contre les agressions du monde extérieur, livré à la guerre et aux massacres (« Il est probable que ces personnages étaient construits pour me rassurer d’un monde qui s’était bassement effrité », J.H.).
L’« Eclatement du monde minéral 1948-1958 ». De 1948 à 1954, Hérold étudie le rapport de l’être et de ses éclats de pierre et de quartz. Le cristal est toujours une donnée majeure, mais son traitement subit une évolution à travers l’éclatement du monde minéral comme le montre bien La robe de la rose des sables (1948) et Bel et bon (1951). Hérold est préoccupé par le fait de rendre expressive la texture du tableau, en modulant les épaisseurs de pâte et en diversifiant les touches, carrée et rectangulaire. Artiste de la matière, Hérold veut la faire ressortir sur la surface peinte. Il parsème des fonds lisses de gouttes solidifiées de peinture. Il passe de ces effets de granulation à des effets de réseau produits par des petits carrés ou par des petits rectangles de couleurs juxtaposées, dans une trame si serrée, que l’on dirait des mosaïques. Le tableau est constitué par des fragments de pierre, de pâte de verre coloré, conciliant l’apparence extérieure des choses avec leur secret intérieur. Les formes éclatent sur la toile. C’est la touche, et non plus le trait de contour ou d’irradiation de l’objet, qui jouera le rôle de « sublimation constructive ». Mais une touche qui, par la façon dont elle anime la matière, la constitue en volume, la définit dans l’espace, continue d’exprimer une vision cristalline : la cristallisation.
La « Période blanche 1959-1960 » manifeste avant l'heure une abstraction lyrique, propre à Hérold, qui a lui-même écrit : « On fait venir l’image a soi, qu’elle soit réelle ou imaginaire, pour l’appliquer sur le tableau on la fragmente, on rend ces fragments transparents, on les chauffe en quelque sorte, on les vitrifie, ce sont comme des lamelles de cristaux, de plus en plus minces, de plus en plus pulvérisés. Tout finit par s’écraser en blancheur. » Le peintre évoque le processus de création de cette période, avant de s’en inquiéter : « J’ai été pris de panique. La peinture devenait tellement blanche que même la fragmentation disparaissait. On risquait de ne plus savoir que quelque chose était fragmentée, de se trouver devant une surface presque indiscernable de celle dont on était parti. » Avec Le Sorcier noir (1960), se manifeste notamment, avant l'heure, une abstraction lyrique, propre à Hérold. Le tableau montre l’irruption d’un objet mental dérobé à l’inconscient. Hérold a davantage recours qu’auparavant à l’automatisme pictural. Cet automatisme psychique a pour référence essentielle l’état de rêve, mais ne se confond pas avec lui : Le rêve est un produit parmi d’autres d’une telle activité, et son intérêt fondamental vient principalement de ce qu’il en propose un exemple permanent et qu’il lui sert de modèle universel.
Le « Dialogue des règnes 1961-1986 ». Jacques Hérold sort de la période blanche en 1961, en allant à l’extrême opposé avec, Drosera I, un tableau ténébreux, représentant un personnage noir sur fond noir entre deux taches blanches recouvertes d’une grille noire, et en bas, de légères touches rouges, de braises. Hérold oppose au blanc et au lait, le noir et le rouge, le feu et la nuit. Cette longue période du « Dialogue des règnes », marquera un retour au végétal, à une flore structurale. Des cristaux, Hérold passe aux flammes, aux plumes et aux pétales, qui peuvent aussi se combiner. Les éclats, les touches, les plumes et langues de couleur, Hérold va peindre la légende du végétal et son pouvoir de métamorphose, de communication avec les autres règnes pour aboutir à un jardin alchimique. On peut se demander, avec Michel Conil-Lacoste, ce qui a dicté à Jacques Hérold une facture si singulière et si constante : cette organisation par touches en croissant, écrasées vers l’intérieur par le couteau à palette appliqué comme une truelle, tandis que la pâte onctueuse, compressée par l’arête de l’outil, lui échappe pour former bourrelet sur l’extérieur, et la disposition dansante de ses touches, infléchies selon les axes d’un dessin invisible mais lui obéissant comme à des lignes d’aimantation, et le jalonnant de repères (ce que confirment les « maquettes » préalables à l’encre de Chine, où le dessin appelé à sous-tendre le tableau en projet, apparaît dans la continuité de son tracé intégral). Autres éléments permanents, mais soumis chaque fois à l’économie et à la narration particulière du tableau : le fond sombre, la matité de la surface (qui se prête tellement mieux que la rutilance à certaines subtilités) et l’éparpillement de ces copeaux, de ces croissants de couleur, souvent disposés par chevauchement à la façon d’un toit ou des plumes courtes et arrondies qu’on voit au cou lustré des plus beaux oiseaux.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
A lire : Michel Butor, Jacques Hérold (éditions du Musée de Poche, 1964), Jacques Hérold, Le Maltraité de peinture (éditions Fall, 1976) Sarane Alexandrian, Jacques Hérold (éditions Fall, 1995), Christophe Dauphin et Rose-Hélène Iché, Jacques Hérold et le surréalisme (Silvana Editoriale-Musée Cantini, 2010), Christophe Dauphin, Jacques Hérold, de la Suprarealism la abstractionismul liric, (Colors art gallery, Bucarest, 2011), Jacques Hérold, Fragments biographiques (Cahiers Robert Rius, 2011).
Pour commander le film documentaire de Fabrice Maze, Jacques Hérold, en Coffret DVD.
Une production Aube & Oona Elléouët-Breton - Seven Doc. Réalisateur Fabrice Maze.
Témoignages de Christophe Dauphin, Rose-Hélène Iché, Reine Caulet Guetta, Alain Paire, Delphine Hérold-Wright, Thessa Hérold et Patrice Trigano.
Durée: 140 minutes. Format vidéo 16/9. Format livre 13,8x18,8. PAL / Stéréo.
Langues audio : Français. Langues Sous-titre : Anglais, espagnol.
Bonus DVD : Ce coffret contient le film de Farbrice Maze sur Jacques Hérold et un livre de 88 pages en français retraçant la vie et l'œuvre de l'artiste.
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : HORIZONS POÉTIQUES DE LA MORT n° 31 | Dossier: THÉRÈSE PLANTIER, UNE VIOLENTE VOLONTÉ DE VERTIGE n° 36 |
Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules
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Fragments biographiques |