Le Dernier chant d’Edwine, Œuvre poétique complète

Collection Les HSE


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Le Dernier chant d’Edwine, Œuvre poétique complète

Préface de Christophe Dauphin. Édition établie par Norbert Crochet & Christophe Dauphin
Frédéric TISON

Poésie

ISBN : 978-2-912093-85-1
642 pages - 21,5 x 15 cm
25 €


  • Présentation
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D’emblée, l’homme semble surgir d’un autre temps, d’une autre époque. Il en a l’allure, le langage et l’exigence. Intempestif, dandy, érudit, il est à la fois immensément gai et profondément mélancolique. Poète, peintre et photographe, Frédéric Tison est un être qui a mordu la vie dans ses isthmes comme dans ses abîmes, jusqu’au point de le devenir lui-même, un abîme, et de s’y noyer le 14 novembre 2023, à l’âge de 51 ans.

Le Dernier chant d’Edwine rassemble son œuvre poétique complète : les six livres emblématiques publiés par les éditions Librairie-Galerie Racine et Les Hommes sans Épaules, dont Le Dieu des portes (2016), auxquels s’ajoutent trois autres ensembles. La deuxième partie rassemble l’œuvre inédite, elle aussi de haute voltige poétique, du Vent pourpre à l’emblématique Dernier chant d’Edwine, qui donne son titre à cette intégrale : le poème par lequel tout commence et tout prend fin.

Le Dernier chant d’Edwine consacre un poète-météore bien à part, entre l’harmonie apollinienne et le désordre dionysiaque, qui l’habitent comme ils embrasent sa poésie, à double visage, à l’instar de Janus, dieu qui lui est cher et qui oriente sa parole, son regard et son désir : le regard (singulier) que le poète porte en lui-même, et les regards (au pluriel infini) dont il est entouré et où il se cherche, souvent en vain, dans un Autre désiré : Tu sièges dans l’air d’un parc plus grand qu’un nuage et plus petit qu’un étang. Tu déclenches un rêve en te promenant. / L’allée claire ‒ le long oiseau noir et vert ‒ la longue musique des gestes de la statue dont le regard est blanc… Et l’arbre, qui ouvre les bras.

La poésie de Frédéric Tison, loin d’être hermétique, est vie, et le désir comme l’Éros y jouent un rôle prépondérant. Les maîtres selon Nietzsche, ce sont les Intempestifs : sous les gros événements bruyants, il y a les petits événements silencieux, qui sont comme la formation de nouveaux mondes ; là encore, c’est la présence du poétique sous l’historique. Ce sont précisément ces « petits événements » inaperçus, cette imperceptible poétique du réel et du monde qui constamment appellent une réinterprétation, à condition toutefois que l’on ait suffisamment de finesse pour les appréhender. Et, ces petits événements silencieux, qui sont comme la formation de nouveaux mondes, cette imperceptible poétique du réel et du monde… Tout cela est au cœur même du projet de la poétique de Frédéric Tison.

Christophe DAUPHIN

I.

Heurte à la ville lourde et claire, parcourue d’oiseaux et de tunnels ‒ et frappe vite ! Nul n’y semble souffrir ; mais pour chaque passant il est un être ‒ un corps, une âme même ‒ qui va mourir derrière la vitre d’huile des fenêtres ; et tu n’auras rien vu, ou bien du gris ou du bleu ‒ si tu n’entres en amant.

 

II.

Il paraît que la ville est si petite depuis qu’on a coupé l’arbre mort ; on dit que le ciel y semble une affreuse blessure. On raconte que mes paroles sont la porte qui tremble, et que les milliers de visages s’attardant aux fenêtres sont miens.

On raconte encore que c’est moi, ce regard singulièrement bleu qui vous suit tandis que vous avez perdu la mer.

L’histoire de mon visage, paraît-il, est connue. Il paraît que je suis le miel de la ville ‒ que je suis son sel et son froment... Il paraît que je suis vaste et léger, que l’on danse sur les dalles de mes palais, dans les plus hautes salles.

Il paraît que j’œuvre dans la clarté des regards ‒ et même que le ciel, longtemps, a traversé l’évidence de mes yeux.

 

III.

Les rues multiplient mes absences, et tu t’en souviens.

Dans la ville qui fut de céréales et de vin, la farine a couleur de cendre, et ces flaques sont murmures de sang. Sont-ce là, en vérité, mes empreintes ? Ai-je touché jusqu’à le fendre ce mur ?

Tu m’as suivi comme le vent. As-tu partagé mes blessures ? Tu me parles d’un amour ‒ peux-tu encore manger dans mes mains ?

Mais les rues multiplient mes absences, et tu es là les yeux ivres à répandre ton pain.

 

IV.

Tu donnes à l’ombre un prénom.

L’ombre ‒ ton ombre ‒ est ton grand oiseau blessé.

Il y a en toi quelqu’un de très ancien, qui se rappelle la nuit.

 

V.

La vie ‒ est-ce te rappeler à moi, est-ce rechercher ton visage parmi les visages dissous dans la ville, est-ce me briser ‒ ou dans l’eau de ton regard tomber comme une goutte d’huile, comme un pétale de rose, sans rien troubler ?

Frédéric TISON (Poèmes extraits de Le Dernier chant d'Edwine, Les Hommes sans Epaules éditions, 2025).