Tri par titre
|
Tri par auteur
|
Tri par date
|
Page : <1 2 ... 6 7 8 9 10 11 12 13 14 >
|
|
|
Lectures :
Odile Cohen-Abbas nous entraîne comme souvent dans la dimension silénique de l’expérience humaine avec ce livre qui se présente comme un triptyque.
Au centre, l’alphabet hébraïque et ses vingt-deux lettres qui fondent autant la parole que le monde par la grammaire architecturale, divinement inspirée et totalement scientifique, qu’ils composent. Odile Cohen-Abbas nous offre vingt-deux méditations très personnelles sur chacune des lettres vivantes de l’alphabet, lettres qui sont aussi des noms composés de lettres, inaugurant ainsi la cascade infinie des sens.
Avant ce voyage dans l’alphabet, l’Aleph-Beth, c’est à la Face que nous sommes confrontés, tantôt sainte, tantôt diabolique, absolument humaine en réalité. L’intuition géniale ou démonique naît de ce face à face qui s’affirme dos à dos, invocation de Janus.
« Si on ouvre le miroir facial de la Grande Prostituée, on s’aperçoit qu’il contient à l’intérieur une ennéade : vouivre, mère, fille, vierge, veuve, pauvresse, bacchante, strige, sauterelle « un nonet de sons – vielles, lyres, pianos à bandes perforées –) elles, les bâtisseuses et les écroulées chantant un amour de l’être dans le miroitement à terreur sacrée, le miroir de la Grande Prostituée, leurs traits, sang, rides, grains de beauté mêlés à Ses traits qui ont tout gaspillé du bonheur, du malheur, elles, les biches de Dieu, nées par le siège, dans la broyeuse du miroir,
la non-mixité du Jugement dernier. »
Nous sommes en poésie, mais aussi en métaphysique, à rebours de la chair qui révèle, mais aussi en théologie silénique, forcément hérétique donc, mais ô combien pertinente car acéphale :
« Apparition de la tête de Jean-Baptiste dans le champ des décapités : la perruque blonde de l’ange Gabriel décapité, la perruque noire des corbeaux et des mouettes, écimés, Calvin tranché, Marie tronquée, Jeanne la papesse, découronnée, la petite danseuse de Degas, étêtée, le spectre d’Hamlet, guillotiné, Pierre de Craon, décapité, les 22 lettres, tranchées, la licorne et Mélusine avec la Grande Ourse et le scorpion, en phase de décollation, des volontaires, vieilles et nubiles, pelotes de veines, en cours de guillotine, les 10 chiffres décapités. Dans le coffre à bijoux du tableau de Moreau, le sang ;
Tous tournent leur regard
– Mais de quoi s’enivre-t-on aujourd’hui ? – vers l’Apparition »
Nous imaginons très bien Odile Cohen-Abbas modèle, et un peu plus, pour Caravage. Exagère-t-elle ? Certes non, en effet, après la guerre dans les Cieux, menée par Aazazel, Dieu qui avait placé la lettre Iod première de toutes les lettres, lui substitua Aleph et réduit le nombre des Cieux de 9 à 7. Une forme de décapitation salvatrice.
Le troisième volet du triptyque est intitulé « Les revenants ». Revenir de quoi ? de tout, et d’abord des peurs, ancestrales comme futures, afin de se démasquer. Revenir de l’autre côté du miroir, si trompeur pour qui n’est pas vigilant. C’est une quête sans concession, un chemin ensanglanté de mots qui n’est pas sans extases.
« Regarde l’homme là-bas ! C’est le pendu qui s’emporte à travers champs. Il n’a plus sa stature complète, ses pieds se combattent dans la mort. Il cherche un lieu d’inhumation. Il est né de sa corde, mais l’impureté du temps s’accole encore à lui de toutes ses forces. Derrière lui, la lune diminue définitivement ; devant : l’armée des pendus s’avance. Regarde et dis ! En quelle partie de son corps est descendue la connaissance, est-ce au-dessus ou au-dessous de la strangulation ? Et si le chemin de la corde, sa notion féminine broie implacablement le toucher de l’épaule ? Le monde – six taches de sang – tient encore la place occupée par le chanvre. Paix à la poitrine du pendu qui s’emporte là-bas, et paix aussi à la déformation qui s’engendre dans la corde ! »
Aux limites de l’imaginaire, se trouvent l’abîme pour les uns, mais ce n’est que partie remise. l’imaginal pour quelques autres.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mars 2023).
*
« On pourrait parler ici, plutôt que d’un sujet ou d’une thématique poétique, de l’argument d’un ballet comprenant trois épisodes se liant rythmiquement, s’acheminant par les voies de la pensée et de l’introspection. Un mouvement glisse ainsi, se profile sur les planches de l’imaginaire, la scène sacrée des fondamentaux du corps et de l’être : le visage, une histoire brève, très arbitraire du visage à travers les siècles, les origines de la parole, les articulations premières et symboliques du verbe — j’ai choisi, pour les illustrer, les 22 lettres de l’alphabet hébraïque -, et une incursion dans la vie après la mort où des personnages surgissent par des portes mystérieuses – non pas en tutu, mais en des mues d’ombres et d’oripeaux seyants : les revenants. Les mystères de la face et du dialogue, ces fruits ouverts, offerts dans le regard de l’autre, perdus, retrouvés en troisième partie dans des partenaires transmués en fantômes, m’ont paru se compléter, donner la chair et l’esprit d’un univers, d’une recension onirique », nous dit Odile Cohen-Abbas de sa très étonnante et détonante Face proscrite, qui se compose de trois parties : « La face proscrite », « Répondances pour les 22 lettres de l’Alphabet hébraïque » et « Les revenants ».
Odile Cohen-Abbas y interroge une fois de plus les mains perdues dans la bataille du vivre autant que le mouvement primitif des nuits, sachant que les mots voulant sa savonner de leur peur, - meurent au fond des baignoires. Elle met mal à l’aise par la pierre dans la chair et l’incise du rythme du poème : Ligote le gigot de la langue saigneuse, - pique tes signes de chamade neuves ! Mais elle éclaire, réconforte, lorsqu’elle fait rouler l’os de l’imaginaire dans la cavité du Merveilleux : Là-haut c’est déjà les comices agricoles des gigues – et des barcarolles, - des cheveux d’aube au milieu des atolls, - il y a un quart d’heure d’une étoile à l’autre. – J’ai tant d’impatience, - de ressource en ma chair – pour avec toi, - ta parallèle !
Les royaumes suspendus de l’imaginaire sont des mises à nu sans trompe l’œil et la patrie d’Odile Cohen-Abbas, ainsi que son vers tiré sur un bord d’horizon, sa phrase : derrière les yeux seconde – jetés dans le tronc du sommeil, - il y a eu une mer, - une mer facile, possible – peut être la vraie, peut-être un mime, - un ton au-dessous de tous les bleus. – Et du rêve de la mer… - naissait une seconde mer… Dans « Répondances pour les 22 lettres de l’Alphabet hébraïque », Odile Cohen-Abbas s’attaque à, thème récurrent dans son œuvre, l’Aleph Bet, l’alphabet hébraïque, qui n’est pas qu’un simple alphabet. Au commencement Dieu créa l’alphabet.
Dans la tradition juive, en effet, on dit que Dieu créa le monde à l’aide des lettres hébraïques. Par la combinaison de ces vingt-deux lettres fondamentales se forma l’ensemble de la création, et c’est à partir du nom formé des deux premières lettres « Aleph-Bet », que naquit la parole. « Aleph », c’est le Un, l’Unique, l’expression simple de la divinité, contenant tout et dont tout découle. Le commencement du commencement. Les lettres hébraïques ont une valeur numérique symbolique et mystique qui est abondamment illustrée par la Kabbale.
Si Rimbaud fait correspondre une couleur à chaque voyelle, Odile réalise une prouesse encore plus grande que le Rimbe et écrit : « Je me suis concédée non pas toute la liberté, puisqu’il me fallait tenir compte de la symbolique et des éléments constitutifs de chacun de ces signes, mais une certaine forme de liberté qui est la mienne, aussi illusoire soit-elle, et à laquelle je me suis toujours efforcée. Le résultat, je l’espère, sera musical, car l’harmonique capte en elle tout le sens et les extrapolations conscientes et subsidiaires du message. »
Ainsi, comme dans la tradition ou chaque lettre est un voile qu’il faut soulever pour voir apparaître son mystère. Il en va de même avec les 22 poèmes odiliens : Alèf, visions du monde gestationnelles, associées dans une coupe d’ailes, d’étincelles mélodiques, comme un essaim de golems femelles, de coursiers de lumière, d’ici doucement mortel… Alèf, dont il est interdit de capturer l’instant dans un seau terrestre, un seau d’étable, dans l’eau froide d’une prière.
Christophe DAUPHIN (in revue Les Hommes sans Epaules n°55, mars 2023).
Je m’emploie à faire recouvrer la santé à moi-même
Si on ouvre le miroir facial de la Grande Prostituée, on s’aperçoit qu’il contient à l’intérieur une ennéade : vouivre, mère, fille, vierge, veuve, pauvresse, bacchante, strige, sauterelle (un nonet de sons – vielles, lyres, pianos à bande perforée) - elles, les bâtisseuses et les écroulées chantant un amour de l’être dans le miroitement à terreur sacrée, le miroir de la Grande Prostituée, leurs traits, sang, rides, grains de beauté mêlés à Ses traits qui ont tout gaspillé du bonheur, du malheur, elles, les biches de Dieu, nées par le siège, dans la broyeuse du miroir,
la non-mixité du Jugement dernier
En elle, serpent ailé, en elle, fée amante et trahie, en elle, Mélusine maternelle, se livre la grande guerre de l’amour quand elle revient de sa nuit cosmique dans la chambre gardée par la nourrice
Il n’y a plus de graisse, mais un front chauve, des rides multipliées, sur le visage de Mélusine berçant son enfant emmailloté
Ce grand vide sous la peau, cette élision de la beauté se traduit par : des yeux en forme de sardines, une bouche de tanche, des oreilles demi-queues de rotengle, une épinoche pour les plis des tempes et deux vibrisses d’un silure pour les mèches basses de la nuque
quand elle se souvient de l’eau du bain où elle s’immergeait sous son aspect de dragon volant, le samedi
du bain où elle disparut
Dans les ailes allait l’amer
Les larmes guerrières comme des éclats de quartz, de silex, des cailloux, des galets qui déchirent la paupière inférieure – la peau des pleurs sur les genoux.
Les larmes ultimes des idylles, des antagonismes intérieurs, les belliqueuses — l’aétite, la pierre d’aigle, la pierre à aiguiser, la pierre à feu, la pierre à fusil, et l’améthyste qui antidate et transfigure le visage des fous, laissant leurs larves, et fuyant leur voie par l’anneau incandescent des yeux, leurs larves poussant leurs signes
dans les orbites de la face proscrite
Odile COHEN-ABBAS
(Poèmes extraits de La Face proscrite, Les Hommes sans Épaules éditions, 2023).
*
Cette recension est un récit de lecture. Dès les premiers vers, me vint une question : La poésie peut-elle être dépositaire d’un savoir, et en particulier d’un savoir occulte ?. Sont-ce des vers d’expérience ou d’enseignement ? Puis, sans que l’esprit ne le mesure, un silence s’établit et à peine entend-on les poèmes glisser page après page. Je m’entends reprendre un vers : « Le premier macchabée de l’humanité a vu la mort dans ses pariétaux » et plus loin le vers « Je porte à mes lèvres avec le pain et le vin […] le saut de l’âme » ; plus loin, je découvre, sous la torche de ma lecture, la figure d’un Jean-le-Baptiste semblable à celles émaciées des sauterelles dont il s’est nourri ; suivent des têtes coupées, une dent, des cornes, Jeanne la papesse, Brunehilde dont la face « n’émit plus aucune pensée et ne prononça plus de mots dont le son et l’énoncé […] ».
Plus loin encore je m’interroge exactement comme cela est écrit : « Que choisir ? les ailes ou les bras pour cacher son visage ? » ou encore me crois être ce « Profil de l’imbécile, le fugitif aux lèvres bandées / tantôt il couche dans la lumière, tantôt il couche dans l’abîme » ; ou, être un apprenti en alchimie à qui on enseignerait que « l’améthyste antidate et transfigure le visage des fous ». De cette première partie, la lecture a filé comme une brindille vaguelant sur un ruisseau. Ainsi sont les formes et les déformes du visage, ai-je appris, La face proscrite comme ce partie le titre.
Mais voilà maintenant une page barrage qui suspend la lecture : Répondance pour les 22 lettres de l’Alphabet hébraïque. Il va nous être proposée une grammaire spirituelle qui établirait des corrélations nouvelles, ou plutôt des lignages entre les dépôts de sens d’une lettre-mot ; je regarde désormais ma lecture comme une déambulation sur une vaste plaine trouée de puits étroits et profonds qui échangeraient entre eux leurs eaux suivant une science subtile, ignorée de tous sauf de quelques-uns. Pareillement, sous des mots-puits, les lettres hébraïques travailleraient à de nouvelles circulations les invisibles, et avec des audaces qu’une simple imagination ne saurait en produire. Écoutez plutôt ce qui est dit de la lettre Gamel : « lettre de la discordance et de la fusion, de l’héroïsme, des prouesses intérieures, des déplacements incertains »
D’où vient qu’on rapproche discordance, fusion, héroïsme, prouesses intérieures et déplacements incertains ? N’est-ce pas inimaginable ? Je prête cet aboutissement à des générations d’hommes et de femmes, penchées sur des vieux grimoires et qui, jusqu’à notre poétesse, s’échangeraient méditations à mots ouvragés, et des vérités aussi stupéfiantes que le grand jeu de l’incohérence des formulations quantiques. Après un court repos, j’ouvre la troisième partie : Les Revenants. Des poèmes-visions me traversent. Ils présentent les parties du corps comme indépendantes l’une de l’autre.
Parfois, il me semble regarder ce qui m’entoure comme un œil qui balance à une corde. J’entends : « la malemort dévêt, revêt la sans-corps, la sève de spectre blondi » Je m’envertige à lire que l’âme, une fois la mort donnée, « déforme son corps nu afin qu’on la méconnaisse ». Passe la figure de Marie : « le visage de la morte, beau pour lui-même et beau pour la mort » ; un soldat tué qui « sort comme d’un candélabre de sa mort » ; une « armée des pendus s’avance » ; plus loin se libère « l’hirondelle votive ». A tendre l’oreille, je crois entendre sous les vers un vœu comme paix dans les brisements. Mais déjà voici les fleurs, les larves végétales et le retour de la grande et furieuse érotisation, qui jettent à nouveau toute ses forces pour la grande « bataille du vivre », ainsi que l’écrit Christophe Dauphin dans sa postface.
Pierrick de CHERMONT (in revue Les Hommes sans Epaules n°58, octobre 2024).
|
|
|
|
Lectures :
Je suivrai la découpe en quatre parties de cette œuvre.
1 – « Brûlant l’été ». Il y a dans l’écriture de Paul Farellier ce que l’on serait tenté d’appeler, telle une source de signes et d’appels sous-jacents, une imagerie musicale. Je ne parle pas de sonorité, mais bien d’une émanation des images, des constructions poétiques, métaphoriques, associatives, autant de parties qui, par une jonction supérieure entre la vue et une ouïe absolue, métaphysique, et qui ne tranche pas, dispensent de très justes, nouvelles et lisibles harmonies.
Ces sons d’images nous pénètrent et changent notre rapport à la lettre et à notre posture, créant à notre insu un imperceptible mouvement spirituel. Nous sommes en état d’écoute totale, d’engagement manifeste ; en désir d’écoute sacrée. La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe, / à des mains en pente de lumière. Voilà un flux qui se retrouve, se reprend sans fin à son début. Écoute le corps, le corps blessé, exténué du poète dans le mystère du ciel, de la vie et de la mort. Pas n’importe quel corps, le corps donné, trop éprouvé, subtilisé, du poète, offrande et quête, celui-ci toujours à la tâche, soucieux, secret, liturgique, hiératique, éthéré, intemporel.
Tant d’absences, de séparations, de sanctions d’être gisent en lui ! Aussi sommes-nous en état de miroir sublimé, de miroir rituel. Quel dieu sans paupière / dans le regard des morts ? / Quel jamais dessillé ? / La main tremble encore / d’avoir fermé ce bleu. Paul Farellier a un sens si altier de l’être poétique que tout en lui, les mots durs sur le temps qui passe, les angoisses solennelles sur les jours qui s’amenuisent, sur l’exposant sensible des disparitions, le constat insatiable sur le sens de sa vie en écriture et l’exigence d’en rendre compte dans sa claire et douce tonalité, tout en lui est dignité de la langue et célébration.
Il est bon de capter la noblesse, les étincelles lyriques de son parcours intérieur. Il est bon de les faire siennes, de les laisser rallumer la chaleur du cœur. Le faux, le mensonge, la lâcheté, le refus de se voir en héros tout autant qu’en vaincu, le feu pur de ses mots les aura dissipés. Et dans ce feu, qui ne voudrait s’y entendre nommer ? Partager la tragédie du vrai avec lui. Paul Farellier, ce n’est pas un feu qui s’épuise en un livre. C’est celui dont il nous fait don et qui se propage en nos propres assises. La trace ? Une très sensible et presque en larmes reconnaissance. Ce bref recueil est d’un bout à l’autre un champ d’honneur poétique.
2 – « Dessiné dans le noir et dans le blanc ». Et le voici à nouveau dans cette exténuation du vivre et du dire qui sollicite de nouvelles forces en lui. Je ne connais rien de plus admirable que ce poète à bout de tout qui, dans une majesté, un soulèvement quasi biblique, une tension de pauvre, de défait et d’invulnérable, une puissance poétique hors d’atteinte, inaltérable, défie les lois et les décrets de l’existence. Figure mythique, c’est au moment où tout fait clôture ici, / tout est serré dans ce poing / qui pourtant n’enferme que le vide / oblige à des riens d’ombre, à des façons de taire, que ces forces tant espérées, et au-delà, lui sont conférées, car ce que
Paul Farellier énonce ainsi, retranché de tout énoncé fautif et impur, est lumière. Plus son propos s’obscurcit, plus jaillit un point lumineux immesurable, infinissable, et ce seul point nous aurait suffi pour concevoir et recevoir toute sa clarté, si ce n’est qu’il s’allonge sans cesse, varie, se fluidifie tant que notre souffle, notre savoir et notre expérience, peuvent l’appréhender. Nous avons entendu les temps riches, les temps mornes, infinis, du combat, mais la splendeur du vrai qu’il nous transmet, cette beauté nue, cette communion incorruptible, cette joie que nous concevons de cette transmission, l’entend-il ? Sa solitude est notre présent / futur, notre totalité, notre envergure.
3 – « Approches ». Deux mondes, deux horizons temporels se font face, beaucoup plus subtils, plus éthérés que la distinction entre passé et avenir, ou alors dans le sens où ils seraient devenus deux nébuleuses consacrées, deux textes saints sur les fins et les crépuscules de la connaissance. Partout des saisies de mystère s’esquissent, s’agrègent, des avènements mystiques, certains sans prise, ni forme, ni habit qui ont eu le temps cependant de nous enchanter, de laisser une empreinte éblouie dans le mouvement de notre pensée. Mais il y a une modestie suprême dans l’âme du poète Paul Farellier, qui laisse les trésors à leur place et refuse de s’en emparer. L‘itinéraire est doublé : / il faut errer sur les deux bords. / C’est cela, les anciens, qui nous donne / des glissades au regard / - demi-sourire, / demi-larme. 4 – « Le pas de l’heure ».
Nous avons vu que l’amour des évocations, des questions et réponses dans des échanges éblouissants de style, de tension, de chants neufs et aveugles, s’éludait parce que l’élévation innocente de l’auteur, pour que se perpétue cette élévation, les avait conçus ainsi, jusqu’à ce que dans « Le pas de l’heure » l’interrogation consente à naître dans son entièreté, et que la mort animale – symétrique – prête son flanc à l’animal poétique. Mais cette fois avec la main, les armes et les larmes du poète nous y sommes préparés. Abolition du mode vivant, litanie des disparus, doutes sur les fondements même de l’origine, lave, ruines, sentier brûlé d’oubli, tout émerge enfin de la sidération et de la douleur de survivre, et la pensée s’affine, s’aiguise, devient comme un stylet, une main rituelle pour dévoiler le sacré, laisser sa trace dans le sillon de l’inconnu.
« Le pas de l’heure » résiliant le cauchemar, le contrat du faux pas, est cette lisière où la surprise, l’étonnement, le foudroiement de l’homme et de l’être se régénèrent partiellement et attendent le passeur / passant tout au bout de cette route… / si même il reste une route. / Toi qui dors, flottant sous ta fenêtre, - es-tu le songe - d’une barque adossée à l’orage ? - Sens-tu mourir cette heure où la mer - soudain te freine, - affale sa voile dans ton souffle ? - Puisse l’éclair te prêter une aube : - brise ta vitre, - sois l’enfant des désordres du ciel.
Pierrick de Chermont (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).
*
C’est tout le jeu des polarités peu sereines de la vie qui est condensée dans la poésie de Paul Farellier. Un précipité d’incertitudes qui devrait nous angoisser et qui pourtant nous libère. L’épure du verbe de Paul Farellier est aussi épure de l’expérience humaine. Il rend ainsi l’essentiel accessible. Les mots, par « leur pointe aiguisée », retrouvent leur puissance.
Vivre n’a pas suffi
à te frayer le passage.
Et rien n’est visible encore
dans ta vitre embuée.
En travers de ta porte,
un dragon reste couché.
Au loin peut-être
et plus tard,
ton pas sur le sentier.
L’ouvrage, porté par les monotypes de Béatrice Cazaubon qui appellent à une méditation tranquille, sans objet et sans sujet, rassemble deux ensembles de poèmes, Chemin de buées puis Le pas de l’heure, un titre qui a lui seul évoque aussi bien la mort que l’éternité.
Quel dieu sans paupière
dans le regard des morts ?
Quel jamais dessillé ?
La main tremble, encore
d’avoir fermé ce bleu.
C’est l’intensité de l’instant présent, fusse-t-il un combat perdu d’avance, qui ouvre un intervalle enchanté, une porte lumineuse au cœur de l’obscur. Rien ne peut empêcher la beauté des mots de révéler l’innommable, le « vrai visage ». Nous sommes touchés par la lente irradiation des mots.
Quelle absence as-tu creusée
pour n’y trouver que la peur,
n’en exhumer que le cri ?
Va plus loin dans ton mur d’ombre,
franchis l’embrasure,
dépasse le rideau qu’entaillent les vents,
Reprends-leur la main de ta mémoire,
entends-la qui souffle sur le seuil
dans les mille voix de sa feuillure,
A deux battants de lumière
qui t’ouvre ses portes bleues
Dans l’œil et l’oubli futurs.
Pour l’ensemble de son œuvre, Paul Farellier a reçu en 2015 le Grand Prix de Poésie de la Société des gens de lettres couronnant son livre L’Entretien devant la nuit, Poèmes 1968-2013.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, janvier 2025).
*
Il y a une forme d’indécence à parler de ce dernier recueil de Paul Farellier, à entrer à sa suite au plus intime d’un être, à l’écouter dans son ultime dialogue avec la mort, qui est ce pas de l’heure. Oui, il y a une gravité dans cette voix déjà au loin – et comme l’heure est soudainement immense tandis que la main amie que vous teniez dans la vôtre s’efface er s’indistingue dans la lumière qui l’ensevelit ! « La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe / à des mains en pente de lumière, / à des voix qu’il fut donné de perdre. »
Ainsi débute le recueil, s’ouvrant sur l’été et son « jardin de cendres » où les mots avec « leur pointe aiguisée » brillent comme des « tessons » et où l’on demeure perdu avec les « yeux de ton silence ». Nous le regardons, nous voudrions l’assurer de notre présence, offrir à son regard le nôtre. Sans nous voir il nous interroge : « Dites […] Y a-t-il un chemin […] Est-il une fin / où vont les pas / hors limite / avalés par le vide. » Puis, après un silence, la voix se prolonge en un solitaire monologue : « Vivre n’a pas suffi / à te frayer un passage » et ici « même la lumière est sans sépulture » et l’on n’est qu’« un songe à l’urne glacée ».
Dans le silence et la brièveté des jours, le poète s’interroge sur un rythme qui l’entend battre. Une houle, s’interroge-t-il, ou « la vieille vie / soudain hérissée en esprit » ? ou encore, est-ce, lors ces instants qui l’ont vu monter et descendre, « la bruissante échelle / qu’on voyait appuyer sur le ciel ». Quelqu’un s’approche-t-il ? poursuit-il. Et sa voix à nouveau retombe et se répond : « D’avoir tant écouté / l’appelant des distances / le grand sommeil te mure / dans les lointains du temps. »
Alors, si frêle, commence l’exode et la lutte « contre quelqu’un qui voulait / m’arracher la peau » ; et à qui désormais il s’adresse et se confie : oui, j’ai rêvé « l’immérité d’un signe », attendu « de tremblantes nouvelles ». Oui j’ai cherché un mouillage sur l’île « où il reste à vivre », même si, ultime ironie railleuse, vivre alors ne signifie que « dormir sous un nom de pierre ».
Maintenant vient le dernier poème du recueil où le poète s’impose cette consigne : « Pose le crayon, n’ajoute rien à l’épure » tandis que « la rive te délivre et tu vas » vers « une ignorance neuve ». Peut-être que toute la poésie de Paul Farellier, dont Les Hommes sans Épaules avaient publié en 2014 une anthologie, L’entretien avec la nuit, ne visait qu’à préparer ces ultimes poèmes qui s’avancent si près de la rive intérieure où il ne sait « s’il rajeunit ou s’il meurt » tandis que penché en lui se laisse découvrir « le sombre du vrai visage ».
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).
*
Juriste international et poète, Paul Farellier, né en 1934, a publié son premier livre L’Intempérie douce, au Pont de L’Épée de Guy Chambelland, en 1984. Il est membre du comité de rédaction de la revue Les Hommes sans Épaules, que dirige Christophe Dauphin.
C’est dans la collection « Peinture et Parole », que paraît son dernier livre, Le pas de l’heure, dont le titre est aussi celui de la dernière section.
L’ensemble est ponctué d’énigmatiques monotypes de bris, effacements et griffures : vestiges d’impressions ombrées, en déshérence, de Béatrice Cazaubon. Poésie en vers libres d’une musicalité subtile, la parole de Paul Farellier sonde la difficulté d’être et la fugacité du passage de l’âge d’homme à) la fin sur le mode métaphorique : « Vivre, - ce n’était plus qu’une saison, - l’épuisement d’une aile, - ce jardin de cendres : / à l’épais du feuillage / brûlant l’été – le vert écobuage / du soleil enseveli. »
L’écrit singulier pourtant demeure : « Il ne reste que les mots, - leur pointe aiguisée ; / le flanc percé de la parole, - poussière et sang… » Bouteille à la mer, encre ou buée sur la vitre, sans espoir de salut : « sac de gravats – que l’on jette en travers de la selle ». Dernier galop avant le saut dans le vide, la nuit éternelle : « N’as-tu fait que durer, / n’as-tu rien pelleté que ce petit tas du vivre ? »
Pourtant la quête du sens, jusqu’au bout continue : « Passé le poste frontière, / le temps n’est plus fléché, - ta course est un vide. / Tu vis sur parole : - ton fin mot est chemin… » Vers le haut qui exige effort et concentration, le regard avide : « Cette lumière – à gravir, l’œil serré sur la soif – tel un silence de plus en plus aride, - efface le chemin… »
Gravir encore, se dépasser enfin, résister à l’écroulement, « à l’absence promise » : « S’agripper là, - à flanc de roche ? / Se poursuivre seul – sur l’étroite rive ? » (Approches).
Dans cette même section du livre, le poète réunit tous les arts dans sa démarche de célébration de la beauté partout où il l’accueille : « A des moments – j’étais, dit-il, le peintre – affolé de lumière, - et à d’autres le graveur – qui tentait d’inaugurer les ombres, / puis même le musicien, - le madrigaliste, - quand j’ai descendu et remonté – la bruissante échelle – qu’on voyait appuyée sur le ciel. »
Dans Le Pas de l’heure, le vieux poète sommeillant rêve : « es-tu le songe – d’une barque adossée à l’orage ? » En un sursaut d’ardeur, il s’exclame : « Puisse l’éclair te prêter une aube : - brise ta vitre, - sois l’enfant des désordres du ciel. »
L’absence des disparus, de l’amour perdu, ravive « le sourd sanglot » : « Seul à seule étiez-vous – seule à seul a-t-il fui – le dieu d’entre vos souffles » Il anticipe sa propre disparition tel un Exode : « j’ouvre un chemin, - je surprends une autre terre ».
Suit ce combat contre la mort, glaçant, esquissé au réveil : « Toute la nuit, j’ai lutté – contre quelqu’un qui voulait – m’arracher de ma peau ; / C’était comme un vêtement, / un drap que l’on tirait de mon corps, - une dépouille, un filet de vie, / le tissu de mon nom. »
Livre d’adieu : « Pose le crayon, n’ajoute rien à l’épure… » Lyrisme sobre, chant profond.
Michel MENACHE (in revue Europe n°1153, mai 2025).
*
Il y a une forme d'indécence à parler de ce dernier recueil de Paul Farellier, à entrer à sa suite au plus intime d'un être, à l'écouter dans son ultime dialogue avec la mort, qui est ce Pas de l'heure. Oui, il y a une gravité dans cette voix déjà au loin - et comme l'heure est soudainement immense tandis que la main amie que vous teniez dans la vôtre s'efface et s'indistingue dans la lumière qui l'ensevelit ! « La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe / à des mains en pente de lumière, / à des voix qu'il fut donné de perdre. » Ainsi débute le recueil, s'ouvrant sur l'été et son « jardin de cendres » où les mots avec « leur pointe aiguisée » brillent comme des « tessons » et où l'on demeure perdu avec les « yeux de ton silence».
Nous le regardons, nous voudrions l'assurer de notre présence, offrir à son regard le nôtre. Sans nous voir, il nous interroge : « Dites I...] Y a-t-il un chemin [...] Est-il une fin / où vont les pas / hors limite / avalés par le vide ? » Puis, après un silence, la voix se prolonge en un solitaire monologue: « Vivre n'a pas suffi / à te frayer un passage » et ici « même la lumière est sans sépulture », et l'on n'est qu'« un songe à l'urne glacée ».
Alors, commencent l'exode et la lutte « contre quelqu'un qui voulait / m'arracher la peau » ; et à qui désormais il s'adresse et se confie : oui, j'ai rêvé « l'immérité d'un signe », attendu « de tremblantes nouvelles ». Oui j'ai cherché un mouillage sur l'île « où il reste à vivre », même si, ultime ironie railleuse, vivre alors ne signifie que « dormir sous un nom de pierre ». Au dernier poème, « Pose le crayon, n'ajoute rien à l'épure » tandis que « la rive te délivre et tu vas » vers « une ignorance neuve ».
Peut-être que toute la poésie de Paul Farellier, dont Les Hommes sans Epaules avaient publié en 2014 une anthologie, L'Entretien avec la nuit, ne visait qu'à préparer ces ultimes poèmes qui s'avancent si près de la rive intérieure où il ne sait « s'il rajeunit ou s'il meurt » tandis que, penché en lui, se laisse découvrir « le sombre du vrai visage ».
Pierrick de CHERMONT (in revue Possibles n° 36, 2025).
|
|
|
|
Lectures :
On retiendra du recueil de cette poète palestino-jordanienne, née au Koweït, sa liberté, son esprit d’ouverture et son effronterie.
Sa manière principale est l’interpellation, elle n’hésite pas à prendre à témoin, sa mère, sa grand-mère, les hommes en général, voire les morts… tous ceux qui l’entourent sans distinction, sans restriction et sans déférence. En les traitant d’égal à égal.
Un domaine où sa sensibilité est particulièrement affûtée est celui où elle traite des sentiments comme le désespoir ou l’ennui avec une tendance philosophique où elle fait des rapprochements entre dureté et patience, peur et clémence ou encore tristesse et héroïsme. Souvent à la limite du paroxysme ou de l’oxymore :
Je reconnais à la séparation qu’elle n’arrive
qu’en apportant
son bagage de commencements
ou encore plus directement à l’aphorisme : Le pardon est l’accomplissement du désespoir
Lorsqu’elle invoque Dieu, elle revendique son athéisme et n’hésite pas à écrire : Nous sommes tous tes enfants impies
En outre, elle ne manque pas d’humour :
Une statue n’en pouvant plus de rester debout
en veut au tremblement de terre
de tant tarder
et ne ménage personne, elle en premier lieu :
Je m’évertue
à écrabouiller publiquement ma fierté
Elle s’exprime en toute liberté, en répétant :
J’ai envie de toi…
Et dans une ode à la vie :
...Levons haut nos verres
et soyons tonitruants
impudiques !
Avec un hymne superbe dédié aux femmes :
Les femmes ne prennent pas l’initiative des guerres
Ne portent pas les armes
Et plus loin : Elles n’enfantent pas des tueurs
Et dans un autre poème un rappel historique :
Nous mettions bas dans les champs
Nous fertilisions la terre avec le sang de l’accouchement
Et dans un autre texte remarquable :
Les morts reviennent toujours
Tu ne dois pas lui rappeler que son corps est glacial
Et commence à se décomposer
Avec ce conseil :
quand le défunt revient à la maison
ne le serre pas contre toi
« Griffes » qui donne le titre à l’œuvre est considéré à juste raison par le préfacier Christophe Dauphin comme le manifeste d’une poète insoumise
Je vends aux passantes des griffes
une griffe pour tuer
une griffe pour violer
une griffe pour blesser
une griffe pour découdre les blessures
une griffe pour se donner des gifles
au-dessus des tombeaux des aimés
Jacques MORIN (« Les indispensables de Jacmo » in dechargelarevue.com, 5 août 2025).
*
Dans une belle édition bilingue, arabe et français, paraît le recueil "Griffes" de la poète palaestinienne, Jumana Mustafa, traduit par le poète marocain, Abdellatif Laâbi.
Jumana Mustafa est née en 1977 au Koweit, de parents exilés, elle vit aujourd'hui entre la Jordanie et l'Egypte. militante pour les droits de l'Homme, elle est fondatrice du festival Poetry in Theaters.
Jumana écrit une poésie de défi, surprend par son audace. Sa parole est affranchie des lieux courants qu'on attend de la poésie palestinienne pour écrire la voix d'une femme en butte au machisme social, aux retors de visions rétrogrades et sort ses griffes, sans vernis, ni contours.
Ses mots directs, d'apparence simples, crient, sans fioritures de langage, une douleur,, une vie intérieure en révolte, contre tant de maux, tant de contrariétés, tant de malentendus entre femmes et hommes. Poète citoyenne du monde, sa poésie est un chnat d'amour, de liberté et de vie.
Elle écrit : Nous n'avons besoin ni de papillon - ni de flûte - ni de source miroitante - Nous voulons ingurgiter un autre verre - pour vivre une heure de plus.
Tahar BEKRI (in kapitalis.com, Tunisie, 24 juin 2025).
*
Les Hommes sans Épaules publient ce poignant et admirable recueil de poèmes, traduits de l’arabe de Palestine par Abdellatif Laâbi. Cette édition est bilingue, plaçant côte à côte la langue arabe et la langue française, deux langues nées pour la poésie.
Malgré le contexte douloureux dans lequel demeure le peuple palestinien, ce n’est pas une poésie de combat, de résistance, qui serait légitime mais une poésie de réalisation, de liberté, de profondeur, qui éveille par la lucidité et la simple présence à soi-même et au monde, une force intangible de l’esprit.
Le premier poème a pour titre « La liberté m’a murmuré que j’étais sa fille préférée ».
« Vois-tu, mère ils ont de petites cornes
et des queues sous leurs pantalons
Ils parlent dans leurs barbes
une langue maudite
et font circuler entre eux des talismans
comme des encensoirs
Cependant, j’ai pu survivre
et sauver ton visage
J’écris avec mes doigts
sur la buée des vitres
dans l’espoir que quelqu’un soufflera
sur la face du poème
et que celui-ci apparaisse
J’avoue que le désespoir a toujours été
le premier arrivant
le premier
à renouer avec la sérénité
le premier
à se lever le matin
et le dernier à se coucher
J’avoue que l’ennui
depuis que je l’ai connu
a toujours tenu à changer de couvre-chef
Je reconnais à l’absurde
d’avoir réparé
toutes les horloges insolites… »
Christophe Dauphin la désigne comme une « poétesse libre et insoumise ». Les poèmes sont longs, ils déferlent comme les vagues sur une plage, doucement et régulièrement ou, au contraire, viennent frapper les rochers avec fracas.
« Les ogresses m’ont transplanté dans une matrice humaine
et ont fourvoyé mes restes
Elles m’ont revêtue de la peau d’un cadavre de jeune fille et m’ont relâchée
Je flotte dans ma peau
Les hommes me prennent pour une femme
alors que je suis une petite ogresse
Je rugis quand j’ai faim
quand je désire le maître des ogres
et que j’ai envie du sang de gazelle… »
Livre de poésie, c’est aussi un livre de sagesse, une sagesse terrible, celle qui jaillit du monde tel qu’il est et non tel que nous le rêvons.
« Peut-être ne le sais-tu pas encore
les femmes n’ont pas inauguré toute cette mort
et peut-être ne le sauras-tu jamais
elles n’enfantent pas des tueurs
Les tueurs
s’enfantent eux-mêmes »
L’amour côtoie la mort, naturellement, sans ostentation, parce que c’est ainsi. La beauté, si improbable, couvre de son manteau de plénitude les affres de l’incarnation et de l’exil, en soi-même plutôt que géographique. Il y a bien les « griffes », il y a aussi les caresses. Les deux font la danse de la vie.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, juin 2025).
*
Nouvelle voix de la poésie palestinienne d’aujourd’hui, Jumana Mustafa est traduite pour la première fois en français par Abdellatif Laâbi.
« La liberté m’a murmuré que j’étais sa fille préférée ». Ainsi s’intitule le poème sur lequel s’ouvre ce recueil de textes choisis et traduits par Abdellatif Laâbi dans l’œuvre de Jumana Mustafa. Née au Koweït en 1977 et vivant entre la Jordanie et Le Caire, la poétesse est reconnue comme une figure majeure de la littérature palestinienne et a choisi la liberté comme étendard. Ce recueil déploie une palette d’émotions, de la lucidité la plus crue au plaisir, à l’amour, jusqu’à la révolte, pour mettre en mots un rapport au monde marqué par la perte du pays, l’exil, la condition féminine. Cela commence sur le mode de l’inventaire des drames :
« Je reconnais à la défaite
de bien choisir son moment
à la solitude sa virginité
au désastre ses nouveautés
à la distraction sa célérité
aux questionnements
leur droit à l’existence »
Et cela se poursuit sur le ton de la confiance et de l’espoir : « Comme cette vie est généreuse ! / Elle ne m’a pas rappelé mes erreurs ».
« Les femmes ne prennent pas l’initiative des guerres »
Dieu, c’est pour l’aider en amour qu’elle l’implore. L’amour, comme l’histoire et la mort, elle les envisage avec une lucidité triste : « La perfection / à suivre… » Les trois sont liés du reste, et la poétesse soupire : « Et je regrette / de ne pas avoir ce qu’il faut / pour recoller les blessures du monde ». Tour à tour intimiste et déclamatoire, Jumana Mustafa fait la réclame de ses « Griffes » pour défier la douleur. Mais la déréliction et le cynisme n’ont pas de place dans ses textes. Elle ne pleure pas les victimes, elle renvoie la culpabilité aux agresseurs :
« Les femmes ne prennent pas l’initiative des guerres
ne portent pas les armes
[…] Elles n’enfantent pas des tueurs
Les tueurs
s’enfantent eux-mêmes ».
Elle rend un bel hommage à Fayrouz, qui a continué à chanter en ignorant la guerre. Elle compatis à la mélancolie des grands-mères qui ont donné à l’exil leur descendance.
Jumana Mustafa défie les morales des fables et leurs ordres établis, invitant au défi, à la joie comme une résistance : « Elle fut ridicule / l’époque qui nous avait inculqué / impassible / ses leçons sur le bien ». Et de nous enjoindre :
« La vie, tant qu’elle est là
Si nous devons porter un toast
faisons-le pour elle
Levons haut nos verres
et soyons tonitruants
impudiques ! »
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza SEFRIOUI (in Enass.ma, Maroc, 4 juillet 2025).
*
|
|
|
|
Lectures :
Lyrisme assumé, lumineux, en dialogue avec les peintures (collages parfois ?), saisissantes de justesse abstraite et d’intuition. L’ensemble irradie le souvenir d’une beauté sans cesse recommencée, captée au vol à son insu, comme si l’on se retrouvait enfermé quelques minutes (heures, jours, années-lumière : leur confusion bienvenue) dans un jardin hors du temps.
Le vol d’un oiseau, son ombre fugace, la mélodie d’un ruisseau, le friselis d’une robe - rien de tout cela n’est à proprement parler décrit et pourtant : on en ressort avec la sensation d’émerger du rêve d’un mage, un peu sonnés de devoir retrouver le RER matinal et les escalators d’acier.
Demeure la lumière. Merci Alain Breton.
Adeline BALDACCHINO, 25 juin 2026.
*
Le Grand Cerf est un mythème mystérieux et révélateur, commun à plusieurs traditions. Arbre de vie reliant la terre et le ciel, sa solarité en fait un symbole de l’avènement de la lumière. En alchimie, il est le Mercure, pendant de la Licorne, associée au Soufre. Ce couple signifie aussi l’union de l’esprit et de l’âme. Il est significatif que l’œuvre d’Alain Breton, textes et peintures nous accompagne en attendant la parole du Grand Cerf. D’ailleurs, en sous-titre, n’a-t-il pas discrètement glissé le mot « miracles ». Alain Breton fait de l’Apparaître, ce qui se donne à « Voir » une matière de Liberté, mots et images, poèmes et pentures, parfois témoignages, parfois cris, parfois invocations…
Que la forêt soit, qu’elle conduise le ciel vers le gouffre des arbres, vers les plaies invisibles du jour : que la pluie soit aimante, que la lumière obéisse au canard, grand hurleur facile, qu’elle vacille, s’exalte.
Le soir, entend-elle la voix qui meurt dans les ramiers ?
Outre le Grand Cerf, il y a aussi le Chat, animal psychopompe, qui fait pont entre le visible et l’invisible, inattendu, insaisissable, mais toujours présent, témoin ancien de nos pérégrinations.
Et aussi l’arbre, la forêt, la nuit, l’étoile, la pluie, le baiser, le poète, la femme, l’homme… dans une longue méditation qui est aussi une marche, libre, vers la beauté.
Hâte-toi, pressé par la nuit délétère. Sois son compagnon au fragile tabac.
Marche sans repère – l’azur t’accueillera.
Chaque rameau sera la rencontre.
Un ruisseau dans le soir entama le chemin.
Alain Breton transforme chaque instant en miracle. Question d’attention, de disponibilité, de regard, d’intensité… Ici, la Nature et la Conscience ne sont qu’un.
Viendra l’aube, l’heure des chiens. Un seul chêne les connaîtra et de sera la montagne tranquille.
Une abeille dénoncera les fleurs. Un vent nous sera confié, une eau nous attendra – celle du torrent, fier de sa démesure.
Quelques nuages montreront comment bien faire au soleil.
Le seigneur sera, dans sa lumière extrême, le chant d’un oiseau.
L’ouvrage, très initiatique, est un véritable manifeste de l’instant présent, ce véhicule invisible de l’être qu’il nous faut sans cesse reconquérir pour que se réalise le miracle d’une seule Chose.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 6 août 2025).
*
Avec Alain Breton – qui a reçu le prix Mallarmé en 2024 pour son livre Je ne rendrai pas le feu –, la poésie retrouve son pouvoir d’enchantement. Sa puissance évocatrice est dans le pacte intime qu’il noue entre les mots et la nature, rendue à sa pureté originelle. On est là, comme le « Grand Cerf » mythique du titre semble l’indiquer, dans une sorte de pratique chamanique de l’écriture qui révèle, derrière les apparences, un monde sacralisé et harmonieux où les animaux parlent, où les arbres sont des complices bienveillants, où le ruisseau est un ami, où l’herbe est accueillante.
Ce qu’il évoque, dans sa méditation active, relève d’une sorte de mystique immanente du lieu où il vit, avec ses murets, sa rivière, ses talus, son chat, les arbres, la neige parfois, la pluie, le vent, le jour, la nuit, autant d’entités vivantes – rien d’abstrait – qui l’accompagnent dans sa quête.
Son illumination, qui n’est pas sans rappeler celle décrite par Rimbaud dans « Aube », éclaire sans chercher à la résoudre l’énigme d’être au monde : le mystère doit demeurer mystère, mais se donne à saisir charnellement derrière le sens par une sensibilité constamment aux aguets.
Il se dégage de ces poèmes, qui sont de véritables hymnes à la nature, une intense volupté qui irradie et tend à devenir cosmique, d’autant plus qu’on y sent la présence de la femme aimée, du moins son souvenir et l’espoir de son retour.
Un extrait sera le mieux à même de rendre l’esprit de ce livre, par ailleurs superbement illustré par les peintures de l’auteur : « Notre aurore s’effaçait dans les fleurs errantes. Nous avions souri au monde facile : les sources se donnaient à nos regards, des criquets accordaient des audiences ; les herbes recevaient. Même l’araignée fit un pacte avec la fougère. / Juste dire merci lorsque merci est une offrande. » Il y a comme ça des livres qui ont encore à voir avec la merveille.
Alain ROUSSEL (in en-attendant-nadeau.fr, 19 septembre 2025).
|
|
|
|
Lectures :
Marie Murski a traversé l’enfer. Elle écrit dans une encre de lave qui dessine des arabesques de toute beauté bien que souvent terrifiantes. Dans le Faust de Goethe, nous avons appris de la bouche même de Méphistophélès que l’enfer c’est ici. Plus tard, un autre grand poète, Jacques Higelin, a chanté lui aussi « Ici, c’est l’enfer ». C’est par le Poème que Marie Murski a échappé à l’enfer.
Poème chevalier blanc
tu rames empierré dans mes rivières à sec
tu surréalises tu vers-librismes tu alexandrines
tu couvres d’illuminés
mes cahiers couinant de pelotes d’épingles
triste tricot gisant les mailles en l’air
tu veilles aux lueurs démentes
mon corps crocus écarquillé pauvre de moi
Poème
à mon chevet de coquette lépreuse
en cavale de bataille et de fièvre
tu parles doux tu romantises
ta main fraîche étoilée sur mon front
me console depuis toujours
Poème
prince de sang
tu as grandi mine de rien
comme un pur diamant
Tu te tiens magnifique
contre mes volets fatigués
malgré tout tu es resté.
Avec Marie Murski, nous connaissons la nature de l’enfer et nous apprenons à reconnaître les démons. Si l’enfer est ici, les démons sont parmi nous, les démons, ce sont nous, bien souvent.
VIOL
Mère utérine a hurlé
écartelée nue dans la cabane avec les hommes
sur elle
Trois
Ils étaient trois
Chaque parcelle de sa peau gémit l’histoire terrifiante
Sa matrice hurle de douleur et d’épouvante
Malgré elle son ventre se resserre sur la semence
des trois hommes
Semences et sangs mêlés
Milliards de têtards à tête chercheuse
qui grouillent en elle
Qui grouillent
Elle les sent pulluler véloces et torpilleurs
vifs comme des ruisseaux
ils envahissent tous les recoins de sa chair
tous les couloirs muqueux
durant une nuit un jour une nuit
Les hommes sont partis à l’aube du deuxième jour
Ils sont rentrés chez eux pour dormir
près de leur femme ou chez leur mère
La cabane est calme elle flotte entre terre et ciel
Mère-utérine allongée nue sur le grabat
désarticulée
regarde ses cuisses tâchées de sang
Son bas ventre poisseux dégage une odeur de mort
Elle voudrait l’essuyer se laver elle tend la main
Et soudain elle sait
son ventre le sait son cœur le sait
le grand tremblement de mon histoire a commencé
dans le désastre des couloirs muqueux
une rencontre a eu lieu
C’est le début de mon histoire
Beaucoup le savent ou le pressentent, la poésie sauve, réconcilie, avec soi-même avant le monde, libère. Sans la poésie, l’humanité aurait déjà disparu. Marie Murski a trouvé l’intervalle par lequel se faufiler hors de l’enfer.
Passer l’amour par un trou d’enfer
tirer le fil jusqu’à l’usure
apposer son cœur ouvert
sur les guerres
les ailes en croix de la colombe
sur les bombes
s’y fracasser puis enlever les mots
Courir et brandir à son doigt
le dernier pompon du manège
Tuer Père inconnu fuir Mère-le danger
entrer en saison froide
maigrir jusqu’à plus soif
puis enlever des mots
Mettre du rouge sur sa bouche
prendre l’air et séduire tous les marins du port
les aimer en grappes
dans a vieille robe de mariée
un à un les épouser
puis enlever des mots
Après
le poème nu
frissonne au bord du monde
c’est alors qu’il faut l’écrire
le serrer dans ses bras
le bercer jusqu’à l’aube
en prenant soin de son regard.
Marie Murski est sortie de l’enfer pour créer un jardin de lumière sans rien oublier de ce qui fait l’enfer. Si elle crie aujourd’hui, c’est avant tout pour que nous entendions.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 14 juillet 2025).
*
L’ensemble de ses recueils écrits de 1977 à 2019 a été édité en un seul volume par la même maison d’édition. Après s’être consacrée à plusieurs romans et avoir témoigné des violences infligées aux femmes, Marie Murski revient à la poésie avec « la rage d’écrire ».
Elle écrit à la première personne, sans détours ni fioritures, délivrant son cri douloureux et brut de sa gangue. Venue « de nulle part / née de père inconnu en père inconnu / en mère-utérine hostile », repoussant les fantômes du passé, elle « se rempli(t) de soi » et de confiance retrouvée en ses mots. « Pas d’ancêtre / pas de lieu », fille de l’univers, désormais elle « voyage en poésie ».
Si elle affirme ne plus aimer « ce monde / dans lequel (elle) vi(t) », elle contemple néanmoins d’un regard aimant l’Atlantique du bout de la pointe de Mousterlin, guettant « le poème primitif / le plus beau poème du vaste monde ».
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°31, 2025).
*
Dans ce recueil de poésie, Marie Murski nous offre une poésie intense, vibrante d’amour et de passion. Chaque poème est une étincelle qui mêle force et délicatesse, dureté et douceur, comme deux faces inséparables.
On y sent l’auteure plus apaisée que dans ses précédents écrits, et surtout animée par l’envie de nous parler d’amour, comme si elle l’avait véritablement rencontré. C’est un livre qui se lit à petites gorgées, chaque page apportant son lot d’émotion et de vérité.
Un recueil fort, sensible, qui nous invite à ressentir plutôt qu’à simplement lire.
Vérone Lix'elle (in lespatchoulivresdeverone, 10 septembre 2025).
|
|
|
|
Lectures critiques
" Comment rendre compte d'une telle somme ? Paul Farellier a regroupé dans ce gros volume de presque 700 pages, 12 périodes s'échelonnant de 1968 à 2013 ; des œuvres quasi-complètes donc : mais en est-on vraiment sûr ? Quasi car Paul Farellier est toujours vivant et sans doute continue-t-il d'écrire et parce que, peut-être, certains poèmes ont-ils été écartés de L'Entretien devant la nuit… Si l'étude de Pierrick de Chermont publiée en postface met bien en évidence les caractéristiques de la poésie de Paul Farellier telle qu'on peut la découvrir dans cet ouvrage, il manque une approche scientifique établissant la correspondance entre les poèmes ici reproduits et les recueils publiés au fil des années. Mais le lecteur ne doit pas s'attendre à trouver dans cette édition un ersatz de la Pléiade ! L'Entretien devant la nuit contient les dix livres publiés entre 1984 et 2010 mais aussi des inédits anciens et Chemin de buées qui regroupe des inédits de la période 2009-2013. Pour les curieux, on peut affirmer, sans risque de se tromper, que Paul Farellier remet en cause la notion de poètes maudits (chère à un certain romantisme et popularisée par Paul Verlaine dans un ouvrage éponyme) puisqu'il suivit les cours de Sciences Politiques à Paris, qu'il est titulaire d'un Doctorat d'état en droit public et qu'il travailla sa vie durant dans l'industrie comme juriste international ! Mais Alain Borne ne fut-il pas avocat ?
Si Pierrick de Chermont dans sa postface, partant de réflexions sur la poésie contemporaine, met bien en évidence les caractéristiques de celle de Paul Farellier (un certain classicisme formel, une grande attention au proche et au présent, un attachement à la nature, une volonté affirmée d'honorer le simple et une attirance pour le mystère du monde et de la présence de l'humain dans ce monde), le lecteur peut être sensible à d'autres aspects de cette écriture. C'est ce qui va être mis en évidence dans les lignes qui suivent. Une grande part d'autobiographie est présente dans ces poèmes : ainsi le "Faux" Bonnard (avec son piano, l'étude et l'élève) rappelle-t-il que Paul Farellier a étudié le piano avec Fernand Lamy, parallèlement à ses études de droit). Il serait fastidieux de relever systématiquement tous ces ancrages dans la vie du poète, mais ils sont nombreux. Une certaine synesthésie n'est pas absente de certains poèmes, ainsi cette ductilité sonore dans Paroles du sourcier (1). Le monde est étrange, être au monde est étrange. C'est dans les poèmes "obscurs" que se dit le mieux cette étrangeté ; mais on y décèle une nostalgie angoissée face à une partie de l'être humain ; "l'éternité respire" constate Paul Farellier dès son premier recueil (vers qu'il faut mettre en regard de ces deux autres "le scandale permanent / de notre brièveté") ; c'est que le poète s'émerveille aussi de la splendeur singulière du monde. La notation est brève, si brève parfois que la pensée devient lapidaire ; ainsi, deux vers, par exemple, font sentence ou proverbe : "Qui chante juste / habite la poussière."
Quand on referme ce gros volume, on se dit que Paul Farellier maîtrisait sa voix dès ses premiers poèmes, aussi bien que son attitude face au monde qui, si elle a évolué, n'est pas radicalement différente, elle s'est seulement approfondie. La langue reste la même : à ces mots (p 59) "avéré, dans ma fibre de chose, je me reste, gravé sur mes yeux, incisé à quelque dur plaisir" font écho ces vers (p 654) "moins qu'une larme du temps, / une buée de retard // sur l'infime part du monde / qu'aura frôlée le regard." Même modestie de la vision, de l'écriture, même si la gravité est là : le poème de la page 653 ("Le temps venu / où tu comptes pour amis / moins de vivants que de morts…") exprime parfaitement cette gravité : effet de l'âge ?
Tout cela ne va pas sans une certaine préciosité dans l'agencement des mots : "Une aile captive joue dans l'absence unanime" (p 83), une préciosité de bon aloi qui amènera le lecteur à se demander quels rapports entretient Paul Farellier avec le surréalisme (même si ces mots sont extraits d'un poème de En ce qui reste d'été, des carnets écrits en 1979-1982 et publiés en 1984). L'émotion n'est jamais bien loin dans les poèmes de Farellier : "Ce cœur, tu le retiens pour plus large ; pour y bercer le plus vaste. Oui, tu l'ouvriras jusqu'à l'absence" (p 98). Le lecteur pensera alors à l'émotivisme défendu par Les Hommes sans épaules, pour dire vite…
D'autres seront interpellés par cette vision du monde présente dans la poésie de Paul Farellier, une vision parfois hallucinée mais toujours particulière, où l'obscur féodal de la fuite le dispute à l'aléatoire du feu, où la montée, par le travers des brandes, conduit à ce que le poète désigne comme le Jugement dernier (p 125). C'est que le monde physique est complexe, tout comme la métaphysique. Le poème se suspend devant l'inconnu, les mots manquent : "Quelque chose parfois s'éloigne, sans voix, sans permission ; creusant l'éternité soudaine. Du familier pourtant ; mais qui, déjà, ne trouvera plus son nom" (p 149). Ce n'est pas le moindre charme de cette poésie… On n'en finirait pas de relever ainsi la spécificité chatoyante de la démarche de Paul Farellier : mais il faut laisser aux lecteurs le plaisir de la découverte…
Reste à expliquer (?) le titre de ce volume qui doit servir de point commun à ces poèmes d'une vie… On a l'impression que Paul Farellier n'en finit pas de s'adresser à la face cachée de lui-même, au mystère d'être au monde, un monde qu'il interroge sans cesse. D'où cet entretien devant la nuit. Une nuit si présente dans les poèmes, un exemple, un seul : "Il est temps encore. Tu peux fuir dans la nuit libre. // Pour moi, les mots sont tissés ; le regard, piégé. Je suis un arbre arrêté dans les étoiles" (p 116). Ce qui n'empêche pas l'émerveillement devant le monde…
Au terme de la rédaction de cette note de lecture, je suis tout à fait conscient de la légèreté de mes propos : il faudrait plus d'espace pour une approche sérieuse de l'œuvre de Paul Farellier (qui mériterait un essai complet). Et, en plus, il restera au lecteur à articuler ses propres remarques, éventuellement aux miennes ou à contredire ces dernières, pour découvrir l'expérience intérieure (qui peut prendre différents aspects mais qui reste profondément humaine) dont parlent Gérard Bocholier et Gilles Lades (en quatrième de couverture) : et ce ne sont pas là simplement paroles de lecteurs, fussent-ils poètes… Page 653, toujours, Paul Farellier écrit : "bientôt il ne t'étonne plus / d'aller ainsi de compagnie / dans les chemins du jugement. // C'est ton pas qui s'alourdit / et la terre qui s'allège / ou plutôt se divise"… Je pense alors au dernier recueil d'Aragon, Les Adieux, et à ces vers : "Un jour vient que le temps ne passe plus / Il se met en travers de notre gorge / On croirait avoir avalé du plomb / Qu'est-ce en nous qui fait ce soufflet de forge". Toute œuvre ne se termine-t-elle pas ainsi ? "
Lucien WASSELIN (Cf. "Fil de lecture" in recoursaupoeme.fr, novembre 2015).
*
"Ce livre de près de 700 pages réunit, en douze recueils, l’œuvre poétique de Paul Farellier de 1968 à 2013. Un tel ouvrage, qui s’est vu décerner le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres 2015, inspire un sentiment d’accomplissement et d’exemplarité, tant s’y trouvent réalisées toutes les dimensions de l’engagement poétique.
Cette écriture détient dès l’origine sa forme : précise et déliée, sobre mais sans excessive ellipse. Homme et poète déjà construits. Et, pour parapher l’ouvrage, une adresse au lecteur à voix haute, délivrant les secrets de la diction, du souffle et de l’inflexion : ainsi l’œuvre prendra-t-elle le large, pour toujours animée.
La poésie de Paul Farellier réalise le paradoxe d’une extrême urgence et d’une extrême patience. C’est par une transgression positive que le poète accède à l’être :
« L’eau germe / dans la pierre de ta soif ».
Sage aux lèvres minces, il s’en remet à « la communauté de la nuit ». Comment ne pas penser à Georges de la Tour :
« Une bougie restée seule / tout le silence dans sa flamme droite » ?
Recueillement et dépouillement, articulés au socle de l’être, à la mémoire de l’œuvre humaine, se donnent pour mission de dire « l’intense déploiement de l’immobile ». Et le regard est d’abord un révélateur : la neige devient « lumière de l’obscurité », le poème « fenêtre noire ».
Un temps, le poète se délie de la verticalité en épousant l’espace – « l’adorable frémissement des herbes » –, le plus cher de son histoire personnelle (évoquant ses parents :
« à jamais tu te relèves / entre leurs deux présences »).
Mais il se relance bientôt vers les limites :
« l’heure où l’on voit plus loin que sa vue ».
Dans cette poésie, et c’est un de ses secrets, chaque clivage permet de progresser vers une plus exacte densité. À l’extrême, l’intériorisation s’accentue au péril du néant :
« Prison refermée. Lapidation de la lumière ».
Elle voisine cependant avec les germes d’espérance :
« Ce ti-tit d’insistance / douce d’un oiseau qui ne dit pas son nom ».
À l’évidement, à l’amenuisement, succède dans les derniers recueils un chant plus lié, plus ample :
« Et toi que fige soudain / dans ta prière la peur / d’éveiller l’invisible,… rêves-tu déjà les étoiles / d’une secrète épaule ? »"
L’image, loin d’être enchaînée à l’image suivante, monte vers la pensée. La parole, invariablement inscrite dans sa mesure (chaque poème semble fait pour la page), confronte le passé médité, contemplé, au rebelle présent : « toi, le flagellé d’instants ». La tension, toujours à l’œuvre, comme celle de l’alpiniste qui va de prise en prise, se résout en interrogation face à l’absolu :
« Est-il une fin / où vont les pas // hors limite, avalés par le vide ? »
Gilles LADES, in revue Friches, n° 119, septembre 2015.
*
"Ce gros recueil des œuvres de Paul Farellier donne au lecteur le sens de l’œuvre, le sens aussi de ce qu’est une œuvre, de sa puissance, entre émergence, disparition et résurgence.
Dans une postface élégante, Pierrick de Chermont évoque à son sujet une poésie de l’anonymat, dans un pays, la France, qui ignore la poésie. Cet anonymat pourrait être finalement plus qu’une chance ou une opportunité mais une véritable fortune. En effet, souligne Pierrick de Chermont :
« Sans aucune autre contrainte que son art inutile, entièrement consacré à lui, prêt à toutes les aventures de l’esprit, à tous les voyages, circulant seul ou presque dans la grande forêt de la poésie mondiale, n’ayant de compte à rendre à personne, le poète est la figure fantasmée de l’art contemporain. L’invisibilité de son art est donc une des sources de cette liberté. Elle le revêt d’une protection dont ne disposent pas les autres arts, qui eux sont exposés. »
Cette liberté, payée très cher le plus souvent par le poète, garde vierge l’espace de la création.
Sans prétendre à l’exhaustivité, Pierrick de Chermont retient cinq traits caractéristiques de la poésie de Paul Farellier. Tout d’abord un certain classicisme formel fait de « précision et exigence formelle » mais aussi d’une « économie de moyens ». Viennent ensuite « une attention au proche et au présent, un attachement à la nature et une volonté de dialoguer avec elle, une volonté d’honorer le simple et une attirance pour le mystère que recèle le monde ».
La saisie de ce qui se donne à voir, de l’instant présent, porteur d’une ouverture infinie, est au cœur de la poésie de Paul Farellier qui exprime une grandeur de la banalité, une beauté du quotidien, un abîme aussi de la limite, de ce qui nous borne dans l’apparaître des choses."
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 3 novembre 2014).
*
" Sous la direction magnifiquement tutélaire de Christophe Dauphin, Les HSE (Les Hommes sans Epaules éditions) poursuivent leur travail éditorial considérable en poésie. Outre la revue ‒ dont chaque livraison est à elle seule un livre‒ elles éditent, rééditent, restituent, récapitulent.
Ainsi de cet ouvrage de 659 pages : qui n’aime pas Paul Farellier ne le lira pas… Mais qui ne connaît pas Paul Farellier s’y précipitera : à ce prix-là (25€) on peut se permettre de découvrir un poète ‒ qui importe plus qu’un navet au cinéma, ou les tripatouillages politico-érotiques d’un(e) pipole dont on aura oublié le nom plus vite que celui de Paul Farellier.
Visionnaire. Compagnon du Mystère ‒ et cependant du « chaotidien ». Célébrant ‒ mais pris de silence comme on peut être « pris de Parole ».
Né à Paris en 1934 (comme Jean Chatard !), Paul Farellier collabore à de nombreuses revues, comme poète bien sûr mais aussi comme chroniqueur et critique. Il est membre du comité de rédaction de la revue Les Hommes Sans Épaules. Membre du jury du Prix du poème en prose Louis Guillaume.
Mais il est d’abord, et avant tout, poète. Certains diraient « prolixe ». Moi j’écris :«fécond ». Ce bel ouvrage « L’ entretien devant la nuit » paraît donc pour l’anniversaire du poète en 2014. C’est une somme, une part de sa vie et de son écriture. Mais ainsi qu’il l’écrit lui-même page 116 : «Il est temps encore. Tu peux fuir dans la nuit libre. » Je vous conseille, ainsi qu’il le dit achevant ce poème, de le suivre :
« Je suis un arbre arrêté dans les étoiles »."
Roland NADAUS (cf. rubrique "Ici et là", in site de la Maison de la Poésie de St-Quentin-en-Yvelines).
*
"Depuis près d’un demi-siècle, Paul Farellier poursuit une œuvre poétique dispersée, comme c’est souvent le cas, dans plusieurs maisons d’édition (L’Arbre à Paroles, la Bartavelle, Le Pont de l’Épée…). La réunion de ces poèmes en un fort volume est pour le lecteur un vrai bonheur et pour l’amateur (ne parlons pas de critique pour la poésie…) une excellente manière de déceler les lignes de force de ces recueils. On a beaucoup galvaudé, dans les grandes tendances de la poésie contemporaine, l’expression « poésie du quotidien », lorsque l’on puise l’inspiration dans le monde qui nous entoure plutôt que dans la culture classique ou les grands mythes du passé. Car il y a mille façons de regarder le monde : une évocation de sa beauté et de sa singularité, une approche de la plénitude par le fragment, du fugace par l’éternel, l’irruption d’une formule foudroyante, une expérience quasi mystique de la dépossession de soi par la communion au monde… On retrouve un peu de tout cela chez Paul Farellier, mais sans cette systématisation qui transforme l’émerveillement spontané en procédé. « J’écoute vivre », glisse-t-il : le taillis, la cigale, un doigt, un sourire, une étoile… Tout est porte d’entrée dans le monde créé par le regard, et le mot.
Le mot, plutôt que la formule. Trop souvent, le poète succombe au bonheur d’expression, à l’image fulgurante. Un mot suffit à Paul Farellier pour la transmutation du réel. Le « procès d’une fin de jour », la « montée maigre du sentier », « l’affrètement d’éclairs du soir », et nous voyons par son regard, nous sentons, nous palpons, nous entendons… Et soudain « l’oiseau a sauté hors du texte ».
Entre l’éclat et l’infini, l’œil a souvent besoin d’un cadre : s’il y a chez le poète un appel vers l’horizon, le ciel, la nuit, le vent, l’océan, le silence, tout ce qui ne conçoit pas de limite, et si le tremplin du minuscule nous permet d’y sauter à pieds joints, il y a souvent un plan intermédiaire, un cadre, une fenêtre,
Car tout fait clôture ici,
tout est serré dans ce poing
qui pourtant n’enferme que le vide,
oblige à des riens d’ombre, à des façons de taire
Et c’est ce double mouvement, du tremplin de l’infime au cadre de la fenêtre puis à l’infini de l’horizon, qui donne le vertige au lecteur. Le vertige d’une expérience partagée, d’un arrachement à soi. On plonge, « heureux comme on pourrait l’être dans l’oubli de soi » : la poésie a produit son effet, et l’on peut refermer les yeux, apaisé dans cette communion subtile (« nous, ce plaisir habitable »…), conscient d’être le monde et le poème : « je dors, superflu sous ma paupière »."
Jean Claude BOLOGNE (in jean-claude.bologne.pagesperso-orange.fr/#site)
*
"Mes préférences
Paul Farellier fait paraître L’Entretien devant la nuit (Les Hommes sans Épaules éditions) qui rassemble ses poèmes de 1968 à 2013. Dans sa postface fort intéressante, Pierrick de Chermont situe le poète dans ce qu’il appelle « la poésie de l’anonymat », un courant majeur de la poésie d’aujourd’hui. Il dégage cinq traits emblématiques de cette poésie, tous présents chez Paul Farellier : « un certain classicisme formel, une attention au proche et au présent, un attachement à la nature, une volonté d’honorer le simple et une attirance pour le mystère que recèle le monde. » Il faut entrer dans cet univers de nuit où la nudité de l’écriture s’applique rigoureusement à la nudité des choses. Rien n’est fermé, l’évasion vers le plus inaccessible hante toujours l’homme des frontières :
Ce qui s’est joué sur des frontières,
leur passage,
ta fuite au sentier de nuit,
n’y retourne pas,
mais prolonge plutôt la dernière étoile,
le secret qui recommence."
Gérard BOCHOLIER (in revue ARPA, n° 112, 1er trimestre 2015).
*
" Paul Farellier est un poète qu’il faut lire dans la durée. C’est le chemin lancinant qu’il emprunte qui lui donne toute sa force. Ce poète est un chercheur qui pose sa parole devant la nuit. Plus que les réponses, il voudrait constamment parfaire sa question. Quelqu’un a écrit qu’il ne nous prenait pas à témoin. Lecteur depuis quelques années de la poésie de Paul Farellier, où je retrouve ici des poèmes que je connais comme ceux de Tes rives finir ou d’Une odeur d’avant la neige, je ne le ressens pas de cette façon. Dans cette somme que propose l’édition des Hommes sans Épaules, on est emmené par le poète dans une méditation qui touche par sa patience et sa cohérence. La respiration et les silences sont aussi importants que les mots eux-mêmes. Il s’agit d’accéder à la vérité intérieure. La seule qui permette d’aller vers le lecteur en évitant pose et malentendu. L’imaginaire du quotidien est installé dans sa réalité, l’importance des proches est là dans son évidence, et comme le dit avec justesse Pierrick de Chermont, il se manifeste là une présence étrange. J’oserai dire dans une certaine lumière. Mais c’est bien l’ombre, cette «somptueuse» qui est recherchée. Les derniers poèmes éclatent de fraternité exigeante. Le poète est arrivé au moment de sa vie où il continue sa quête, le père, peintre, n’est pas loin, avec la compagnie des disparus. Cette somme poétique, exemplaire de la nécessité poétique contemporaine, nous dit Pierrick de Chermont dans sa postface, en est un fleuron. "
André PRODHOMME (in Les Hommes sans Epaules n°39, mars 2015).
*
"Dans ce livre admirable, c’est un chemin de vie que Paul Farellier nous offre, avec justesse et retenue. Des interrogations sans réponses et du constat d’une vie reportée à plus tard qui se font jour dans les recueils du début, en passant par de courts tableaux dans lesquels le poète interprète ce qui s’offre à sa vue, recherche une enfance perdue et dit ses craintes d’un temps dévastateur, nous parvenons à des poèmes où Farellier, en quête d’un monde inconnu, s’interroge sur l’acte même d’écrire avec des mots qui savent à peine nommer. Quand on interroge Paul Farellier sur ce qui lui a fait tantôt choisir le poème en vers, tantôt le poème en prose, il avoue qu’il existe une sorte de nécessité et que « le vers descend tout armé de son rythme dans la main qui l’écrit, car nous n’avons plus la férule de la rime, donc le rythme est indispensable ». Et Farellier conclut : le vers est dans l’espace d’un chant. Notre poète aime aller à la nature, car pour lui le paysage n’est pas une abstraction, « c’est un ailleurs dans l’ici ». On y apprivoise le provisoire, car l’on y apprend ce qui va mourir. On peut dire que dans sa poésie il y a une appropriation quasi charnelle du paysage : « le silence venant à l’épaule comme un suint de l’été ». Mais les terres vraies de Paul Farellier sont le plus souvent cachées, le « tu » qu’il utilise peut être celui de l’amour, mais ce peut être aussi le pronom de la prière. La plupart de ses poèmes sont écrits au présent, le passé est invisible nous dit le poète, mais il porte une trace évolutive : « je suis un flagellé d’instants, j’ai voulu sortir du tourbillon de l’agenda des vivants » et il ajoute : « je n’ai pas fait que subir le temps, je l’ai aussi aimé d’une sombre ferveur ». « Nous voulons la naissance des flammes, non le charbon ressaisi ». Aussi dirons-nous, sans conclure, car ce livre étonnant est celui d’un visionnaire que l’on aimera lire et relire : Paul Farellier est un véritable alchimiste qui sait déceler des couleurs sous la nuit. Pensant à ses chers parents disparus, il sait nous rendre sensible: « Leur visite, chaque soir, l’entretien devant la nuit. » "
Sylvestre CLANCIER
(Texte présentant Paul Farellier, lauréat du Grand Prix de Poésie, au nom du Jury, à la SGDL, 23 juin 2015).
*
"L’Entretien devant la nuit rassemble en plus de 600 pages des poèmes de près de cinquante ans de poésie. Certains sont inédits, d’autres, la plupart, ont déjà été publiés. Ce gros recueil témoigne, selon la juste expression de Pierrick de Chermont dans la postface, d’une « poésie de l’anonymat », même si l’expression personnelle se fait plus sensible au fil du temps, par exemple dans des confidences discrètes sur l’insomnie d’hôpital, / le couloir d’urgences (« Heures », 1998) ou dans « Maintenant, visage fixé », qui date de 2003 et est dédiée à son « père, qui était peintre ». Dans « La nuit passante » (1999), l’interrogation sur le temps et sur soi, se fait plus pressante. Mais ce qui reste stable dans cette traversée d’un demi-siècle est plus frappant que ce qui change. La qualité essentielle de ces poèmes est peut-être ce que l’on pourrait résumer par le terme de « délicatesse ». Délicatesse des sentiments, une pudeur constante qui évite tout excès sentimental, même quand la nostalgie ou une « pensée déchirante » menacent l’équilibre. Le « je » cède le plus souvent la place à un « on », qui renvoie sans doute à des circonstances et des personnes particulières, mais élargit à l’humaine condition, comme l’infinitif déracine ce qui serait trop précis : Poindre / au plus effacé du songe. Délicatesse des notations attentives à saisir l’instant où un oiseau s’envole, une cigale chante, la neige recouvre un paysage, les liserons se penchent sous la pluie… C’est la tâche du poète que de les dire pour défendre la beauté : une beauté de feuilles, d’oiseaux, de cascades, / j’ai rassemblé ces choses / dont je suis encore le lien secret. À la délicatesse s’adjoint la douceur : Seule monte la lueur de ce front / à la douce conquête de l’ombre. […] la douce insistance de l’heure. Le temps se décline à travers les saisons et les mois, avec, semble-t-il, une préférence pour l’hiver, la neige, le blanc, qui annulent toute aspérité. La sobriété qui caractérise le ton de ces poèmes va de pair avec leur brièveté qui fait parfois songer au haïku : La table de ce côté./ Le couvert pour traiter l’ombre./ Nous dînerons d’une pensée déchirante. Le vers libre, le plus souvent très court, alterne avec des poèmes en prose, le plus souvent faits d’un seul bloc. La disposition sur la page est, selon les dires de l’auteur, liée à un souci d’oralité. Et il est vrai que c’est une voix qui nous murmure que la poésie est « immense en peu de mots ». « J’écoute vivre », dit Paul Farellier. Vivre, en dépit de tout et de l’absurde toujours menaçant : l’arbre gagné par la nuit continue à se dresser."
Joëlle GARDES (note à la revue Phœnix, hiver 2015, n° 16).
*
"Quarante-cinq ans de poésie. 684 pages de texte. Une postface de Pierrick de Chermont. Le récent ouvrage de Paul Farellier est sans aucun doute un événement dans la vie poétique d’aujourd’hui. Ce superbe pavé regroupe les poèmes publiés de 1968 à 2013.
La postface tout d’abord, qui décortique avec autant de talent que de soin, la poésie qui se pratique de nos jours.
Ce qui intéresse au plus haut point dans ces textes c’est l’explication qu’en fournit Pierrick de Chermont qui ne se contente pas d’évoquer la technicité naturelle de Paul Farellier mais qui, globalement, explicite la poésie qui se crée aujourd’hui.
Quant à la poésie de Paul Farellier elle emporte l’adhésion, dès le premier texte repris d’un recueil publié en 1968. Cette masse imposante (plus de 650 pages !) ne comporte que des pièces de haute qualité dans lesquelles la syntaxe privilégie la métaphore. À l’endroit où l’envolée fait image et l’image à la fois couleur et douleur.
D’un quotidien assez quelconque, Paul Farellier extrait des sensations et des ancrages aux limites du Surréalisme. Dans tous les cas, des vers d’une audace mesurée dans leur lyrisme naturel se côtoient dans la fraternité de la création.
« Le jour qui monte retourne à l’oubli. La minute
blanche, ailée, s’est piquée au plus fort du courant »
Dès les premiers poèmes publiés, il semble que Paul Farellier ait adopté un rythme tout personnel créant ainsi un univers à sa mesure où les idées sont véhiculées dans un cadre défini dans lequel il évolue avec une aisance admirable. Poésie du bonheur et poésie de la mélancolie. Poésie dans laquelle chaque mot est irremplaçable.
Cette impressionnante publication démontre une nouvelle fois que la poésie est en effervescence et que les poètes actuels chantent avec talent sur la plus haute branche.
À lire absolument."
Jean CHATARD (note à la revue Diérèse, n° 64, automne-hiver 2014/2015).
*
"Compilation de poèmes en vers libres ou en prose mus par une même volonté de célébrer l'instant présent, la nature et les plaisirs simples de la vie. Grand prix SGDL de poésie 2015 décerné à P. Farellier pour l'ensemble de son oeuvre. "
Electre, Livres Hebdo, 2015.
|
|
|