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Critiques

"La joie comme la peine se mesurent en centigramme." (Benjamin Péret). Joie ? parce qu'un nouveau numéro de Supérieur Inconnu, le trentième, est paru. Peine ? parce que c'est le dernier et qu'il est consacré à son fondateur Sarane Alexandrian, disparu en 2009 emporté par une leucémie. La couverture est de Madeleine Novarina, épouse de l'écrivain, et vient clore une série commencée en octobre 1995. Le comité de rédaction de la revue a dans son ensemble participé à l'hommage rendu à Alexandrian. Nous trouvons des textes et des entretiens d'anciens compagnons: Alain Jouffroy, des lettres d'André Breton et de Malcolm de Chazal, des illustrations de Victor Brauner, Ljuba, Denis Bellon. Sous la plume de Christophe Dauphin, auteur chez l'Âge d'Homme d'un essai Sarane Alexandrian, le grand défi de l'imaginaire, on peut lire un très intéressant et émouvant portrait de ce dernier. Les documents publiés sont nombreux et la période d'après-guerre est riche en témoignages: exposition surréaliste en 1947 à la galerie Maeght, création de la revue Néon et de Cause... Le sommaire est parsemé de textes inédits de Sarane Alexandrian, écrivain, critique d'art et fondateur d'une des revues les plus fascinantes de ces dernières années: Supérieur Inconnu, qui a paru en trois séries, trente numéros au total de 1995 à 2011. Adieu Grand Cri-chant nous en sommes pas prêts de vous oublier, d'ailleurs: "c'est les jeunes qui se souviennent. Les vieux oublient tout." (Boris Vian).

Michel Jacubowski (in Cahiers Benjamin Péret n°1, septembre 2012)

 

« Supérieur Inconnu.., est le titre qu'André Breton avait choisi, en novembre 1947, pour nommer la publication qu'il envisageait de fonder... » Aujourd'hui, c'est le dernier numéro d'une revue « ouverte à la prose autant qu'à la poésie» et qui a mis « à l'honneur, dans chaque numéro, un écrivain qui est souvent injustement méconnu du public et de la critique »... Dernier numéro consacré à Sarane Alexandrian, mort le 11 septembre 2009. Sarane Alexandrian et Madeleine Novarina, poète et son épouse, « le couple héroïque faisant face à tout » selon Christophe Dauphin. Un dossier complet avec des textes de l'auteur, bien sûr, des analyses de sa création romanesque, des fac-similés des lettres, des photos, des reproductions de tableaux et de dessins, des hommages de ses proches, des souvenirs... Et tout cela donne une image vivante de ce familier des surréalistes. Un exemplaire à conserver!  

Alain Lacouchie,

(revue Friches, n° 109, janvier 2012).

 

"Sarane Alexandrian nous a quittés le 11 septembre 2009 pour le Grand Réel. Spécialiste des avant-gardes et de la littérature érotique, biographe de Victor Brauner, cet homme exceptionnel, érudit incarnant l’élégance intellectuelle et spirituelle, fut aussi, c’est moins connu, un hermétiste de talent, ce qui apparût clairement à travers la revue Supérieur Inconnu qu’il dirigea brillamment. Deux ans après sa disparition, Supérieur Inconnu, désormais sous la direction de Christophe Dauphin, rassemble ses amis pour un numéro spécial, n°30, consacré à l’homme de l’art et à son œuvre multiple, inattendue, et absolument non-conformiste comme il savait si bien le revendiquer. Christophe Dauphin avertit le lecteur d’une ambiguïté toute française : « La France raffole des surréalistes quand ils sont morts ; mais quand ils étaient dans l’éclat de la jeunesse ou dans la force de l’âge, elle a tout fait pour les acculer à la misère. C’est d’ailleurs le lot de tout grand artiste révolté, de tout prophète de l’anticonformisme, de connaître une gloire tardive ; les conformistes lui préfèrent toujours le pantin remodelable après chaque rebut. Sarane Alexandrian n’a pas échappé, malheureusement, à ce principe ; du moins en France, car à l’étranger, au Liban, en Roumanie, en Angleterre, en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal, en Turquie, aux Etats-Unis, en Chine (où son Histoire de la littérature érotique a été traduite en 2003), ou à l’Île Maurice, notre ami jouit d’un prestige qui ne s’est jamais démenti. » Ce numéro spécial débute par une présentation des trois périodes de la revue, les 21 numéros de la première série, 1995-2001, les 4 numéros de la deuxième série, 2005-2006 et la troisième série, 2007-2011 qui propose 5 numéros. D’une grande exigence, Sarane Alexandrian a veillé à la haute tenue de sa revue qui demeure la plus belle publication d’avant-garde des vingt dernières années. Supérieur Inconnu a inscrit le message du surréalisme éternel dans la période si dangereuse et si passionnante du changement de millénaire, message que l’art du XXIème siècle devra s’approprier pour demeurer art. Ce numéro, qui mêle articles, poèmes, illustrations, témoignages, écrits de Sarane, illustre la puissance, la densité et la richesse de ce message non-conformiste, au plus près de la liberté de l’être. Et il y a ce couple, Madeleine Novarina et Sarane Alexandrian, un amour fou qui n’a cessé de nourrir la création de l’un comme de l’autre. Parmi les textes de Sarane Alexandrian rassemblés dans ce numéro, citons : Madeleine Novarina poète – La création romanesque – Autour de « Socrate m’a dit » – Considérations sur le monde occulte – Ontologie de la mort, ces deux derniers inédits. Sarane Alexandrian contribua grandement au renouvellement de l’alliance salutaire entre avant-garde et initiation, par ses écrits bien sûr, plus encore par sa médiation entre des mondes qui s’ignorent encore à tort. Parmi les très nombreux contributeurs à ce numéro qui, davantage qu’un hommage, constitue une démonstration de la permanence de Sarane Alexandrian, citons : Madeleine Novarina, Virgile Novarina, André Breton (Trois lettres à Sarane Alexandrian), Malcom de Chazal (Lettre à Sarane Alexandrian), Jean-Dominique Rey, Odile Cohen-Abbas, Paul Sanda, Marc Kober, Fabrice Pascaud, Jehan Van Langhenhoven, etc. Ce numéro exceptionnel est diffusé par Les Hommes sans Epaules, 8 rue Charles Moiroud, 95440 Ecouen, France.

Remi Boyer

(Incohérism.owni.fr, 21 septembre 2011)    

 

"Un numéro hommage de Supérieur Inconnu à son fondateur, Sarane Alexandrian (1927-2009). Un lien étroit avec les HSE : le directeur de publication en est aussi Christophe Dauphin, et les HSE en gèrent la publication. Les contributeurs sont nombreux, poètes, artistes, amis, qui apportent leur voix pour cet hommage quasi unanime (seule voix dissonante, celle d’Alain Jouffroy) qui tente d’aborder toutes les facettes de cet homme à l’élégance légendaire  qui sut ne pas faire de concession aux modes. On croisera ainsi entre autres Françoise Py, Lou Dubois, Olivier Salon, Virgile Novarina, César Birène, Marc Kober, Odile Cohen-Abbas, mais aussi, évoqués largement, par le document, lettre ou dessin, Madeleine Novarina, sa femme, les peintres Jean Hélion et Victor Brauner (dont une œuvre fait la couverture, comme pour le n°1), le poète mauricien (et toujours trop méconnu) Malcolm de Chazal, etc. Un numéro qui marque aussi la fin d’une aventure de 15 ans, puisque ce dernier numéro est aussi l’ultime d’une série de trente."  

Jacques FOURNIER

(levure littéraire.com, 2011).    

 

"C’est la première fois que je parle de cette revue et ce sera l’ultime puisqu’il s’agit d’un numéro spécial consacré à son fondateur : Sarane Alexandrian, décédé en 2009.  Ce dernier a longtemps été considéré comme le successeur désigné d’André Breton, c’est dire dans quelle mouvance, surréaliste, il s’est positionné toute sa vie. Le titre de la revue d’ailleurs, Supérieur inconnu, a été trouvé par André Breton lui-même en 1947, pour une revue qui n’a pas vu le jour alors. La publication a connu trois séries : la première de 1995 à 2001, avec 21 numéros, et un nombre impressionnant de poètes reconnus aujourd’hui ; la deuxième de 2005 à 2006 (4 n°), avec au comité de lecture des membres plus jeunes comme Marc Kober ou Christophe Dauphin qui rejoignent Alexandrian et les plus anciens, prenant comme axes principaux quatre vertus cardinales que sont le rêve, l’amour, la connaissance et la révolution. Cette série sera interrompue, faute de subvention du CNL, mais suivie par la troisième et finale (2005-2011) avec un comité de rédaction élargi : 5 numéros dont ce dernier. Sarane Alexandrian exerçait une véritable fascination sur tous ceux qui l’ont approché et qui témoignent dans cet ouvrage. Né en 1927 à Bagdad, son père était médecin du roi Fayçal 1er, il vient en France en 1934. Il rencontre le dadasophe Raoul Hausmann, ce qui va être déterminant dans son apprentissage intellectuel, puis André Breton, Victor Brauner et Madeleine Novarina, qui va devenir sa femme et à laquelle sont consacrés deux articles forts de la livraison. Théoricien  n° 2 du surréalisme, il rompt rapidement avec André Breton, dès 1948. Christophe Dauphin montre comment il écrit sous autohypnose, à la Robert Desnos, autour de l’onirisme, la magie sexuelle et la gnose moderne. Une idée intéressante, c’est qu’il a souhaité être un anti-père pour les jeunes qui l’admiraient, afin qu’ils le dépassent à leur tour. Ses conceptions romanesques sont très éclairantes, puisqu’il a voulu certainement être davantage reconnu comme écrivain de romans plutôt que poète. Beaucoup de contributions suivent à la gloire de ce grand personnage, dont le charisme et l’ouverture intellectuelle impressionnaient grandement ses interlocuteurs, à noter la fausse note signée Alain Jouffroy qui donne en contrepoint un éclairage inverse au concert de louanges ; également avant de renvoyer à la revue qui propose une quarantaine de témoignages (dont Jehan Van Langenhoven ou Michel Perdrial entre autres), le Sarane Alexandrian, critique d’art, lequel lui confère pour conclure sa véritable dimension. Un homme hors du commun, sans contestation possible. Un grand écrivain de la fin du surréalisme."

Jacques MORIN

(Site internet de la revue Décharge, novembre 2011).

 

Avec ce trentième numéro de Supérieur Inconnu s'achève l'aventure de cette revue fondée par Sarane Alexandrian en octobre 1995, aventure qui dura donc 16 ans et connut trois séries différentes. Ce dernier numéro consiste en un hommage à la figure tutélaire de Sarane Alexandrian, disparu le 11 septembre 2009. Nous y trouvons les signatures des acteurs majeurs ayant fait l'histoire de cette revue qui se revendiquait du non-conformisme intégral.   C'est à César Birène que revient la tâche d'ouvrir ce numéro mémorial par un texte retraçant clairement les grandes étapes de Supérieur Inconnu. A l'origine imaginée par André Breton, la revue aurait dû voir le jour en 1947 chez Gallimard sur les conseils de Jean Paulhan. Une revue ayant l'ambition d'unir les conservateurs fidèles à l'esprit du Second manifeste, et les novateurs. Le nom même de la revue vient directement de Breton qui voyait dans le "Supérieur Inconnu" l'objectif idéal de la recherche poétique de l'avenir. Elever l'esprit vers les hauteurs et explorer l'inconnu. Un désaccord empêcha ce projet que Sarane Alexandrian, en héritier légitime du Surréalisme – il avait été le secrétaire général du mouvement – reprend et mène à son point d'épanouissement au moment charnière du passage au troisième millénaire. Une revue issue du Surréalisme mais désireuse d'accueillir dans ses pages les voix d'un avenir poétique émancipé du passé, et fervente admiratrice de figures peut-être injustement mal connues telles celles de Claude Tarnaud, Charles Duits, Stanislas Rodanski, Gilbert Lely, Jeanne Bucher par exemple.  César Birène retrace avec fidélité ces quelques quinze années d'engagement littéraire autour de Sarane Alexandrian. Il en synthétise l'esprit, les contenus, évoque les grands acteurs tels Alain Jouffroy et Jean-Dominique Rey, à la fondation de l'aventure avec Sarane. Puis rejoints par la jeune génération des Christophe Dauphin, Marc Kober, Alina Reyes. Je me permets d'ajouter Pablo Duran, Renaud Ego, Jong N'Woo, Malek Abbou, etc. Les transitions des séries 1 à 2 et 2 à 3 sont bien explicitées, ainsi que les raisons qui présidèrent chaque fois au changement de visage par ces nouvelles moutures de la revue. On notera avec étonnement au moins deux grands absents sous la plume de César Birène, deux absents de taille qui contribuèrent pourtant à l'envergure de la revue par le rôle qu'ils y tinrent au sein du comité de rédaction de la première série, en les personnes d'Alain Vuillot et de Matthieu Baumier… La revue poursuit ensuite son hommage à Sarane avec les textes de Christophe Dauphin, les photos de Sarane et de sa femme Madeleine Novarina, les poèmes de Madeleine Novarina, les photos du bureau de Sarane où nous eûmes tous l'honneur, à un moment, d'être reçu pour une conversation d'une politesse exquise  sous le charme silencieux et magiques des œuvres de Victor Brauner. Des textes inédits de Sarane, comme illustrés par des reproductions de toiles de Ljuba, sont ici publiés, comme La création romanesque issue de ses Idées pour un Art de vivre, Art de vivre qui était la passion de sa vie tant il considérait que cet Art induit tous les plans de l'émancipation de l'humain. Nous y trouvons également trois lettres inédites adressées à Sarane, deux par André Breton, la troisième par Malcolm de Chazal, lettres qui témoignent de l'engagement intellectuel intégral qui était celui d'Alexandrian.   Suit un entretien d'Alain Jouffroy par Jean-Dominique Rey autour de la figure de Sarane, entretien surprenant au sein d'un hommage tant Jouffroy n'use d'aucune langue de bois pour évoquer le souvenir de son ami Sarane. A juste titre d'ailleurs car Alexandrian, non-conformiste revendiqué, aurait eu en horreur les passages de pommade de circonstance. Jouffroy évoque un Alexandrian supportant mal la contradiction qu'on pouvait lui opposer et nombreux sont, parmi ceux qui le fréquentèrent, à avoir essuyé ses colères et sa susceptibilité... (..) Un homme généreux. Une figure tutélaire à qui l'on devait une manière d'allégeance à partir du moment où il nous avait accueilli dans son clan. Un écrivain ayant sa propre conception de la fidélité, souffrant avec difficulté qu'on lui oppose des vues différentes de ce en quoi il croyait. Mais généreux, je le répète, comme peu en sont capables. Aussi la version de Sarane par Alain Jouffroy a-t-elle lieu d'être tant elle rend fidèlement le caractère haut en couleur qui était le sien. D'ailleurs, s'ensuit la reproduction d'une réponse de Sarane à un message de Jouffroy laissé sur son répondeur téléphonique. Illustration significative des rapports qui furent ceux des surréalistes, faits de franchise, d'orgueil, de rodomontades, d'hystérie surjouée, de joutes oratoires, de ruptures, de réconciliations. Parmi les textes, passionnants, de ce numéro hommage, (nous ne les citerons pas tous), mentionnons celui de Paul Sanda consacré à l'ouvrage majeur d'Alexandrian, Histoire de la philosophie occulte, et aux prolongements de ce livre, d'abord dans le rapport qu'entretint Sanda avec Sarane, ensuite dans la vie de Sanda. Remercions Christophe Dauphin, maître d'œuvre de cette ultime livraison, pour ses contributions à la réussite de ce beau numéro, tant lorsqu'il se consacre au couple Madeleine Novarina-Sarane Alexandrian que lorsqu'il dresse un portrait biographique de Sarane, situant son importance dans la deuxième génération surréaliste mais aussi dans le monde littéraire et intellectuel, lui dont l'œuvre fut traduite partout dans le monde sans que jamais l'intelligentsia officielle et médiatique ne lui rende le moindre hommage. Hommage encore à l'érudition époustouflante d'un homme hors-norme, qui n'avait cure de savoir pour savoir mais entendait savoir pour vivre plus et transmettre ses connaissances pour aider à vivre plus. Jean Binder, lui, choisit dans les multiples visages d'Alexandrian, l'écrivain d'art. Il rappelle que le premier livre de Sarane fut consacré au peintre Victor Brauner, Brauner l'illuminateur, dont on ne peut ici que conseiller la lecture tant ce livre est, à mes yeux, fondamental. Et poursuit en dressant l'itinéraire des écrits sur l'art de Sarane. Palpitant.   Gérald Messadié quant à lui tire son chapeau à l'impertinence, pour employer un euphémisme, de Sarane, lui qui, en 2000, publia un livre étrange intitulé Soixante sujets de romans au goût du jour et de la nuit, livre dans lequel Sarane propose aux romanciers en mal d'inspiration 60 sujets mirifiques pour surseoir à leur manque de talent et d'imagination. Un livre volontairement passé inaperçu tant le bras d'honneur d'Alexandrian aux plumitifs desséchés en tous genres relève, comme le souligne Messadié, du terrorisme.   Il y  a aussi le très beau texte de Marc Kober, d'une justesse et d'une mesure admirables, brossant l'image de surface qu'offrit à beaucoup Sarane Alexandrian pour nous montrer un peu le vrai cœur de cet homme : "Pourtant, la vérité de Sarane est ailleurs, écrit Kober : moins dans l'homme de lettres qu'il voulut être que dans une volonté d'élargir le périmètre humain".   Il y a enfin, et je m'arrêterai là, le beau poème que Matthieu Baumier offre ici à Sarane, intitulé "A l'étoile vive", assorti de cette émouvante dédicace Pour Sarane, par-delà. Ce trentième numéro rend ainsi un hommage mérité à un écrivain méconnu, dont l'œuvre théorique continuera d'irriguer les temps à venir tant elle se situe à la croisée de la Tradition dont notre société se targue de ne vouloir rien savoir, et de l'avenir qui l'aimante par un besoin vital de prendre sa respiration.   Supérieur Inconnu, ce furent 30 volumes en quinze ans, mais aussi des lectures publiques dont chacun des membres garde en mémoire les éclats et les reliefs. (Conciergerie de Paris, Mairie du XIIème arrondissement de Paris, Bateau-lavoir). A titre personnel, sans Supérieur Inconnu, sans Sarane Alexandrian, je n'aurais sans doute pas rencontré la danseuse Muriel Jaër, petite-fille de la galeriste Jeanne Bucher avec qui, au sortir d'une lecture de poèmes, je devais me lier d'amitié.   Je n'aurais pas non plus eu la grande chance de rencontrer Matthieu Baumier, dont l'amitié dans le Poème m'est absolument vitale. Pour ceci, Sarane, merci.  

Gwen Garnier-Duguy

(in Recoursaupoeme.fr, août 2012).






Lectures :

" Réunit le journal tenu par le poète en 1946, l'année de son suicide dont il permet d'éclairer certaines zones d'ombre, quelques témoignages et études (Tristan Tzara, Stéphane Lupasco, Jean Cassou, Jean Follain, Guy Chambelland...), ainsi que l'intégralité de ses poèmes écrits entre 1940 et 1946."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

*

" Le tapuscrit de ce journal fut retrouvé très récemment, en 2016, dans les archives de Sașa Pană, directeur de la revue Unu, proche d’Ilarie Voronca (1903 – 1946) et figure centrale de l’avant-garde roumaine. En 1946, Ilarie Voronca s’est donné la mort. Le journal permet de mieux comprendre ce qui l’aura conduit à ce geste puisqu’il rend compte de l’année 1946. Il faut noter que Voronca est l’un des rares roumains exilés à Paris qui reviendra régulièrement en Roumanie, amplifiant sans doute, par ses retours, de terribles déchirures. Nous découvrons dans ces pages la puissance de ses angoisses et de ses tendances suicidaires. L’errance de Voronca, territoriale et spirituelle, malgré le recours permanent à la poésie comme seule axialité, n’a pas été contenue par les amitiés de Brauner, Tzara et autres. Le talent et l’amour ne suffisent pas toujours à compenser l’arrachement.

« C’était la femme d’avant la séparation que je cherchais. La femme de maintenant m’offrait les rides de son visage comme celles de son âme mais moi, je m’obstinais à ne pas les voir. J’aurais voulu l’emporter hors de la pièce, telle qu’elle était et m’enfuir avec elle vers le rivage de la mer d’où un bateau devait me reconduire vers le pays où j’avais organisé ma vie. J’avais décidé d’emprunter la voie maritime parce que les routes terrestres étaient exposées à trop de fatigues et de périls. Mais la femme et les amis et les parents qui l’entouraient ne l’entendaient pas ainsi. Il fallait emporter une partie de ce qui avait constitué sa vie pendant les années de la séparation. Remplir des coffres et des valises avec les choses matérielles de sa vie. (…) Embarqués à Constantza, nous n’avons quitté le bord qu’après trois jours de mouillage. J’étais encore dans l’extase de l’incroyable réunion et la femme réelle avait encore tous les aspects de la femme de ma mémoire ! Ce n’est que le sixième jour, pendant une longue escale dans le port bulgare de Varna que les premiers symptômes d’une vie qui m’était inconnue, se manifestèrent. »

La lecture de ce journal démontrera une fois de plus que la poésie demeure bien supérieure à la psychologie dans la connaissance des méandres de la psyché.

La deuxième partie du livre rassemble divers témoignages de Tristan Tzara, Stéphane Lupasco, Georges Ribemont-Dessaignes, Jean Cassou, Jean Follain, Claude Sernet, Eugène Ionesco, Yves Martin, Alain Simon, Guy Chambelland.

Ecoutons Yves Martin :

« Relire Ilarie Voronca, non pas dans le douillet, le silence d’un appartement, mais dans les lieux où il a dû être tellement perdu, les lieux qui l’ont usé, broyé après bien d’autres, Voronca, tu marches, c’est toi dans ce coin de métro, c’est toi qui regardes les draps de la Mort que chaque matin étend derrière l’hôpital Lariboisière. Tu te demandes si parfois il y a des survivants. Tu es de toutes les rues de la capitale, celle qu’un peu de soleil fait bouger comme une ville du Midi, celles qui glissent insidieusement comme Jack L’Eventreur. C’est toi qui es sa victime. Toujours toi. Tu ne vis pas le danger. A force de rêver d’indivisibilité pour être mieux présent dans chaque homme, dans chaque objet, tu te crois réellement invisible… »

La troisième partie rassemble l’intégralité de l’oeuvre poétique d’Ilarie Voronca sous le titre Beauté de ce monde.

 

          Extrait de L’âme et le corps :

 

« Comme un débardeur qui d’un coup d’épaule

Est prêt à se décharger de son fardeau

Ainsi mon âme tu te tiens prête

A rejeter le corps sous lequel tu te courbes.

Est-ce pour quelqu’un d’autres

Pour un fossoyeur ou pour un prince

Que tu portes cette chair un instant vivante

Dont tu es étrangère et qui te fait souffrir ?

 

Ah ! Peut-être que celui qui t’a confié mon corps

A oublié de te montrer les routes ensoleillées

Et pour me conduire du néant de ma naissance à celui de ma mort

Tu t’égares entre les marais et les ronces.

 

Réjouissons-nous, mon âme, il y a par ici une ville

Où les femmes sont comme des fenêtres.

On reconnaît leurs sourires dans les vitraux des cathédrales

Leurs voix sont les parcs, les fils de la Vierge.

… »

 

Lisons et relisons Ilarie Voronca plutôt que le prix Apollinaire 2018, accordé lamentablement au médiocre Ronces de Cécile Coulon."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2018).

*

Et enfin un volume qui convoque un poète rare : Ilarie Volonca, présenté dans une édition établie par Pierre Raileanu et Christophe Dauphin. Un Journal inédit et une anthologie de ses textes, Beauté de ce monde, qui offre un panel de poèmes classés par ordre chronologique, de 1940 à 1946. Là encore un paratexte riche et qui propose des éléments pour situer l’homme et l’œuvre. Poète français et roumain, cette figure-phare de la littérature de l’Est participe dans son pays de naissance à l’édification d’une avant-garde qui favorise l’émergence d’une modernité littéraire roumaine. Il fonde avec Victor Brauner la célèbre revue 75 HP qui perdure de nos jours.

Les anthologies publiées par Les Hommes sans Epaules, sont donc des volumes précieux, qui plongent le lecteur dans l’univers d’un auteur, pas uniquement grâce à ses productions artistiques. Elles entrouvrent la porte d’une intimité qui n’est qu’esquissée par les liens effectués entre les éléments biographiques purement factuels et une mise en situation historique. Le plus souvent engagés dans une démarche critique, les poètes dont il est question offrent matière à ce que le lecteur prenne connaissance de leur apport dans l’avancée d’une littérature qui peine à s’engager sur de nouvelles voies en ce début de siècle. Et que leur nom soit peu ou pas connu, il n’en demeure pas moins que Christophe Dauphin et Henri Rode savent où s’écrit la Poésie, de celle qui ne se taira pas.

Carole MESROBIAN (cf. "Les anthologies à entête des Hommes sans Épaules" in recoursaupoeme.fr, 4 janvier 2019).

*

Comment échapper à la fascination qu’exerce une œuvre poétique lorsque l’on sait par avance que l’on en sera la victime consentante ? Poète de deux langues, le roumain et le français, Voronca en est le parfait exemple lui qui se suicida en 1946 à l’âge de 42 ans. Sur la corde raide de la recherche d’identité, la fragilité et le doute le tenaillaient en permanence et ravageaient sa conscience.

Son « Journal inédit » enfin édité se lit comme un complément à cette œuvre poétique traversée par des éclairs d’espoir et de désespoir. On ne remerciera jamais assez Christophe Dauphin d’avoir regroupé en cet épais ouvrage ces deux volets complémentaires. Les poèmes sont regroupés sous le titre de l’un des poèmes emblématiques de Voronca : La beauté de ce monde. Certains de ces textes semblent prophétiques dans une dimension lyrique et visionnaire qui n’avait pas été entrevue lors de leur parution malgré l’attention et le dévouement des poètes résistants dans les années sombres de la deuxième guerre mondiale : les Ruthénois Jean Digot et Denys-Paul Bouloc ou, par la suite, les éditeurs posthumes que furent Guy Chambelland et Jean Le Mauve.

On lira aussi avec une attention particulière les contributions d’une quinzaine d’auteurs choisis pour évoquer les multiples facettes d’IlarieVoronca. Exégètes dévoués et compétents, Petre Raileanu et Christophe Dauphin ont réuni leur parfaite connaissance de cette œuvre majeure pour proposer un livre qui fera date.  

Georges CATHALO (cf. Lecture flash 2019 in revue-texture.fr, janvier 2019).

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Critiques

"La joie comme la peine se mesurent en centigramme." (Benjamin Péret). Joie ? parce qu'un nouveau numéro de Supérieur Inconnu, le trentième, est paru. Peine ? parce que c'est le dernier et qu'il est consacré à son fondateur Sarane Alexandrian, disparu en 2009 emporté par une leucémie. La couverture est de Madeleine Novarina, épouse de l'écrivain, et vient clore une série commencée en octobre 1995. Le comité de rédaction de la revue a dans son ensemble participé à l'hommage rendu à Alexandrian. Nous trouvons des textes et des entretiens d'anciens compagnons: Alain Jouffroy, des lettres d'André Breton et de Malcolm de Chazal, des illustrations de Victor Brauner, Ljuba, Denis Bellon. Sous la plume de Christophe Dauphin, auteur chez l'Âge d'Homme d'un essai Sarane Alexandrian, le grand défi de l'imaginaire, on peut lire un très intéressant et émouvant portrait de ce dernier. Les documents publiés sont nombreux et la période d'après-guerre est riche en témoignages: exposition surréaliste en 1947 à la galerie Maeght, création de la revue Néon et de Cause... Le sommaire est parsemé de textes inédits de Sarane Alexandrian, écrivain, critique d'art et fondateur d'une des revues les plus fascinantes de ces dernières années: Supérieur Inconnu, qui a paru en trois séries, trente numéros au total de 1995 à 2011. Adieu Grand Cri-chant nous en sommes pas prêts de vous oublier, d'ailleurs: "c'est les jeunes qui se souviennent. Les vieux oublient tout." (Boris Vian).

Michel Jacubowski (in Cahiers Benjamin Péret n°1, septembre 2012)

 

« Supérieur Inconnu.., est le titre qu'André Breton avait choisi, en novembre 1947, pour nommer la publication qu'il envisageait de fonder... » Aujourd'hui, c'est le dernier numéro d'une revue « ouverte à la prose autant qu'à la poésie» et qui a mis « à l'honneur, dans chaque numéro, un écrivain qui est souvent injustement méconnu du public et de la critique »... Dernier numéro consacré à Sarane Alexandrian, mort le 11 septembre 2009. Sarane Alexandrian et Madeleine Novarina, poète et son épouse, « le couple héroïque faisant face à tout » selon Christophe Dauphin. Un dossier complet avec des textes de l'auteur, bien sûr, des analyses de sa création romanesque, des fac-similés des lettres, des photos, des reproductions de tableaux et de dessins, des hommages de ses proches, des souvenirs... Et tout cela donne une image vivante de ce familier des surréalistes. Un exemplaire à conserver !   

Alain Lacouchie,   (revue Friches, n° 109, janvier 2012).    

 

"Sarane Alexandrian nous a quittés le 11 septembre 2009 pour le Grand Réel. Spécialiste des avant-gardes et de la littérature érotique, biographe de Victor Brauner, cet homme exceptionnel, érudit incarnant l’élégance intellectuelle et spirituelle, fut aussi, c’est moins connu, un hermétiste de talent, ce qui apparût clairement à travers la revue Supérieur Inconnu qu’il dirigea brillamment. Deux ans après sa disparition, Supérieur Inconnu, désormais sous la direction de Christophe Dauphin, rassemble ses amis pour un numéro spécial, n°30, consacré à l’homme de l’art et à son œuvre multiple, inattendue, et absolument non-conformiste comme il savait si bien le revendiquer. Christophe Dauphin avertit le lecteur d’une ambiguïté toute française : « La France raffole des surréalistes quand ils sont morts ; mais quand ils étaient dans l’éclat de la jeunesse ou dans la force de l’âge, elle a tout fait pour les acculer à la misère. C’est d’ailleurs le lot de tout grand artiste révolté, de tout prophète de l’anticonformisme, de connaître une gloire tardive ; les conformistes lui préfèrent toujours le pantin remodelable après chaque rebut. Sarane Alexandrian n’a pas échappé, malheureusement, à ce principe ; du moins en France, car à l’étranger, au Liban, en Roumanie, en Angleterre, en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal, en Turquie, aux Etats-Unis, en Chine (où son Histoire de la littérature érotique a été traduite en 2003), ou à l’Île Maurice, notre ami jouit d’un prestige qui ne s’est jamais démenti. » Ce numéro spécial débute par une présentation des trois périodes de la revue, les 21 numéros de la première série, 1995-2001, les 4 numéros de la deuxième série, 2005-2006 et la troisième série, 2007-2011 qui propose 5 numéros. D’une grande exigence, Sarane Alexandrian a veillé à la haute tenue de sa revue qui demeure la plus belle publication d’avant-garde des vingt dernières années. Supérieur Inconnu a inscrit le message du surréalisme éternel dans la période si dangereuse et si passionnante du changement de millénaire, message que l’art du XXIème siècle devra s’approprier pour demeurer art. Ce numéro, qui mêle articles, poèmes, illustrations, témoignages, écrits de Sarane, illustre la puissance, la densité et la richesse de ce message non-conformiste, au plus près de la liberté de l’être. Et il y a ce couple, Madeleine Novarina et Sarane Alexandrian, un amour fou qui n’a cessé de nourrir la création de l’un comme de l’autre. Parmi les textes de Sarane Alexandrian rassemblés dans ce numéro, citons : Madeleine Novarina poète – La création romanesque – Autour de « Socrate m’a dit » – Considérations sur le monde occulte – Ontologie de la mort, ces deux derniers inédits. Sarane Alexandrian contribua grandement au renouvellement de l’alliance salutaire entre avant-garde et initiation, par ses écrits bien sûr, plus encore par sa médiation entre des mondes qui s’ignorent encore à tort. Parmi les très nombreux contributeurs à ce numéro qui, davantage qu’un hommage, constitue une démonstration de la permanence de Sarane Alexandrian, citons : Madeleine Novarina, Virgile Novarina, André Breton (Trois lettres à Sarane Alexandrian), Malcom de Chazal (Lettre à Sarane Alexandrian), Jean-Dominique Rey, Odile Cohen-Abbas, Paul Sanda, Marc Kober, Fabrice Pascaud, Jehan Van Langhenhoven, etc. Ce numéro exceptionnel est diffusé par Les Hommes sans Epaules, 8 rue Charles Moiroud, 95440 Ecouen, France.  

Remi Boyer   (Incohérism.owni.fr, 21 septembre 2011) 

 

    "Un numéro hommage de Supérieur Inconnu à son fondateur, Sarane Alexandrian (1927-2009). Un lien étroit avec les HSE : le directeur de publication en est aussi Christophe Dauphin, et les HSE en gèrent la publication. Les contributeurs sont nombreux, poètes, artistes, amis, qui apportent leur voix pour cet hommage quasi unanime (seule voix dissonante, celle d’Alain Jouffroy) qui tente d’aborder toutes les facettes de cet homme à l’élégance légendaire  qui sut ne pas faire de concession aux modes. On croisera ainsi entre autres Françoise Py, Lou Dubois, Olivier Salon, Virgile Novarina, César Birène, Marc Kober, Odile Cohen-Abbas, mais aussi, évoqués largement, par le document, lettre ou dessin, Madeleine Novarina, sa femme, les peintres Jean Hélion et Victor Brauner (dont une œuvre fait la couverture, comme pour le n°1), le poète mauricien (et toujours trop méconnu) Malcolm de Chazal, etc. Un numéro qui marque aussi la fin d’une aventure de 15 ans, puisque ce dernier numéro est aussi l’ultime d’une série de trente."   

Jacques FOURNIER   (levure littéraire.com, 2011).   

 

"C’est la première fois que je parle de cette revue et ce sera l’ultime puisqu’il s’agit d’un numéro spécial consacré à son fondateur : Sarane Alexandrian, décédé en 2009.  Ce dernier a longtemps été considéré comme le successeur désigné d’André Breton, c’est dire dans quelle mouvance, surréaliste, il s’est positionné toute sa vie. Le titre de la revue d’ailleurs, Supérieur inconnu, a été trouvé par André Breton lui-même en 1947, pour une revue qui n’a pas vu le jour alors. La publication a connu trois séries : la première de 1995 à 2001, avec 21 numéros, et un nombre impressionnant de poètes reconnus aujourd’hui ; la deuxième de 2005 à 2006 (4 n°), avec au comité de lecture des membres plus jeunes comme Marc Kober ou Christophe Dauphin qui rejoignent Alexandrian et les plus anciens, prenant comme axes principaux quatre vertus cardinales que sont le rêve, l’amour, la connaissance et la révolution. Cette série sera interrompue, faute de subvention du CNL, mais suivie par la troisième et finale (2005-2011) avec un comité de rédaction élargi : 5 numéros dont ce dernier. Sarane Alexandrian exerçait une véritable fascination sur tous ceux qui l’ont approché et qui témoignent dans cet ouvrage. Né en 1927 à Bagdad, son père était médecin du roi Fayçal 1er, il vient en France en 1934. Il rencontre le dadasophe Raoul Hausmann, ce qui va être déterminant dans son apprentissage intellectuel, puis André Breton, Victor Brauner et Madeleine Novarina, qui va devenir sa femme et à laquelle sont consacrés deux articles forts de la livraison. Théoricien  n° 2 du surréalisme, il rompt rapidement avec André Breton, dès 1948. Christophe Dauphin montre comment il écrit sous autohypnose, à la Robert Desnos, autour de l’onirisme, la magie sexuelle et la gnose moderne. Une idée intéressante, c’est qu’il a souhaité être un anti-père pour les jeunes qui l’admiraient, afin qu’ils le dépassent à leur tour. Ses conceptions romanesques sont très éclairantes, puisqu’il a voulu certainement être davantage reconnu comme écrivain de romans plutôt que poète. Beaucoup de contributions suivent à la gloire de ce grand personnage, dont le charisme et l’ouverture intellectuelle impressionnaient grandement ses interlocuteurs, à noter la fausse note signée Alain Jouffroy qui donne en contrepoint un éclairage inverse au concert de louanges ; également avant de renvoyer à la revue qui propose une quarantaine de témoignages (dont Jehan Van Langenhoven ou Michel Perdrial entre autres), le Sarane Alexandrian, critique d’art, lequel lui confère pour conclure sa véritable dimension. Un homme hors du commun, sans contestation possible. Un grand écrivain de la fin du surréalisme."  

Jacques MORIN   (Site internet de la revue Décharge, novembre 2011).  

 

Avec ce trentième numéro de Supérieur Inconnu s'achève l'aventure de cette revue fondée par Sarane Alexandrian en octobre 1995, aventure qui dura donc 16 ans et connut trois séries différentes. Ce dernier numéro consiste en un hommage à la figure tutélaire de Sarane Alexandrian, disparu le 11 septembre 2009. Nous y trouvons les signatures des acteurs majeurs ayant fait l'histoire de cette revue qui se revendiquait du non-conformisme intégral.  

C'est à César Birène que revient la tâche d'ouvrir ce numéro mémorial par un texte retraçant clairement les grandes étapes de Supérieur Inconnu. A l'origine imaginée par André Breton, la revue aurait dû voir le jour en 1947 chez Gallimard sur les conseils de Jean Paulhan. Une revue ayant l'ambition d'unir les conservateurs fidèles à l'esprit du Second manifeste, et les novateurs. Le nom même de la revue vient directement de Breton qui voyait dans le "Supérieur Inconnu" l'objectif idéal de la recherche poétique de l'avenir. Elever l'esprit vers les hauteurs et explorer l'inconnu. Un désaccord empêcha ce projet que Sarane Alexandrian, en héritier légitime du Surréalisme – il avait été le secrétaire général du mouvement – reprend et mène à son point d'épanouissement au moment charnière du passage au troisième millénaire. Une revue issue du Surréalisme mais désireuse d'accueillir dans ses pages les voix d'un avenir poétique émancipé du passé, et fervente admiratrice de figures peut-être injustement mal connues telles celles de Claude Tarnaud, Charles Duits, Stanislas Rodanski, Gilbert Lely, Jeanne Bucher par exemple.  César Birène retrace avec fidélité ces quelques quinze années d'engagement littéraire autour de Sarane Alexandrian. Il en synthétise l'esprit, les contenus, évoque les grands acteurs tels Alain Jouffroy et Jean-Dominique Rey, à la fondation de l'aventure avec Sarane. Puis rejoints par la jeune génération des Christophe Dauphin, Marc Kober, Alina Reyes. Je me permets d'ajouter Pablo Duran, Renaud Ego, Jong N'Woo, Malek Abbou, etc. Les transitions des séries 1 à 2 et 2 à 3 sont bien explicitées, ainsi que les raisons qui présidèrent chaque fois au changement de visage par ces nouvelles moutures de la revue. On notera avec étonnement au moins deux grands absents sous la plume de César Birène, deux absents de taille qui contribuèrent pourtant à l'envergure de la revue par le rôle qu'ils y tinrent au sein du comité de rédaction de la première série, en les personnes d'Alain Vuillot et de Matthieu Baumier…

La revue poursuit ensuite son hommage à Sarane avec les textes de Christophe Dauphin, les photos de Sarane et de sa femme Madeleine Novarina, les poèmes de Madeleine Novarina, les photos du bureau de Sarane où nous eûmes tous l'honneur, à un moment, d'être reçu pour une conversation d'une politesse exquise  sous le charme silencieux et magiques des œuvres de Victor Brauner. Des textes inédits de Sarane, comme illustrés par des reproductions de toiles de Ljuba, sont ici publiés, comme La création romanesque issue de ses Idées pour un Art de vivre, Art de vivre qui était la passion de sa vie tant il considérait que cet Art induit tous les plans de l'émancipation de l'humain. Nous y trouvons également trois lettres inédites adressées à Sarane, deux par André Breton, la troisième par Malcolm de Chazal, lettres qui témoignent de l'engagement intellectuel intégral qui était celui d'Alexandrian.  

Suit un entretien d'Alain Jouffroy par Jean-Dominique Rey autour de la figure de Sarane, entretien surprenant au sein d'un hommage tant Jouffroy n'use d'aucune langue de bois pour évoquer le souvenir de son ami Sarane. A juste titre d'ailleurs car Alexandrian, non-conformiste revendiqué, aurait eu en horreur les passages de pommade de circonstance. Jouffroy évoque un Alexandrian supportant mal la contradiction qu'on pouvait lui opposer et nombreux sont, parmi ceux qui le fréquentèrent, à avoir essuyé ses colères et sa susceptibilité... (..) Un homme généreux. Une figure tutélaire à qui l'on devait une manière d'allégeance à partir du moment où il nous avait accueilli dans son clan. Un écrivain ayant sa propre conception de la fidélité, souffrant avec difficulté qu'on lui oppose des vues différentes de ce en quoi il croyait. Mais généreux, je le répète, comme peu en sont capables. Aussi la version de Sarane par Alain Jouffroy a-t-elle lieu d'être tant elle rend fidèlement le caractère haut en couleur qui était le sien. D'ailleurs, s'ensuit la reproduction d'une réponse de Sarane à un message de Jouffroy laissé sur son répondeur téléphonique. Illustration significative des rapports qui furent ceux des surréalistes, faits de franchise, d'orgueil, de rodomontades, d'hystérie surjouée, de joutes oratoires, de ruptures, de réconciliations. Parmi les textes, passionnants, de ce numéro hommage, (nous ne les citerons pas tous), mentionnons celui de Paul Sanda consacré à l'ouvrage majeur d'Alexandrian, Histoire de la philosophie occulte, et aux prolongements de ce livre, d'abord dans le rapport qu'entretint Sanda avec Sarane, ensuite dans la vie de Sanda.

Remercions Christophe Dauphin, maître d'œuvre de cette ultime livraison, pour ses contributions à la réussite de ce beau numéro, tant lorsqu'il se consacre au couple Madeleine Novarina-Sarane Alexandrian que lorsqu'il dresse un portrait biographique de Sarane, situant son importance dans la deuxième génération surréaliste mais aussi dans le monde littéraire et intellectuel, lui dont l'œuvre fut traduite partout dans le monde sans que jamais l'intelligentsia officielle et médiatique ne lui rende le moindre hommage. Hommage encore à l'érudition époustouflante d'un homme hors-norme, qui n'avait cure de savoir pour savoir mais entendait savoir pour vivre plus et transmettre ses connaissances pour aider à vivre plus. Jean Binder, lui, choisit dans les multiples visages d'Alexandrian, l'écrivain d'art. Il rappelle que le premier livre de Sarane fut consacré au peintre Victor Brauner, Brauner l'illuminateur, dont on ne peut ici que conseiller la lecture tant ce livre est, à mes yeux, fondamental. Et poursuit en dressant l'itinéraire des écrits sur l'art de Sarane. Palpitant.   Gérald Messadié quant à lui tire son chapeau à l'impertinence, pour employer un euphémisme, de Sarane, lui qui, en 2000, publia un livre étrange intitulé Soixante sujets de romans au goût du jour et de la nuit, livre dans lequel Sarane propose aux romanciers en mal d'inspiration 60 sujets mirifiques pour surseoir à leur manque de talent et d'imagination. Un livre volontairement passé inaperçu tant le bras d'honneur d'Alexandrian aux plumitifs desséchés en tous genres relève, comme le souligne Messadié, du terrorisme.  

Il y  a aussi le très beau texte de Marc Kober, d'une justesse et d'une mesure admirables, brossant l'image de surface qu'offrit à beaucoup Sarane Alexandrian pour nous montrer un peu le vrai cœur de cet homme : "Pourtant, la vérité de Sarane est ailleurs, écrit Kober : moins dans l'homme de lettres qu'il voulut être que dans une volonté d'élargir le périmètre humain".  

Il y a enfin, et je m'arrêterai là, le beau poème que Matthieu Baumier offre ici à Sarane, intitulé "A l'étoile vive", assorti de cette émouvante dédicace Pour Sarane, par-delà. Ce trentième numéro rend ainsi un hommage mérité à un écrivain méconnu, dont l'œuvre théorique continuera d'irriguer les temps à venir tant elle se situe à la croisée de la Tradition dont notre société se targue de ne vouloir rien savoir, et de l'avenir qui l'aimante par un besoin vital de prendre sa respiration.  

Supérieur Inconnu, ce furent 30 volumes en quinze ans, mais aussi des lectures publiques dont chacun des membres garde en mémoire les éclats et les reliefs. (Conciergerie de Paris, Mairie du XIIème arrondissement de Paris, Bateau-lavoir). A titre personnel, sans Supérieur Inconnu, sans Sarane Alexandrian, je n'aurais sans doute pas rencontré la danseuse Muriel Jaër, petite-fille de la galeriste Jeanne Bucher avec qui, au sortir d'une lecture de poèmes, je devais me lier d'amitié.  

Je n'aurais pas non plus eu la grande chance de rencontrer Matthieu Baumier, dont l'amitié dans le Poème m'est absolument vitale. Pour ceci, Sarane, merci.   

Gwen Garnier-Duguy (in Recoursaupoeme.fr, août 2012).

*

"Dernier numéro de la revue consacré à Sarane Alexandrian, écrivain surréaliste. Son oeuvre est une aventure humaine et intellectuelle. Le non-conformisme caractérise le mieux l'oeuvre et la vie de Sarane Alexandrian."

Electre, Livres Hebdo, 2012.

 




Bloc-notes

Historien d’art et de la littérature érotique, essayiste et romancier, auteur d’une trentaine d’ouvrages, Sarane Alexandrian (1927-2009) s’est situé tantôt au cœur et tantôt en marge du mouvement surréaliste. A la demande d’André Breton, il dirigea après-guerre la revue Néon, et on lui doit l’Art surréaliste et Le Surréalisme et le rêve.  Il fut critique d’art à la revue L'œil et au journal Arts, et critique littéraire à l’Express.

Sarane Alexandrian s’est intéressé à la magie sexuelle, chez Crowley par exemple (en témoigne son essai sur La Magie sexuelle, La Musardine, 2000), mais aussi à la philosophie occulte, chez Agrippa par exemple, et, en dépit de certaines approximations, son Histoire de la philosophie occulte (Seghers, 1983) est des plus utiles. Après L’Impossible est un jeu (Edinter/Rafael de Surtis, 2011), voici son deuxième ouvrage posthume : Les leçons de la haute magie (Rafael de Surtis, 2012), qui rassemble des textes sur la vie, la mort et les croyances sous le regard de l’occultisme, par un surréaliste en quête de la réalité de l’homme, de l’invisible et du monde.Certains écrits sont inédits, d’autres ont été publiés, respectivement en 2008 et 2011, dans la revue d’avant-garde Supérieur Inconnu, qu’il a dirigée depuis 1995.

Alexandrian s’interroge et nous interroge ainsi sur l’âme et l’esprit, le monde occulte, le grand principe du Tout, la phénoménologie des superstitions populaires, l’ontologie de la mort. Que l’on partage ou que l’on ne partage pas toujours (ce qui est mon cas), les réponses qu’il apporte à la lumière de son expérience personnelle, ses textes témoignent de la pensée d’un intellectuel à la croisée du surréalisme et de l’occultisme, en quête du salut par le rêve et l’amour.

Enfin, une petite étude sur « Joséphin Péladan et le rêve de l’érotisme mystique » éclaire d’une jour nouveau l’œuvre de l’auteur des vingt-et-un romains de La Décadence latine, dans un domaine où d’aucuns, sans doute, ne seraient pas allés le chercher, mais où Sarane Alexandrian a su mettre en évidence certains traits caractéristiques d'une forme d'érotisme sacré chez le sâr de la Rose-Croix catholique.

Serge Caillet

("Bloc-notes d'un historien de l'occultisme" in sergecaillet.blogspot.fr)



Sur Incoherism

"Deuxième livre posthume de Sarane Alexandrian, Les Leçons de Haute Magie viennent éclairer un aspect singulier de la personnalité riche et surprenante du second penseur du Surréalisme après André Breton. La pensée et l’œuvre de Sarane Alexandrian explorent toutes les dimensions de la psyché, à travers l’art et la littérature bien sûr, notamment d’avant-garde, mais également à travers l’érotologie, l’hermétisme et la philosophie occulte. Le choix d’une alternative nomade aux impasses de tous les conformismes ne pouvait que conduire Sarane Alexandrian à l’étude de pensées et praxis autres, constantes cependant de l’expérience humaine. Les Leçons de Haute Magie font partie d’un ensemble, intitulées Idées pour un Art de Vivre dont elles forment le quatrième volet. Le premier volume, La Science de l’être traite des étapes de l’acheminement de l’être. Le deuxième, Le Spectre du langage, interroge la littérature, l’imaginaire et la poésie. Le troisième, Une et un font Tout aborde la question de la nature féminine, et des fantasmagories des rapports amoureux, question qui trouve son prolongement dans ce quatrième volume. Le cinquième, Court traité de métapolitique, s’intéresse aux travaux de Charles Fourier qui lui était cher, et pose les bases d’une politique transcendante. Le sixième, L’Art et le désir, est consacré à une esthétique ontologique et à une synthèse des arts. Comme le remarque Christophe Dauphin dans son introduction, cette œuvre se trouve à la croisée de multiples influences, André Breton, Charles Fourier, Aleister Crowley, Cornélius Agrippa notamment mais elle est aussi porteuse d’une profonde originalité. « Vérités nécessaires » ou « mensonges provoquant la rêverie », l’œuvre de Sarane Alexandrian veut éveiller au réel. Il distingue non sans pertinence, ésotérisme, hermétisme et occultisme, même si ces distinctions sont parfois difficiles à établir, afin de poser les jalons d’un enseignement qui vise une structure absolue, un principe dégagé des surimpositions culturelles et personnelles. Les Leçons traitent de l’âme et de l’esprit, du monde occulte, de la métaphysique, de la phénoménologie des superstitions populaires, d’une ontologie de la mort, du Rêve de l’Erotisme Mystique de Joséphin Péladan et, enfin, du Livre des Rêves de Luc Dietrich. Les Leçons, apparemment disparates, constituent bien un ensemble cohérent, non destiné à rassurer le lecteur, mais plutôt à le constituer comme un libre aventurier de l’esprit. On ne suivra pas Sarane Alexandrian sur son peu de considération pour Gurdjieff, son contre-sens, il est vrai courant, sur la quatrième voie, ou au contraire sa surestimation de Papus, certes excellent vulgarisateur et organisateur mais sans doute pas comme il l’avance « meilleur théoricien de l’occultisme qu’Eliphas Lévi ». On appréciera son analyse subtile de ce qui est en jeu dans la nécessité que connaît l’homme d’explorer, parfois avec maladresse, l’invisible, l’inconnu, l’indicible, le néant et la totalité. Le sens de la queste et son intransigeance ont pour corollaire une peur originelle qui pousse l’être humain à s’extraire des conditionnements, à s’affranchir des limites, à traverser, parfois sans ménagement, ce qui se présente, parfois au prix d’une vérité, parfois au prix d’un mensonge salutaire. Son analyse de la sexualité transcendante de Péladan est très juste, même si Sarane Alexandrian n’arrive pas à discerner clairement entre magie sexuelle, sexualité magique et alchimie interne. Il montre comment Péladan, à travers différents livres, présente les voies de couples et les différentes étapes de celles-ci. Celui qui a « glorifié l’érotisme sacré » ne pouvait que trouver en Sarane Alexandrian un lecteur non seulement attentif et passionné mais capable de le comprendre. L’érotologie de Sarane Alexandrian, le « sceptique intégral » ou le « gnostique moderne » que l’on lit aujourd’hui, n’est pas éloignée de celle de Péladan, « premier représentant de la mystique érotique dans la littérature moderne » qu’on ne lit plus, malheureusement. Les Leçons de Haute Magie introduisent à de nombreuses dimensions cachées de l’être. Elles témoignent également de la liberté de cet « homme remarquable », au sens le plus gurdjieffien qui soit, qui, en des temps hostiles, a osé traiter avec la distance nécessaire de sujets trop souvent tabous. "

Rémi Boyer (in incoherim.owni.fr, octobre 2012).




Lectures critiques :

Ce volume rassemble l’essentiel des poèmes d’André-Louis Aliamet publiés au cours de sa vie de poète dans une demi-douzaine de recueils.

Ce qui frappe à la lecture de ces poèmes, c’est d’abord l’idée. Chacun de ces poèmes véhicule une idée-force mise en beauté. Les textes d’André-Louis Aliamet se méditent dans le silence auquel souvent ils conduisent naturellement.

« Je me tiens à égale distance de l’égarement et de la clairvoyance. Serait-ce une langue, ces coups de boutoirs des syllabes ? L’écriture, sans date ni repère, ces mots sentis brusquement, s’étonnent de nous trouver si lents, si tardivement émus. Sous l’aile d’orages inaudibles, ton règne, crève-cœur public, devient désordre. Immédiatement au-dessous persiste la criée secrète du poème. »

L’intérêt d’un recueil qui reprend plus de vingt ans de production est la rencontre avec un chemin qui fait œuvre ou non. Syllabes de nuit est une œuvre et non un assemblage, elle enseigne et éveille sans insistance particulière, avec grâce.

« Proche de Dieu sans t’inquiéter des prêtres, tu demeures, passé toute crise, celle qui persiste à rire, sans que je sache, une fois quittée, si tes joies sont toutes fausses, comme ton sobre amour n’est qu’un masque – pour lors à danser sur l’eau, toi qui dessines, du bout d’une perche, les pourtours d’une averse – lors pour filtrer des pluies, tu t’apprêtes à danser, sans que je sache, dans l’air spongieux, si tes rires sont des voltiges. »

On devine à la lecture des poèmes une alliance secrète entre le poète et la langue. Il a percé le secret des sons et des rythmes de cette grammaire qui crée les mondes. Inutile de chercher les arcanes dans quelque grimoire caché alors que le poète révèle.

 

« sois ma femme de Saturne et je serai

ta peau , crottée comme un ange,

sois mon institutrice, car Dieu

nous veut pour flairer ses pièges,

avec mon masque de cendres et tes deux

seins aveugles, recrus d’espace,

Ô Sœur de midi ! »

 

Une œuvre, véritablement, à ne pas manquer.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 8 avril 2022).




Lectures

La Théorie de l’émerveil, un enthousiasme pour la vie, ses beautés et ses surprises !

Livres Hebdo, Electre, 2019.

*

"Si vous n’achetez qu’un ouvrage de poésie par an, choisissez celui-ci. Si vous ne savez pas quoi offrir à vos amis à l’esprit alerte,  n’hésitez-pas, le livre d’Adeline Baldacchino les aidera à la réconciliation avec eux-mêmes, le monde et les dieux à laquelle l’oracle de Delphes continue de nous inviter malgré les divertissements qui éloignent de soi-même.

Alors que nombre d’intellectuels tristes, oubliant la leçon de Spinoza, évoquent la nécessité de réenchanter le monde, évoquent seulement, Adeline Baldacchino le fait :

« La théorie de l’émerveil, annonce-t-elle, est une leçon d’émerveillement déverrouillé : elle exige, non pas seulement que l’émerveil rime avec « les merveilles », mais aussi que l’on entende l’invention derrière l’évidence. »

En effet, c’est par l’invention, plutôt que par l’imitation, qu’Adeline Baldacchino introduit une autre rime, émerveil  rime en effet avec éveil. Il s’agit de rester éveiller à ce qui est, par le simple, plutôt que par tout autre chemin : « Qu’il me suffise de dire que je crois moins désormais aux vertus de l’automatisme hermétique, plus à celles de la simplicité partageuse. »

En 1999, à dix-sept ans, Adeline Baldacchino  a publié un premier livre, Ce premier monde. Suivirent des plaquettes de  poèmes et proses poétiques, entre autres, mais il aura fallu attendre vingt ans pour la redécouvrir avec cet ensemble de textes qui est un parcours à la fois dans le temps et dans l’intime, voire l’interne.

Se référant au Manifeste du surréalisme, elle nous confie : « Quelque chose de l’ordre d’une spiritualité sans foi se dégage de ces paroles et m’accompagne depuis longtemps, jusqu’au cœur d’un combat que je crois indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique et littéraire.

Théorie de l’émerveil rassemble des textes de formes très diverses, micro-essais, commentaires, proses poétiques, poèmes, haïkus… L’ensemble est bien une théorie, mais une théorie arrachée à l’expérience, à la vie, une théorie qui est aussi un art de vivre, parfois de survivre, par l’amour, la lumière, la beauté, la joie… afin de flotter dans une axialité à réinventer d’instant en instant, quelque part entre l’horreur et le sublime,

Adeline Baldacchino déchire les voiles opaques, tantôt en les arrachant à pleine main, tantôt avec la délicatesse de l’esprit. Il ne s’agit finalement que de liberté mais de toute la liberté.

« J’ouvre au hasard une traduction d’Omar Khayyam, j’attends qu’il me parle de ses cruches de terre qui furent des gorges d’amoureuse, j’attends l’oracle, « Puisque la fin de ce monde est le néant / Suppose que tu n’existes pas, et sois libre ». »

L’ouvrage rappelle les écrits des vieux maîtres constitués de perles enfilées sur le fil fragile de l’être. C’est incertain, c’est serpentin, cela fait irruption dans la conscience, il s’agit d’ouvrir une brèche dans les couches successives des conditionnements toxiques mais, le lecteur attentif, pour peu qu’il soit encore vivant, saura y trouver au moins une méthode pour lui-même , si ce n’est une anti-méthode:

« Ne plus reculer. Avancer. Ne plus espérer. Faire. »

« jouir d’être

lancé vers le ciel impur

qui recommence

corps liquide

enfoncé dans le temps

vierge

où mûrit l’innocence. »

Adeline Baldacchino sait que le temps est le cadre ou le contexte de tous les affrontements, de toutes les déchirures. Elle ne cesse de questionner le temps pour le prendre à défaut et s’en affranchir.

« Le temps s’écarte

cuisses défaites

peuplades de nos corps »

« je m’esquinte l’âme

contre les esquilles du temps

je résiste à la tentation

de refaire

le monde avec des échardes

le bois coupé

ne survit qu’en braise

phénix de cendrars

plus tendu vers l’étrave

plus accordé à la mer

plus encordé au monde

violemment présent

dans l’apparition

de l’instant pur. »

Avec cet ensemble de textes dont l’unité naît du caractère disparate de l’apparaître, Adeline Baldacchino souligne l’évidence d’un ordre libertaire de la délivrance, une évidence parfois douloureuse.

« La théorie de l’émerveil, nous dit-elle, cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre. »

« La théorie de l’émerveil est assise sur une pratique de l’émerveillement dans laquelle rien de ce qu’elle promet ne trouve forme dans le réel qui cavale de l’autre côté de mots. »

 Reste l’essentiel : « On écrit des livres entiers pour comprendre ce qu’est une vie réussie, alors qu’il n’y a qu’une seule réponse, juste là sous nos yeux : aimer, être aimé. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 octobre 2019).

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Adeline Baldacchino, née en 1982, passionnée très jeune par la poésie contemporaine qu’elle découvre à travers Rimbaud, le surréalisme et l’Ecole de Rochefort, a fait entendre sa voix dans son livre sur la poésie de Michel Onfray et dans La Ferme des énarques où elle critique l’Ecole nationale d’administration qu’elle a intégrée en 2007. Théorie de l’émerveil a fini par naître quand elle a pris la résolution de « son intuition » en sélectionnant des textes pour la plupart inédits. L’ensemble s’étale sur treize années, de 2006 à 2019.

Ce terme d’« émerveil », récurrent dans son œuvre comme lui a signalé Alain Kewes, l’éditeur de ses deux derniers recueils, rappelle au lecteur le J’émerveille d’Apollinaire, mais c’est de Blaise Cendras qu’elle a pratiqué l’écriture et c’est lui qu’elle admire jusqu’à en écrire un ouvrage biographique. Elle y souligne qu’« il a voulu que la poésie soit dans la vie avant d’être dans ses livres. Il a fini par confondre les trois : la poésie, la vie et les livres ». Elle ajoute – et c’est essentiel pour la comprendre : « Il avait bien raison. Je ne sais pas faire autre chose ».

La poète donne dans sa préface, qui date d’avril 2019, les raisons premières de cet émerveillement : une graine semée par l’amour dont ses propres parents lui ont montré l’exemple ; et cette « spiritualité sans foi » qu’elle a découvert dans Le Manifeste du surréalisme. C’est là qu’elle signale la méthode nécessaire d’après elle pour approcher son Anthologie, « on pourra donc parcourir ce recueil à l’envers, en commençant par la fin, où figurent des ensembles auxquels je tiens particulièrement, les AtlantidesGrève contre la mort, ou la Théorie de l’émerveil… ».

Après un recueil de haïkus et des proses poétiques sur la faune, la flore et les éléments, Atlantides, un inédit, écrit entre 2015 et 2017, dès son incipit : « Je vais vers une île » du volet I, Une île dans l’Atlantique, et, dès les premiers poèmes nommés Jour 1, évoque un besoin de voyage sans doute intérieur qui est à la fois désir, attente et sentiment de manque. A la seconde page trois vers, comme un véritable impératif, annoncent le remède : « l’ordre de l’aube / contre l’ordre / du manque » ; des septains aux vers brefs – d’un seul mot parfois – semblent, grâce justement à leur concision, courir sur la page s’alliant à « la joie », au « goût du vin » et à « l’élan vertical de l’oiseau ».

La chute de Jour 2 exprime par contraste une lucidité obligée : « j’aime le monde / et ne fais qu’y passer », et le lexique, dans son champ, est de fait négatif : « scories, oubli, abandon, délitement, vide de certitudes (le corps) ». Un constat dont l’issue est heureuse puisque « les mots sont des perles ». Jour 5 voit ensuite la fusion entre le cosmos et la poète qui « marche sur les pieds / dans le ciel » et trouve ses marques en innovant dans la forme et le fond, toujours grâce à la lumière et, depuis l’aube, au jour :

J’atteins les fontaines

par où s’effondre la source

du soleil

j’incan

descence

bordée de nuit

je désonge.

Elle avance, dansant ou marchant sur le sol « rouge », hors du temps, mais la nuit et l’angoisse reviennent avec, pour compagnons, des mots rédempteurs nés « dans l’intensité foudroyante / du silence ».

Le volet II, Un cargo sur l’Atlantique, montre un regain de force malgré la présence de fantômes quand, dans la première partie, Partance, il s’agit de planer comme l’oiseau et d’épouser les mouvements des vagues. Cela avant de formuler dans Hypothèse la présence possible de l’impuissance et du silence. Puis, au milieu des machines et de la mer, le corps qui « s’impose » doit trouver sa place et affronter le temps quitte à manger du sable. Pour Devenir, selon le titre du groupe 6, phénix de Cendrars, il faut savoir se détourner du passé et retrouver le désir comme au « premier jour » même s’il l’on doit oublier les mots pour se mêler aux éléments. Ainsi les poèmes suivants se nomment-ils Aphasie.

La suite du recueil balancera entre deux états d’âme. L’ensemble 9 s’appelle en effet Embrasement, et dit :

le cœur s’étonne

pris entre le regret de ce qu’il quitte

et la soif de ce que l’on fut

L’absence de l’être aimé, évoquée une seule fois auparavant par « tes caresses », apparaît au volet III, le dernier de l’opus, mais seulement pour dire qu’il est quelque part présent au point de pouvoir lui parler. Et, si tout recommence, c’est « depuis que l’on aime », depuis ce jour où le poème a pris son sens : « le poème sera tout ton souvenir ». Comme « sous la mer / une Atlantide ». S’expliquerait alors le titre de cet inédit écrit l’année suivante, Grève contre la mort, promesse d’énergie optimiste. Son premier poème entérine le thème du phénix et donc l’opposition mort-vie qui introduisent une écriture de la tension et de la lutte. La ferveur induite produit là encore, dans La Lettre aux vivants, un certain lyrisme :

Chevauche et débride les vagues…

pour leur rendre la force

et la joie d’inonder

Puis, jusqu’à la fin du recueil interviennent des Notes-Poèmes, comportant au début des sortes de versets qui se rejettent à gauche de la ligne, s’alliant parfaitement au ton ample de la réflexion :

Note bien qu’il n’y a rien de mieux à faire que de regarder

la mer

Il s’agit de noter qu’il n’y a, pour le « spectateur », rien à changer aux évidences, aux regrets possibles et au destin et qu’on ne sait vraiment que l’amour. Ainsi existerait une fois de plus le désir et il se fait sentir au milieu d’images toujours innovantes comme « les épaules de la nuit » ou « les clairières félines ». Adeline Baldacchino peut donc se poser l’ultime question du poète qu’elle sait ici résoudre : « comment fait-on résonner le chant ». La suite se présente encore sous forme de litanies introduites par l’anaphore Note bien et établit un va-et-vient entre doutes et certitudes : « Note bien que tu peux en rire autant qu’en périr ». Mais l’œuvre accomplie, même si « les mots ne sont que d’autres manières de sangloter », reste porteuse d’espérance. C’est pourquoi la dernière partie éponyme du titre clame la liberté acquise par « les poètes (qui) ont tous les droits » jusque dans l’écrit où symboliquement on ne mettra pas de majuscule. L’essentiel étant, puisqu’il s’agit de souffrir et de mourir malgré « le sursis… pour aimer », d’avancer dans le vent vers la mer et de « tenter de vivre ». Ainsi cette grève, qui aurait pu être celle des mots sans pouvoir, est-elle bien, à la manière de tous les révoltés, un véritable manifeste, selon le mot sous forme de verbe employé par la poète elle-même.

Ce sont par des versets – on en connaît sinon le lyrisme du moins la musique – qu’Adeline Baldacchino a choisi, en cette année 2019, de conclure sa démarche en sept pages qui portent le titre de l’Anthologie même. Ce qu’elle veut être, en effet, dès le début, « une ode à la mémoire », est une tentative de survie dans l’attente de la joie car « La théorie de l’émerveil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre ». S’il y a une renaissance c’est par les mots qu’elle a lieu dans la lumière et la création d’une réalité qui est celle de l’amour puisque « il n’y a qu’une seule réponse, juste là sous nos yeux : aimer, être aimé ».

France Burghelle Rey (in la cause litteraire.fr, 30/10/2019).

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Ce qui est très surprenant dans un premier temps, c’est l’importance accordée aux chiffres dans la composition des différents recueils de poésie d’Adeline Baldacchino, rassemblés ici dans un gros volume couvrant la période allant de 2006 à 2019.

Illustration : Lucien Courtaud : Tauromachie fleurie (1959)


Séries numérotées, partie intitulée : « Treize tableaux diogéniques », cent haïkus (divisés en trois tronçons de 33 + 1), quatre treizaines (suivant le calendrier aztèque) dans une partie appelée : « Vers le cinquième soleil », journal numéroté et daté… Cette dimension semble un peu moins prégnante aujourd’hui, même si les deux recueils publiés chez Rhubarbe récemment « 13 poèmes composés le matin… » et « 33 poèmes composés dans le noir… » montrent bien chez elle l’importance fondatrice du nombre. Importance aussi de la structure cosmogonique, si l’on y ajoute la dimension géographique qu’on perçoit dans les titres comme « Poèmes de Martinique » ou « Poèmes de Prague » et les localisations finales des poèmes.

La seconde évolution, ou variation, que l’on peut constater, c’est l’auteure elle-même qui la pointe en préface : je crois moins désormais aux vertus de l’automatisme hermétique, plus à celles de la simplicité partageuse… Un exemple parmi d’autres d’images surréalistes qui émaillaient la période initiale : Il y a dans ma poitrine des hérissons roulés en boule qui s’éveillent aux premiers feux mouillés de l’aube… La période actuelle a en effet changé l’angle d’attaque de sa poésie là aussi, la fulgurance de la forme a laissé place à une signification plus aiguë : Et je ne demande rien de plus à la beauté que d’être l’envers de la peur. Même si les thématiques demeurent les mêmes, elles sont abordées cette fois de front, voire de l’intérieur, alors qu’elles l’étaient davantage emportées dans le mouvement lyrique des images et des mots. Le désir, l’amour, la jouissance, la mort… et un thème transversal : la mer, une partie entière lui est consacrée : « Atlantides » avec une traversée de l’Atlantique en cargo : je ne sais plus ce qui vibre en moi / de la machine ou de la mer / de la carcasse ou du squelette / du verre ou des os… Autre intérêt de ce recueil anthologique, on mesure la diversité de l’écriture entre la prose fluide des treizaines par exemple et la densité du haïku Comme la solitude est brune / et vieille l’horloge / des âmes en rut

Ce livre sur treize ans matérialise tout un parcours de poésie et de vie, Adeline Baldacchino n’écrivait-elle pas au tout début : je ne joue qu’en me gommant un peu je n’ai pas choisi le bon crayon… On constate que le tracé s’est affirmé avec le temps. Et cette phrase si positive, tirée de la dernière partie qui donne le titre à l’ensemble, à lire comme une profession de foi : La théorie de l’évermeil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre.

La postface de Christophe Dauphin est remarquable comme d’habitude. Il revient sur l’existence d’Adeline Baldacchino ainsi que sur son œuvre, poésie bien sûr et essais philosophiques et littéraires (Max-Pol Fouchet, l’ENA, Onfray, Cendrars, Yourcenar…).

Jacques MORIN (cf. "Les indispensables de Jacmo" in dechargelarevue.com, novembre 2019).

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Le monde et la littérature, la poésie et les mythes, les îles et les étoiles tournent dans la tête d’Adeline Baldacchino. Elle est entrée en poésie à 17 ans, en 1999, avec une première publication et, dès ses débuts, elle s’émerveille de tous les mouvements de la vie, de la combinaison infinie des formes et des langages. Elle réunit plusieurs ensembles dans Théorie de l’émerveil, recueil, au titre aussi surprenant qu’enchanteur. L’auteure confie s’être engagée « à tâtons dans la grande promesse des mots » et note avec humour que les plus anciens des textes rassemblés ici apportent « un éclairage archéologique » sur l’œuvre en devenir. Elle refuse ardemment l’indifférence et affirme d’emblée l’urgence de cette écriture qui revendique à l’instar des surréalistes, sans allégeance, « quelque chose de l’ordre d’une spiritualité sans foi […] jusqu’au cœur d’un combat […] indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique et littéraire. » Les séquences sont datées et classées chronologiquement, de La part de l’oubli (2006) à Théorie de l’émerveil (2019).

Dans La part de l’oubli s’ouvre un abîme de questions existentielles : « Nous courons après l’oméga sans pouvoir déchiffrer l’alpha ». Faute de percer les mystères de la vie, de l’amour, de l’outre-mort, l’auteure se « livre à la vie comme le naufragé finit par se livrer à la mer. » A la lumière des leçons de Vladimir Jankélévitch et d’Andrée Chédid, elle chemine parmi les « cristallisateurs d’évidences » et découvre que le corps qui « ploie sous le faix des mirages improbables […] est composé d’encre autant que de peaux. »

La séquence suivante confirme - au pluriel -, le lien étroit entre le corps, l’amour et l’écriture : Petites peaux de poèmes. Rêverie éveillée dans laquelle des fulgurances fusent ou se figent : « le songe est muet dans les interstices du gouffre. » Des lèvres se cherchent d’une rive à l’autre des océans de peur, les nuits des villes s’illuminent d’apocalypses énigmatiques, de : « flambées d’étoiles dans les rues qui sombrent… »

De quelle promesse s’éveillent les sens : « serment de salives épanchées dans la nuit » ? Portraits du pays d’amour est une invite directe au lecteur, à partager cette « aspiration vitale […] ce désir haut perché, cette increvable envie de tenter le diable – pour vivre avec les autres. » Conseil ou principe fondateur de toute existence sensible : « je voudrais […] que tu fasses honneur à l’enfant que tu abrites… » Et l’auteure, de revenir sur « ce chaos généalogique » dont se détachent deux visages, « grâce auxquels je m’accroche au monde comme bernard l’hermite à sa coquille : mes deux grand-mères. Rachel et Paule. » (L’une née en Algérie, l’autre en Iran).

Ajoutons une branche à l’arbre généalogique : son père est Maltais. La coquille métaphorique du fragile crustacé est largement ouverte ! Autre image d’un symbolisme limpide, détachée de treize tableaux-autoportraits : « longtemps boire de l’eau devenir sa propre fontaine ».

C’est à travers la cosmogonie aztèque, de la fin de l’ère de Tezcatlipoca, qu’Adeline Baldacchino renaît à elle-même dans une suite de quatre treizaines, « pour explorer les ressorts du désir » : « je venais de mourir à l’enfance, et je devais patienter pour revivre - ». Sous le signe du crocodile, elle revendique sa singularité émancipatrice : « Je veux écrire ma Chute mon Camus ma fable à moi, je veux retrouver l’intuition la parole à vif ancrée dans le corps qui la pensait à ma place. J’avais 17 ans, je n’avais pas fait l’amour […] je savais seulement que ce serait ça la vie, des mots puis de la chair… » Après n’avoir tiré de l’inconnu, en quête « de sens » ou « de mélodie », qu’un « chant de peine muselée », elle refuse d’aller plus avant, « comme une étranglée précoce », dans l’indifférence du monde.

Très éprouvée par des deuils intimes, elle marche « à contre-mort », thème récurrent d’une révolte définitive, mais elle ne se prive pas, à l’instar d’un Desnos, de jouer avec les mots et les personnages de ses premières lectures : « je peux dire ce soir ô oui lupin je m’arsène, et boire de l’arsenic avec le comte de Monte-Cristo dans les cahiers où je rangeais des vengeances secrètes… » Les pages (é)lues coulent « dans [sa] gorge comme serties dans [sa] propre chair ». Elle-même dit avoir « des poèmes plein la gorge » : « tu tournes autour de toi-même / derviche animale ». Dans Atlantides, elle garde trace de son passage, dans le monde, « juste un pont », et veut voir des choses qui la font frémir… Elle joue de néologismes et de mots-valises : son angoisse est « une vieille amie désastrée » ; elle se « désobture », « s’évase ». En temps de désillusions, refaire le monde est devenu hors jeu : « le bois coupé / ne survit qu’en braise… »

Lectrice passionnée de Cendrars, elle s’identifie à lui -au nom commun- : « phénix de cendrars / plus tendu vers l’étrave / plus accordé à la mer / plus encordé au monde / violemment présent / dans l’apparition / de l’instant pur. » Dans la Lettre aux vivants, le souffle lyrique s’exaspère : « la rage se monte à cru ». L’ardeur se fait violente, « dans un grand abattoir virtuel » : « si tu cries c’est pour creuser / […] la mine sans fond / du silence couché… »

Dans Re-Génèse (2016), Adeline Baldacchino, célèbre la puissance d’Eros contre Thanatos, dans sa parole à la fois incandescente et crue : « ce serait comme / le ventre offert et la fente abrupte / par où s’écoule un peu de salive / ou de sève diffuse // Ce serait comme / les doigts qu’on y glisse / les sexes qui s’habitent / et les cris qu’on y forge // (à en faire fuir / même la mort). » La parenthèse ici, fait fi de la noirceur érotique d’un Georges Bataille et renvoie la « petite mort » aux fantasmes obscurs !

L’auteure dédie Grève contre-la-mort à Joseph Andras, levant le voile d’oubli sur « les assassins bienveillants » de Fernand Iveton et autres frères blessés des « temps maudits ». La révolte contre la banalisation de la mort s’étend à tout le champ sémantique des soins palliatifs, de l’acharnement thérapeutique, etc. : « on vous branche / on vous débranche / […] on trafique / des organes / […] métronomes de l’espoir / qui cliquent et qui claquent… » L’écriture elle-même est le thème central, sensuel, de l’ouvrage. D’écrire, comme naviguer à vue « dans l’éclatante ascèse / des solitudes. » Ecrire et aimer ne font plus qu’un : « sourdre de toi-même » : « aimer serait cela : / ce petit frisson de pulpe / au creux de l’âme… »

Enfin, Théorie de l’émerveil (2019) est un traité d’amour du monde réel -onirisme inclus-. L’auteure cristallise son souffle lyrique en aphorismes énigmatiques ou lumineux. Certains donnent des ailes. D’autres appellent le large : « Si tu as suffisamment de mer au fond de l’âme, elle pourra flotter. » L’allégorie élève à ciel ouvert : « Ainsi les livres ne sont-ils que des échelles de Jacob dressées vers le ciel, par où circulent les anges qui montent et qui redescendent […] On se fait la courte-échelle pour se jucher sur le dos des dieux. »

Christophe Dauphin, éditeur et postfacier de Théorie de l’émerveil, « livre le plus ambitieux d’Adeline Baldacchino en poésie », caractérise avec justesse cette écriture frémissante, -en immersion dans les cultures et littératures de multiples ailleurs- : « Un désir palpite. Ses nerfs sont à vif. Le brasier saigne entre les lignes. […] Treize années d’écriture, mais avant tout du Vivre dans les veines du monde… »

Michel MÉNACHÉ (in revue Europe, 2019).

 

 

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Dès la couverture, on s’arrête, intrigué : l’« émerveil » qu’on aurait juré être élan impromptu de l’âme ou du cœur, peut-il être théorisé ? Connaissant la capacité analytique et conceptuelle de l’auteure, et considérant l’épaisseur du volume, on s’attend durant trois secondes à un essai d’esthétique. A la quatrième, nous reviennent son goût joyeux de l’oxymore et son espièglerie : « la sagesse est faire de rires. »

Le volume s’ouvre tout seul, révélant une anthologie poétique personnelle qui rassemble des textes, inédits ou pas, proses ou vers, écrits durant les treize dernières années. La théorie doit peut-être s’entendre au sens de suite, comme on parle d’une théorie de hérissons entreprenant la traversée d’un parc ?

L’une des parties du livre est d’ailleurs consacrée aux « micro-jubilations » ces éblouissements secrets, autre nom de l’émerveil. Voire. En tout cas, treize années d’écriture chez une auteure dans la trentaine, la famille poétique trottineuse est quasi au complet. Et le voyage lui est assurément consubstantiel : « Regarde – les taupinières de l’aube – (par où l’on sort – du terrier – quand on a bien creusé – les galeries de l’intérieur – et – que l’on veut – enfin – jouir dans le monde) ». le monde, ce sera le Mexique, l’Iran, la Méditerranée, la Martinique, Prague et cent autres lieux dûment nommés ; des trains, des avions, des cargos pris dans le compagnonnage de Cendrars : « je regarde par le hublot – les nuages en troupeaux… - (la mer à l’envers)… - j’aime le monde – et ne fais qu’y passer. »

L’émerveil, donc, est cet élan qui pousse à aimer, êtres et paysages, le feu des soleils et le sel des océans, tous les livres de l’humanité et les mots qu’on leur ajoute. Eperdument. Il engage tout le corps et toute l’âme. L’émerveil est un émerveillement… qui ne ment pas. Et il en faut, de la persévérance, de l’opiniâtreté dans l’amour, car les treize années d’écriture qu’on lit dans l’ordre chronologique témoignent aussi d’épreuves, de douleurs terrifiantes.

La volonté d’aimer souvent s’est dressée contre la mort dont on sait qu’elle gagne toujours. Il faut alors renaître de ses cendres, retrouver l’étincelle. « La théorie de l’émerveil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre » et « je ne demande rien de plus à la beauté que d’être l’envers de la peur ». La poésie d’Adeline Baldacchino, tour à tour lyrique, exaltée, joueuse, colère, est aussi autobiographique car l’écriture n’est pas en dehors de la vie, pas à côté, pas une échappatoire ou un refuge : elle est la vie même.

Ca à l’air banal, évident, mais c’est en réalité très difficile et l’on voit l’auteure en permanence devoir résister au chant de sirènes des mots qui pourraient bien prendre toute la place et, simplement, consoler de la vie : « si j’apprenais à vivre – avant que de raconter – pendant que les mots s’agglutinent – à la mort intérieure – si je revenais à la vie – pour y réapprendre – le prodige d’aimer «  - « puis je me tais – les couleurs prennent – le pouvoir que – je leur cède que – je n’ai jamais eu que – la parole n’a pas – le pouvoir d’être (et non de dire) ».

Il faut de la patience, de la lucidité et aussi un peu de chance parfois ; et l’auteure de faire l’éloge de la sérendipité, de l’art de trouver ce qu’on ne cherchait pas, cet émerveil inversé, qui nous est donné par le monde, sa beauté, cette expérience de la mer Caraïbe où « les traces doucement du souvenir – se détachent de la peau salée… (où) essorée par la houle – il est temps peut-être – de laisser partir les fantômes ». Et de savoir accueillir l’amour après l’avoir tant offert.

Alain KEWES (in revue Décharge n°184, décembre 2019).

 

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C’est une somme poétique, que ce gros livre autant enthousiaste qu’enthousiasmant. L’émerveil n’est pas qu’une théorie de l’émerveillement, c’est une manière de vivre et de vibrer.

Cet ensemble poétique est un bouquet lumineux, uen souirce étincellante. Adeliane Baldacchino nous dit sa ferveur pour la vie, même dans se sheures les plus seombres. Pour l’auteur, les poèmes ont une epau, sensible ou douloureuse, mais toujours féconde comme son œuvre multiple et passionnée. « J’ai des poèmes plein la gorge », dit-elle, elle n’a aps fini de les chanter.

Maurice CURY (in revue Les Cahiers du Sens, 2019).

 

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Si l’on veut bien comprendre et apprécier le parcours d’Adeline Baldacchino, on lira en premier la parenthèse, préface et postface, de Christophe Dauphin.

Il était temps que le « météore Baldacchino » se pose un peu, fasse le point et se recentre sur « une simplicité partageuse ». C’est chose faite avec ce livre et grâce à la « passion de passeur » du préfacier.

Après avoir parcouru tous les continents et publié des dizaines d’ouvrages divers (essais, poèmes, pamphlets,…), cette auteure donne à lire une douzaine d’ensembles structurés de textes poétiques d’un lyrisme sans faille. Étonnante alchimie entre jeunesse et maturité pour cette forte personnalité qui écrit : « Je sais qu’il n’est pas de secret qui tienne pour faire une œuvre, sinon la faire. »

Georges CATHALO (cf. « Itinéraires non balisés » in www.terreaciel.net, janvier 2020).

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Je lis je relis la « somme » poétique d’Adeline Baldacchino, récemment publiée aux éditions Les Hommes sans Épaules. Théorie de l’émerveil. Un titre qui a le pouvoir de m’aimanter entre deux pôles qui en moi lectrice s’attirent et se repoussent. Théorie|émerveil. Vais-je devoir caboter entre l’écueil de l’un et le diamant de l’autre ? « Théorie » me fait peur. Jusqu’au frisson, presque. « Émerveil » m’emplit de promesses. Jusqu’au désir. Pour me rassurer, je pourrais me reporter à la préface dans laquelle la poète se confie afin d’éclairer son propos. Mais libre je suis et pour l’heure je préfère naviguer à vue d’une section à l’autre de l’ouvrage. Lequel rassemble treize années de poiein poétique, de 2006 à 2019. Chacune des quatorze sections qui composent l’ensemble du recueil mériterait à elle seule une étude ou analyse. Je me contenterai de lancer quelques fils d’accroche qui pourraient s’agencer autour de mots pris au hasard : mer miroir margelle mémoire masque mo(r)t amour ; ou désir sidération ardeur plaisir joie ; ou encore solitude tarissement effroi oubli… Car tout, dans l’écriture d’Adeline Baldacchino, semble s’enrouler autour de deux pôles antinomiques. Désarroi (vertigineux) et jubilation (intense) :

« J’écris ce soir pour ne pas mourir, pour ne pas en avoir envie, pour la jubilation, pour tous ces mots qui débordent au-dedans de la chair et je ne sais qu’en faire » (« Vers le cinquième soleil », « 2-Vent » in « Première treizaine », 2014).

Une opposition qui s’abolit dans le couple « aimer, être aimé » (in « Théorie de l’émerveil », mars 2019).

Dans « émerveil », j’entends la « mer ». Et c’est à la mer que je m’associe et que je m’arrime d’une section à l’autre. La mer, en effet, quel que soit le moment de l’écriture – quels que soient le mouvement et l’ondulation que celle-ci peut prendre – est omniprésente. Elle est l’élément primordial qui nourrit la ferveur. Une ferveur vitale traverse en effet l’œuvre polymorphe d’Adeline Baldacchino, pourtant parfois saisie d’angoisse, d’asthénie ou de chagrin. Mais toujours, comme la vague qui sans cesse ramène le galet à son point d’origine, la poète rebondit, renaissant des cendres qui la consument pour se laisser couler sur quelque p(l)age de bonheur. Soleil immensités marines amour et vent.

Ce qui se dit – et se vit – dans ces différentes compositions, alternance de proses et de poèmes, de réflexions sur la vie/la mort, c’est, par-delà les voyages accomplis, la traversée poétique. Qui est constante recherche et cheminement en écriture. Toute la vie d’Adeline Baldacchino semble concentrée dans ce vaste recueil. Une somme d’écriture reliée à un condensé de vie.

« J’ai pourtant promis qu’il ne serait pas question de moi dans ces lignes », confie la poète dans les premières pages de « Portraits du pays d’amour » (2007). Tout en prolongeant et en nuançant son propos, le complétant par ces mots : « Ou plutôt qu’il y serait question de ce qu’il y a de plus ouvert – de plus écartelé, de plus fragile et de plus oublieux, de plus tenace et de plus ardent en moi comme en tout être vivant : d’amour. »

Et c’est aussi parce que la poète « aime son lecteur », qu’elle aspire à sa présence silencieuse, qu’elle l’imagine suivant ses pérégrinations et ses personnages, qu’à mon tour, étonnée, curieuse et fascinée, je me laisse happer dans son sillage. Ce n’est pas sans risque. Car que puis-je d’autre que gloser sur ce que la poète déroule de pensées, d’images, d’étincelles de talent ?

Aussi ai-je renoncé à proposer ici une lecture fouillée de l’ouvrage que j’ai entre les mains. Et que j’étoile de coups de crayons, de griffonnages et de cryptogrammes, espérant retrouver au fil des pages mon propre fil de pensée.

Alors cet « émerveil » ?

Point d’« émerveil » sans émotion. Grande ou petite, l’émotion est clé de voûte de l’entreprise de la poète. L’émotion a quelque chose à voir avec la mémoire, car « toute vie s’avance vers sa mort, et tout deuil vers l’infini » (in « Théorie de l’émerveil », 2019). Émerveil ! La première occurrence de ce néologisme magique, je la trouve dans la Série 1 des « Petites peaux de poèmes » (2006) :

« Le travail nous fatiguait refaire est sombre c’est mûrir dans l’odeur du vent qui nous intéresse et la voile qu’on saigne à blanc nous rassure. les grandes émotions le poids de l’émerveil. »

Et, plus avant dans le livre, dans la « Quatrième treizaine », 6 – Serpent (in «  Vers le cinquième soleil ») :

« Dehors, le ciel est limpide, l’émerveil guette dans les petites choses – les premières feuilles mortes sur un trottoir, la couleur d’une rivière, l’oiseau volage. Mais à qui en parlerons-nous ? ».

Ou encore dans un poème de « D’écrire » (2017-2018) :

52

« je sais des gestations
secrètes
émerveilleuses

des miracles indécents
des lunes calfeutrées
dans les ventres

et des bêtes qu’on apprivoise
et c’est encore nous
mêmes ».

La quête d’« émerveil » d’Adeline Baldacchino est quête rimbaldienne. Ce qui la guide, la poursuit et l’exalte, c’est le désir insatiable d’« éclat d’éternité. »

Ainsi écrit-elle dans « La part de l’oubli » (2006) :

« Je sus qu’il avait été vécu ; Quoi ? L’éclat d’éternité, le point de jonction : cet instant de déshérence heureuse où la conscience enfin s’abandonne pour participer pleinement au monde… ».

Allié des « grandes émotions », l’« émerveil », parce qu’il est point de jonction de la mémoire et du désir, est aussi « point de plus grande fragilité, de plus grande beauté. »

D’autant plus fragile qu’il est soumis à l’épreuve du temps, le « Magicien définitif. »

Chez Adeline Baldacchino, l’émotion est donc une condition première d’écriture et de vie. Lié avec intensité à un lyrisme pleinement revendiqué et assumé, le « je » rebelle de la poète ne renonce ni à explorer l’intime ni à le dire :

« Je mets beaucoup de force en mon désespoir comme en mon appétit. Je me veux perpétuellement du côté de l’émerveil, de la splendeur, (la part de l’oubli, l’envers et son double), je les pressens, je les,
d’instinct, je les invente, et cela ne suffit jamais, comme si
cela ne suffisait jamais », écrit la poète dans « Quatrième treizaine », « 3 – Vent ».

Ou encore, dans « La Part de l’oubli » (2006), cet autre aveu :

« Et je cherche l’écume et je fais des phrases qui prolongent un peu du désarroi de l’intime et qui ne parlent pas du monde. »

Insatiable poète, dévorante poète, qui jamais ne se satisfait de demi-mesures ni de compromissions. Reniant les « machineries » et les « mécaniques » sociales, la rebelle choisit la révolte, le combat contre les faux-semblants. C’est que, chez Adeline Baldacchino, le combat qui la porte autant qu’elle le porte est « indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique que littéraire. »

Le recueil que j’ai entre les mains est un kaléidoscope coloré mouvant/émouvant de ce qu’est la poète. Mises bout à bout, les tesselles poétiques recomposent la figure absente par-delà le miroir que la poète tend d’elle-même. Mais cet assemblage n’est pas né en un jour ni ex abrupto. La poète elle-même n’évoque-t-elle pas le temps que cet assemblage lui a demandé, elle qui se dit impatiente à agir, à aller de l’avant, à courir après le mouvement de flux et de reflux du temps ? L’érudition de la poète est vaste. Son champ d’exploration l’est tout autant. Philosophes de tous âges et de tous horizons, poètes persans du XIe siècle, grandes voix poétiques du monde et poètes français contemporains jouent un rôle fondamental, tant dans le cheminement personnel de la poète que dans son travail d’écriture. Ainsi de Max-Pol Fouchet, le maître en poésie. Le maître de toujours. Mais à considérer les citations qui ouvrent et accompagnent chaque section du recueil, le lecteur entrevoit un panorama aussi vaste que les mers et océans traversés par la poète. Ces citations sont autant de morceaux pertinents qui s’ajoutent à la mosaïque Adeline-Baldacchino. Elles sont toutes aussi connues que très belles, mais n’en sont pas moins lumineuses. Chacune d’elles éclaire d’un faisceau clair les aspirations et la personnalité de la poète. En voici quelques exemples qui sont autant d’amers où reposer le regard :

« Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage […]
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage. »
Pierre de Marbeuf

« Je cherche deux notes qui s’aiment. » Mozart

« C’est un passage qui fait semblant de passer et qui ne va nulle part. » Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé

« Il faut être seul pour être grand. Mais il faut déjà être grand pour être seul. » René Guy Cadou

Si les nombreuses pérégrinations qui la traversent nourrissent substantiellement la poésie d’Adeline Baldacchino – « Vers le cinquième soleil » (2014), « Atlantides » (2015-2017), « Poèmes de Martinique » (2017), « Poèmes de Prague » (2018), le goût de l’exploration poétique alimente tout autant l’écriture de la poète. Le champ exploratoire est vaste qui va de la prose narrative – « Vers le cinquième soleil » – au haïku – « Petite épopée » (2015-2016) – en passant par le septain (« Treize tableaux diogéniques », 2014), « Atlantides », jusqu’à la forme très élaborée des trois onzains de « La chair et l’ombre » (2017)… C’est que l’exigence de la poète répond à son désir profond de rejoindre le propos de Borges, cité dans « Portraits du pays d’amour » :

« Les poètes ne semblent plus avoir conscience que dans le passé la narration d’une histoire était l’une de leurs tâches essentielles et que l’on ne considérait pas comme deux réalités distinctes la narration de l’histoire et la création du poème. […] Je crois qu’un jour le poète sera de nouveau le créateur, le faiseur au sens antique. J’entends qu’il sera celui qui dit une histoire et qui la chante. Et nous ne verrons pas là deux activités différentes, pas plus que nous ne les distinguons chez Virgile ou Homère. »

Et Adeline Baldacchino de conclure : « Écoutez : je raconte ».

Quant à moi, je poursuis ma lecture éveillée et patiente d’une section à l’autre du recueil. En prolongeant mes escales « Vers le cinquième soleil ». Section dense et complexe où va ma préférence. Où l’écriture, parfois, est portée par une voix exaltée :

…« je deviens cette forme écrivante qui se libère de son propre néant, pendant ce très court laps d’infinitude
logé dans le mouvement même du doigt contre un clavier sans destin. » (« 12. Silex »).


Angèle PAOLI (in terresdefemmes.blogs.com, n°182, janvier 2020).

*

« Le sujet de la Nature est le grand sujet, c’est normal, nous en faisons partie. Adeline Baldacchino l’aborde en précisant que l’homme est mortel ne serait-ce que face à l’éternité des vagues. Elle précise qu’on ne connaît rien de ces choses-là mais que l’on peut se sentir aspiré par elles.

La raison raisonnante reste imperturbable face à toute cette machinerie : de sensations fugitives, d’effleurements tremblés, d’entrebâillements feints. La mer est l’objet de sa fascination, elle écrit : je me livre à la vie comme le naufragé finit par se livrer à la mer. Je rapproche cela de l’observation qu’elle fait sur la parole de l’être humain : Sa parole tente de retrouver l’origine du vide, quand elle savait encore inventer des personnages pour peupler ses pages et leurs lupanars. Pourtant, trop assagie, tous masques délacés, flottant sur une rivière invisible qui la manipule sans égards, elle ne regarde que la mer qui la prendra dans ses bras quand elle n’aura plus de rides.

Ce vide est-ce l’absence tant évoquée par certains de nos contemporains qui nient l’existence du monde perçu en dehors de notre perception et dont nous ne connaissons que ses reflets. (Le mythe de la caverne). D’où la tentation de succomber à ce mouvement fusionnel avec l’univers. Quelqu’un a déjà écrit là-dessus, Nietzsche, qui appelle cela le dionysiaque à l’opposé de l’apollinien. L’auteure le cite à la page suivante. Elle écrit qu’elle marchait sur le même chemin que lui à Eze, près de Nice : … la mer, revers du miroir et des secrets…

Le livre ne fait que commencer. Différents extraits de son œuvre, dont 13 tableaux diogéniques, qui reflètent ce qui précède, mais qui vont plus loin encore, en rendant aux animaux, aux insectes, cette faculté de jouir de la vie ; ainsi cette souris : qui frémit de délices – ne plus désirer – juste obtenir – d’exister encore. Après une citation de Bachelard sur la flamme, elle écrit ceci, qui pourrait être la plus belle des conclusions : Elle n’a plus peur de l’obscur – attrape une lanterne, allume la mèche – elle cherche la Femme comme on cherchait l’Homme – il n’y a pas d’essence des choses – il fait feu dans son âme – elle se consume elle-même – elle serait flamme, elle s’élève dans la nuit, vacillante.

Dans sa postface, Christophe Dauphin écrit que ce livre est celui de la poésie vécue. J’y souscris totalement ! A lire absolument. "

Alain WEXLER (in revue Verso n°180, mars 2020).

 




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