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Lectures critiques :

LES HOMMES SANS EPAULES N°53 : REVUE DU MOIS, MARS 2022

La revue de Christophe Dauphin offre chaque semestre un volume copieux à la tranche épaisse, capable de relier 356 pages, et pas une de moins ! L’axe choisi cette fois tient chaud au cœur de son animateur : autour de la Normandie. Il a déjà écrit deux énormes tomes autour de la question et y revient dans cette livraison avec plaisir.

Son éditorial retrace historiquement la poésie de la normandité, depuis 911 très exactement. Depuis La chanson de Rolland, Tristan et Iseut jusqu’à aujourd’hui, le concept de normandité repose avant tout autour du paradoxe rationalité/sensibilité.

La revue va, dans ce numéro en particulier, grouper notice biographique très fouillée, suivie de la bibliographie exhaustive et extraits d’œuvre. Jacques Prevel d’abord, dont on apprend que ses trois principaux recueils de poèmes ont été publiés à compte d’auteur, avant sa rencontre exceptionnelle avec Artaud qui dura cinq ans, avant qu’il ne meure de tuberculose à l’âge de trente-six ans. Enfant je me suis étonné / De me retrouver en moi-même / D’être quelqu’un parmi les autres / Et de n’être que moi pourtant…

C’est à l’âge de vingt-neuf ans que Jean-Pierre Duprey met fin à sa vie. Il a fréquenté le groupe surréaliste. Que cherchent les regards du ciel au fond du lac / Où dorment des momies ? / Légères se balançant sur le sable bleu / Leurs membres sont des sacs…

On retrouve ensuite l’immense Henri Michaux avec des poèmes écrits à Honfleur. Puis Jean et Melvin McNair, installés à Caen en 1986. Marie-Christine Brière : Je chauffe le poème au soleil des malades // Je pense à eux dans l’air glacé de Pâques / J’offre de ces pommiers la fractale… Marie Murski : On peut fermer la grille / mettre la clé sous son sein / évider les clavicules à bretelles / sans retenir le monde qui s’écroule... André Malartre avec la revue , qui connut deux séries (21 n° de 1951 à 57, puis de 1964 à 69) : un grès ne prend pas peur / il nielle les ongles qui le griffent // […] seule la colère tue la pierre / et son venin conduit le deuil…

Retour au XVIIème siècle avec l’apologie de Claude Le Petit, brulé vif en septembre 1662 pour avoir écrit un libelle libertin et impie. Christophe Dauphin le qualifie aussi bien d’ordurier que raffiné. Puis le dossier : « Pour une falaise du cri ». Avec présentation de la normandité par Léopold Sédar Senghor qui met de son côté l’accent sur l’apport nordique, il cite Flaubert : partir du réalisme pour aller jusqu’à la beauté. Suit toute une galerie de poètes normands : Albert Glatigny mort à trente-trois ans , admiré par Rimbaud et Verlaine ; Paul-Napoléon Roinard, le plus libertaire ; Rémy de Gourmont, mort horriblement d’un lupus ; Gustave Le Rouge et Le Mystérieux Docteur Cornélius (1911) ; Lucie Delarue-Mardrus, phare du Romantisme féminin ; Fernand Fleuret, ami de Guillaume Apollinaire ; Joseph Quesnel et le Pou Qui Grimpe ; Georges Limbour, compagnon de route des surréalistes jusqu’en 1930 ; Jean Follain, mort renversé par une voiture en 1971. Les poèmes de Jean Follain tutoient l’existence dans ce qu’elle paraît avoir de plus infime et de plus singulier mais en définitive de plus vrai… (extrait de la présentation) les grillons des blasons / s’envoleront en cendres… ; Raymond Queneau ; Max-Pol Fouchet entre Saint-Vaast-la-Hougue et Vézelay. La revue Fontaine : 1939-47 et 63 n°. Mort à Avallon en 1980. Michel Héroult au Puits de l’ermite avec Chatard, Lesieur et Momeux puis La Nouvelle Tour de Feu : Mes vaisseaux n’en sont pas détruits pour autant / ils dérivent dans la mémoire d’un oiseau fidèle / emportant mon langage qui me sert de couteau. Michel Besnier : la mer durera / plus longtemps / que les ravaudeurs d’arbres ; Christian Dorrière et le Pavé ; Jean-Claude Touzeil et son humour : J’ai des mots plein la tête / Qui courent et qui se cognent / Et ne sortent jamais… Tout le poème est savoureux. Jacques Moulin : La falaise chute devant elle / Nous par-dedans jusqu’à nos pieds / Nos pieds perdus / Torsion pour eux dans le debout qu’ils portent / Portée de pieds et reculée… ; Bruno Sourdin que nous suivons depuis Grand écart, son Polder en 1994 ; Guy Allix, bien sûr ; Allain Leprest ; Loïc Herry mort à trente-six ans : Toux crescendo des vagues montant sur le rivage. / Cernée de moutons et de mouettes / Une barque au loin dans les creux... Eric Sénécal et l’éthopée ; enfin Yann Sénécal.

Puis Charles Baudelaire avec deux Normands : Gustave Le Vavasseur et Auguste Poulet-Malassis, l’éditeur des Fleurs du mal, puis Eugène Boudin. Ensuite Piero Heliczer, né en 37 à Rome, admire Gregory Corso, crée une maison d’édition : the dead language. Puis les Secrétions de l’artiste J.G. Gwezenneg par Bruno Sourdin.

Puis Gérard Mordillat, poète-archipel, que je n’avais jamais lu et dont l’humour et l’ironie déménagent. Jean-Paul Eloire, une révélation, c’est vrai : Pourtant le ciel s’était appauvri d’une étoile. Ou bien À quoi bon instruire son cœur et ses rides / quand la soirée est comme un gros écureuil / posé sur nos épaules ? Béatrice Pailler ; Émilie Repiquet : si vous lisez ceci, vous allez croire que je suis une fille facile…

Pour clore peut-être : Un dossier « Barrault / Artaud », à travers un carton rempli de papiers découvert par Eric Saint Joannet, à découvrir les cinq actes du dossier. Il reste plein de choses à glaner dans cette revue énorme et pleine de choses passionnantes...

Jacques MORIN (in dechargelarevue.com, 1ermars 2022).

*

Le numéro 52 de Les Hommes sans Epaules la belle revue littéraire dirigée par Christophe Dauphin est consacrée à la Poésie de la Normandité. En effet, il n’existait pas d’anthologie des poètes normands avant l’anthologie parue en 2010 aux éditions clarisse et ce cahier littéraire est la première revue qui propose un dossier original sur ces poètes dont certains sont absents de l’anthologie.

Le choix a été fait de se restreindre à la partie contemporaine à partir du poète Albert Glatigny. La première question que nous nous posons est : y-a-t-il une spécificité normande en poésie ?

La réponse est complexe et tient pour une part à l’histoire de la littérature normande depuis Guillaume le Conquérant : « Le rayonnement des poètes normands a toujours été intense, rappelle Christophe Dauphin, et c’est notamment en normand que s’est élaborée la littérature française, au cours de la période allant de 1066 à 1204, lorsque le duché de Normandie et l’Angleterre étaient unis au sein du royaume anglo-normand, depuis la victoire de Guillaume le Conquérant contre Harold II, roi anglo-saxon usurpateur, en 1066, à la bataille d’Hastings. (…) Le premier chef d’œuvre de la littérature française, La chanson de Rolland, poème épique et chanson de geste de la fin du Xième siècle, attribué à Turolde, est en anglo-normand. »

Depuis, les Normands furent toujours très présents dans la poésie et la littérature jusqu’aux poètes normands modernistes et surréalistes du siècle dernier. C’est Léopold Sédar Senghor, normand de cœur, qui définit la normandité. Il évoque l’artiste normand comme « un créateur intégral » :

« Je dis, affirme-t-il, que les Normands sont des métis culturels dans la mesure où ils ont fait la symbiose entre les tempéraments, donc les cultures, de la Scandinavie et de la France. »

Métissage et blessures ont forgé un esprit normand capable d’intégrer ce qu’il rencontre pour nourrir le feu de la création artistique.

« De la contestation et de la résistance à l’amour, la normandité se manifeste à grand renfort d’humour noir, de dérision et de satire, au besoin de Merveilleux ; caractéristiques que nous pouvons retrouver, peut-être à quelques exceptions, chez tous nos poètes… » conclut Christophe Dauphin.

Ce dossier « normand », très complet et détaillé, est d’une grande variété tant les poètes de la Normandie, qu’ils soient poètes maudits comme Jacques Prével ou reconnus comme Henri Michaux qui aimait séjourner à Honfleur, ont cherché à reculer les limites et explorer les recoins les plus sombres. Nous retrouvons souvent dans les poèmes cette lumière, que les peintres ont aussi recherchée, qui jette un voile sur la crudité de la vie et permet justement une vision intégrale moins douloureuse.

Au choix, un poème de Marie-Christine Brière :

 

Fécamp 3

 

Devant la mer aucun théâtre n’est possible

pas de tréteau face à perpétuité

où lames, ensouples, s’en viennent

les lèvres ne diraient rien les voix

faibliraient

les mouettes crient

comme elles caguent et la nuit

déchirent en groupe leur ventre

aux cheminées. Erinyes à temps plein

sur le luisant des ardoises

losangées de vertige gris

on ne voit que les nuées, le bonheur

le matin les pensées vers toi

 

Rémi BOYER (in incoherismwordpress.com, 29 octobre 2021).

*

« Plus de 350 pages !!! Ce n'est plus une revue mais une encyclopédie !!! Christophe Dauphin, poète de passion et de rigueur est un véritable bourreau de travail. On connaît ses talents d'anthologistes avec des volumes conséquents et érudits, pleins de belles découvertes. Notamment Les Riverains du feu (Le Nouvel Athanor, 2009) ou Riverains des falaises (éditions clarisse, 2010). Est-ce parce que Christophe est né en 1968 qu'il est si doué pour le lancement de ces énormes pavés sous lesquels il y a de bien belles pages. De chauds pavés qui, quand ils sont bien reçus sur la tête et dans le cœur, font un bien fou, nous régénèrent.

Avant cela Christophe Dauphin a donc publié Riverains des falaises mais ce numéro des HSE n'est en rien une redite. Riverains des falaises remontait aux origines. Si on excepte Claude Le Petit, condamné au bûcher le 26 août 1662, l'optique est plus contemporaine dans ce n° 52 et court depuis des poètes nés dans la seconde moitié du XIXe siècle (Glatigny, de Gourmont, Delarue-Mardrus etc.) jusqu'à Yann Sénécal, né en 1978. Et cette anthologie est comme illustrée par l'œuvre, immense (on le saura un jour !), de J.G. Gwezenneg que je présente ailleurs dans "Les invités de Guy Allix" et qui est découverte grâce aux approches de l'ami Bruno Sourdin ("C'est la magie Gwezenneg. Sa passion est d'être porteur de vie") et de Christophe lui-même ("Il fait les poches du réel et lui fait cracher sa part d'angoisse...").

Le tout enrichi de chroniques, de pages consacrées à Baudelaire, de pages libres des HSE avec Obaldia, qui vient de nous quitter, Christophe Dauphin, Paul Farellier, Alain Breton et d'un très juste texte sur la "normandité" de Léopold Sédar Senghor (au sommaire lui aussi de ce numéro, il habitait Verson où j'étais allé l'interviewer en 1982).

Et puis depuis cette fameuse anthologie de 2010, Christophe a pu découvrir encore d'autres poètes, réparer des oublis qu'on pardonne aisément dans ces entreprises prodigieuses. Ainsi avec André Malartre, le poète fondateur de la revue et homme de théâtre par ailleurs (le théâtre d'Ostrelande bien connu des Caennais dans les années 70 et 80) et qui fut aussi un excellent sprinter dans sa jeunesse. Une œuvre à lire et à relire (on peut aussi la découvrir dans une très belle édition en coffret mise au point par Yves Leroy en 2016 - édition Le Vistemboir -).

Petit souvenir avec André, nous avons échangé quelques lettres et il avait fait une émission sur mon club poésie au collège Lavalley à Saint-Lô en présence de quelques élèves. J'habitais à l'époque dans un quartier assez misérable de Carentan dans la Manche au cinq place Malherbe. J'écrivais toujours mon adresse au dos du courrier... Il me retourna l'enveloppe avec la mention sourire "Enfin Malartre vint". L'étourdi proverbial que j'étais et que je suis resté avait écrit "Guy Allix 5, place Malartre" !

Dans les découvertes de Christophe il y a aussi Christian Dorrière que j'ai croisé plusieurs fois lorsque nous étions encore jeunes. Il a beaucoup œuvré pour la poésie à Caen dans les années 70 avant d'être véritablement trahi par un poète qu'il considérait comme un ami. Misère de la poésie, poètes miséreux mais aussi parfois poètes misérables au sens moral du terme quand l'ego étouffe tout amour.

On retrouve aussi deux grands poètes natifs de Seine Maritime : Jacques Prevel et Jean-Pierre Duprey que j'avais découverts à 20 ans dans la belle anthologie de Pierre Seghers Poètes maudits d'aujourd'hui. Deux poètes qui m'avaient bouleversé. Et je citais Duprey dès mon premier recueil à 21 ans. Des "porteurs de feu", oui, et de douleur. Et des maudits encore et toujours : qui en Seine Maritime, même parmi les poètes et les amateurs de poésie a lu ou lit Prevel et Duprey ? Prevel est ici fort bien présenté ici par Gérard Mordillat qui mit en scène En compagnie d'Antonin Artaud avec un fabuleux Sami Frey dans le rôle du momo et Marc Barbé dans celui de Prevel. Duprey, découvert en fait par le flair d'André Breton lui-même, est présenté de belle manière aussi par Christophe Dauphin.

Je ne peux citer tout le monde tant c'est riche mais je veux évoquer simplement les amis. Bruno Sourdin, l'éternel copain, Jean-Claude Touzeil - le père Fonda du printemps poétique de Durcet, capitale mondiale de la poésie qu'on se le dise -, Patrick Lepetit dit Bakou (devinez pourquoi) rencontré chez l'autre ami Hughes Labrusse à qui je dois tant, Marie Murski que j'ai connue sous d'autres noms naguère. Et puis il y a de grands disparus : Loïc Herry et Allain Leprest. Loïc est mort très jeune et il n'avait publié qu'une seule petite plaquette de son vivant chez Motus. L'essentiel de son œuvre, très forte, a été publiée, suite à sa mort, grâce au travail patient et à l'abnégation si émouvante de ses parents Nelly et Guy. On connaît davantage Allain, très grand auteur-compositeur-interprète écorché vif qui s'est suicidé à Antraigues-sur-Volane le 15 août 2011, un an après la mort de son ami Jean Ferrat. C'est le copain François Lemonnnier qui m'avait fait connaître Allain.

Et bien sûr, on retrouve aussi Follain sur l'œuvre de qui je dois retravailler prochainement.

Ce numéro des Hommes sans épaules est vraiment précieux.

 

"Ce que je peux dire

C'est que j'ai vécu sans rien comprendre

C'est que j'ai vécu sans rien chercher

Et ce qui m'a poussé jusqu'à l'extrême mesure

Jusqu'à l'extrême dénuement

C'est en moi je ne sais quelle force

Comme un rire qui transparaîtrait dans un visage tourmenté

Quand on a vu toutes les choses se perdre et mourir

Et quand on est mort comme elles de les avoir aimées

Le vent les feuilles la pluie le froid et l'amour qui leur donnait une mémoire

Je ne pourrai plus jamais sans doute me souvenir

Car je suis passé par toute la misère

Mon espoir fut criblé par toute la misère"

 

Jacques Prevel

 

Guy Allix (in guyallixpoesie.canalblog.com, 10 février 2022).

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"Chaque semestre, Christophe Dauphin donne à lire des dossiers, des études, des poèmes et des critiques, bref, tout ce qui fait la force et l’exemplarité d’une revue. Après les Porteurs de feu que furent Jean-Pierre Duprey et Jacques Prével, on lira entre autres René de Obaldia et Gérard Mordillat."

Georges Cathalo (in terreaciel.net, février 2022).

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« Suivez le guide. Christophe Dauphin, dans Les Hommes sans Épaules n°52, nous propose une visite de la Normandie des poètes avec milles détails biographiques.

En vrai, il faudrait dire des Normandies, tant ce territoire est un puzzle de pays : le pays de Caux, le pays de Bray, le pays d’Auge, etc. Tous plein de poètes.

Voici Bolbec et Jacques Prevel « je me retrouve sans forme humaine – Ensanglanté par mes révoltes et par mes luttes – et condamné à vivre des existences dispersées » .  Rouen et Jean-Pierre Duprey « Moi, je n’aurais jamais dû me prendre les pieds dans cette galaxie ». Honfleur où Henri Michaux et Charles Baudelaire sont en villégiature et où Lucie Delarue-Mardrus est née « L’odeur de mon pays était dans une pomme ». Marie-Christine Brière « Fécamp : Devant la mer aucun théâtre n’est possible ». Marie Murski habite dans l’Eure « on crie son sexe dans l’orage – on moucharde les mouettes ». Claude le Petit (Breveuil, commune de Dampierre-en-Bray), Albert Glatigny (Lillebonne), Remi de Gourmont (Bazoches-en-Houlme), Gustave Le Rouge (Valognes), Jean Follain (Canisy), Raymond Queneau (Le Havre), Max-Pol Fouchet (Saint Vaast la Hougue), Christian Dorrière (Caen), Bruno Sourdin (Pontorson), Eric et Yann Sénécal (Dieppe) «  Il y a des jours comme ça – on ne sait plus – par où commencer – avec cette impression de déjà-vu – que quelqu’un parle à notre place – c’est décidé à partir d’aujourd’hui – je ne m’dresse plus la parole ».

Tous normands. A tous, ils font cette normandité qu’explique Léopold Sédar Senghor : « l’artiste normand est un créateur intégral, avec l’accent mis sur la création elle-même. Comme le conseillait Flaubert : il faut partir du réalisme pour aller vers la beauté ».

Dans ce même numéro 52, on lit aussi Gérard Mordillat (poèmes anecdotes) « la trop poilue s’épile le delta – Elle veut faire peau neuve -Naître une seconde fois – Retrouver – Les choses cachées – Depuis la création du monde ». Jean-Pierre Eloire « Le pain perdu dans la forêt, le troupeau des œufs est avec lui » et Emilie Repiquet « Blottie dans une épluchure de liberté, entre les bras de sa maman -… Combien d’enfants noyés sur l’écran de nos tablettes… » Rubriques sur les œuvres plastiques de JG Gwezenneg et Virginia Tentindo. Nombreuses lectures critiques…

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°188, mars 2022).

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Cette copieuse somme préparée par Christophe Dauphin sur les poètes normands est destinée à compléter et à actualiser son anthologie Riverains des falaises (Ed. Clarisse, 2010) et à pallier l’absence de dossier en revue sur le sujet. Remontant au 11ème siècle, Christophe Dauphin constate qu’ « à travers les âges (…) on retrouve toujours des Normands aux avant-postes ». A la suite de Senghor, normand d’adoption, il définit la « normandité » comme le « fruit d’un métissage entre Scandinaves, Germains et Celtes », portant ensemble rationalité et sensibilité au plus haut degré. 

Marie-Josée Christien, chronique "Revues d'ici... Revues d'ailleurs", du n°28 de la revue "Spered Gouez / l'esprit sauvage" 




Lectures critiques :

Tchicaya U TAM’SI dans Les Hommes sans Épaules : ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.

C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes. Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.

« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait. C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »

Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.

Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.

Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.

« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »

 

Place au poème :

 

Natte à Tisser

 

Il venait de livrer le secret du soleil

et voulut écrire le poème de sa vie

pourquoi les cristaux dans son sang

pourquoi les globules dans son rire

il avait l’âme mûre

quand quelqu’un lui cria

sale tête de nègre

depuis il lui reste l’acte suave de son rire

et l’arbre géant d’une déchirure vive

qu’était ce pays qu’il habite en fauve

derrière des fauves devant derrière des fauves

 

Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance, quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 24 octobre 2022).

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« La race est un carnaval ». C’est ce qu’écrit René Depestre dans son intro au n°54 de Les Hommes sans Épaules. il prend son pays comme exemple pour expliquer « la couleur de peau est un masque » auquel la société du moment nous astreint (même si certains sont plus astreints que d’autres). En Haïti, suivant le dictateur, on sera ostracisé selon que l’on tire plus sur le blanc ou plus sur le noir. Il poursuit : « J’ai toujours été très attaché à Césaire, même quand j’avais des réserves sur la « négritude » parce que je craignais qu’en partant d’une idéologie qui met l’accent sur la race… Il y aavit un risque qu’un aventurier s’en empare et en fasse un intégrisme… »

 

Outre Léopold Sédar Senghor (portrait par Christophe Dauphin, les souvenirs de son ami Aimé Césaire, poèmes choisis), ce n°54 de Les Hommes sans Épaules, est consacré à la poésie francophone d’Afrique, de Madagascar (avec un rappel des ignominies et des horreurs commises par le capitalisme colonial au nom de la France).

 

Donc aux précurseurs David Diop, Lamine Diakhaté (« Je ferai le voyage par ls routes anciennes – le père de Grand-père était maître de science – Il asséchait mers et fleuves – Il pliait les routes à l’ombre – De son aisselle droite…, 1963), J.-B. Tati-Loutard (« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi – Et râcler mes racines à tes racines d’ancêtre…, 1968), Marc Rombaut, Breyten Breytenbach, Yambo Ouologuem (le héros du Goncourt de Mohammed Mbougar Sarr), Valentin-Yves Mudimbé, Amadou Lamine Sall (« Mon pays m’est un baobab nocturne – une herbe noire une fleur froide – un fruit anémique une terre agenouillée…, inédit), Jacques Rabemamanjara  (« Mais ce soir la mitrailleuse – racle le ventre du sommeil – La mort rôde – parmi les champs lunaires des lys – La grande nuit de la terre – Madagascar… »).

 

Et aussi un gros dossier consacré à Tchicaya U Tam’si : les relations Léopold Sédar Senghor / Jean-Félix Tchicaya (le père du poète) et suivant les relations Léopold Sédar Senghor / Tchicaya U Tam’si racontées par Nimrod, une présentation conséquente, enthousiaste en minitieuse (comme toujours) par Christophe Dauphin, la reprise d’un entretien Tchicaya U Tam’si / Jean Breton. « J. B. : Vous êtes un oiseleur. c’est à flot que els images s’envolent de vos poèmes. T. U. : En ce moment, j’écris moins parce que j’ai tendance à être moraliste : ça me gêne » ;

 

et une belle volée de poèmes : « Il venait de livrer le secret du soleil – et voulut écrire le poème de  sa vie – pourquoi les cristaux de son sang – pourquoi les globules de son rire – il avait l’âme mûre – quand quelqu’un lui cria – sale tête de nègre… » Et la francophonie d’aujourd’hui pour clore ce super-riche numéro : Nimrod, Abdourahman Wabéri, Jean-Luc Raharimanana, patrice Nganang et Alain Mabanckou : « Choisis tes mots – N’emprunte pas ceux des autres – L’indépendance commence – Par le choix – Et s’arrête avec l’adhésion ». Et bien d’autres trucs encore…

 

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°192, 2023).




Lectures critiques :

Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.

Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! —  tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.

Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.

M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »

Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).

 

*

 

« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.

34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».

Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.

Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »

Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).

 

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La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.

L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »

Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »

C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.

Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)

 

Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :

 

« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle

Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,

Elle insère l’esprit de son propre miracle

A même la matière des bois et des monts.

Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire

Et l’auguste fontaine au lipide présent.

Après, l’enchantement créé par le trouvère

Et le prince des mers, celui de l’artisan. »

 

 

Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :

L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence

Un chant se répandit longtemps

L’eau le sang le feu

Les trois dans la forêt

Pour bâtir un palais d’automne

 

Un grand secret faisait la roue sur le parvis

D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse

Le double de la pierre philosophale.

L’enfant faisait la chasse à la folie

Il délivrait des plages de cristal

Sous un vieux chêne inconsolable.

 

 

La clé de la clé disait mon compagnon

Cet enfant la chantait »

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