Les Hommes sans Épaules
Dossier : Ilarie VORONCA, les poètes du Rouergue et du Gévaudan
Parution: premier semestre 2025
Numéro 59
350 pages
07/03/2025
17.00 €
Sommaire du numéro
Éditorial : « Permis de séjour, de Bucarest au pays des Causses », par Christophe DAUPHIN
Ainsi furent les Wah 1 : Poèmes de Christophe DAUPHIN, Jean-Henri FABRE, François FABIE, Henri TERRAL, Eugène VIALA, Roger FRENE, Christiane BURUCOA, Gérard CANTALOUBE, Jean DIGOT, Denys-Paul BOULOC, Georges et Jean SUBERVIE, Jean SENAC, Claude SERNET
Dossier : « Ilarie VORONCA & les poètes du Rouergue », par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Ilarie VORONCA
Ainsi furent les Wah 2 : Poèmes de Marie-Claire BANCQUART, Bernard NOËL, Louis ALDEBERT, Christian DA SILVA, Anne-Marie BERNAD, Marcel CHINONIS, François LAUR, Bernard FOURNIER, Francis COMBES, Christian VIGUIE, Monique W. LABIDOIRE, Jean-Claude TARDIF, Benjamin GUERIN, Béatrice PAILLER, Anne BARBUSSE, Sacha ZAMKA
Souvenirs de la maison des fous (prose) : « ARTAUD à Rodez », suivi de « Paul ELUARD en Lozère », par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Antonin ARTAUD, Paul ELUARD
Les pages libres des Hommes sans Épaules : Poèmes de Christophe DAUPHIN, Alain BRETON, Paul FARELLIER
Avec la moelle des arbres : Notes de lecture de : Christophe DAUPHIN, Pierrick de CHERMONT, Odile COHEN-ABBAS
Infos / Échos des HSE : avec des textes de Christophe DAUPHIN, Madeleine RIFFAUD, Jean ROUSSELOT, Alain BRETON, Marie-Josée CHRISTIEN, Gyula ILLYES, Karel HADEK, Alexandre VOISARD, Jean-Luc MAXENCE, Odile COHEN-ABBAS, César BIRÈNE, André BRETON, Sarane ALEXANDRIAN, Daniel ABEL, Boualem SANSAL, Pierre DE RONSARD, Joaquim DU BELLAY
Présentation
PERMIS DE SEJOUR DE BUCAREST AU PAYS DES CAUSSES (extraits)
Le Rouergue et le Gévaudan n’ont jamais été les sujets, sauf localement, d’une revue de poésie, à l’exception d’un numéro de Poésie présente n°19, Jean Digot, poésie en Rouergue, en 1976. L’occasion s’est présentée d’y remédier dans Les HSE après avoir passé l’été 2022 en terres rouergate et lozérienne sur les traces des poètes du Causse et du Ségala, à commencer par celles d’Ilarie Voronca. Le poète est un juif roumain qui s’ignore, c’est-à-dire, du vivant de Voronca, un paria, un exilé, traqué (On pourrait très bien, Monsieur, vous engager, - Mais notre maison ne prend plus d’étrangers, - Ni de poètes »… J’avais faim. Un brouillard montait vers la cité), peu lu, peu compris, alors qu’il s’adresse à toutes et à tous : C’est vers vous, hommes de l’avenir - Que va ma pensée. - Et je veux que vous vous exclamiez - « Il était des nôtres », quand vous lirez mes poèmes…
Nous avons une histoire avec ce poète-frère. Il est des poètes et des poèmes qui vous accompagnent toute votre vie. Né le 31 décembre 1903, Brăila, au bord du Danube, en Roumanie, et mort par suicide le 4 avril 1946, à Paris, à l’âge de 42 ans, Ilarie Voronca et sa Poésie commune, appartiennent pour moi à cette catégorie rare et précieuse depuis qu’Alain Breton m’a donné à lire en 1989, Patmos, réédité en 1977 par notre ami Guy Chambelland…
Un poète est un lien entre les femmes, les hommes, les peuples, leurs émotions, leurs langues, leurs lieux et leurs histoires. C’est aussi un cri de révolte, mais aussi surtout, un tisseur d’amitié et de fraternité. De ses caractères d’imprimerie couchés sur le papier, la poésie-vie de Voronca apporte la Roumanie à ma porte, tout un monde dans un verre de tuica. Un monde souvent tragique vient à moi par ses poètes et ses peintres dont les veines plongent tout aussi tragiquement, s’agissant de Voronca, dans les racines du Rouergue. Ma relation à Voronca m’a conduit à bien des rencontres et des amitiés, mais, la poésie est-elle autre-chose, qu’une rencontre ?
Édi, alias Voronca, aimait rassembler. Il est mort sans doute de ne pas être suffisamment parvenu à son but. Et pourtant, il rassemble, nous le voyons, autour de son œuvre et de sa mémoire. En Roumanie, on commence à le comprendre. Bien davantage que l’« étranger, le Français » que Voronca est devenu en 1938, il est l’un de ses grands poètes. En France, aussi, on commence à prendre conscience timidement que l’« étranger, le Roumain », est avant tout l’un de nos fleurons poétiques à hauteur d’Homme.
Et à partir de Voronca, Luca, Fondane, Sernet, Hérold, Brauner, Tzara, etc., nous dressons un pont de fraternité entre la Seine et le Danube et je peux dire, que nous n’en n’avons rien à foutre de savoir qui, de nous, est étranger et qui ne l’est pas, car, dans cette histoire commune, nous sommes toutes et tous des poètes et des Roumains et des Français et des étrangers et des juifs et je ne sais quoi d’autre ! Mulțumesc prieteni ! La sănătatea ta ! Noroc !
Ilarie Voronca a été sauvé et a survécu, du moins un temps, à l’Occupation et à la Deuxième Guerre mondiale, et cela il le doit à l’asile qu’il a trouvé quelque part du côté de Rodez. Cette histoire, très peu connue, mérite et justifie un déplacement en terre rouergate où Édi a vécu des heures tourmentées dans une période qui ne l’était pas moins, tourmentée. Je me suis rendu à mon tour, 79 ans après Voronca, dans l’Aveyron, dans le village où a été accueilli et sauvé Ilarie Voronca durant la Deuxième Guerre mondiale. Moyzarès est le « permis de séjour » du poète...
Le 13 juillet 2022, je suis à Moyrazès, qui n’a pas de cathédrale en granit rose, mais la main tendue de ses rues. Sa cathédrale est un oratoire sur lequel roule le soleil dont le village s’est fait un monocle. Cette cathédrale on en perçoit les flèches jusqu’à Brăila ou le Danube salue les rivières Aveyron, la Maresque, le Lenne, avant de rouler dans les ravins de Costepeyrouse et de la Griffolière, avec dans sa poche le Gourdelles. Ici, à Moyrazès aux hanches de pont de pierre et aux jambes de forêt, Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Jean et Élise Mazenq ont caché le poète Ilarie Voronca, qui fuyait les persécutions vichystes et nazies, dans le grenier de l’école du village, en 1943-44. « À Moyzarès, il est resté 17 mois chez nous », écrit Élise Mazenq au dos d’un portrait photo de Voronca, qui lui dédie son livre La clé des réalités (Méridien, 1944). Le rôle des Mazenq a été minimisé à tort dans cette histoire. L’occasion nous est donnée dans ce numéro des HSE de mieux les connaître, en même temps que l’histoire de l’Aveyron durant l’Occupation, avec sa Résistance glorieuse, ses collabos infâmes, sans oublier ses poètes.
Le Rouergue qui donne asile à Ilarie Voronca en 1943 est-il une terre de poètes ? Assurément, même si la chose est plutôt récente, ainsi que dans le Gévaudan voisin…
Haut-lieu de poésie, Rodez l’est devenu à la faveur d’évènements, rencontres et manifestations (lancement de revues, institution des Prix Artaud-Voronca-Sernet, organisation de Journées internationales de poésie), dont la source n’est pas au sein d’une école de rêve, mais dans l’action d’individualités que le manque initial de soutiens n’a su décourager ; et que seule une flamme secrète et la ténacité conduisirent à entreprendre, et faire. Douce fiction, le reste ! En Rouergue, la solitude est l’inviolable royaume de ceux qui, mieux que d’avoir et briller, s’efforcent d’être et de créer. » La poésie rouergate n’a pas attendu l’arrivée d’Artaud et de Voronca pour exister. Mais, il lui manquait des aînés. René Couderc en convient lorsqu’il écrit : « Le Rouergue, l’Aveyron, n’ont pas eu des d’Aubigné, des Boileau, des Lamartine, des Hugo, ni des Baudelaire et nous devons nous en accommoder. Toutefois, il y eut chez nous des poètes suffisamment au courant des modes d’écriture des grands mouvements littéraires pour s’inspirer d’eux et parfois nous en donner un agréable reflet. » Le « passage » d’Artaud et de Voronca (ajoutons Sénac) les lui donne ces aînés et galvanise la poésie rouergate. Les poètes aveyronnais ne manquent pas de leur rendre hommage, à commencer par le plus emblématique d’entre eux : Jean Digot…
Il est question dans ce numéro des HSE de l’Aveyron, mais aussi de la Lozère voisine, qui correspond approximativement à l’ancienne province (jusqu’en 1790) du Gévaudan. Elle est connue pour être le département le moins peuplé de France (77.000 habitants, par rapport à 279.554 en Aveyron) et avoir la densité de population la plus faible.
La Lozère s’étend sur les hautes terres de la Margeride, des Cévennes, du Gévaudan et de l’Aubrac et sur une partie des Grands Causses. La Lozère connaît son « heure de gloire » sur le plan national avec l’affaire de la Bête du Gévaudan, surnom donné à « un ou plusieurs loups » ayant commis des attaques mortelles, entre 88 et 124, contre des humains entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767.
Sur le plan de la poésie, on apprend que le Gévaudan a connu de nombreux auteurs en occitan (quatorze troubadours en seraient issus). Mais, de nos jours, les poètes s’y font encore plus rares que dans l’Aveyron... Les trois grands livres lozériens sont : Souvenirs de la maison des fous (1945) de Paul Eluard, Voyage avec un âne dans les Cévennes (1925) de l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson et Cévennes (1985) de Francis Combes…
Arpentant Moyrazès et ses environs jusqu’à l’oratoire, on comprend pourquoi Voronca y a tant écrit et parmi ses plus belles pages, en poésie comme en prose, dans la chaleur rouergate et la fraternité de Jean et Élise Mazenq, lesquels sont arrivés à Moyrazès en octobre 1941. Après avoir visité le village, Jean Mazenq a eu ces mots : « Il y a des tableaux à peindre, du beurre et des champignons. »
Ici il y a boire et à manger plus qu’il n’en faut, tant dans les verres, les assiettes, que dans les paysages et leurs poèmes…
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).