Les Hommes sans Épaules


Gabriel COUSIN, Jean RIVET

Numéro 9
64 pages
Deuxième semestre 2000
10.00 €


Sommaire du numéro



Les Porteurs de Feu : Poèmes de Gabriel COUSIN, Jean RIVET

Ainsi furent les Wah : Poèmes de Jacqueline BREGEAULT-TARIEL, Francine CHARRON, Yves GASC, Paulette GODEFROY, Yusef KOMUNYAKAA, Jacqueline LALANDE, Jacques RANCOURT, Henri RODE, Jérémie APPERRY

Avec la moelle des arbres : Notes de lecture de Jean BRETON, Jean DUBACQ, Christophe DAUPHIN, Paul FARELLIER, Claire BOITEL

Illustrations de : Amos ZELIKSON

Présentation

LES CHIMERES DE TCHETCHENIE

Un champ de tripes nouées

autour des dos fléchis

des cous fendus, genoux pillés

champ fosse à guenilles

où les bouches blessées par les poings

se taisent dans un noir de lèvres mortes


Champ où les doigts arrachés

attrapent des morceaux de chair

multicolores

avec l’étoile rouge tatouée au sein

le sexe cassé par les crosses

pour les enfouir sous un gazon de crocus

incrédules

morceaux où la blessure au ventre

est une crevasse de reproche

ou une orbite sans regard

qui guette n’importe quel sourire humain


L’énorme enfantement de la mort

trop tôt donnée

surmonte la plaine du proche printemps

dans l’encens du sang et des muqueuses


Sous le ciel de la déraison

le rire d’un Créateur

en transparence sous les balles

il sonde sa réussite de douleur

il enjambe d’un orteil carminé

d’inertes paquets de loques

et de vérité dépecée

au milieu de corps changés par le givre

en chimères demi-dressées criant la peur


La fraternité de corps qui s’enlacent

dans la morsure des dents entrechoquées

est comme un défi

un dernier appel de chaleur

dans la pourriture du sort


Non loin

dans les cours en débris du village

des femmes sous leur chevelure en or d’épouvante

ont encore un couteau dans le flanc

montrent des cuisses labourées

leurs jambes est un pont où s’engouffre le froid

le sperme sec colle leurs yeux

l’odeur du mâle est leur linceul

Au revoir là-haut, mon cher amour


A travers le monde

l’écho des charniers se répond

Partout on égorge, on brûle vif

On élève des mains en forme de torche

Là-bas un monticule

de jambes en planches d’anatomie

aux réseaux de craie rosâtre

ou d’un violet d’iris pourri

alors que rampe la coriace horreur du jour.


Henri RODE

(in Les Hommes sans Epaules n°9, 2000).