Henri RODE
Henri Rode (né le 9 octobre 1917 à Avignon et décédé le lundi 19 avril 2004 à Paris) est l’auteur de plusieurs romans, recueils de nouvelles et de poèmes, dont Mortsexe, qui a été salué comme un chef-d’œuvre par la critique, le tout, coupé de longs silences consacrés au journalisme et au cinéma. Il fut salué comme « l’un des meilleurs écrivains provençaux », avec ses romans Les Passionnés modestes (1953), Alarmande (1953), ou Couche-toi sans pudeur (1958). Après s’être affirmé comme romancier, Rode va, au contact des poètes de la revue Les Hommes sans Épaules, se tourner vers la poésie et être consacré comme l’un des plus grands poètes de son temps.
L’important, dès que l’on prend la plume, est d’ouvrir en soi le plus de portes possibles et d’aller le plus loin dans ce que l’on cache d’habitude. Mais il est évidemment primordial d’être à l’écoute d’une pulsion exempte de toute fabrication et trucage. Tant pis si ces portes qu’on se risque à ouvrir (dans l’interdit ?) vous en ferment d’autres : il s’agit de rendre le tréfonds de l’individu. Personne plus qu’Henri Rode, n’aura été aussi sincère sur ce plan. Du moins faut-il encore savoir de quel Henri Rode nous parlons, car l’homme, tout comme le créateur, a eu « deux vies ». La première l’a fait naître à Avignon en 1917, où il apporte son concours, pendant l’Occupation, aux grandes revues que furent les Cahiers de Pierre Seghers, Confluences de René Tavernier, et Les Cahiers du Sud de Jean Ballard. C’est au contact de ces animateurs, éclaireurs précieux, qui publient nombre de ses nouvelles, de ses récits, de ses écrits critiques, que Rode fait son apprentissage. Il se lie également d’amitié avec les principaux écrivains et poètes de l’époque (Louis Aragon, qui fera publier ses premiers textes, mais ausi Henry Miller, André de Richaud, Jean Cocteau, André de Richaud, André Gide, Alain Borne, Joë Bousquet, Jean Paulhan, Roger Nimier et bien d’autres). Dans l’immédiat après-guerre, il publie une série de romans qui le propulse aux premiers rangs des espoirs littéraires. Puis, monte à Paris, où il fait la rencontre capitale mais envahissante aussi, de Marcel Jouhandeau, avec lequel, il se lie d’une grande amitié, tout en collaborant avec lui sur le plan littéraire. Bientôt « las » de cette amitié exclusive qui le coupe, pour ainsi dire, du reste du monde, il prend ses distances, se consacre au journalisme, gagne sa vie.
Henri Rode a déjà une imposante carrière d’écrivain derrière lui, une renommée aussi, lorsque sa deuxième vie prend forme, grâce à la rencontre de Jean Breton et des jeunes poètes de la revue Les Hommes sans Épaules, qui a été créée à Avignon, en 1953. C’est grâce à cet entourage, que Rode, abandonne peu à peu, puis totalement, la prose romanesque, pour se révéler pleinement, en se consacrant à la création poétique. Dès lors, le romancier va "disparaître" pour laisser place à l’éruption poético-volcanique de l’un des poètes les plus puissants, les plus originaux, les plus édifiants, de l’histoire de la poésie contemporaine ; enfin !, si l’on ose s’exprimer ainsi : « La forme qui vaut toutes les formes s’adapte à la mort comme aux grincements de plaisir profond d’un corps écartelé - et niant l’impossibilité d’être. » Car, chez Henri Rode, rien n’est jamais gratuit ; pas un mot, pas une virgule. Chez lui, le langage n’est pas destiné à « faire joli » ou à être plaisant. Il est émotiviste, c’est-à-dire, déchiqueté et malaxé. Il remonte du plus profond des gouffres : celui de l’être ; tout en sachant que rien n’est plus malaisé que de vouloir, sur une page, exprimer ce que l’on a en soi de moins déformé par le simple fait de l’écrire.
Est-on capable de traduire ainsi la pensée, les émotions, serait-on expert à prétendre le faire ? Impossible, selon Rode, qu’il n’y ait pas une marge inaccessible, irréductible, dès qu’il veut la changer en mots, chez tout écrivain et même le meilleur. C’est pour cela, que Rode a rêvé de l’invention d’un « appareil révélateur », capable d’enregistrer l’intériorité de l’être, les désirs même les plus ténébreux qu’il contient, pour les projeter sur écran. L’« appareil révélateur » de Rode ferait que l’on s’avoue par le tréfonds et non sous la protection de trucs appris, selon la fabrication que nous conseillent les siècles et la société, même quand nous sommes à peu près persuadés de vivre hors normes. Là, cette forme de suffisance serait démantelée. Avec cet appareil, on rejoindrait l’abominable de l’être comme ses beautés brimées, déviées. Mais la question est de savoir si, sa vérité déformée, tenue en respect par maintes formes d’autorité, l’homme n’en est pas plus prédisposé à la cruauté, à la haine, à la décision de combats meurtriers. Imaginant cet « appareil révélateur », alors qu’il lisait une revue de poésie, bien faite, mais où chacun, croyant dire ce qu’il y avait d’original, ne faisait que répéter ce que l’on a souvent mieux exprimé, Henri Rode, ne se doutait pas qu’il existait déjà. Son oeuvre en est l’exemple le plus poignant et le plus authentique. L’« appareil révélateur » a bel et bien existé. Il était humain, bien humain. Il s’appelait Henri Rode.
Au sein de notre histoire collective, de 1953 à nos jours - et je parle de celle des Poètes de l’émotion, de la Poésie pour vivre, de cette filiation qui est la nôtre et que je nomme émotiviste, et qui englobe aussi bien les trois séries de notre revue Les Hommes sans Épaules, que Poésie 1 de Michel et Jean Breton - au sein de notre histoire collective, Henri Rode, a toujours occupé une place d’une grande importance, de par son oeuvre certes, mais aussi et surtout par son amitié précieuse, son statut d’aîné attentif dont il ne joua jamais, lui préférant davantage la fonction d’Anti-Père de l’émotivisme ; un émotivisme dont le solaire vire au noir, à l’abîme ; un émotivisme à la bouche d’orties.
La vie mérite-t-elle l’homme ? Partant de cette grande interrogation métaphysique, la création rodienne, à compter de la publication de Comme bleu ou rouge foncé, en 1973, n’aura de cesse de tenter d’y répondre, plongeant au coeur du fatum humain, explorant toujours plus loin encore, les arcanes les plus reculés de l’être, au sein d’une époque, dont elle vomira l’ignominie, les idéologies meurtrières, la négation de l’individu, se débattant sans cesse dans l’intolérable. Rode nous plonge de plein fouet au coeur de Pandémonium, qui, on le sait, désigne la capitale imaginaire des enfers où Satan invoque le conseil des démons. Ce mot est également utilisé pour désigner un lieu où règne corruption, chaos et désordre. Rode n’est pas un monstre ; le monstre, c’est l’intolérable, notre monde, notre réalité, notre condition, notre sort. La création rodienne est ce poing qui fait éclater les murs de l’intolérable ; qui fait sauter les cloisons du paraître de l’homme-cliché, d’une part, et la bestialité sanglante de l’homme-violence, de l’autre : « Rien ne m’angoissait plus, naguère, que ces querelles d’hommes allant jusqu’aux coups les plus durs, en pleine rue. Que se passet-il ? C’est le calme et subitement, entre deux passants, c’est une tornade de vociférations, de poings brandis. L’un court, le plus faible, l’autre le rattrape, s’acharne. Et le voici au sol ; mais, loin de considérer qu’il a son compte, ensanglanté le malheureux se rebiffe, se redresse, tente de rendre coup pour coup à l’adversaire. On remet ça, un cercle de badauds s’étant formé. Avec une telle ardeur, entre deux vacillements, deux chocs sourds, qu’on finit par se demander si le couple n’y prend pas son pied, le battu à mort, en fin de compte, semblant jouir sombrement de se retrouver aplati sur le trottoir par une force mâle qu’il hait moins qu’il ne la convoite », a écrit Rode (in L’Abattoir, 1998).
Œuvres d'Henri Rode :
Poésie : Frère maudit (Les Petits écrits, 1957), Le Quatrième Soleil (Jeune Poésie, 1971), La Marguerite virile (P.A.B, 1972), Comme bleu ou rouge foncé (éditions Saint-Germain-des-Prés, 1973), Toutes les plumes du rituel (éditions Saint-Germain-des-Prés, 1974), Mortsexe (éditions Saint-Germain-des-Prés, 1980), Bouche d’orties (Le Milieu du Jour éditeur, 1993), Pandémonium (Les Hommes sans Épaules, 1994), Textes-poèmes in « Regards, mythes, éclosions » de Pierre Guenin (éd. S.G.D.P, 1994), L’Abattoir (éditions Librairie-Galerie Racine, 1998), La Boucherie aux femmes nues (Les Dits du Pont, 1998), Les Architectures du corps (éditions Librairie-Galerie Racine, 1998), Le Théâtre à l’abîme (collection Les Hommes sans Épaules, éditions Librairie-Galerie Racine, 2000).
Romans, recueils de nouvelles : Le Puits des scrupules, nouvelles, (L’Intercontinentale d’édition, 1937), Le Chariot de Jeunesse, roman, (Confluences, 1944), L’Illusionniste, nouvelles, (éditions Seghers, 1945), Pourquoi ne pas faire mourir cet homme ?, nouvelles, (Confluences, 1946), Alarmande, roman, (Corrêa/Buchet-Chastel, 1953), Les Passionnés modestes, roman, (Corrêa/Buchet-Chastel, 1953), La Vache de mer, récit, (Les Homme sans épaules, 1954), Couche-toi sans pudeur, roman, (Corrêa/Buchet-Chastel, 1958), Arabelle. Vous ne perdez rien en vous donnant, roman érotique, coécrit avec Jean Breton, (éditions du Sénart, 1974), La Faible Mortelle, roman, (Hermé, 1991), La Marche qui cède, nouvelles, (La Bartavelle, 1991).
Essais : Marcel Jouhandeau et ses personnages (Chambriand, 1950), Jouhandeau sur le vif (La Tête de Feuilles, 1972), L’Univers séminal de Lautréamont (Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1974), Les Stars du cinéma érotique (éditions du Sénart, 1976), Un mois chez Marcel Jouhandeau (le cherche midi éditeur, 1979), Alain Delon (PAC éditions, 1982), Rimbaud, autodestruction d’une jeune folle (Les Hommes sans Épaules n°3, 1992).
À consulter : Christophe Dauphin, Henri Rode, l’émotivisme à la bouche d’orties, dessins de Lionel Lathuille, (Les Hommes sans Épaules n°29/30, 2010).
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules)
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules
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