Les Hommes sans Épaules
Dossier : ILARIE VORONCA, le centenaire de l'ombre : 1903-2003
Numéro épuisé
Numéro 16
164 pages
Premier semestre 2004
Sommaire du numéro
Editorial : "Pour ne pas oublier d'être", par Christophe DAUPHIN
Les Porteurs de feu : Poèmes de Jean ROUSSELOT, André MIGUEL
Ainsi furent les Wah : Poèmes de Alain WEXLER, Joël Clair BASTARD, Albert FLEURY, Alain JEGOU, Patricia CASTEX-MENIER, Basile DJEDJE, Geneviève NOVELLINO, Jean COCTEAU
Chronique du Nouveau lyrisme : La Nuit ne souvre que de l'intérieur II : par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Virginie SARCELET, Philippe ORTOLI, Lionel LATHUILLE, Senadin MUSABEGOVIC, Mariné PÉTROSSIAN
Dossier : ILARIE VORONCA, le centenaire de l'ombre 1903-2003, par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Ilarie VORONCA
La mémoire, la poésie : Pierre GABRIEL, par Paul FARELLIER
Une voix, une œuvre : Alain-Pierre PILLET, par Paul SANDA
Dossier (l'édition de poésie en France) : Les éditions VOIX D'ENCRE. Interview d'Alain Blanc et poèmes de Alain BORNE, Jean-Yves MASSON, Josette SÉGURA, Max ALHAU, Béatrice DOUVRE, Charles JULIET, Pierre GABRIEL, Jean-Vincent VERDONNET, Gaston PUEL, Michel HARDY, Hervé PLANQUOIS, Alain BLANC
MANIFESTE : "La Mise en abîme", par Christophe DAUPHIN
Dans les cheveux d'Aoûn : Proses de Henri RODE, Roland NADAUS
Avec la moelle des arbres : Notes de lecture de Henri RODE, André PRODHOMME, Jacques SIMONOMIS, Jacques TAURAND, Paul FARELLIER
Illustration de : Abdelaziz GORGI
Présentation
"... L’œuvre d’Ilarie Voronca est le lieu où réside le véritable souffle de la poésie. Dans un premier temps (la période roumaine 1923-1933), Voronca est un poète d’avant-garde, dont la démarche radicale s’apparente à Dada. Dans un deuxième temps (la période parisienne 1934-1946), le poète évolue vers une poésie à hauteur d’homme, au lyrisme simple et aérien. Le poète veut parler clairement à tous. Il n’est plus le chantre individuel. Son moi se confonds dans tous. Sa voix diffère toujours autant de celles de son époque. Si la « Joie est pour l’homme », ne nous laissons pas aveugler, car au fond de lui, Voronca s’est toujours considéré comme un poète, c’est-à-dire un paria social, un homme sans ombre, un être maudit à errer éternellement pour capter les douleurs du monde. Engagé, il l’était au quotidien, œuvrant avec ses moyens au bonheur et à la justice pour ses semblables : C’est vers vous, hommes de l’avenir - Que va ma pensée. - Et je veux que vous vous exclamiez - « Il était des nôtres » quand vous lirez mes poèmes. Nous trouvons dans les poèmes de Voronca une chaleur humaine inédite avec la belle certitude d’un avenir meilleur qui sera assurément l’œuvre de la poésie et des poètes, et non de la politique et des politiciens : Rien n’obscurcira la beauté de ce monde. - Les pleurs peuvent inonder toute la vision. La souffrance - Peut enfoncer ses griffes dans ma gorge. Le regret, - L’amertume, peuvent élever leurs murailles de cendre, - La lâcheté, la haine, peuvent étendre leur nuit, - Rien n’obscurcira la beauté de ce monde. Lyrique, Voronca l’est et le revendique, mais son lyrisme est inédit. Il émane d’une voix solitaire qui s’adresse à tous et bouleverse parce qu’elle est vraie et ne triche pas..."
Christophe DAUPHIN
(extrait de la présentation du dossier, Ilarie VORONCA, le centenaire de l'ombre, in Les Hommes sans Epaules n°16, 2004).
COURTOISIE DE LA FATIGUE
Saluons l’arbre, ô l’homme vertical,
Ses feuilles ; ses cheveux au vent de la vie,
Mais l’homme couché est plus près de la terre
Qui ne confie ses secrets qu’à l’oreille.
C’est pendant l’orage que l’arbre se plie
Vers le sol, mais les nuages déchaînés
L’empêchent d’entendre la voix de terre, et quand la foudre
Fait de lui un être horizontal, il est trop tard.
Le songe ne visite pas le téméraire, l’homme debout,
Et la mort demande une grande douceur. L’allongé
Connaît la noble courtoisie de la fatigue,
Son corps est l’ornement à la mesure de la terre.
Mais les multitudes au repos, dominicales
Formes étendues au bord d’un fleuve,
La tête comme un coquillage, remplie de l’écho
Qui vient des couches profondes où sont les ossements,
Les voici prêtes aux visions, les voici calmes.
Le sommeil leur confie ses flûtes de cendre
Car elles savent que ni la mer énorme ni la flamme
Ne pourrait les soustraire aux ordres de la terre.
Vous rêveurs, vous hommes horizontaux qui attendez
La femme à la beauté immuable, la mort,
Saluts à vous, couchés dans le sable ou la boue,
Vous, gloire des navires au fond des océans.
Bientôt en vos bouches pleines de terre les paroles
Seront ces touffes d’herbes transplantées avec le sol
Quand les racines fines trouveront vos ancêtres
Et les clés d’os ouvrant la porte des nuages.
Ilarie VORONCA
(in Les Hommes sans Epaules n°16, 2004).
LE PAIN SE FAIT LA NUIT
à Jean Bouhier
La nuit, dans les faubourgs délayés par la pluie,
J’ai marché sur l’asphalte avec des inconnus
Qui tenaient bon qui se taisaient
Qui m’acceptaient tel que je suis.
Le jour venu, j’ai vu des hommes par milliers,
Sans mot dire, comme des plantes,
Recouvrir la marelle inerte de la terre
Et celle, absurde, de mes songes.
Et j’ai senti que je germais dans ce silence,
Qu’on attendait mon grain, que je n’étais pas seul
Puisque j’avais des mains pour prendre et pour donner.
Depuis, je ne sais plus si j’écris un poème
Ou si je fais aller la cloche de mon cœur
Sous l’océan des mots gâtés par la mémoire,
Mais je sais que ma voix est faite pour l’oreille
Et qu’on entend, comme j’entends chanter sous terre
Le boulanger blafard qui fait son pain la nuit.
Jean ROUSSELOT
(in Les Hommes sans Epaules n°16, 2004).
Revue de presse
2004 - À propos du numéro 16 « Au fil des numéros, cette revue de poésie s’impose comme l’une des plus sincères de notre début de siècle. Les présentations de Jean Rousselot, puis d’Ilarie Voronca par Christophe Dauphin sont louangeuses avec intelligence, celle d’André Miguel par Jean Breton, plus courte, évoque avec pertinence « l’expression d’une certitude mystique en liberté, loin du sacré ». Nous avons aimé aussi les textes d’Henri Rode et de Roland Nadaus, et le poème surprenant de Jean Cocteau qu’éditèrent Jean Breton et Guy Chambelland, en 1969, lors de la parution de Faire-part, dans Poésie-Club.
Signalons enfin que chaque abonné aux HSE, avec ce seizième numéro, a reçu un CD passionnant intitulé « autour de Jean Cocteau ». Le témoignage de Jean Breton, direct et chaleureux, sur Cocteau, un « aîné capital », est sans nul doute utile. Il remet en place la vérité historique sur ce « Feu » qui ne voulait pas être comparé au Jeu. Dans le même esprit, l’ensemble de ce CD (avec Christophe Dauphin, Henri Rode, Jean Breton et Yves Gasc) constitue une sorte d’événement poétique à ne pas manquer…. En ce début de vingt-et-unième siècle, Les Hommes sans Épaules me semble être une grande revue de poésie, ouverte et libre qui mérite un coup de chapeau par son esprit de découverte poétique, le sérieux de sa démarche, l’indépendance des auteurs qui rendent compte des nouveautés poétiques de l’année. Elle me semble de haute tenue et d’utilité publique. »
Jean-Luc Maxence (Les Cahiers du Sens n°14, mai 2004).
« Avec le ton très personnel qui lui est donné par son animateur et rédac’chef Christophe Dauphin, le n°16 du semestriel Les Hommes sans Épaules s a choisi comme «porteurs de feu » Jean Rousselot et André Miguel. Un choix qui correspond bien au désir de nouveauté et de révolte à la fois de la revue. »
Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°183, La Hulpe, Belgique, août 2004).
« La revue Les Hommes sans Épaules présente dans son numéro 16, une évocation de Pierre Gabriel par Paul Farellier. Il faudra souvent revenir à l’œuvre profondément et tragiquement humaine de Pierre Gabriel, mort il y a 10 ans. »
Gérard Bocholier (Arpa n°83, juin 2004).
« Nous en avons déjà parlé ; cette revue fait maintenant référence pour tout chercheur en poésie. Ce numéro 16 des HSE est à conserver (ou concerter) pour une présentation de Jean Rousselot, accompagnée de poèmes. Dans le même chapitre, quelques beaux poèmes d’André Miguel. Et puis quelques jeunes contemporains ; on aime ou non ; ce sont d’authentiques poètes dans le sens où nous en parlions au sujet des précédentes revues. Très intéressante critique de Pierre Gabriel par Paul Farellier. Christophe Dauphin, rédacteur en chef de la revue, nous offre un dossier représentatif de l’œuvre d’Ilarie Voronca, dont on connaît l’aventure tragique… Encore un numéro à conserver dans notre bibliothèque et que l’on ne dise pas que la poésie est morte ! »
Claudine Helft (Aujourd’hui Poème n° 16, 2004).
« Dans son manifeste, De l’émotivisme : reprenant ce mot inventé par Guy Chambelland « Si j’avais dû créer un isme j’aurai créé l’émotivisme ! Il n’y a pas de poésie sans émotion », Christophe Dauphin poursuit « l’émotivisme est le développement d’un être qui délivré de ses parasites – c’est-à-dire des épluchures du réel –, s’insurge contre toutes les institutions répressives, tout en travaillant à la refonte des structures de l’esprit humain ». Ça part d’une bonne intention, mais l’émotion sans la raison ça me fait un peu peur, ça fait reportage télé à grosses larmes, et puis c’est l’émotion qui conduit les foules aux pires folies. Sinon, ce numéro 16 (162 pages) des Hommes sans Épaules, c’est plein de bons auteurs… Jean Cocteau, le disque offert avec ce n°16 des HSE, Christophe Dauphin témoigne et présente, Henri Rode et Jean Breton sont interrogés à propos de leurs rencontres avec Cocteau… discours, brio, élégance masquent les inquiétudes. »
Christian Degoutte (Verso n°118, septembre 2004).
« Avec ce numéro 16, la revue Les Hommes sans Épaules prend le bel envol que nous espérions et les 162 pages de cette livraison rassemblent ce que la poésie peut nous offrir de meilleur aujourd’hui. Les « Porteurs de Feu » se nomment Jean Rousselot et André Miguel. Le premier vient de nous quitter mais restera dans nos mémoires longtemps encore, et le second a choisi le silence (et un isolement que nous respectons). Jean Rousselot et André Miguel demeurent des modèles pour les poètes de notre génération. Souhaitons qu’il en soit de même pour la future… En cadeau à ses abonnés, la revue Les Hommes sans Épaules offre un CD Autour de Jean Cocteau. Il se passe décidément beaucoup de choses du côté de la rue Racine ! »
Jean Chatard (Rétro-Viseur n°99, janvier 2005).