Hervé DELABARRE

Hervé DELABARRE



Hervé Delabarre (né en 1938 à Saint-Malo), étudiant à Rennes, se lie d'amitié avec Annie Le Brun et Jean-Pierre Guillon, avec lesquels il fonde et anime Le Bigaro Littéraire, le supplément aux lettres du journal des étudiants de Rennes, auquel le trio donne une nette coloration surréaliste et libertaire, ce qui ne plait guère à l'Union des étudiants communistes (l'UEC), alors dominante, comme aux étudiants catholiques.

Poète, peintre et surréaliste de sang, Hervé Delabarre fait la rencontre décisive, en 1963, d'André Breton, qui l'invite à rejoindre le mouvement surréaliste et à prendre part aux activités du groupe.

« Comment se souvenir de ce que fut ma rencontre avec André Breton et du début de ma participation au dernier groupe surréaliste du vivant de ce dernier ? De janvier 63 à septembre 66, avant d'en prolonger l'aventure, jusqu'à sa dissolution, qui eut lieu, non sans heurts, trois ans plus tard. Cette rencontre n'était que l'aboutissement – oserai-je dire logique ? – de deux années de jeux et de délire, d'abandon complet à l'automatisme, en cette ville de Rennes où je terminais mes études, et qui n'avait rien à voir avec la ville plutôt « branchée » qu'elle est depuis devenue. L'automatisme, dont l'écriture n'était pour moi qu'un aspect, je m'y livrais en abondance, prêt à répondre à chaque signal qui pouvait en porter la marque. Il y avait Nerval, ses promenades, son Orient, ses rêves, Breton, bien sur, et puis surtout : « Nadja », figure emblématique, jamais démentie depuis, signal éperdu de ce temps nouveau que j'espérais atteindre.

Fin 62, de passage à Paris, trop intimidé pour tenter de le contacter plus directement, je déposai chez la concierge du 42, rue Fontaine, un manuscrit, pour qu'elle le remette à André Breton. Ce manuscrit contenait les poèmes de Danger en rive, parmi lesquels le « Poème à Louise Lagrange » dont j'avais peu de mois auparavant, lors d'un séjour à Paris, découvert la photographie à la devanture de la librairie Labarre, rue Dauphine. L'expression de visage m'avait bouleversé et la presque homonymie du nom de cette librairie et du mien témoignait à mes yeux de la nécessité même de cette rencontre. Un mois plus tard je recevais une lettre d'André Breton (« J’aime ces poèmes que vous m’avez fait lire, le mouvement qui les anime est le seul que je tienne pour apte à changer la vie, leur ardeur est ce que je continue à mettre le plus haut »), qui me proposait de publier ce poème dans le prochain numéro de La Brèche (n°5, 1963), "Action surréaliste", dirigée par André Breton, et publiée à Paris d’octobre 1961 à novembre 1967, par Éric Losfeld. « Peut-être savez-vous, m'écrivait-il, l'extrême intérêt que je prête à ces signes  ».

Peu de temps après, j'étais reçu par Breton dans son atelier du 42, rue Fontaine, dans ce lieu qui paraissait devoir défier le temps, où le merveilleux semblait devoir à tout jamais se reconnaître, « au regard des divinités » certes; qu'il eût fallu murer à sa disparition, afin qu'il se révèle, un jour peut-être, dans bien des millénaires, à des découvreurs d'infini. Ce même jour, en soirée, à l'heure de l'apéritif, je faisais connaissance avec « La Promenade de Vénus », une brasserie près des halles où se réunissaient quotidiennement les membres du groupe. Mes passages à Paris se déroulèrent toujours ensuite sur le même modèle: la visite à Breton, puis dans la soirée et les jours suivants, dépendant du temps de mon séjour, la rencontre avec les amis, les discussions animées et conviviales dans le cadre de « La Promenade » auxquelles s'ajoutaient en fonction des disponibilités de chacun et des affinités, des visites aux uns ou aux autres », a témoigné Hervé Delabarre (in Les Hommes sans Épaules n°17/18, 2004).

Le surréalisme de Delabarre demeure fidèle à la figure tutélaire d’André Breton : « D'aucuns, mieux placés que moi et qui ont pris une part plus prépondérante à l’aventure sont mieux placés pour parler des activités et des problèmes qui accompagnèrent la vie du groupe surréaliste peu avant et après la disparition de Breton. Reste que ma rencontre avec ce dernier aura déterminé pour l'essentiel mes rapports avec ce qu'il est convenu d'appeler la poésie ou plus simplement la vie. Le Breton dont je retiens le plus l'image – les images – restée à tout jamais immarcescible en moi, n'est pas celui du grand passant parisien qu'en dehors des rares rendez-vous qu'il m'accorda et des réunions de « La Promenade » je ne pouvais qu'entrevoir, mais celui qu'il me fut possible de côtoyer journellement à Saint-Cirq-Lapopie. Nous nous y étions déjà arrêtés, ma femme et moi, accompagnés de notre amie Annie Lebrun, au mois d'août 63, mais c'est surtout lors des deux étés suivants où nous avions loué une chambre chez l'habitant que nous eûmes le privilège de bénéficier de la présence d'André et de celle d'Elisa.

Ces moments très rares, vécus auprès de Breton, m'ont valu de connaître un homme très éloigné de l'image qu'on a trop souvent voulu donner de lui et que cristallise l'expression par trop imbécile et néanmoins continûment reprise de « pape du surréalisme ». Un homme d'une réelle simplicité – celle qui ne renie en rien, sans l'exhiber, ce qui fonde sa personnalité –, chez lequel se retrouvaient une pudeur et une courtoisie qui n'avaient rien de convenu mais répondaient à la reconnaissance et au souci d'autrui, et puis surtout une fantaisie, une drôlerie qui nous ont valu des moments de franche gaieté, tandis qu'attablés à une table de terrasse ou de restaurant, nous savourions un vieux Cahors ou quelque vin de pays, et cette étonnante capacité, bien sûr, à souligner, comme en se jouant, ce qui faisait le prix de l'instant.

Ce Breton-là était toujours à même de nous faire découvrir et aimer la vie, sans recourir à l'exceptionnel, mais en sachant constamment nous mettre en contact avec ce qu'elle avait de rare : les paysages et les pierres du Lot, la beauté de Saint-Cirq au retour, le soir, dans le soleil couchant, la flore et les oiseaux surtout, ces oiseaux dont il était un grand connaisseur et un amoureux, ce qui lui valait de détester les chats, ces « assassins » comme il les appelait et, à ma femme et moi, de ne pas lui imposer la présence de la noire Billie, notre chatte, condamnée à rester dans notre chambre et à nous attendre », relate encore Delabarre (in Les Hommes sans Epaules n°17/18, 2004), dont le surréalisme n’est pas la quête d’un paradis supraterrestre, mais une explosion de la sensibilité dans « l’ici et maintenant ».

Hervé Delabarre est un poète, c’est à dire un voyant dont chaque œuvre est un défi à l’abstraction, une plongée dans le concret, le merveilleux. Ses poèmes possèdent un pouvoir insurrectionnel qui n’est pas sans rapport direct avec l’être et ses fêlures. Également peintre du Merveilleux et de l’onirisme total, Hervé Delabarre est en quête d’aventures intérieures, de merveilleux et d’onirisme.

À la fois volcanique et sensuel, le poète de Danger en rive agite ses mots comme des rasoirs qui tranchent la gorge d’un réel souvent imbuvable. Ciselé dans le silex de l’inconscient et de l’émotion, le lyrisme de Delabarre n’est pas une fuite ; il introduit le rêve dans la réalité, sans jamais rien omettre de dire, et sans jamais se résigner.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).


À lire Les Métamorphoses du Bill (HC, 1960), Les Dits du Sire de Baradel, illustrations de Jorge Camacho, (éd. Peralta, 1968), Métronome du désir l’éclair (Ogham, 1970), Lueurs d'antre (éd. Autres Rives, 1989),  Paroles de Dalila (Myrddin,1992), Bribes pour Dalila (Myrddin,1992), Avide d’elle avilie, illustrations de Catherine  Caquevel, (Encres d'argile, 2000), Danger en rive & autres poèmes, postface de Christophe Dauphin (éd. Librairie-Galerie Racine, 2004), Le Lynx aux lèvres bleues (éd. surréalistes, 2007), Effrange le noir (éd. Librairie-Galerie Racine, 2010), D’Éléonore et d’autres, collages de Marie-Laure Missir, (éd. des Deux Corps, 2011), Le Plumier de la nuit, collages de Pierre Rojanski, (éd. des Deux Corps, 2011), Les Hautes Salles (éditions clarisse, 2012), Les Survenants, dessins de Georges-Henri Morin, (éd. des Deux corps, 2013), Dans l'ombre du lynx, suivi du dossier Autour du Lynx, avec des textes de Jean-Claude Chenut, Christophe Dauphin, Françoise Delahaye, Paul Farellier, Guy Girard, André Prodhomme, Paul Sanda, Roberto San Geroteo, Eric Sénécal, Jean-Claude Tardif et Jacques Albert Thibaud (A L'Index, 2014), Prolégomènes pour un ailleurs, Préface de Christophe Dauphin, illustration de Jacques Hérold (Les Hommes sans Epaules éditions, 2015), La nuit succombe, Préface d'Alain Joubert, illustration de Lucien Coutaud (Les Hommes sans Epaules éditions, 2017), Chemins de nuit et leurs stations, encres de Françoise Delahaye, (A L'Index, 2018), Du string (Éditions Sonámbula, 2019), Alors (À L'Index, 2019), En Instance d’être (À L’Index, 2021), Les Contes du Sire de Baradel, suivi de Divers d'hiver & d'autres en corps, préface de Christophe Dauphin, illustration de Lucien Coutaud (Les Hommes sans Epaules, 2021).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57

Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules




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Prolégomènes pour un ailleurs

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