QUILAPAYUN

QUILAPAYUN



Le groupe Quilapayún (du mapuche quila, trois et payún, barbe), est fondé à Santiago du Chili par Julio Numhauser, Eduardo et Julio Carrasco. Le groupe donne ses premiers concerts au Peña, le café-concert fondé par Angel Parra et sa sœur Isabel. Un an plus tard, le groupe obtient le Premier Prix du 1er festival national de folklore « Chile multiple ». Victor Jara devient leur directeur artistique. Ils enregistrent leur premier album, Quilapayún.

Trois an plus tard, le groupe amorce un virage artistique, avec la rencontre de Luis Advis, qui compose pour eux la « Cantata Santa Maria de Iquique », qui sera et est toujours considéré comme le chef-d’œuvre de la Nouvelle chanson chilienne. La connotation poétique mais aussi fortement sociale de leurs textes amènent les Quilapayún au premier plan de l’actualité artistique, mais aussi politique.

Le groupe soutient activement l’Unité Populaire qui porte Salvador Allende à la présidence du Chili en 1971. Nommé ambassadeur culturel du Chili par le président, Quilapayún quitte le Chili, fin août 1973 pour une tournée européenne, avec deux principaux rendez-vous à la Fête de l’Humanité et à l’Olympia.

Quilapayún devait rentrer le 24 septembre. Il n’en sera rien, en raison du Coup d'Etat de Pinochet le 13 septembre 1973. Le groupe obtient l’asile politique en France et s’installe à Colombes (Hauts-de-Seine) sur l’invitation du maire communiste Dominique Frelaut. 

En 1973 Quilapayún assure malgré tout une cinquantaine de concerts en France, Allemagne, Suède, Pays Bas et en Algerie. Quinze ans d’exil commencent, au cours desquels le groupe enregistrera une vingtaine d’albums originaux, ainsi que quelques compilations et albums live, tout en se produisant dans plus de trente pays.

La défaite du général Pinochet lors du référendum de 1988, marque la fin de la Dictature militaire, le retour à la démocratie et la fin de l’exil pour Quilapayún, dont quelques membres retournent au Chili. L’activité du groupe s’affaiblie dans les années 1990, pour aboutir en 2002, à la suite de divers désaccords et litiges administratifs, à une scission et à un triste procès : Hernan Gomez et Eduardo Carrasco doivent affronter Rodolfo Parada au sujet du dépôt de la marque « Quilapayún ». La justice donne tort à Patricio Castillo, Rodolfo Parada et Patricio Wang, qui ont interdiction d’utiliser le nom « Quilapayún ».

Dans les années qui suivent, Quilapayún connait un regain d’activité, de création et de succès et réalise une tournée avec la reprise de la « Cantata Santa Maria de Iquique » au Chili, en Amérique Latine et en Europe. Il participe à un méga-concert à la mémoire de Salvador Allende, avec la participation d’artistes venus de plusieurs pays.

En 2005, Quilapayún se produit à Amsterdam. En 2006 à Paris, à la Cigale. Le 30 septembre 2009, à Paris au Théâtre du Châtelet : concert en hommage à Victor Jara. Le groupe donne jusqu’en 2012 plus de deux cents concerts dans une quinzaine de pays.

En juillet 2015, la carrière du groupe atteint sa 50e année d’existence avec un bilan de vingt-cinq disques originaux, six dvd, un grand nombre de compilations et environ deux mille deux cents prestations publiques. Mondialement reconnu pour son engagement politique et artistique ; exilé en France durant seize ans, les Quilas, n’auront jamais cessé de composer des chansons prônant la souveraineté des peuples.

De quoi Quilapayun est-il le nom à Colombes : texte pour la médaille de Carlos

 De Colombes, le rayonnement du groupe chilien Quilapayun a été intense et hautement créatif (45 albums). Carlos est le seul membre du groupe à habiter encore à Colombes. Tout le groupe mérite la médaille de la Ville, mais Carlos davantage encore. Et quand aurons-nous une rue, une place Quilapayun, à Colombes ? Ce que nous leur avons donné, ils l’ont rendu au centuple. J’en parle plus bas. Quilapayun n’est pas un groupe d’exilés chiliens qui chantent en espagnol. C’est mon groupe, c’est notre groupe de musiciens sans frontière qui chante l’universel, mon groupe, notre groupe qui a abattu la muralla ! Quand tu chantes Carlos, comme un ange subversif, notre douleur ne disparaît pas, mais elle est suspendue comme le temps ! Et cela fait du bien…

Au lendemain du concert historique au Théâtre du Chatelet, à Paris, le 28 septembre 2023, un moment grandiose de communion entre Quilapayun et son peuple-public, nous nous sommes retrouvés en petit comité le lendemain, à Colombes, où la médaille de la ville a été remise à Carlos Quezada par la maire adjointe Chantal Barthélémy, avec la présence de la députée Raquel Garrido. 50 ans plus tard, émotion de nous retrouver au complet à Colombes, et avec Eduardo Carrasco, qui n’est pas seulement le fondateur du groupe, mais la pierre angulaire et un immense créateur.

Pourquoi cette ville de la banlieue ouest de Paris ? Quilapayún était en tournée en France lors du coup d’État militaire au Chili, le 11 septembre 1973. Jusqu’aux attentats de New York, en 2001, LA JOURNÉE DU 11 SEPTEMBRE évoquait le coup d’État au Chili et la mort du président Salvador Allende, en 1973. À l’époque, le gouvernement américain n’était pas la cible du terrorisme. Au contraire, il fut le chef d’orchestre, comme dans de nombreux pays du monde et notamment d’Amsud, d’une campagne de terreur et de terrorisme qui déboucha sur l’établissement d’une nouvelle dictature. Immédiatement, le billet de retour à Santiago des Quilapayun est parti en fumée. Dominique Frelaut, le maire historique et emblématique de notre ville, après un concert donné à la MJC de Colombes, leur proposa des logements dans la Tour Z, une HLM de la cité des Fossés-Jean. J’y vis déjà et j’ai cinq ans. 

Les exilés chiliens ont été accueillis dans des conditions très favorables en France, bénéficiant d’une solidarité exceptionnelle, et ce fut le cas pour les membres du groupe et leurs familles, de notre peuple, plus que de notre président Pompidou, qui ne voyait pas d’un mauvais œil la chute d’Allende et de l’Unité Populaire. En France, je l’ai écrit dans le numéro spécial, de la revue Les Hommes sans Épaules (n°45, Poètes chiliens contemporains, le temps des brasiers), en 2018, à mon retour du Chili, l’arrivée des exilés chiliens, à partir de 1973, a marqué l’opinion par son ampleur démographique et son retentissement politique et culturel : 10.000 à 15.000 personnes (la plus importante communauté latino-américaine de France) qui, pour une grande majorité s’installent durablement. De nombreux comités se forment pour faciliter l’installation ses réfugiés et leurs familles, entraînant un formidable mouvement de sympathie. Prolongeant le travail de publication réalisé sous l’Unité Populaire, les exilés chiliens livrent en France une « véritable guérilla de l’esprit » en publiant des ouvrages à tour de bras : récits, poèmes, témoignages et revues littéraires.

Quilapayun est au premier rang de ce combat, avec ses armes : chants, textes, poèmes, quena (flute droite), guitare, basse, flûte de Pan, charango (petite guitare), bongo et conga (percussions) ; des armes au service de l’amour, de la justice, de la poésie et de la liberté. Aux côtés des membres fondateurs et des anciens, se tiennent aujourd’hui les nouveaux pivots du groupe, musiciens et chanteurs de très grands talents : Ismaël Oddo (qui prolonge sur scène son père Willy, mais avec ses propres acquis qui ne sont pas moindres ; Willy était un homme exquis, dont je me souviens), Ricardo Caito Venegas (dont Hernan me fait l’éloge du musicien, à juste titre), rejoints bien sûr par Sebastian Quezada.  

Quilapayun n’est pas un groupe politique, mais d’artistes de musiciens et chanteurs de haute-voltige, brillants et innovants. Porte drapeau de la nouvelle chanson chilienne, depuis la mort de leur ami Victor Jara, l’œuvre des Quilapayún, mêle à des textes profondément poétiques ou à des textes engagés humainement et socialement, une musique qui associe les rythmes et instruments andins aux sonorités occidentales, le tout conviant tout un peuple, à célébrer la paix et la résistance, la liberté. Le rayonnement international des Quilapayún ne s’est jamais démenti. Leur hymne El pueblo unido jamás será vencido ! (Le peuple uni ne sera jamais vaincu) résonne dans le monde entier.

À Paris comme à Colombes les Quilas n’ont pas manqué de remercier la France et diverses personnalités pour leur accueil et aides, mais il convient de ne pas oublier ce qu’ils ont donné et apporté, qui est tout aussi considérable : leurs albums, leurs concerts, mais aussi leur apport dans le tissu associatif et culturel, un apport poursuivi par les enfants du groupe, dont on peut être fier comme je le suis personnellement. Je parle entre autres de Sébastian Quezada grand percussionniste mais aussi enseignant, de Victor Quezada, comédien et metteur en scène de haute voltige, mais qui enseigne aussi ces disciplines. Carlos lui-même a passé sa vie parallèlement à sa carrière musicale dans le tissu associatif. Je pourrai multiplier les exemples. Je n’oublie bien sûr pas mon hermano Rodrigo Gomez Rovira qui, aujourd’hui à Valparaiso, est devenu le plus grand photographe chilien.

Longtemps, chez Rodrigo, il n’y eut aucun meuble, seulement des cartons, des caddies du supermarché des arcades. La situation était provisoire. La Révolution allait être sauvée, Pinochet et sa junte allaient être défaits, il fallait être prêt à partir. L’histoire évolua différemment. Cela allait prendre du temps : seize ans, en fait. Il fallut se meubler et s’insérer. « Les parents durent recoller les morceaux de leurs vies brisées, leur exil… Nous autres, les enfants de l’exil, avons dû aussi recoller les morceaux. Autrement. Ceux de l’histoire des parents mais aussi de la nôtre », témoigne Diego Olivares. Rien de simple de part et d’autre, lorsqu’un héritage mêle une histoire personnelle à celle de deux pays, et dont l’origine est l’une des plus grandes tragédies du XXe siècle.

Avec le retour de la démocratie au Chili, en 1990, près de 30 % des réfugiés sont retournés dans leur pays d’origine. Quel pays ont-ils retrouvés ? Depuis le 11 septembre 1973, la junte militaire a bâillonné les luttes sociales au Chili. La Dictature militaire est responsable de multiples atteintes aux droits de l’homme (plus de 3.200 morts et autour de 38.000 personnes torturées, plusieurs centaines de milliers d’exilés) ; de la mise en place, sous la coupe des « Chicago boys » formés par Milton Friedman, d’une politique économique de privatisations, ultralibérale ; un système qui n’a pas été remis en cause, sous la pression des Partis de droite, de la bourgeoisie et de l’Église, pas plus ou mollement que la constitution de Pinochet, hélas, par les gouvernements civils qui se sont succédés après le référendum de 1988 : 55% de no à  Pinochet, mais tout de même, 43% de si. Selon une étude menée par des chercheurs de l’université de Santiago, il ressort que 1% de la population accapare à elle seule 30% de la richesse du pays. Ultralibéralisme oblige, la redistribution est inexistante. C’est l’Unité Populaire à l’envers !

Dans le Chili de l’après Allende, tout a été privatisé ou presque : l’éducation (la plus chère et la plus inégalitaire du monde derrière celle des USA : 70% des étudiants doivent s’endetter), le système de santé, les retraites… Rien n’a changé au Chili sur le plan du modèle économique, depuis la fin de la Dictature, puisque des concessions supplémentaires ont même été accordées aux secteurs privés de l’énergie, du téléphone, des banques des routes et des transports. Plus de 15% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et plusieurs millions sont juste au-dessus. Le droit de grève, lois pinochetistes obligent, est très restreint. La presse est à 95% entre les mains de deux gros trusts privés. L’impunité des forces de l’ordre (ne dépendant que des tribunaux militaires) est toujours un problème. Près de trois-cents civils et militaires ont été condamnés pour leurs crimes durant la dictature, mais quatre-vingts seulement ont été incarcérés. Le divorce n’a été approuvé qu’en 2005. L’avortement en cas de viol, de malformation fœtale et de risque pour la santé de la mère, totalement interdit depuis la dictature de Pinochet, a été maintenue sous la pression de l’Église catholique. Il a fallu attendre 2017, pour que cette aberrante interdiction cesse, au moins dans certains cas. Après une telle histoire ; il n’y a rien d’étonnant à ce que la poésie chilienne demeure marquée par l’exil et la clandestinité ; mais les poètes chiliens, des années 80 à aujourd’hui, ont naturellement éprouvé le besoin de forger leurs armes, leur propre écriture, un lyrisme propre : une poésie de l’après-Neruda, portée par des aînés d’ailleurs forts différents les uns des autres, tels que Gonzalo Rojas, Luis Mizón, Waldo Rojas ou Raúl Zurita.

Quilapayun, c’est mon groupe, c’est notre groupe ! Ils chantent pour nous, de Santiago à Colombes ! Je m’en tiens aussi au fait, que c’est par les Quilas et les Chiliens de Colombes, dont mon regretté ami Patricio Paniagua Giannini, que j’ai commencé à me forger une culture politique, musicale et poétique. Bref, à cette époque-là est né tout ce qui fonde ma vie. Je n’ai pas assez de mots pour remercier les Quilas, qui nous ont ouvert tout un monde, de l’espoir et des possibilités, à nous, les gamins de la cité des Fossés-Jean qui n’avions vraiment aucune perspective. Cela ne s’oublie pas. Leur apport à la France est aussi important que celui des réfugiés républicains espagnols le fut au Chili. Les réfugiés espagnols de 1939, devenus chiliens, dont le grand peintre José Balmes, décédé durant l’été 2016, était l’un des derniers survivants, réfugiés espagnols auxquels mon ami le poète chilien Luis Mizón a rendu un bel hommage en écrivant : « Ils se sont proposés de traduire, de transposer et de transvaser dans le Nouveau Monde toute la culture de leur époque. Personne ne soupçonne ce qu’on traduit Vicente Gros ou Ferrater Mora dans ces maisons d’édition qui agissaient comme des utopies secrètes : des traducteurs semblables à des typographies inlassables, travaillant jour et nuit. »

Si l’Unité populaire, au pouvoir au Chili de 1970 à 1973, mon Chili mythique et celui des Quilas qui n’existe plus, continue à interpeller, c’est qu’elle raconte les difficultés d’un changement radical de société et d’une démocratisation pleine et entière à tous les niveaux, qui puissent réconcilier émancipation et représentation, participation démocratique et appropriation sociale. Ceci sans nous faire oublier que, dans un tel moment de polarisation, une élite menacée dans ses intérêts fondamentaux est capable, comme le craignait de manière prémonitoire Fidel Castro pour Allende et le Chili, de s’appuyer sur le terrorisme d’État et l’interventionnisme de puissances étrangères pour rétablir ses privilèges. Le projet des États-Unis de Nixon et de son tristement célèbre secrétaire d’État Kissinger, n’a jamais changé : l’étranglement économique du pays pour permettre aux classes dominantes chiliennes de reprendre la main en s’appuyant sur l’armée. Viva Colombes-sur-Mapocho ! Viva Santiago-sur-Seine ! Viva Chile ! Allende presente ! Neruda presente ! Abrazo fuerte !

 

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

Discographie : Quilapayún (1966), Canciones Folklóricas de América (1967), X Vietnam (1968), Quilapayún Tres (1968), Basta (1969), Quilapayún Cuatro (1970), Cantata Santa María de Iquique (1970, Vivir como él (1971), Quilapayún Cinco (1972), La Fragua (1973), El pueblo unido jamás será vencido (1975), Adelante (1975), Patria (1976), La marche et le drapeau (1977), Cantata Santa María de Iquique (Nueva versión, 1978), Umbral (1979), Alentours (1980), Darle al otoño un golpe de ventana... (1980), La revolución y las estrellas (1982), Quilapayún chante Neruda (1983), Quilapayún en Argentina (Live in Argentina, 1983), Tralalí Tralalá (1984), Quilapayún en Argentina (Live in Argentina, 1985), Survarío (1987), Los tres tiempos de América (1988), Quilapayún en Chile (live, 1989), Latitudes (1992), Antología 1968-1992 (1998), Al horizonte (1999), El reecuentro (2003), Musica en la memoria avec Inti Illimani (2004), La Vida contra la Muerte (2005), La fuerza de la Historia (2006), Siempre (2007), Solistas (2009), Homenaje a Victor Jara (live, 2013), Encuentros (2014), 50 años (live et dvd, 2015).

Site internet : www.quilapayun.com

Membres de Quilapayún

Membres historiques

Fondateur Eduardo Carrasco : instruments à vent et chant

Depuis 1966 Carlos Quezada : percussion et chant

Depuis 1973 Guillermo García : guitare et chant

Depuis 1968 Hernán Gomez : guitare, charango et chant

Depuis 1972 Hugo Lagos : guitare, quena, zampoña, et chant

Depuis 1978 Ricardo Venegas Carhart : chant, quena et basse

Guillermo Oddo, dit Willy. Rejoint le groupe en 1967.Décédé en 1991 à Santiago

Membres plus récents

Depuis 2003 Ismael Oddo (fils de Willy Oddo) : claviers, guitare et chant

Depuis 2004 Sebastian Quezada (fils de Carlos Quezada) : percussion et chant

Depuis 2007 Ricardo Venegas (fils) : Basse et chant

Depuis 2009 Fernando Carrasco : guitare, charango, quena et chant



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes chiliens contemporains, le temps des brasiers n° 45