Dans la presse

 

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Lectures :

Les Hommes sans Épaules ont 70 ans et c’est exceptionnel. Rares sont les revues de poésie d’une telle longévité. Christophe Dauphin fête cet anniversaire par un éditorial-manifeste émotiviste dans lequel nous percevons un rapport non-dualiste à ce qui se présente :

« Si l’émotivisme dont nous nous réclamons, n’est pas sensiblerie, il n’est pas pour autant culte de l’émotion. La prise qu’a le moi sur les émotions n’est jamais complète et elle réclame justement un lâcher-prise par lequel les tensions puissent se résoudre. L’émotion qui est l’équation du rêve et de la réalité, parce qu’elle jaillit brutalement, comme une réaction devant l’irritation d’une blessure, met le sujet hors de soi. « Je est un autre », « Je est tous les autres » !

Il y a là davantage qu’une intuition, il y a un chemin, une quête intransigeante, par la poésie.

« L’émotivisme est une attitude devant la vie, une conception du vivre qui ne saurait être détachée de l’existence du poète, car la création est un mouvement de l’intérieur à l’extérieur et non pas de l’extérieur sur la façade. L’émotivisme est un art de vivre et de penser en poésie, car une œuvre est nulle si elle n’est qu’un divertissement et si elle ne joue pas, pour celui qui la met en question, un rôle prépondérant dans la vie. »

Le dossier de ce numéro 56 est consacré à Yusef Komunyakaa & les poètes de la guerre du Vietnam. Yusef Komunyakaa, (James William Brown Junior) naît en 1947 à Bogalusa en Louisiane. Confronté au racisme systémique du Sud des USA, il s’implique dans le mouvement de lutte pour les droits civiques. Christophe Dauphin retrace ces années de lutte qui plongent aussi dans les horreurs de la guerre du Vietnam, inscrites par les larmes et le sang dans sa poésie : « Profondément ancrée dans son temps et dans la vie sans le moindre trompe-l’œil, dit-il, la poésie de Yusef Komunyakaa puise sa force dans le vécu même, les révoltes et les racines du poète. Les images sont celles du Sud et de sa culture, de Noirs vivant dans un monde blanc, de la guerre en Asie du Sud, du quotidien, des villes, des pulsations du blues et du jazz. Le langage est aérien, les vers sont courts et visent juste comme des flèches tirées de l’arc des entrailles. »

 

La Limite (extrait)

 

Quand les fusils se font silencieux pendant une heure

ou deux, vous pouvez entendre les pleurs

des femmes faisant l’amour aux soldats.

Elles ont une mémoire sans pitié

& savent comment porter des robes claires

pour conduire une foule, conversant

avec un peloton d’ombres

engourdies par la morphine. Leurs vrais sentiments

les font briser comme avril

et ses rouges fleurissements.

 

Reddition de la jungle (extrait)

d’après la peinture de Dan Cooper

 

Les fantômes partagent avec nous le passé & le futur

mais chacun nous luttons pour retenir notre souffle.

Allant vers ce qui attend derrière les arbres,

le prisonnier s’enfonce plus loin en lui-même, à distance

de la façon dont le cœur d’un homme le divise, plus loin

dans le mystère indigo de la jungle & la beauté,

avec ses deux mains levées dans les airs, se rendant

qu’à moitié : le petit homme à l’intérieur

attend comme une photo dans une poche déchirée, refusant

de lever ses mains, silencieux & intransigeant

tandis que le chien noir éclaireur est à ses côtés.

Amour & haine

étoffent le vrai homme, comme il lutte

dans l’hallucination des bleus

& pourpres foncés qui mettent le jour en feu.

Il somnambule dans un labyrinthe de violettes,

mesurant ses pas d’un arbre à l’autre, sachant que nous sommes tous en quelque sorte connectés.

Qu’ai-je pu dire ?

Nous découvrons dans ce numéro, à la suite de Yusef Komunyakaa, de nombreux auteurs et poètes vietnamiens qui, mieux que les historiens, disent le réel de la guerre : « Liberté est un mot vietnamien ! »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 20 octobre 2023)

*

"Une chamionne du monde de la poésie, telle est la revue Les Hommes sans Epaules, dans laquelle Christophe Dauphin, dans son éditorial-manifeste  émotiviste du n°56, donne un texte étonnament documenté dans lequel on a envie de pénétrer pour mieux apprécier la portée de ce chemin majeur de la poésie actuelle auquel je souscris de toute ma force d'éditeur de revue, qui montre mon attachement à ce genre majeur. Tous émotivistes, un mot d'ordre et de plaisir nécessaires.

Jean-Pierre LESIEUR (in revue Comme en poésie n°96, dcembre 2023).

*

« Tout poème est politique. Même le plus innocent ou le plus bête. C’est le crédo de la revue Les Hommes sans Épaules et de son animateur Christophe Dauphin. En voilà un sacré et infatigable arpenteur. Rien ne lui est étranger de l’histoire-géo, petite ou grande, de la poésie. Dans cette revue, les poèmes ne sont pas balancés comme ça, mais toujours accompagnés d’une présentation (parfois fouillée) des auteurs. Bon ! Le cœur du n°56, c’est le Vietnam dont Christophe Dauphin « raconte » l’histoire complexe, à laquelle se mêle celle de de français et d’américains venus y vivre ou y mourir. La langue vietnamienne est « monosyllabique, mais polyphone… ce qui donne au vers une grande concision et une riche musicalité » écrit Chê Lan Viên. La révolution, les guerres coloniales menées par la France et par les USA ont beaucoup nourri les poèmes vietnamiens du 20èmesiècle : « Je suis allé tout droit – Au cimetière des avions pirates américains / Une horde de cadavres, affalés, estropiés – écrabouillés… tous ces démons américains… » : Ngô Xuân Diêu ; ou d’Hô Chi Minh, lui-même : « Sous le choc du pilon souffre le grain de riz – Mais l’épreuve passée, admirez sa blancheur – Pareils sont les humains dans le siècle où l’on vit – Pour être homme, il faut subir le pilon du malheur ». D’autres poèmes disent la vie ordinaire : « Nous tressons l’épervier – avec des fils de soie jaune serrés – nous tressons la senne – avec du lin blanc… » : Anh Tho, seule femme de ce dossier avec Madeleine Riffaud, résistante lors de la guerre 39-45, activiste de la décolonisation : « Bouteilles vertes et fronts morts – Ont mêmes gestes, même lit ». Les soldats américains ont mêmes gestes, même lit ». Les soldats américains ont eux-mêmes beaucoup écrit « leur » guerre du Vietnam. Dans ce n°56, l’Afro-Etatsunien, Yusef Komunyakaa : « Mon visage noir s’efface – se dissimulant derrière le granit noir… Je descends les 58.022 noms – attendant à moitié de trouver – le mien en lettre parmi la fumée – Je touche le nom d’Andrew Johnson – je vois le flash blanc de l’objet piégé… » Mais aussi dans ce n°, les surréalistes Gérard Legrand, Guy Cabanel (présentés par Christophe Dauphin) et des créations d’aujourd’hui : Eric Chassefière, laurent Thinès, Sadou Czapka : « Le mur est une limite – et nous sommes des animaux aveugles… » et André-Louis Aliamet : « Papillon dans l’encre incertaine – toi qui n’habites aucun corps – pas même l’eau qui vole – en portant tous les souffles… » Proses et nombreuses lectures critiques. »

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°196, mars 2024).




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