Les Hommes sans Épaules

Dossier : Daniel VAROUJAN & le poème de l'Arménie
Numéro 58
324 pages
07/10/2024
17.00 €
Sommaire du numéro
Éditorial : "Ce khatchkar normand est pour toi !", par Christophe DAUPHIN
Une Voix, une oeuvre : Vahé GODEL, par Christophe DAUPHIN, Gérard CHALIAND, par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Vahé GODEL, Gérard CHALIAND
Ainsi furent les Wah 1 : Poèmes de Grégoire de NAREK, Nahabed KOUTCHAK, SAYAT-NOVA, Pierre QUILLARD, Lucie DELARUE-MARDRUS, Max JACOB, SIAMANTO, Rouben SEVAK, Kostan ZARIAN, Ossip MANDELSTAM, Nâzim HIKMET, Arshile GORKY, André BRETON, Armen LUBIN, Eghiché TCHARENTS, Vassili GROSSMAN
Dossier : "Daniel VAROUJAN, le poète et la terre rouge d'Arménie", par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Daniel VAROUJAN
Ainsi furent les Wah 2 : Poèmes de Missak MANOUCHIAN, André VERDET, Rouben MELIK, Yves BONNEFOY, Parouir SEVAK, Imre KERTESZ
Vers les Terres libres : Kamel BENCHEIKH, par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Kamel BENCHEIKH
Ainsi furent les Wah 3 : Poèmes de Francesca Yvonne CAROUTCH, Mahmoud DARWICH, Gérard MORDILLAT, Charles AKOPIAN, Alain BRISSIAUD, Violette KRIKORIAN, Christophe DAUPHIN, Dorcy RUGAMBA, Frédéric TISON, Laurent THINES, Marie TAVERA, Marie BOUCHEZ, Lorenzo FOLTRAN
Les Infos/Echos des HSE : avec des textes de Karel HADEK, Alain BRETON, Ivica HENIN, Paul FARELLIER
Avec la moelle des arbres, notes de lecture : par Christophe DAUPHIN, Pierrick de CHERMONT, César BIRÈNE, Odile COHEN-ABBAS, Emmanuel BAUGUE
Présentation
DANIEL VAROUJAN, LE POÈTE DE LA TERRE ROUGE D’ARMÉNIE (extraits)
par Christophe DAUPHIN
Daniel Varoujan vient d’un pays, qui a été occupé par les grands empires de sa région, avant de devenir un royaume qui s’étendît de l’Asie Mineure aux montagnes du Caucase au IXe siècle, sous la dynastie des Bagratides, une importante puissance régionale qui développe une culture brillante et originale. La légende veut que les Arméniens descendent de Haïk, arrière-arrière-petit-fils de Noé par Japhet. Leur présence est attestée dès le VIe siècle avant J.-C. par les sources perses et grecques.
L’arrivée des Armens, peuplade indo-européenne, marque la constitution de la satrapie d’Arménie au VIe siècle av. J.-C. Au 1er siècle av. J.-C., le royaume d’Arménie sous Tigrane le Grand atteint son apogée. L’Arménie est la première nation à adopter le christianisme comme religion d’État en 301. L’histoire de ce bastion montagneux situé à un carrefour stratégique entre l’Europe et l’Asie, sur les voies de commerce et d’invasions, est une succession de phases d’indépendance et de soumission, d’unification et de morcellement, d’âges d’or et de pages sombres. L’adoption précoce du christianisme (IVe siècle), une Église nationale et la création d’un alphabet (Ve siècle), par Mesrop Machtots, forgent une identité forte qui survit, même en l’absence d’État.
Entre les XVIe et XIXe siècles, le plateau arménien composé de l’Arménie occidentale et de l’Arménie orientale est sous contrôle des empires ottoman et iranien, respectivement. Au XIXe siècle, suite à la guerre russo-persane de 1826-1828, l’Arménie orientale (qui fut sous la domination perse, de 428 à 646 puis de 1639 à 1828) est conquise par l’Empire russe alors que la partie occidentale demeure sous l’Empire ottoman (les Turcs seldjoukides ont conquis l’ensemble de l’Arménie, qui était aux mains de l’Empire byzantin depuis 1045, en 1064). Jusqu’à la fin du XIXème siècle, l’Empire ottoman est le monde dans lequel vivent la plus grande majorité des Arméniens. (..)
Daniel Varoujan, poète autour duquel tourne notre dossier central a été arrêté sans le moindre motif par la police turque, le 24 avril 1915, à Constantinople, vers minuit, comme de nombreux intellectuels et poètes Arméniens, dont Siamanto et Rouben Sévak. La rafle dite des intellectuels débute à 20 heures, dirigée par Bedri Bey, le chef de la police de Constantinople. Dans la nuit du 24 au 25 avril 1915, 270 intellectuels arméniens sont arrêtés, des ecclésiastiques, des médecins, des écrivains, des éditeurs, des journalistes, des avocats, des enseignants et des hommes politiques. Ils sont conduits dans des centres de rétention où la plupart sont immédiatement assassinés. Ces arrestations ont été décidées par le ministre de l’Intérieur Talaat Pacha.
En comptant les arrestations survenues les jours suivants à Constantinople, on atteint le chiffre de 2.345 déportations. Daniel Varoujan va passer quatre mois en prison. Tout va aller très vite dans l’ignoble. D’avril 1915 à octobre 1916, en un peu plus de dix-huit mois, le Parti-État Jeune-Turc élimine trois peuples constitutifs de l’Empire ottoman : les Arméniens qui vivent sur leurs terres depuis trois mille ans, les Grecs et les Assyriens. Les déportations sont systématiques. Elles visent « officiellement » à « déplacer » la population arménienne en Syrie et en Mésopotamie. 15 à 20% seulement des déportés parviennent sur leurs lieux de « déportation » sur trois axes : la ligne de l’Euphrate, la route Ras ul-Ayn-Mossoul-Bagdad, l’axe Alep-Homs-Hama-Damas-Amman-Sinaï...
Ce numéro 58 de la revue Les Hommes sans Épaules s’inspire d’un manuscrit inédit (Christophe Dauphin, Arménie, le poème de la terre rouge), dont il reprend des extraits pour une part, l’autre étant inédite et propre à ce numéro des HSE. Ce manuscrit est celui d’un poète qui évoque par le biais de la poésie et ses poètes l’une des plus grandes tragédies de XXe siècle : le génocide des Arméniens, sans oublier ceux des Grecs pontiques et des Assyro-Chaldéens. La Grande guerre est le tombeau de l’Empire Ottoman, mais aussi celui des chrétiens de Turquie. L’Empire ottoman a procédé, sur son territoire au génocide des chrétiens, Arméniens (1.200.000 à 1.5000.000 victimes) Assyro-chaldéens (270.000 à 750.000 victimes) et Grecs pontiques (350.000 victimes).
Le génocide initié par Abdülhamid II, réalisé par les Jeunes-Turcs, est enterré par Kemal Atatürk qui s’approprie en même temps tous les biens nationaux et individuels des Arméniens. Le régime de Mustafa Kemal repose en grande partie sur les fonctionnaires du régime Jeunes-Turcs. Depuis, tous les gouvernements successifs de la République turque, fondée sur les ruines de l’Arménie, ont toujours nié la culpabilité de la Turquie dans le génocide des Arméniens. Winston Churchill écrit dans ses mémoires : « Dans le traité qui établit la paix entre la Turquie et les Alliés, l’histoire cherchera en vain le mot Arménie. »
Dans l’histoire officielle de la Turquie, rédigée dans les années 1930, l’Arménie n’est pas mentionnée, comme si les Arméniens n’avaient existé que comme rebelles et traîtres à la patrie. Les assassins de la mémoire prennent le relais des tueurs. Le discours qui prévaut alors en Turquie (et c’est toujours le cas) est celui d’un peuple organique et homogène, fondé sur la turcité et l’islam sunnite. Le génocide de 1915 n’a pas existé. Toute identité « autre » est une « menace séparatiste ». En France (loi promulguée le 29 janvier 2001), le 12 octobre 2006, les députés français ont décidé de pénaliser toute négation du génocide arménien, sans exception pour les travaux d’historiens. Chaque prise de position sur le sujet déclenche une polémique.
À quelques jours du centenaire du déclenchement du génocide arménien, le pape François s’est attiré les foudres de la Turquie, dimanche 12 avril 2015, en évoquant le « premier génocide du XXe siècle ». Cent ans après les faits, le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman reste sans doute l’un des génocides les plus contestés. Ce génocide est aussi l’un de ceux que la communauté internationale a le plus tardé à reconnaître. Il faut attendre 1965 pour qu’un premier pays, l’Uruguay, reconnaisse officiellement l’existence du « Medz Yeghern » (« grand crime », en arménien). L’Organisation des nations unies (ONU) fait de même en 1985, le Parlement européen en 1987, la France en 2001, le Parlement de Catalogne en 2010. En 2024, 34 pays reconnaissent le génocide arménien.
Ce numéro des Hommes sans Épaules rend hommage, à travers ses poètes et bien d’autres, à l’Arménie et à l’Artsakh, qui a été contrainte par la force de décréter jeudi 28 septembre 2023 la dissolution « de toutes les institutions gouvernementales au 1erjanvier 2024 », signant la fin de son existence. En quelques jours, la totalité des 120.000 habitants officiels ont quitté une terre qu’ils occupaient depuis 3.000 ans, pour s’engager dans la colonne des réfugiés.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Revue de presse
Lectures :Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
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Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
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Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
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On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).