André BRETON

André BRETON



André BRETON (1896-1966). "Je cherche l'Or du temps."

Le surréalisme ne fut pas une école littéraire, mais un parti poétique, créé avec la foi d’un parti politique révolutionnaire, et dont André Breton ne fut pas seulement l’animateur d’avant-garde, mais « l’antipère »…

Je fus saisi par cette dominante de sa personnalité : la violence intellectuelle. On sentait chez lui une force grondante contenue, toujours prête à faire explosion ; sous la paupière tombante, son regard luisait comme un feu couvant sous la cendre… Breton avait la rigueur tranchante d’un révolutionnaire incorruptible, tel un Robespierre guidant vers la victoire les Jacobins de la poésie et de l’art ; il procédait à des exécutions sèches, avec la guillotine du verbe…

Breton souhaitait animer une minorité influente, et non une majorité accaparant les prérogatives d’action… Breton se présentait comme le maître du jeu. Ce n’est pas sans raison éthique qu’il s’adonna avec ses amis à différents jeux. Savoir jouer, c’était montrer qu’on avait conservé intact l’état d’enfance, qu’on saurait toujours agir en faveur des joies naïves de la vie. Il encouragea l’illumination du monde par l’humour objectif, dont il a défini une forme suprême, l’humour noir, comme la seule force qui pouvait concilier le besoin de jouer et le besoin d’agir : l’humour noir, qui est par excellence : l’ennemi mortel de la sentimentalité à l’air perpétuellement aux abois – la sentimentalité toujours sur fond bleu – et d’une certaine fantaisie à court terme, qui se donne trop souvent pour la poésie (André Breton, in préface à l’Anthologie de l’humour noir), est sans doute le plus puissant ressort de cette morale d’antipère qu’il a élaborée…

Son rugissement, son coup de patte étaient redoutables. Je crois qu’une des raisons de l’attrait qu’il exerçait sur la jeunesse était justement sa violence sourde, enveloppée dans des manières courtoises de grand seigneur… Autre chose est d’avoir rencontré occasionnellement Breton, surtout dans les dernières années de sa vie, autre chose de l’avoir eu pour initiateur à vingt ans, ce qui fut mon cas, quand il était dans toute la force de sa maturité…

Avec un pareil maître, on se sentait à jamais immunisé contre toute espèce de conformisme. Cet écrivain influent, qui paraissait si olympien, était dénué de la moindre affectation…

Être un homme, dans toute la pureté du possible, non pas un être mécanisé par des préjugés sociaux et des habitudes professionnelles, c’était l’exigence suprême que Breton transmettait à ses proches. Auprès de lui, on apprenait le savoir-vivre des poètes, dont l’article essentiel est un savoir-aimer. Il n’avait pas besoin d’expliquer les choses pour les faire comprendre. Il lui suffisait de montrer comment il les détestait ou il les vénérait. L’exemple était contagieux. On l’admirait pour la dignité de son comportement d’écrivain, ne songeant ni aux prix, ni aux décorations, ni aux académies.

Sarane ALEXANDRIAN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

Oeuvres d'André Breton: Oeuvres complètes, 4 volumes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1988-2008.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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