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Lectures critiques
"Une demeure de sécurité et de confort certains. Mais inadaptée pour répondre aux besoins du futur poète. Dans un poème du livre évoquant sa jeunesse, André Prodhomme trace ce que représente L’impasse des absolus. Ce titre même laisse entendre que la nécessité d’une quête vers un ailleurs, certes indéfini, est une préoccupation permanente.
Comme si je lisais pour la première fois un recueil de poésie, j’aborde ce livre en chaussant mes lunettes amnésiantes. Dans la main, je tiens 45 poèmes, d’une sincérité émouvante, presque des confessions. Et vite frappe la récurrence fréquente de certains mots, notamment, par ordre décroissant : vie, enfant, mort, poème, triste, fantôme, vieux, beau. Ces mots, arrachés à leur dispersion et rassemblés ensuite, nous tracent les contours du poète et de ses préoccupations. De plus, la musique, surtout le jazz, et le cinéma ont une place importante dans la vie du poète.
Le poète se présente comme un enfant souffrant conscient de n’être pas plus intelligent que ses lecteurs. Souvent triste, il aime la vie et s’évertue, libre et fraternel, à faire son boulot de Terrien. En dosant sa fureur de vivre, il veut être bienveillant, et pense pouvoir estimer devant la fin avoir été un bon apprenti. Il s’attend en retour, avec un clin d’œil, à pouvoir vieillir dans un luxe infini et d’avoir du temps devant lui.
La tristesse est un fil rouge tout au long des pages, apparaissant dans dix poèmes. Le poète est en effet Habillé du sentiment profond qu’on nous a ordonné - De refuser le bonheur. Il s’agit d’une tristesse qu’on devine inconsolable. Certes, mais il est vrai aussi que Je m’accroche aux raisons d’être triste - Depuis quelque temps - Elles sont faciles à trouver. Mais nuançons, car Je suis triste en étant fait pour une autre humeur. En effet, La tristesse seule - Il y a longtemps que je l’ai laissée tomber de sorte que L’abonnement au malheur d’être - Se retire - Notre amour installe - Sa fierté. Bonne nuit tristesse, dit le poète, saluant d’un clin d’œil Françoise Sagan.
Inévitablement la mort appelle l’attention, et une découverte intrigue le poète. Estimant avoir perdu du temps en caressant la mort, qui se révèle surprenante, il peut constater que La mort a de bonnes joues - Les yeux clairs - Elle ne connaît pas la traitrise - On ne l’imagine pas - On l’envisage - Dans sa simplicité.
Aussi, celui qui dit être un condamné à mort plein de vie clame que la froidure de l’hiver ne saura pas faire mourir le feu qui est en lui. Et à ceux qui lui survivront, il dit Pensez que j’étais triste - Mais pas tout le temps.
Car le poète, Mordu par la vie jusqu’au sang, mais qui ne fait aucun effort particulier pour vivre, est un amoureux de la vie. Il affirme néanmoins qu’il est étonnant de vivre, que la vie est tout un poème.
Dans cette vie de rencontres improbables de matériaux rares et de clous rouillés, où des conflits de loyauté pourrissent la vie au quotidien, André Prodhomme s’assigne d’être bienveillant, avec la bonne dose de fureur de vivre. Le conseil d’un ainé n’y est peut-être pas pour rien : crache dans ta main petit père, tu verras la vie est belle. Et il découvre que soudain il nous faut à nouveau décider de vivre.
Le poète aime les enfants, étant fait pour entendre les rires d’enfant, et il est ému par l’enfant qui demeure encore dans ses entrailles. Il lui consacre un poème entier. Car Cet enfant qui souffre en moi - Ne prend pas de gants - Il boxe les anges à mains nues. De plus, lorsqu’il traverse des quartiers de Paris moins bien fréquentés, il devient ce gamin - Aperçu par Rabelais distingué par Hugo. Mais ici l’enfant, c’est aussi le déguisement l’espoir Avec son minois de sale gosse qui a fait sa toilette de chat - En faisant couler l’eau du robinet - Pour tromper la parentèle.
André signale que vieillir n’est pas se déshabiller de l’enfance et que Le vieil homme qu’on devient - Reprend la main de l’enfant - Qu’on est encore, ému par Ce sourire qu’un enfant m’adressa ce matin - Dans son chariot de victuailles à la caisse du magasin. Il est alors inévitable que même Les jeux de vieux amants - Sont mêlés de fatigue et d’enfance. Avoir Ce sourire d’ancien de l’homme vieillissant, être à l’aise dans tous les âges de la vie, lui permet de dire J’ai la prétention de vieillir dans un luxe infini /…/ en ayant le temps devant moi. André aime parler du Poème, l’évoque fréquemment dans ses textes, comme pour souligner qu’une vie sans poésie serait inconcevable. L’affirmation que la vie c’est tout un poème en témoigne. D’ailleurs, dans le poème qui précisé que la connaissance du poème laisse nu, l’auteur fait comprendre qu’il préfère nommer poème ce qui semble en fait être le déroulement de la vie. Le territoire de l’auteur est parsemé de mots décolorés, des mots qui ne se roulent pas dans la farine. La loi qu’il voit présente derrière la langue peut en être la raison. Bien conscient qu’ils ont une dette, le poète donne aux mots la liberté, afin qu’ils soient meilleurs que lui.
Le piano du salon est Entouré de fantômes. On apprend que : aux heures singulières de la vie apparaissent des fantômes bienveillants. Invisibles, souvent bienveillants, ils veillent sur les objets et Œuvrent à faire les présentations. Action utile, puisqu’il apparaît que Eclairés des rires de nos gentils fantômes - Nous vivons sans nous contempler. De plus, ceux-ci ont l’élégance de ne rien inscrire sur des tables de loi et ils savent consoler, Art gentil fantôme - Tu bois mes larmes.
Suspendu entre enfance et vieillesse, André livre à notre regard quelques visions d’un monde parallèle, perceptible par le poète seul. Dans ce monde, où Chaque matin le poème entreprend - De repenser l’horizon, les mots qu’on murmure sont les enfants d’autres mots, rares, ayant la fièvre. A l’intérieur d’un temps amical qui travaille et trie, une voix intérieure s’emploie à dessiner une langue de lumière. Or, malgré la présence de fantômes bienveillants, le poète sent qu’Une valse brille sur l’étang glacé de mes peurs et ce même si, comme on l’a vu, parfois la mort a de bonnes joues.
Un poème conclura ces lignes sur L’impasse des absolus. L’humaniste ami de l’Homme et de la Terre y traduit délicatement la possible existence sereine de l’homme ordinaire dans la nature et donne une noblesse poétique aux choses qu’on prend rarement la peine de remarquer."
Un vent de force trois - Traverse le champ - L’herbe est tranquille - On dirait qu’elle se fait masser
Les feuilles jaunes et dorées - Déposées au sol - Dans une symétrie particulière - Apportent au regard - Une attention créatrice
Hier c’était différent - Des parfums se levaient de terre - Comme un baiser - Sorti prendre l’air
Parfois les sons imposent - Leur assonance ou leurs dissonances
Le moment clef - C’est quand tu apparais - Avec un de ces petits outils de jardin - Dont j’ignore le nom et la fonction
Parfois nous nous disons quelques mots
Parfois nous signons la journée - D’un silence.
Svante SVAHNSTRÖM (in revue Les Hommes sans Epaules n°44, octobre 2017).
*
" André Prodhomme est cet explorateur respectueux de l’humanité qui scrute avec lucidité et bienveillance les expressions sombres ou clarifiantes de l’être humain. Ses poèmes apparaissent comme un chapelet musical d’empathies dans un temps où la destruction de l’empathie est orchestrée méthodiquement. L’autre, surtout l’autre en sa vulnérabilité, peut être détruit. Tel est le message premier de notre temps. André Prodhomme livre les antidotes à cette guerre sociétale, célébrations de l’autre et de la vie même dans ses soubresauts mortifères. Il rend aussi à l’écriture ses fonctions libératrices que le commerce du livre veut enfouir sous les décombres de la finance.
André Prodhomme sait être au plus près de la meute comme au plus près de l’individu, pour capter la matière émotionnelle qu’il sculpte avec les mots.
L’altération doit être prise en compte, telle qu’elle, pour qu’une libre restauration révoltée soit rendue possible.
Le poète l’a dit
Le chemin proposé à l’homme est une asymptote
Pour tenir debout et garder une allure sportive
Il se muscle au quotidien avec tous les engins
disponibles
Gardant l’oeil vers cette courbe aveuglante
Surinformé et ne sachant rien de nouveau
Sur ce monde insensé
Beau terrible jouissif ignoble
Je pose la question de l’ouverture du bal
…
Extrait de Le chemin
Rémy BOYER (in incoherism.worpress.com, mai 2018).
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Lectures critiques :
Il est parfois impossible de commenter un texte par crainte de le profaner. C’est le cas pour ce long et superbe poème, enlacement de deux êtres et de deux textes au-delà de la mort et au plus profond de la psyché.
Le titre de l’ouvrage essentiel de Leonardo Coimbra, La joie, la douleur et la grâce, titre qui fait procès, évoque parfaitement ce que nous rencontrons dans le chant et le cri d’Anne Peslier.
Un extrait est préférable à tout autre commentaire :
« Cette nuit-là je querelle mon corps
effacé devenu blanc et ton désir en plain visage
étonne ma peine d’être belle
comment pourrais-je te dire
que le désir abruti d’absence
fige le corps dans du marbre
C’est bien ton visage là et ton nom
tu me suis jusqu’à mes instants
je suis installée sur une pierre
telle une sentinelle ne voyant aucun ciel
l’intérieur sous la peau suffit à me diriger
mais l’heure est une épée et
notre chair saigne dans l’écorce de Mars
et ta forêt n’y peut rien tant d’heures
à dérouler ta face dans l’abrutissement de
la nuit
pour tenter d’effacer épuise nos sortilèges
comme un glacier dérive sans jamais
trépasser
Quand j’ai repris le fil de ma naissance j’ai rêvé
que tu m’avais diablement envoûtée
et que mon portrait avait échoué dans la vie pour cette seule raison
deviner ton corps alors
Je me brise parfois pour voir ton
visage jaillir d’une flaque au ciel
partout je suis née et morte sur les
murs où je passe en fille rageuse
nettoyée par plusieurs orages
inerte comme si la vie avait écrasé
ma peau, mais dans quelle mer
plonger pour être sûre de gagner
le naufrage
C’est bien après six mois d’agonie
que tu pleures ta dernière heure
il reste une année avant que l’eau se mêle à ton sang
comme la mer-océan se mêle
ton cœur parlait deux fois
et je n’écoutais que l’âme
pensant qu’un être-mort se noue facilement
à son amante et que cette prison ne s’achève jamais
car chaque parcelle est reconstituée à chaque
endroit du corps qui reste
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mai 2021).
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Lectures
" Ce pauvre monde n’a plus / Que ses rêves sur ses os. Ces vers datent de mars 1943. Ils sont signés Marc Patin, 23 ans, réquisitionné au service du travail obligatoire en Allemagne. Il pressent peut-être qu’il n’a plus qu’un an à vivre. Il meurt d’une pneumonie en 1944. La mort l’a fait oublier jusqu’à la publication, cette année, de Les Yeux très bleus d’une nuit pareille à un rire sans regret (Les Hommes sans Epaules, 496 pages, 22 €). Il était l’égal d’un Paul Éluard qui l’avait d’ailleurs reconnu le qualifiant de « détenteur véritable des moyens de production de la liberté ». Car cet homme célèbre, ici et partout, la liberté, toute la liberté. Avec des mots simples et des images percutantes. "
Philippe SIMON (cf. Cultures-Magazine in Ouest France, 19/20 novembre 2016).
*
"Malgré la biographie que lui a consacrée Christophe Dauphin en 2006, Marc Patin demeure injustement méconnu, dans l’ombre de Noël Arnaud et Jean-François Chabrun, ses deux collègues du groupe surréaliste La Main à Plume, bien qu’étant reconnu comme le poète du groupe. Ce volume consacré à son œuvre poétique (1938-1944) vient comme un nécessaire hommage de réparation.
Né en 1919 et mort dramatiquement en 1944 en Allemagne laissant une œuvre déjà exceptionnelle à 24 ans. Sarane Alexandrian évoque Marc Patin comme le « Rimbaud du surréalisme ». Christophe Dauphin parle de lui comme d’un grand poète surréaliste de l’amour qui sort enfin de son purgatoire », purgatoire qu’il analyse en ces mots :
« Comment expliquer alors ce silence inextricable autour du poète et de son œuvre ? Comment expliquer le silence autour du génie de ce poète que Paul Eluard, bien plus que son ami, avait salué son égal, l’une des voix les plus prometteuses de sa génération et du surréalisme, et qui fut foudroyé dans la force de l’âge ? Marc est mort jeune à l’âge de vingt-quatre ans, dans une époque trouble, et a peu publié de son vivant. Cependant ce silence n’est pas gratuit ; il a été entretenu par ceux qui n’hésitèrent pas à le lâcher et à le calomnier dans ce qui demeure la période la plus critique de Patin. Des accusations qu’il subit, Guy Chambelland sera le premier à démontrer l’absurdité et l’inanité, tout en saluant la « ferveur et les images aériennes » du poète. Il s’agissait d’un premier pas d’importance devant nous mener vers la « réhabilitation » de la mémoire de Marc Patin, comme vers la découverte de son œuvre. »
Fin 1937, est fondé le groupe d’inspiration Dada Les Réverbères autour de Michel Tapié, Jacques Bureau, Pierre Minne et Henri Bernard, que Marc Patin rejoint rapidement. Poésie, jazz, peinture, théâtre, le groupe est très actif, publie une revue du même nom dans laquelle Marc Patin publie régulièrement des poèmes. En 1938, il tombe amoureux de Christiane qui va exalter son don pour la poésie. Le premier numéro de la revue propose un manifeste « Démobilisation de la poésie » dont Marc Patin est signataire. Rejet des formes, y compris celles de la révolution poétique, et installation dans le merveilleux.
Après Christiane (1938-1940) et Les Réverbères (1937-1939) vient la période Vanina (1940-1944) et La Main à Plume (1941-1943). Vanina (ou l’Etrangère) va devenir, nous dit Christophe Dauphin, « le grand mythe de l’œuvre de Marc Patin ». La Main à Plume naît de la volonté de rassembler les surréalistes restés sur le territoire français pendant le deuxième conflit mondial. Son action s’inscrit dans la continuité des deux manifestes surréalistes. Marc Patin se rapproche alors de Paul Eluard. Leurs œuvres respectives se croisent de bien des manières, l’amour bien sûr mais aussi les incertitudes d’un monde en ruine. Mais Marc Patin tend vers « une libération totale de l’esprit ». « La grande affaire de la poésie de Patin, précise Christophe Dauphin, est de révéler l’homme à lui-même, de lui donner la possession de soi : « La poésie, depuis toujours, établit les rapports entre l’homme et le monde, retrace les moindres nuances de leurs conjonctions, replace l’homme dans son élément, lui incorpore l’élément cosmique… ». Au cœur de cette queste, la Femme magique, Vanina, tient une place essentielle, à la fois inspiratrice, initiatrice et clé de réalisation.
Dans sa courte vie, Marc Patin va écrire près de sept cents poèmes, la plupart encore inconnus, dont plus de la moitié ont été rassemblés dans ce magnifique volume."
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 11 avril 2016).
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"J'adore que les voyages et les cultures gomment âges, tailles, couleurs et tutti quanti! En particulier grâce au gros volume d'un trop jeune et tragiquement duisparu en camp de travail allemand vers la fin de la guerre, en 1944, Marc Patin, qui n'avait publié qu'une plaquette de poèmes, alors qu'il a fallu le bel effort de Christophe Dauphin pour assembler après sa mort à 24 ans à peine, les restes imposants de l'oeuvre inachevée, sous un titre lui aussi imposant: Les Yeux très bleus d'une nuit pareille à un rire snas regret. Surréalisme en temps de guerre, poèmes soigneusement datés et remplacement d'André Breton exilé pendant l'Occupation tandis que qu'une amitié fervent l'unissait à Paul Eluard. Le livre mélange sans regrets poèmes anciens et récents, jeunes et à peine moins, d'amours adolescentes et déjà de beautés qui annonçaient un futur grand poète. Retenons le nom de Marc Patin pour nos lectures. comme de tout poète mort dans les camps."
Paul VAN MELLE (in revue Inédit Nouveau n°279, avril 2016).
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"C’est là un travail exemplaire de Christophe Dauphin, qui a conçu le projet du livre de cette œuvre de première importance, dont quelques fragments – dans un premier temps –, puis une Anthologie suivie de Vanina ou l’Étrangère, dans un second temps, furent publiés par Guy Chambelland. De son côté, Sarane Alexandrian, dans sa revue Supérieur Inconnu, publia des poèmes et des récits de rêves de Marc Patin.
Quant à Christophe Dauphin, il découvrit les archives du poète, ce qui lui permet aujourd’hui de nous offrir près de 450 pages de poèmes rares et d’une belle efficacité ; poèmes assortis d’une présentation d’une vingtaine de pages et d’un portrait de Marc Patin avec, en prime, un dessin de couverture signé Tita.
Œuvre giboyeuse que celle de Marc Patin (1918-1944), qui rejoignit le collectif d’artistes se manifestant sous l’aile de la main à plume. Sa passion pour la pianiste Helena Delcourt – passion platonique, nous révèle Christophe Dauphin – l’entraîne à écrire abondamment. Ce livre énorme en témoigne. Rien de mieux que cela, pour nous faire découvrir les secrets poétiques et amoureux, ainsi que les élans superbes du poète.
Mieux qu’une anthologie, ce livre est un tout et ce tout est la vie même d’un artiste disparu prématurément et resté dans l’ombre durant trois quarts de siècle et qui, grâce à quelques passionnés, surgit comme une flamme dans l’univers poétique. L’écrivain surréaliste Sarane Alexandrian parle à son propos de « Rimbaud du surréalisme », et il est vrai que durant sa trop brève existence, vingt-cinq ans, il écrivit énormément, datant chacun de ses poèmes, les localisant même avec précision. Au gré des textes, qui forment cette révélation tardive, on découvre cette œuvre de premier plan.
Quant au titre quelque peu insolite : Les Yeux très bleus d’une nuit pareille à un rire sans regret ; il s’agit du dernier vers du dernier poème (« Écoute ! ») que le poète composa le 20 février 1944 et qu’il dédia à son meilleur ami, Jean Hoyaux. Marc Patin décéda le 13 mars de la même année, victime d’une embolie pulmonaire. Un livre indispensable."
Jean CHATARD (in Les Hommes sans Epaules n°42, 2016).
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"L'ensemble de l'oeuvre poétique de Marc Patin (1919-1944), le poète le plus doué et le plus brillant de sa génération: il fut membre du groupe d'inspiration Dada, Les Réverbères, qui comprendra une vingtaine d'artistes et d'intellectuels, et organisera des manifestations artistiques ; il fut par la suite l'un des fondateurs et des principaux animateurs du groupe surréaliste de La Main à plume (dont le nom se réfère à Arthur Rimbaud).
Dans sa courte vie, Marc Patin va écrire près de sept-cent poèmes, la plaupart encore inédits, dont plus de la moitié ont étét rassemblés dans ce volume. Son oeuvre, marquée par la solitude et le malaise existentiel, atteint des sommets dans la quête du désir et du Merveilleux. "Marc Patin, dit Paul Eluard, est très précisément un oeuvrier, c'est-à-dire le détenteur véritable des moyens de production de la liberté." Ou, selon Sarane Alexandrian, "Marc Patin est le Rimbaud du surréalisme!"
Mirela Papachlimintzou (in revue Contact n°81, Athènes, Grèce, mars 2018).
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Lectures :
On retiendra du recueil de cette poète palestino-jordanienne, née au Koweït, sa liberté, son esprit d’ouverture et son effronterie.
Sa manière principale est l’interpellation, elle n’hésite pas à prendre à témoin, sa mère, sa grand-mère, les hommes en général, voire les morts… tous ceux qui l’entourent sans distinction, sans restriction et sans déférence. En les traitant d’égal à égal.
Un domaine où sa sensibilité est particulièrement affûtée est celui où elle traite des sentiments comme le désespoir ou l’ennui avec une tendance philosophique où elle fait des rapprochements entre dureté et patience, peur et clémence ou encore tristesse et héroïsme. Souvent à la limite du paroxysme ou de l’oxymore :
Je reconnais à la séparation qu’elle n’arrive
qu’en apportant
son bagage de commencements
ou encore plus directement à l’aphorisme : Le pardon est l’accomplissement du désespoir
Lorsqu’elle invoque Dieu, elle revendique son athéisme et n’hésite pas à écrire : Nous sommes tous tes enfants impies
En outre, elle ne manque pas d’humour :
Une statue n’en pouvant plus de rester debout
en veut au tremblement de terre
de tant tarder
et ne ménage personne, elle en premier lieu :
Je m’évertue
à écrabouiller publiquement ma fierté
Elle s’exprime en toute liberté, en répétant :
J’ai envie de toi…
Et dans une ode à la vie :
...Levons haut nos verres
et soyons tonitruants
impudiques !
Avec un hymne superbe dédié aux femmes :
Les femmes ne prennent pas l’initiative des guerres
Ne portent pas les armes
Et plus loin : Elles n’enfantent pas des tueurs
Et dans un autre poème un rappel historique :
Nous mettions bas dans les champs
Nous fertilisions la terre avec le sang de l’accouchement
Et dans un autre texte remarquable :
Les morts reviennent toujours
Tu ne dois pas lui rappeler que son corps est glacial
Et commence à se décomposer
Avec ce conseil :
quand le défunt revient à la maison
ne le serre pas contre toi
« Griffes » qui donne le titre à l’œuvre est considéré à juste raison par le préfacier Christophe Dauphin comme le manifeste d’une poète insoumise
Je vends aux passantes des griffes
une griffe pour tuer
une griffe pour violer
une griffe pour blesser
une griffe pour découdre les blessures
une griffe pour se donner des gifles
au-dessus des tombeaux des aimés
Jacques MORIN (« Les indispensables de Jacmo » in dechargelarevue.com, 5 août 2025).
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Dans une belle édition bilingue, arabe et français, paraît le recueil "Griffes" de la poète palaestinienne, Jumana Mustafa, traduit par le poète marocain, Abdellatif Laâbi.
Jumana Mustafa est née en 1977 au Koweit, de parents exilés, elle vit aujourd'hui entre la Jordanie et l'Egypte. militante pour les droits de l'Homme, elle est fondatrice du festival Poetry in Theaters.
Jumana écrit une poésie de défi, surprend par son audace. Sa parole est affranchie des lieux courants qu'on attend de la poésie palestinienne pour écrire la voix d'une femme en butte au machisme social, aux retors de visions rétrogrades et sort ses griffes, sans vernis, ni contours.
Ses mots directs, d'apparence simples, crient, sans fioritures de langage, une douleur,, une vie intérieure en révolte, contre tant de maux, tant de contrariétés, tant de malentendus entre femmes et hommes. Poète citoyenne du monde, sa poésie est un chnat d'amour, de liberté et de vie.
Elle écrit : Nous n'avons besoin ni de papillon - ni de flûte - ni de source miroitante - Nous voulons ingurgiter un autre verre - pour vivre une heure de plus.
Tahar BEKRI (in kapitalis.com, Tunisie, 24 juin 2025).
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Les Hommes sans Épaules publient ce poignant et admirable recueil de poèmes, traduits de l’arabe de Palestine par Abdellatif Laâbi. Cette édition est bilingue, plaçant côte à côte la langue arabe et la langue française, deux langues nées pour la poésie.
Malgré le contexte douloureux dans lequel demeure le peuple palestinien, ce n’est pas une poésie de combat, de résistance, qui serait légitime mais une poésie de réalisation, de liberté, de profondeur, qui éveille par la lucidité et la simple présence à soi-même et au monde, une force intangible de l’esprit.
Le premier poème a pour titre « La liberté m’a murmuré que j’étais sa fille préférée ».
« Vois-tu, mère ils ont de petites cornes
et des queues sous leurs pantalons
Ils parlent dans leurs barbes
une langue maudite
et font circuler entre eux des talismans
comme des encensoirs
Cependant, j’ai pu survivre
et sauver ton visage
J’écris avec mes doigts
sur la buée des vitres
dans l’espoir que quelqu’un soufflera
sur la face du poème
et que celui-ci apparaisse
J’avoue que le désespoir a toujours été
le premier arrivant
le premier
à renouer avec la sérénité
le premier
à se lever le matin
et le dernier à se coucher
J’avoue que l’ennui
depuis que je l’ai connu
a toujours tenu à changer de couvre-chef
Je reconnais à l’absurde
d’avoir réparé
toutes les horloges insolites… »
Christophe Dauphin la désigne comme une « poétesse libre et insoumise ». Les poèmes sont longs, ils déferlent comme les vagues sur une plage, doucement et régulièrement ou, au contraire, viennent frapper les rochers avec fracas.
« Les ogresses m’ont transplanté dans une matrice humaine
et ont fourvoyé mes restes
Elles m’ont revêtue de la peau d’un cadavre de jeune fille et m’ont relâchée
Je flotte dans ma peau
Les hommes me prennent pour une femme
alors que je suis une petite ogresse
Je rugis quand j’ai faim
quand je désire le maître des ogres
et que j’ai envie du sang de gazelle… »
Livre de poésie, c’est aussi un livre de sagesse, une sagesse terrible, celle qui jaillit du monde tel qu’il est et non tel que nous le rêvons.
« Peut-être ne le sais-tu pas encore
les femmes n’ont pas inauguré toute cette mort
et peut-être ne le sauras-tu jamais
elles n’enfantent pas des tueurs
Les tueurs
s’enfantent eux-mêmes »
L’amour côtoie la mort, naturellement, sans ostentation, parce que c’est ainsi. La beauté, si improbable, couvre de son manteau de plénitude les affres de l’incarnation et de l’exil, en soi-même plutôt que géographique. Il y a bien les « griffes », il y a aussi les caresses. Les deux font la danse de la vie.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, juin 2025).
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Nouvelle voix de la poésie palestinienne d’aujourd’hui, Jumana Mustafa est traduite pour la première fois en français par Abdellatif Laâbi.
« La liberté m’a murmuré que j’étais sa fille préférée ». Ainsi s’intitule le poème sur lequel s’ouvre ce recueil de textes choisis et traduits par Abdellatif Laâbi dans l’œuvre de Jumana Mustafa. Née au Koweït en 1977 et vivant entre la Jordanie et Le Caire, la poétesse est reconnue comme une figure majeure de la littérature palestinienne et a choisi la liberté comme étendard. Ce recueil déploie une palette d’émotions, de la lucidité la plus crue au plaisir, à l’amour, jusqu’à la révolte, pour mettre en mots un rapport au monde marqué par la perte du pays, l’exil, la condition féminine. Cela commence sur le mode de l’inventaire des drames :
« Je reconnais à la défaite
de bien choisir son moment
à la solitude sa virginité
au désastre ses nouveautés
à la distraction sa célérité
aux questionnements
leur droit à l’existence »
Et cela se poursuit sur le ton de la confiance et de l’espoir : « Comme cette vie est généreuse ! / Elle ne m’a pas rappelé mes erreurs ».
« Les femmes ne prennent pas l’initiative des guerres »
Dieu, c’est pour l’aider en amour qu’elle l’implore. L’amour, comme l’histoire et la mort, elle les envisage avec une lucidité triste : « La perfection / à suivre… » Les trois sont liés du reste, et la poétesse soupire : « Et je regrette / de ne pas avoir ce qu’il faut / pour recoller les blessures du monde ». Tour à tour intimiste et déclamatoire, Jumana Mustafa fait la réclame de ses « Griffes » pour défier la douleur. Mais la déréliction et le cynisme n’ont pas de place dans ses textes. Elle ne pleure pas les victimes, elle renvoie la culpabilité aux agresseurs :
« Les femmes ne prennent pas l’initiative des guerres
ne portent pas les armes
[…] Elles n’enfantent pas des tueurs
Les tueurs
s’enfantent eux-mêmes ».
Elle rend un bel hommage à Fayrouz, qui a continué à chanter en ignorant la guerre. Elle compatis à la mélancolie des grands-mères qui ont donné à l’exil leur descendance.
Jumana Mustafa défie les morales des fables et leurs ordres établis, invitant au défi, à la joie comme une résistance : « Elle fut ridicule / l’époque qui nous avait inculqué / impassible / ses leçons sur le bien ». Et de nous enjoindre :
« La vie, tant qu’elle est là
Si nous devons porter un toast
faisons-le pour elle
Levons haut nos verres
et soyons tonitruants
impudiques ! »
Et vous, vous lisez quoi ?
Kenza SEFRIOUI (in Enass.ma, Maroc, 4 juillet 2025).
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Lectures :
Pendant combien de temps peut-on tomber - avec élégance. Cette question, Marie Murski se l'est certainement posée longtemps et plus d'une fois dans sa vie qui ne fut pas simple... et c'est, à vrai dire, un euphémisme ! Fallait-il pour autant ouvrir cet Ailleurs jusqu'à l'aube, en connaissant certains faits et souffrances advenus à l'autrice, en en supposant peut-être d'autres, plus enfuis jusqu'à l'enfance ? Si pour l'exégète d'une oeuvre tout cela semble utile voire nécessaire, le lecteur de poésie doit peut-être faire fi de ces blessures et entrer dans un poème tel qu'il est, sans cadre, sans arrière-fond, sans autre but que celui d'être touché par la grâce d'un texte.
C'est la voie que j'ai suivie en lisant Ailleurs jusqu'à l'aube, un volume important qui reprend quatre recueils publiés dans les années 1980, à l'enseigne de Chambelland ou Saint-Germain-des-Prés, et une suite inédite intitulée Le Grand Imperméable. Dans ces premiers ouvrages, publiés sous le nom de Marie-Josée Hamy, on y découvre, outre l'affrontement avec le réel, l'onirisme un peu rageur écrit Jean Breton qui ajoute qu'elle a su, de façon personnelle, déployer les ailes du surréalisme.
Le surréalisme ? Oui, Marie murski - qui a désormais repris son nom de jeune fille - s'y frotte beaucoup... sans en avoir l'air, tout en convoquant simultanément ce réel auquel elle tient malgré tout ! Les poèmes se composent et se décomposent en de multiples miroirs qui nous renvoient peut-être à l'inconscient de l'autrice et au nôtre également.
Ainsi : Au regard sans fin qui m'observe - à deux doigts du manège - croupe légère et cheval de bois - j'aime à répondre - entre mes cils longuement peignés - qu'il y a encore - dans le creux de mes journées - quelques noix à casser.
Marie Murski doit se lire dans la lenteur, en s'accordant quelques temps pour respirer ou retrouver ses esprits, tant ses poèmes ont ce pouvoir de nous étouffer, de nous mettre en demeure d'affronter l'insupportable. C'est d'ailleurs là l'une des forces de cette poésie : l'affrontement.
Mais une question reste posée par la poète elle-même : Mais comment voir le fond - d'un précipice - que l'on porte à son cou ? - Parfois tu pleures - parfois tu détournes les yeux - à cause de l'écho - et du vide.
Yves NAMUR (inLe Journal des poètes n°3, 2019, Belgique).
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Marie Murski connût une première vie d’auteur sous le nom de Marie-José Hamy. Elle publie un premier recueil de poèmes en 1977 sous le titre Pour changer de Clarté. Deux autres recueils suivirent qui permirent à Marie-José Hamy d’être reconnue comme une poétesse capable de voyager entre réel et surréel. Elle se dit déjà survivante, ce réel ne l’ayant pas épargné. Au début des années 90, elle publiera quatre nouvelles avant de tomber dans le cycle infernal des violences faites aux femmes. Totalement isolée par un conjoint pervers narcissique, elle disparaît du monde de l’écriture. Elle s’extraira in extremis de quatorze années de violence, grâce à des rencontres salutaires et à l’écriture qui lui donne une nouvelle vie. C’est sous son nom de jeune fille, Marie Murski qu’elle écrit désormais.
Ce recueil rassemble l’ensemble de son œuvre à ce jour, de son premier recueil de 1977 à ses derniers poèmes écrit l’an passé. Sa poésie puissante, blessée, n’en est pas moins cathartique. C’est un hymne, non à la survie mais bien à la vie.
Extrait de Si tu rencontres un précipice :
Le matin jupe claire
dans la rondeur des chances
un raccourci pour prendre l’heure
la relève des guetteurs.
M’aime-t-on dans les sous-bois
dans les rivières
au creux des bras perdus
dérivant vers le lieu du berceau
accroché à l’étoile morte ?
Obstacle
roulis des murs sans joie
le soir passe
un couteau sur la hanche.
Qui donc s’envole ainsi
Emporte le bleu et le blanc
Et désole mon désert ?
Extrait de La baigneuse :
Dans le décolleté des vagues
le bleu poussé au large.
Le dernier appel
sans doute.
A sauver toujours la même baigneuse
qui ne se lasse ?
Et encore Attentat :
Une menace est tombée sur tes yeux
une menace et soudain
tu laisses là tes outils de jardin
l’ombre à racines nues
l’écaille des lys à la nuit des rongeurs
l’idée dans le cercle, inconsolable.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 février 2019).
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Après quatre volumes de prose, Marie Murski revient à ses premières amours. Ses quatre recueils de poèmes et des inédits viennent de paraître en un seul volume.
Si Marie Murski a souvent occupé les pages des journaux ces dernières années, c’est pour les romans et nouvelles qu’elle a fait paraître depuis cinq ans. Plusieurs évoquaient – à mots couverts ou explicitement, comme Cris dans un jardin, récemment adapté au théâtre – les années passées sous l’emprise d’un mari violent et pervers narcissique.
Mais avant de signer ses ouvrages de son vrai nom, et avant cela de ne plus toucher à un stylo pendant quatorze ans, Marie Murski s’était fait connaître, sous le nom de plume de Marie-José Hamy, pour son œuvre poétique, qui l’avait menée, notamment, sur le plateau d’Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot, en mars 1986.
De 1977 à 1989, l’auteure de Saint-Victor-de-Chrétienville (ancienne sage-femme à Pont-Audemer) avait publié quatre recueils de poèmes : Pour changer de clarté (1977), Le Bleu des rois (1980), Si tu rencontres un précipice (1988) et La Baigneuse (1989). Les voilà tous réunis en un seul volume, Ailleurs jusqu’à l’aube, qui rassemble également les poèmes inédits de Le Grand imperméable, écrits l’été dernier.
Car après quatre volumes de prose, Marie Murski a repris et son vrai patronyme et la plume pour « renaître » à la poésie. « Vive la poésie ! Vive ce bien précieux que j’avais cru perdu lorsque j’étais décervelée, minuscule chose écrasée au fond de mon jardin ! », livre-t-elle.
« Marie-José Hamy était l’une des meilleures d’entre nous, dans les années 80. Il en va de même aujourd’hui avec Marie Murski, une poète comme on n’en rencontre pas tous les jours ; une poésie qui dit la mort et les mots qui l’entourent, la solitude et ses couteaux d’étoiles », salue le poète eurois Christophe Dauphin, de l’Académie Mallarmé, qui signe la préface de l’ouvrage.
Florent LEMAIRE (in L'Éveil Normand, 15 mars 2019).
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"Ailleurs jusqu'à l'aube" rassemble l'intégralité de l'œuvre poétique de Marie Murski ; du tout début jusqu'aux derniers poèmes écrits l'été dernier.
Les Hommes sans Épaules, artistes-guerriers comme il se doit, lui ont fait un bel ouvrage avec une préface de Christophe Dauphin, de l'Académie Mallarmé.
Bulletin de la Société des poètes normands, 10 février 2019.
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Une oeuvre poétique …
Une berceuse fleurie sur des mots écorchés … Un Ailleurs tourmenté, torturé … un Ailleurs qui nous inonde … un Ailleurs évocateur … onirique ou cauchemardesque …
La poésie des sensations … L’émoi des mots qui se conte à voix haute, pour en saisir toute l’intensité … Les mots qui se cognent, s’inventent, se chevauchent, se caressent, se libèrent, s’emprisonnent … se fracassent …
Une oeuvre qui, la dernière page tournée se garde encore à portée de main … Marie Murski, une poétesse, qui avec merveille sublime les mots … « elle y trouvait des mots légers suspendus à l’encre, ... » p 166
Quel délice !!
in lespatchoulivresdeverone.com, mars 2019.
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Marie Murski a publié quatre livres de poésie remarqués sous le pseudonyme de Marie-José Hamy entre 1977 et 1989. Je me souviens de ce nom, sans doute croisé dans des revues de l’époque, ou saisi lors de son passage dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot en 1986. Elle est alors une des voix émergeantes de la poésie. Après avoir publié quelques nouvelles en revues, elle disparaît brusquement du paysage éditorial au début des années 90.
Christophe Dauphin, reprenant de larges extraits de Cris dans un jardin, le récit de sa renaissance réédité plusieurs fois depuis sa parution en 2014, expose les raisons de cette éclipse involontaire dans sa préface : en proie à un pervers narcissique, isolée et coupée de ses amis et de toute vie sociale, Marie-José Hamy a subi durant quatorze années de violences conjugales un inexorable processus de décervelage et de destruction, ne trouvant de réconfort que dans le jardin qu’elle parvint à créer, en guise de substitut à l’écriture.
Ce volume, publié sous son patronyme de naissance, reprend son œuvre poétique, ses quatre premiers recueils et Le grand imperméable, écrit récemment. Un livre pour effacer la douloureuse parenthèse, reprendre le cours de sa vie et renaître à l’écriture et à la poésie.
Marie-Josée CHRISTIEN (cf. "Nuits d'encre" in Spered Gouez / l'esprit sauvage n°25, 2019).
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Les éditions Les Hommes sans épaules publient l’ensemble des poésies de Marie Murski, poétesse singulière d’origine polonaise qui vit actuellement en Bretagne, et dont l’œuvre d’une grande sensibilité est ici réunie, depuis Pour changer de Clarté, paru en 1977, sous le nom de plume de Marie-José Hamy, suivi par Le Bleu des rois (1983), Si tu rencontres un précipice (1988), La Baigneuse, et enfin Le Grand Imperméable.
Marie Murski a rejoint le comité de rédaction des HSE en 1989, avant de disparaître pendant quatorze ans de la scène littéraire. Elle réapparaît en 2007, reprend son nom de jeune fille, et publiera notamment un récit, Cris dans un jardin. Nous ne reviendrons pas ici sur la violence conjugale subie par Marie Murski, qui est rappelée par Christophe Dauphin dans sa préface. Mais l’enfance traumatisée, « l’enfance à la mine de plomb » est déjà présente dans les recueils qui précèdent chronologiquement la fatale rencontre.
Car la poésie de Marie Murski est un jardin, c’est-à-dire un lieu changeant ou s’expriment toutes les saisons de poésie, un lieu de vie, et un lieu de mort. Je pense en la lisant aux roseraies d’Apollinaire d’Automne malade, où le vent souffle, aux vergers vénéneux, où il a neigé ; chez Marie Murski,
L’automne est en sursis
Lèvres fendues en leur milieu
puis ouvertes en vol d’hirondelles
se parjurent d’onguents cireux
nommés rouge sang dans les couloirs de la mort.
Marie Murski, Ailleurs jusqu’à l’aube, Les hommes sans épaules, 2019, 20 euros.
Le jardin de Marie Marie Murski est un jardin intime où s’épanouissent - et avortent parfois — d’étranges images qui rappellent celles d’André Breton ou de Philippe Soupault. C’est un jardin où se rejoue, se recompose en permanence, un drame personnel. La poète rebat les cartes et remodèle son territoire.
Ce jardin est aussi le lieu où se pressent l’intrusion, où la violence n’est jamais très loin :
Décisive cette main qui déshabille
qui se taille la part du lion
et crachote dans mes crocus
Mais on y trouvera aussi un érotisme floral qui prend le temps de s’épanouir, notamment dans le recueil La Baigneuse :
laisser la légèreté
dans son plaisir
la lenteur du fruit
autour du noyau
La poète nous livre une anatomie intime, à travers les images d’un corps-jardin, qui devient parfois un corps-paysage, et aussi un corps-mémoire :
Certains nuages restent
sous la peau
Mais le jardin de Marie Murski est aussi un laboratoire, un lieu de renaissance et de re-création, dont l’enchantement procède d’une animation virevoltante, parfois éperdue, d’abord parce que c’est un lieu habité de présences, un bestiaire dont la poète entend l’appel ambivalent :
Le rêve a ses raisons
des raisons de loup dans une forêt verte
Et si je cours sans cesse
c’est pour passer sans regarder
les petites têtes hilares
qui partout
jaillissent des troncs d’arbres
Des voix tantôt harcelantes, tantôt consolantes.
Inlassablement la poète est
Dragueuse d’infini
porteuse d’eau dans le combat des heures
On ne compte plus ses incarnations, « toupie » (rêve d’un mouvement perpétuel ?), ou lutteuse qui ne souhaite pas « mourir gentiment », et qui oppose à la fixité glaçante de la mort la virtuosité du verbe. Déjà, enfant, elle « tournait à l’envers ». N’est-ce pas la vocation du poète d’aller contre la rotation habituelle du monde ?
Le jardin est juste en-dessous du ciel, comme chez Verlaine le ciel est par-dessus les toits. On lira aussi des poèmes plus contemplatifs comme celui qui est dédié à Hubert Reeves, où la poète « chavire en boule de vertige ». Sage-femme de son métier, Marie Murski accouche aussi les étoiles :
Au-dessus il y a les étoiles
qui sont mes sœurs on le dit et c’est vrai
nous avons le même ventre dur
fécond dans l’éternité
Nous l’avons dit, le jardin de Marie Murski est un jardin violenté, un jardin saccagé, et pourtant, par la puissance du langage, elle fait entendre, dans des poèmes parfois difficiles, une voix dont les échos résonnent longtemps en nous, s’enracinent douloureusement dans la sensibilité du lecteur, y plongent des racines écorchées, à vif, palpitantes.
La poésie a sauvé la vie de Marie Murski, qui ne cesse de « vider ses poches », comme le petit Poucet rêveur de Rimbaud égrenant des vers. Et en effet, l’appel d’un départ se fait entendre souvent :
Partir vraiment
comme un pied qui s’écarte du continent.
Voici pour l’ailleurs.
Et pour terminer, je cite intégralement le magnifique poème qui termine le recueil Si tu rencontres un précipice, où la mort est évoquée dans un élan nuptial :
Qu’elle vienne
au galop comme dans les terres dangereuses
ou patientes comme les filets d’oiseleur,
mais
que son ombrelle ne soit pas tranchante
aux abords de mes yeux
qu’elle sache avec délicatesse
ôter la bulle d’air enroulée à mon doigt
qu’elle m’enserre doucement
dans son simple éclair
Voici pour l’aube.
Vincent PUYMOYEN (in recoursuapoeme.fr, 5 février 2025).
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Lectures :
Marie Murski a traversé l’enfer. Elle écrit dans une encre de lave qui dessine des arabesques de toute beauté bien que souvent terrifiantes. Dans le Faust de Goethe, nous avons appris de la bouche même de Méphistophélès que l’enfer c’est ici. Plus tard, un autre grand poète, Jacques Higelin, a chanté lui aussi « Ici, c’est l’enfer ». C’est par le Poème que Marie Murski a échappé à l’enfer.
Poème chevalier blanc
tu rames empierré dans mes rivières à sec
tu surréalises tu vers-librismes tu alexandrines
tu couvres d’illuminés
mes cahiers couinant de pelotes d’épingles
triste tricot gisant les mailles en l’air
tu veilles aux lueurs démentes
mon corps crocus écarquillé pauvre de moi
Poème
à mon chevet de coquette lépreuse
en cavale de bataille et de fièvre
tu parles doux tu romantises
ta main fraîche étoilée sur mon front
me console depuis toujours
Poème
prince de sang
tu as grandi mine de rien
comme un pur diamant
Tu te tiens magnifique
contre mes volets fatigués
malgré tout tu es resté.
Avec Marie Murski, nous connaissons la nature de l’enfer et nous apprenons à reconnaître les démons. Si l’enfer est ici, les démons sont parmi nous, les démons, ce sont nous, bien souvent.
VIOL
Mère utérine a hurlé
écartelée nue dans la cabane avec les hommes
sur elle
Trois
Ils étaient trois
Chaque parcelle de sa peau gémit l’histoire terrifiante
Sa matrice hurle de douleur et d’épouvante
Malgré elle son ventre se resserre sur la semence
des trois hommes
Semences et sangs mêlés
Milliards de têtards à tête chercheuse
qui grouillent en elle
Qui grouillent
Elle les sent pulluler véloces et torpilleurs
vifs comme des ruisseaux
ils envahissent tous les recoins de sa chair
tous les couloirs muqueux
durant une nuit un jour une nuit
Les hommes sont partis à l’aube du deuxième jour
Ils sont rentrés chez eux pour dormir
près de leur femme ou chez leur mère
La cabane est calme elle flotte entre terre et ciel
Mère-utérine allongée nue sur le grabat
désarticulée
regarde ses cuisses tâchées de sang
Son bas ventre poisseux dégage une odeur de mort
Elle voudrait l’essuyer se laver elle tend la main
Et soudain elle sait
son ventre le sait son cœur le sait
le grand tremblement de mon histoire a commencé
dans le désastre des couloirs muqueux
une rencontre a eu lieu
C’est le début de mon histoire
Beaucoup le savent ou le pressentent, la poésie sauve, réconcilie, avec soi-même avant le monde, libère. Sans la poésie, l’humanité aurait déjà disparu. Marie Murski a trouvé l’intervalle par lequel se faufiler hors de l’enfer.
Passer l’amour par un trou d’enfer
tirer le fil jusqu’à l’usure
apposer son cœur ouvert
sur les guerres
les ailes en croix de la colombe
sur les bombes
s’y fracasser puis enlever les mots
Courir et brandir à son doigt
le dernier pompon du manège
Tuer Père inconnu fuir Mère-le danger
entrer en saison froide
maigrir jusqu’à plus soif
puis enlever des mots
Mettre du rouge sur sa bouche
prendre l’air et séduire tous les marins du port
les aimer en grappes
dans a vieille robe de mariée
un à un les épouser
puis enlever des mots
Après
le poème nu
frissonne au bord du monde
c’est alors qu’il faut l’écrire
le serrer dans ses bras
le bercer jusqu’à l’aube
en prenant soin de son regard.
Marie Murski est sortie de l’enfer pour créer un jardin de lumière sans rien oublier de ce qui fait l’enfer. Si elle crie aujourd’hui, c’est avant tout pour que nous entendions.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 14 juillet 2025).
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L’ensemble de ses recueils écrits de 1977 à 2019 a été édité en un seul volume par la même maison d’édition. Après s’être consacrée à plusieurs romans et avoir témoigné des violences infligées aux femmes, Marie Murski revient à la poésie avec « la rage d’écrire ».
Elle écrit à la première personne, sans détours ni fioritures, délivrant son cri douloureux et brut de sa gangue. Venue « de nulle part / née de père inconnu en père inconnu / en mère-utérine hostile », repoussant les fantômes du passé, elle « se rempli(t) de soi » et de confiance retrouvée en ses mots. « Pas d’ancêtre / pas de lieu », fille de l’univers, désormais elle « voyage en poésie ».
Si elle affirme ne plus aimer « ce monde / dans lequel (elle) vi(t) », elle contemple néanmoins d’un regard aimant l’Atlantique du bout de la pointe de Mousterlin, guettant « le poème primitif / le plus beau poème du vaste monde ».
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°31, 2025).
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