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Critique
Dans un format « grand cahier d’école d’antan », ces poèmes amoureux de Christophe Dauphin n’ont pas à rougir devant ceux de Nezval ! Ce chant romantique et interrogatif à Vera est parfois d’un bel érotisme blessé quand l’homme cherche sous la pluie la boussole du désir entre silence et boue humaine. Le corps de Vera est un volcan révolté, et l’amour rejoint toujours la mort et ses pulsions de vie et de mort alors que la Vltava se referme comme une page sur ta nudité (sic). Christophe Dauphin demeure un grand poète. Je l’ai déjà écrit et je persiste. Quant aux dessins étonnants d’Alain Breton, que je connaissais poète, ils permettent de saluer son double, un artiste à l’univers onirique, ensoleillé, criant une sexualité de tigre subtilement viril et à vue d’œil tourmenté comme l’auteur qu’il accompagne ici.
Jean-Luc Maxence
(Les Cahiers du Sens n°13, juin 2003).
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Critique
Une préface rappelle l’histoire de Thérèse Martin entrée au carmel de Lisieux à 15 ans et morte à 24 ans de la tuberculose dans des circonstances qui relèvent de la non-assistance à personne en danger. Le diable veut que ce soit le dernier grand mythe catholique. Elle fut canonisée en 1925, 28 ans après sa mort. Sa mort, elle la désirait pour devenir la fiancée du Christ. Son père était ce que l’on appellerait aujourd’hui un catholique intégriste. L’auteur rappelle que le docteur Mabille, ami d’André Breton, s’était intéressé au cas de cette jeune femme, victime de la religion. Dans le poème qui suit cette préface éclairante, Christophe Dauphin va invoquer tous ceux que la Normandie a inspirés dans le domaine de la joie de vivre, de la fête, de la paillardise et du libertinage pour libérer Thérèse, la désenvouter en somme. Il accuse : Ils ont rongé tes ongles – Etouffé tes cris – Ils ont muré ta démence dans un cierge – Broyé l’amour comme le sable de ton corps – Toutes les respirations – Comme on jette une femme sur un obus. L’idée que la religion est la clé des malheurs fait son chemin ici : Dieu est mort à Lisieux au carmel – En Pologne dans un camp – Dieu est un charnier qui ne finit pas – Dieu est vide comme une armoire d’hôtel. Cela entre dans la panoplie des mensonges du pouvoir : Eux – qui se signent dans le bénitier du CAC 40 – Eux – qui derrière leurs comptoirs – célèbrent le profit la mort – et l’âme chewing-gum – la meilleure vente – du bazar de l’Hôtel de Ville. Non contents de vous réduire à la misère ces puissants de la banque et de l’église vous confisquent votre corps. D’où : Je vous salue Marie pleine de grâce – Votre pistache est le bilboquet de nos rêves. Et ce refrain : Je ne veux pas que l’on encarmélise cette fille.
Alain Wexler (Verso n°132, mars 2008).
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Critique
La rencontre de Christophe Dauphin avec l’œuvre de Lucien Coutaud (1904-1977), est l’histoire d’un coup de foudre. Christophe Dauphin – qui nous offre la monographie la plus complète du peintre -, a été séduit, envoûté par l’imagerie coutaldienne. Lui seul, comme l’a écrit Jean Binder, pouvait ressentir aujourd’hui encore toute la poésie et la surréalité de l’univers d’un peintre qui fut reconnu et admiré par les plus grands peintres et poètes de son temps (Picasso, Brauner, Labisse, Tanguy, Dominguez, Hérold, Éluard, Lely…) Car l’œuvre de Lucien Coutaud est une mythologie magistrale de la vie sensible ; une mythologie qui découle d’un monde profondément ancré dans la mémoire et l’imaginaire du peintre… Lucien Coutaud, qui évolua en marge du surréalisme (il n’a jamais participé à la vie du groupe, préférant toujours côtoyer les individus), est l’un des peintres les plus singuliers et les plus féconds du XXe siècle ; un peintre qui excelle dans tous les domaines… La peinture de Coutaud, ce novateur exceptionnel au niveau de la conception de l’image, affirme l’être, soleil de pur bleu fracassant le réel.
Rémi BOYER (La Lettre du crocodile, 2009).
"Après l’essai remarqué de Christophe Dauphin intitulé Le peintre de l’Eroticomagie, publié chez le même éditeur, Lucien Coutaud est de nouveau à l’honneur avec l’exposition qui s’est tenue à Gaillac, au Musée des Beaux-Arts des 27 juin au 21 septembre 2014 et le catalogue très riche qui l’accompagne.
Lucien Coutaud (1904 – 1977) est un personnage complexe, « l’un des peintres les plus singuliers et les plus féconds du XXème siècle nous dit Christophe Dauphin dans son étude introductive sur les rapports du peintre, et poète, avec le mouvement d’André Breton. Son œuvre demeure mystérieuse à bien des égards même si des périodes peuvent être déterminées, culminant dans une période dite « métaphysique », pendant laquelle, poursuit Christophe Dauphin, « la création de Coutaud prend toute son ampleur, se diversifie, s’impose par ses recherches et la puissance de sa thématique. Cette période reflète les angoisses du peintre et le traumatisme de la guerre. »
« La peinture de Lucien Coutaud active autant notre conscience que nos émotions. Ses images se présentent à nous chargées de désirs et d’angoisses, réclamant une éclatante matérialisation de l’espace ; elles brisent les cadres usés de la réalité pour faire apparaître le réellement vrai, dont l’expression la plus directe est l’image éroticomagique, qui, en vertu du pouvoir qui lui est conféré d’objectiver l’union de tous les éléments, aussi opposés qu’ils soient, dans des ensembles insolites, inattendus, pousse l’intellect à une audace culminant avec l’absolu discrédit de la raison statique. »
Christophe Dauphin évoque à propos de cette œuvre une association entre pensée magique et pensée pragmatique, une dialectique, non sans tension, entre inconscient et conscient.
La relation entre Lucien Coutaud et le surréalisme ne va pas de soi, elle fut et demeure interrogée. Lucien Coutaud a fréquenté les membres du groupe, sans fréquenter le groupe. Il fait partie de ces artistes, assez nombreux, qui passèrent dans l’orbite du groupe sans se laisser happer, refusant d’appartenir et libres de la reconnaissance. Le surréalisme ne fut pour lui qu’une tentation suggère Jean Binder qui retrace à travers les œuvres la quête initiatrice du peintre-poète.
La puissance d’évocation des œuvres est renversante. Elle met à terre les représentations courantes et désigne les espaces inexplorés, inexplorables pour certains, comme les dimensions de l’esprit dans l’érotisme. S’il traverse une période dite ésotérique dans les années 30, c’est surtout trente ans plus tard qu’il s’intéressera aux cathares et aux templiers, notamment au mythe entretenu autour de Gisors.
L’association par la désassociation, l’union par la déstructuration, la présence absolue des éléments absents, concourent chez Coutaud à une traversée, à un « transparaître » qui conduit à l’essentiel. Un presque rien infiniment signifiant."
incoherism.wordpress.com, novembre 2014.
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Critique
Pour les amoureux décadents des Doors, voici un essai de plus sur le parcours de vie de Jim Morrison. Et pourtant non… Ce qui fait la force exceptionnelle de ce livre de Christophe Dauphin, c’est d’avoir su mettre en lumière l’originalité de l’œuvre poétique de Jim et la complexité du personnage. C’est vrai, et Dauphin l’écrit fort justement, l’œuvre de Morrison « dépasse le cadre des clichés du pantalon moulant de cuir noir ou de la beuverie, pour atteindre et canaliser l’essence même de la vie : la poésie, par-delà le visage d’ange et la réputation sulfureuse ». Morrison et Rimbaud, dans l’éternité, doivent s’entendre.
Jean-Luc Maxence (Les Cahiers du Sens, 2002).
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Critique
75 HP. C’est par cette audacieuse revue d’avant-garde qu’ Ilarie Voronca, déjà connu pour son premier recueil de poèmes, Restriti (1923), illustré par Victor Brauner, pénétra avec fracas sur la scène avant-gardiste roumaine. Il développa une approche intégrale remarquablement visionnaire et s’affirma ainsi comme un précurseur des précurseurs. En 1933, il s’installa avec Voronca, son épouse et muse, à Paris pour explorer un invisible où le désespoir et la joie sereine semblent inextricablement unis dans les profondeurs de l’esprit.
Christophe Dauphin, poète, critique littéraire, essayiste s’est déjà intéressé à nombre de figures comme James Douglas Morrison, Jean Breton, Verlaine, notre ami regretté Sarane Alexandrian, et plus récemment Jacques Patin et Lucien Coutaud, peintre de l’éroticomagie.
La rencontre, hors temps, entre Ilarie Voronca et Christophe Dauphin semblait inévitable tant le livre du second sur le premier, Ilarie Voronca le poète intégral, publié chez Editinter et Rafael de Surtis, se révèle une alliance brillante. Davantage qu’un livre sur Voronca, Christophe Dauphin a laissé sa pensée jouer dans la pensée de Voronca, son art de la plume élégant et précis se marier avec la poésie tourmentée du roumain pour mieux la souligner, la libérer de représentations et de jugements trop rapides, trop vite satisfaits.
Christophe Dauphin nous révèle un grand poète, un grand aventurier de l’esprit, un être épris de liberté, qui veut inclure en lui la totalité de l’expérience humaine sans rien rejeter quitte à se détruire.
C’est peut-être dans son Petit Manuel du Parfait Bonheur (achevé en 1944) que Voronca livre la clé de son être, de sa sensibilité, de son mystère créatif.
Christophe Dauphin : « Le Petit Manuel que Voronca présente comme un essai de livre sur la félicité, un acte d’adhésion et de foi dans le bonheur de l’avenir, n’est pas une fiction mais une prose éminemment poétique, un texte testamentaire, un manifeste qui pourrait très bien être celui de l’intégralisme. Partout l’air, le feu, la pierre, l’eau coopèrent. Ils ont peut-être l’air de se corroder, de s’attaquer mais au contraire, ils ne cherchent que la modalité de s’emboîter et s’intégrer les uns dans les autres. « Pourquoi les hommes n’en feraient-ils pas autant ? » interroge Voronca, avant d’en appeler à construire une harmonie et un bonheur en commun. « Je doute que le paradis terrestre ait jamais existé. Mais j’ai la conviction profonde qu’il est en train de s’édifier… Faisons donc un avec l’homme, dirent les choses, que l’outil s’intègre à l’homme tout comme la lyre prend racine dans la main du joueur. Le violon et celui qui en joue, font-ils deux choses distinctes ? (…) Ainsi selon Voronca, de chose en chose, la terre et l’univers entier font un avec l’homme qui gagne en immortalité : « Que m’importe donc que je disparaisse, puisque je sais maintenant que la flamme que m’a communiquée ton visage n’aura jamais de fin ? Peut-être aurais-je pu douter de la réalité du monde et de sa faculté de durer. Mais maintenant que j’ai la certitude que lorsque je ne serai plus, tu continueras de planer autour de ma non-existence comme un parfum autour de l’endroit où l’on a arraché une fleur, le monde m’apparaît tout entier réel, comme un arbre hors de son fourreau. Je sais qu’il me suffirait de tourner la tête pour te retrouver et reconstituer l’univers. »
Remarquable intuition du mécanisme de la conscience et du jeu de l’intervalle. Voronca perçoit la félicité de la totalité en même temps qu’il est déchiré par la séparation. La félicité semble l’emporter. Son suicide en 1946 voudrait démentir cette certitude mais il n’est pas certain qu’il en soit ainsi. Dans son infinie « annexion » de ce qui se présente comme de ce qui s’absente, cet acte a-t-il encore une signification désespérante ?
« Dans le vide universel, toute chose crie vers autre chose et cette autre chose reste sourde. Mai sil arrive aussi qu’elle réponde et que par d’invisibles antennes, elle rejoigne la chose qui l’appelle. La joie éclate à cette communion. Peut-être y a-t-il un désir (un désir fou, mais quel est le désir qui n’ait pas une nuance de folie) dans chaque chose aussi infime soit-elle de remplir, en union avec les autres choses, le vide, le néant de l’univers. Car toute chose prend en même temps conscience de sa propre existence et du gouffre sans limites qui l’entoure. »
Cet extrait du Petit Manuel du Parfait Bonheur exprime avec une grande justesse le jeu de la conscience se souvenant avec frémissement de sa nature non-duelle mais confrontée avec la dualité.
Le travail remarquable, hommage rigoureux et d’une grande lucidité, de Christophe Dauphin met en évidence la puissance ontologique et la dimension hautement philosophique de la poésie de Voronca.
La seconde partie de l’ouvrage propose un choix de textes et poèmes d’Ilarie Voronca s’étendant sur une longue période, 1924-1946, soit de sa naissance poétique à sa mort apparente. Mais la poésie persiste et aussi la force de sa pensée affranchie. Comme Voronca l’avait pressenti et annoncé, son parfum demeure.
Rémi Boyer (in La lettre du crocodile, 9 mars 2011).
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L’essai chez Chistophe Dauphin est un acte de création pur, d’une exigence, d’une rigueur et d’une ligne de conduite quasi extatiques, un acte de prolongement, d’investigation dans l’avenir, une œuvre profonde de débordement et réouverture des données de la mort et de la disparition, un hymne, une ode de sublimes fécondations ! Comprendre, chez lui, c’est créer ; l’aperception est un acte productif qui s’inspire et engendre du vivant. Ici apparait une sensualité, une sexualité de l’intelligence qui génère des effets flamboyants et ininterrompus. Je viens de relire ses deux livres sur le magnifique poète roumain Ilarie Voronca. Le premier est un essai sur sa vie et l‘ensemble de son œuvre, le second une présentation de son journal inédit, et me voici encore bouleversée, de fond en comble retournée comme si j’avais participé un jour, une nuit durant à un culte vaudou (les sacrifices en moins), à une sorte de célébration éruptive de la sensibilité et de l’esprit, une fête de transmission véridique. Comme un danseur pris de transe, je l’ai vu soudain s’élancer, porter plus loin, plus haut, l’aspiration de toute la communauté poétique. Il y a une sorte de sorcellerie, d’envoûtement dans l’essai biographique réussi, quelque chose qui négocie avec l’abîme et le vivant, traite, s’acharne, arrache au royaume des morts, ravive, ressuscite les matériaux défaits, dispersés, et leur confère plus qu’une seconde vie, une seconde éternité !
Création sensorielle, sensitive ? Connexion et surimpression créatives ? Gravures sur lignes ? Jugez-en par ce texte qui explicite les deux concepts fondamentaux d’intégralisme et de Poésie commune propre à Voronca et qui exulte d’une véritable profession de foi (in Ilarie Voronca, le poète intégral) : « Durant sa période française (1933 – 1946), certes, mais surtout universelle, Voronca va faire évoluer l’intégralisme à son stade suprême : La Poésie commune, soit le chant du monde et des hommes par un poète qui n’est pas qu’un chantre individuel, puisque son moi s’épanouit dans toutes les voix. La grande originalité de la poésie de Voronca fut toujours de ne rappeler personne, de ne se référer à aucun grand disparu, ni à aucun nom vivant ; d’être humaine, généreuse et enthousiaste, comme rarement cela fut le cas, avant et après elle. N’allons donc pas croire qu’il existe une rupture radicale entre la période roumaine intégraliste et la période française de La Poésie commune ; car l’intégralisme reste la notion clé de la création comme de la personnalité de Voronca, d’un bout à l’autre. » Cela pourrait suffire comme on reconnait instinctivement, immédiatement, l’aptitude à une humanité plus concertante et plus étincelante et comme on aime au premier regard ! Mais continuons pour les couches récalcitrantes. C’est dans la tombe qu’il est allé le chercher (Voronca), qu’il a affronté les légions de l’oubli, qu’il a patiemment soulevé, distingué, reconstruit pièce après pièce l’architecture somptueuse de son être et de son œuvre. C’est dans la tombe, parce que c’était son chemin, parce que c’était pour lui, aussi, au milieu des étincelles enfouies, scellées, un lieu de reconnaissance et de fraternité. De la même manière que l’on sonde la pierre et le marbre, Christophe Dauphin nous apprend que l’on peut sonder, sculpter les événements de l’histoire, en extraire le rayonnement primordial échappant à toute corruption, brisant le juste milieu entre l’avant et l’après, la connaissance de ce qui a été, le futur et l’inexistence. Car tout est à jamais « l’instant » dans la création poétique. Et c’est pourquoi l’homme, le grand, l’immense Voronca, il le fait traverser l’état de cadavre, de spectre, de fantôme, d’icône, d’idole languide dans la mémoire, pour le rendre à une actualité réelle, festive et volcanique, à l’actualité de sa vraie vie en Poésie. Et maintenant qu’au fil des lignes cela s’est produit, le poète Ilarie Voronca s’est remis à parler de la quête et de l’espérance, du deuil et de l’exil, de la révolution permanente des lettres, de la beauté de ce jour, de la communauté du rêve et s’apprête à partager le repas avec nous. « À quoi bon une parole qui ne lie pas deux hommes », dit Voronca. Du moins ces deux-là les voici liés !
Qu’il fasse la relation d’une vie, d’un pays, d’une situation géographique ou politique, en quelques traits, avec une conviction, une concision que l’on sent joyeuses, impétueuses, il en dresse la structure fondamentale, d’une géométrie légère, efficace, comme un mobile qui tournoie dans le temps et l’espace, où apparaissent sur les arêtes et les médianes, d’une intelligibilité immédiate, des dates, des repères, des causalités profondes, facteurs du passé et vecteurs d’avenir. Esprit de synthèse ? Assurément, mais si l’on intègre à cette synthèse la part la plus hardie, la plus débridée de l’émotionnel. Rien ne se fait chez Chistophe Dauphin sans les palpitations exorbitantes du sang et du cœur. Car c’est bien le vivant, l’érection édifiante, intemporelle du vivant, le corps historique ainsi délivré ! foi (in Ilarie Voronca, le poète intégral) : « Être juif, naître et grandir en Roumanie au début du XXe siècle et prendre part à l’essor de l’art moderne envers et contre toutes les puissances obscures et conformistes, ne sont pas des faits anodins, qui ne pèseraient que le poids d’une plume dans l’itinéraire de Voronca, comme dans ceux de Tzara, Sernet, Fondane, Brauner, Hérold, Celan ou Luca. On ne peut pas les comprendre, ou alors partiellement ; on ne peut saisir l’essence de leur être et la quintessence de leur création, si l’on ignore ce premier pan fondateur de leur existence, qui loin d’être anecdotique, justifie et explique tout : ce que sont, feront et deviendront chacun de ces artistes, unis fraternellement par la langue, les épreuves, le sang de la révolte et l’encre du rêve. »
En relisant ces deux ouvrages, en vous incitant vivement à le faire, c’est une adhésion fondamentale, une croyance toute palpitante en la lecture, en sa fonction de souffle, d’inspiratrice, que j’ai senti bouillonner en moi. Ce que Christophe Dauphin porte et soutient durant toutes ces pages et verse en substance dans le cœur des lecteurs, c’est cette intention puissante d’amitié et de solidarité supérieures, une intention à vif, opérante et sans cesse aux aguets ! Car c’est bien comme l’ami, le plus élevé, le plus accompli, dans sa bonté essentielle, qu’il nous apparaît, le frère, l’ami investi comme lui d’une vocation sacrée ainsi que l’avait définie les plus grands poètes. Une intention qui est de fait la matière même de son action, concentré de tendresse, de volonté et d’entendement. Aucune fausse route dans sa démarche, son but se détermine d’un trait quand le poète Christophe Dauphin restaure l’âme et le corps du poète Ilarie Voronca quand, par la vigueur de sa parole, de ses images, de son intuition, il ravive le génie de sa joie, de sa foi et de ses oscillations, quand il le fait sortir du cachot du silence et de l’effacement. Écoutons sans que cela prenne fin en nous, car telle est aussi notre mission, les pulsations confondues de leur sang (in Journal inédit) : « La joie est pour l’homme, disais-tu, avant d’ouvrir le gaz et d’oublier de le refermer. Mais, de la joie, que te restait-il ? Moins qu’une fumée de cigarette à la fin de l’incendie du sommeil. Moins que ta vie dans laquelle ton pas est un mot oublié. Tout se dissout, tout part. Je ne sais plus rien. La joie est pour l’homme un cri qui blesse comme une balle perdue ; une balle qui fait toujours mouche… Mais si c’est toi ce brasier rouge, cette flamme, parmi les pierres et les débris du soleil, alors, je veux être l’oiseau aveuglé dont les ailes s’enflamment sous tes paupières vides de cimetière. Alors, je veux être et jeter bas le masque de la douleur, car rien n’obscurcira la beauté de ce monde, qui laisse tomber sa tête sur l’épaule de la fatigue. »
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°50, 2020).
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Critique
De tous les écrivains venus de Roumanie qui, au cours du XXe siècle, ont enrichi la littérature de langue française, Ilarie Voronca est l’un des plus importants et des plus méconnus. Tristan Tzara, Benjamin Fondane, Eugène Ionesco, Cioran et quelques autres font l’objet de nombreuses études ; pour les compléter, la parution de l’ouvrage de Christophe Dauphin est salutaire.
« Poète intégral », Voronca l’est à des titres divers. Théoricien de l’« intégralisme », il fut l’un des rédacteurs de la revue Integral, ainsi que d’autres revues de de cette avant-garde qui caractérisa la vie intellectuelle roumaine de l’entre-deux-guerres. En outre, toute son œuvre, en vers et en prose, relève d’une volonté d’unification « intégrale » des éléments naturels et humains. La biographie d’Eduard Marcus, alias Ilarie Voronca (1903-1946), très précisément rapportée, s’insère ici dans un environnement lui aussi parfaitement détaillé. Les années roumaines, l’installation en France, l’exil et ses difficultés, les brouilles littéraires momentanées, les amitiés, les amours, les rencontres (avec la plupart de ceux qui forment le monde artistique), les ruptures, la période de l’occupation et de la résistance, la quête désespérée du bonheur, jusqu’au suicide au domicile parisien – tout cela est solidement inscrit dans le contexte historique, social, politique, culturel, roumain, français, européen dont la destinée individuelle est indissociable.
Cette biographie est aussi un portrait moral (« Combattre les prisons, la haine, l’angoisse et l’oppression ») et surtout poétique, dans cet espace franco-roumain qu’Ilarie Voronca incarne totalement : symbolisme, avant-garde, intégralisme, lyrisme personnel… il est le poète du « mouvement », de l’« inquiétude », de l’« insatisfaction », de ces états qui ne laissent jamais en repos et d’où émane une incessante évolution.
Voilà un livre indispensable à la connaissance d’un poète majeur, qui plus est écrit par quelqu’un pour qui l’écriture est une matière vivante, puisque Christophe Dauphin, outre ses essais, a publié nombre de recueils poétiques. Son étude, qui s’appuie beaucoup sur les textes, forme un ensemble très documenté (citations, anthologie significative, riche iconographie…) : Ilarie Voronca, le poète intégral est un ouvrage nourri d’authenticité.
Jean-Pierre Longre (in Cahiers Rhône Roumanie, septembre 2011).
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Critiques
"Je voudrais pointer deux poètes qui incarnent un mouvement nouveau de la poésie française actuelle : l’un, Matthieu Baumier, avec Le silence des pierres (Le Nouvel Athanor), porteur d’une révolte blanche, froide et implacable ; l’autre, Christophe Dauphin, avec L'ombre que les loups emportent, poèmes 1985-2000 (Les Hommes sans Epaules éditions), porteur d’une révolte noire, fraternelle et conquérante. Les deux arpentent les terres de la poésie d’un pas ferme et avec une écoute chasseur expérimenté. Que leur prend-il alors de se dresser soudain ? Pourquoi veulent-ils en découdre, alors que leur culture devrait les attirer vers une poésie sagement communautaire ? Il y a chez l’un et l’autre la conviction que le « Recours au poème » agirait comme une arme salvifique sur le monde d’aujourd’hui ou que le poète est aujourd’hui le dernier « porteur de feu » nécessaire pour produire un lendemain. Fini donc le temps des recherches formelles, des plaintes délicates et lointaines ! Aujourd’hui – soudain – une gravité (Baumier) une urgence (les deux), une ivresse (Dauphin) mobilisent le poète au-delà de lui-même, le forcent (Baumier) ou l’exaltent (Dauphin) à sortir la poésie de sa dimension littéraire (synonyme d’échangeable, discutable, comparable…), pour revenir à sa dimension première qui est le débordement, l’impatience, l’inévitable, l’obligation d’une lutte à bras-le-corps contre le destin, qu’on pourrait définir en mots actuels comme une aspiration incontrôlable et séculaire à se défaire de l’idée de l’homme. Comme rappelée à sa vocation, leur poésie se condense, se fait muscle, arme et entraîne vers les horizons de « l’après fin du monde » (où nous sommes)… Il est aussi significatif de noter que l’un et l’autre animent collectivement des communautés de poètes à travers le site poétique de « Recours au poème » pour Matthieu Baumier et la revue « Les Hommes sans Epaules » pour Christophe Dauphin…
La poésie de Christophe Dauphin, comme l’introduit Jean Breton dans sa préface à L’ombre que les loups emportent, est un « feu » et « un coup de poing ». L’autre élément immédiatement pointé dans la préface et que je rejoins plutôt deux fois qu’une, c’est celui de guide lyrique qu’incarne Christophe Dauphin. Un guide sûr, généreux, solaire, riche d’une confiance jamais entamée. Un guide pour un combat toujours à mener : « Battons-nous jusqu’au jaillissement de l’homme », un soleil qui se fait noir par son besoin de justice et sa volonté de tenir l’homme libre. Plonger dans cette anthologie de près de cinq cents pages, c’est prendre l’océan d’assaut, retrouver l’appétit du large, des grands espaces et des rencontres. Essayons d’ordonner les impressions et sentiments que la lecture de ces poèmes souleva au long de cette traversée.
La première est la joie de retrouver si vivante la grande veine du surréalisme ; ainsi donc sa vitalité, son immédiateté ne sont pas mortes. Des poètes la portent fièrement et usent de ses moyens splendides. Exemples : « il est minuit / vos doigts ne servent à rien », ou « ton nom est la lame de mon couteau », ou « après la lune au regard d’ange, l’ouragan marche sur des planches ».
La deuxième est le plaisir, si rare, de trouver un grand poète français, c’est-à-dire, qui connaît le pulpe de notre langue et retrouver ces accents classiques qui donnent envie d’apprendre par cœur ses vers pour les réciter. Exemple : « Je suis l’enfant du grenier / où rien ne bouge » ou « Paris le bleu des vagues et l’ombre des réverbères ».
La troisième est la satisfaction d’un poète qui ose tout : le journalisme, le manifeste, le pamphlet, l’aphorisme, la prose, la vitesse, le collage, le parti-pris, le croc-en jambe. Le poète est un animal dangereux quand il traverse la rue. Exemple : « Je parle droit je parle net / je ne ravale pas mon crachat », ou « Mon adolescence fut banlieusarde /Une nuit noire à pied de biche / cigarette en main ».
La quatrième est la gravité d’approcher des confidences d’un cœur doué pour la rencontre, attentif, à l’écoute, qui accepte de se perdre dans l’échange. Exemple qui me touche particulièrement : « Le jour commençant / me dit Elodia Turki / ne dicte rien et nous devance », ou encore son attachement à une fraternité, sa reconnaissance et sa fidélité à une communauté de poètes et d’amis : « Dans la nuit mes amis / je retrouve vos visages ».
La cinquième est la complicité secrète à son anarchie qui mélange un communisme social et une protestation lapidaire proche de la Beat Generation (pensez au « Blind poet » de Ferlinghetti) ; « « le consommateur est un citoyen raté ». Ou « Choisissez vos armes : la Colère, la révolte ou l’Amour » (je suppose que Dauphin n’a pas choisi et a pris les trois). Ou « Un poète est un coup de poing dans la gueule du réel ». A lire intégralement, son poème « cela ne se discute même pas », dont je ne résiste pas au plaisir de vous donner quelques vers : « plutôt Maïakovski que le parti (..) / plutôt ma femme que la tienne ( ..) / plutôt mon enfance que mon adolescence ( ?..) / plutôt le nœud que le papillon (..) / plutôt le cri que le silence / plutôt la boucle que l’oreille (..) / plutôt oui que non (..) » La sixième est une adhésion profonde à l’ambition humaniste de sa poésie, fût-elle empreinte d’une volonté d’effacer Dieu de tout horizon (« Plutôt l’homme que Dieu »), car on ne peut trouver Dieu qu’en cherchant l’homme. Et c’est pourquoi, bien souvent, la poésie des poètes communistes, dont Dauphin est le fils spirituel, par leur simplicité et leur élan me semble porteuse d’une foi plus vivante (et plus riche) que bien des poètes chrétiens. Exemple : « Je est un pluriel de paupières / le poème est une rencontre humaine », ou « Mon usine / c’est l’amour que le poète construit / pour les autres – presque tous les autres ».
On ne peut que regretter le manque d’intérêt des grands critiques pour ce qui se passe en poésie. Pourquoi condamner au silence la vie et le dynamisme qu’on y trouve ? Pourquoi retirer cette pièce maîtresse de la création ? J’avoue ne pas comprendre. "
Pierrick de CHERMONT (in revue Nunc n°31, octobre 2013).
"J’ai eu la chance, enfin, de lire Christophe Dauphin il y a quelques années seulement. Que de temps perdu jusque là ! Et depuis sa parole, si proche, si justement essentielle, ne m’a pas quitté. Comme une voix d’ami dans les joies et dans les peines. Puis, lors d’un Printemps des Poètes, j’ai eu cette fois l’heur de passer deux jours avec lui, dans l’Eure justement, son département aimé. Nous étions un peu comme Laurel (moi) et Hardy (lui). Mais j’ai compris que cet homme intègre, vrai, serait effectivement un ami désormais quoi qu’il advienne : sa voix et lui ne faisaient qu’un. Et si j’ose parler d’amitié, de cette valeur suprême qui nous est commune, c’est que nous habitons tous deux sur une même île ouverte à tous les vents, tenus par la même conviction inébranlable quant à l’urgence du rêve et de la poésie. Comme moi, entre l’amour et la révolte, il choisit l’amour et la révolte ! Et je reçois aujourd’hui L’ombre que les loups emportent comme la confirmation de ce qui nous unit.
À voir l’ouvrage, on pense tenir là un pavé romanesque. Ou alors une de ces anthologies dont l’auteur a le secret : 461 pages ! Un ouvrage à la taille de ce colosse qui impose par sa stature avant d’en imposer par sa parole. Quelle audace ! Aucun poète n’ose aujourd’hui publier de tels volumes. On trouve dans L’ombre que les loups emportent les poèmes publiés par Christophe Dauphin de 1985 à 2000. À 32 ans, il avait déjà une œuvre derrière lui. Et quelle œuvre !
Dès ses premiers textes en 1985 (comme un Rimbaud, il n’a alors, et peut-être à jamais, que 17 ans) ce chantre de l’émotivisme écrit que « l’amour est à réinventer » et cet aphorisme augure, et ce de façon magistrale, de l’œuvre qui suivra. Dès ce moment, la poésie de Christophe claque, cogne et caresse comme une évidence et avec une sûreté extraordinaire qui n’est agie par nulle certitude mais par la vraie rébellion, par le plus brûlant amour. Christophe Dauphin nous fait croire plus que jamais à cette aventure fabuleuse des mots de sang qui est l’honneur des hommes.
Avec lui, la poésie est belle et rebelle. Belle parce que rebelle quand « La révolte et l’amour logent dans l’étoile de nos pas ». Belle aussi contre tous ceux qui voudraient enterrer le mot « beauté ». Nous avons là une écriture quasi incendiaire (le feu y est aussi présent que le cri), une poésie du sens multiplié bien au delà de cette polysémie absconse des petits maîtres qui trop souvent confine à l’insignifiance.
Il a trouvé le juste accord, la tonalité exacte de l’image surréaliste à hauteur d’homme. Une image d’une extraordinaire sensualité : « tes jambes prennent leur source dans mes mains » ; « ce sont les femmes qui m’inventent » ; « c’est une femme / Enroulée comme une bague autour de moi »… L’envie me prend de tout citer.
Dauphin, un grand poète ? Au diable ces qualificatifs éculés ; la poésie n’a pas à être grande mais à être vraie. J’ose dire ici simplement que Christophe Dauphin est peut-être le plus vrai poète français de ce temps."
Guy ALLIX (in Mediapart, le 1er décembre 2012).
"Les textes. L’acte créateur et vivificateur de donner, de se donner. De compromettre l’instance de repli, de retrait, pour l’amour d’une attente, d’une exigence, d’un simple relais dans le geste salvateur, instrumental du livre, dans le geste de penser, de dire, de transcrire : l’ensemble des recueils de Christophe Dauphin, s’étendant sur plusieurs années, pourrait s’entendre comme vingt-quatre heures de la vie d’un corps. D’un corps assurément né en poésie, à vocation précoce, fertilisant jusqu’à l’extrême de par ses forces et ses intentions, de par ses rigueurs oblatives, le mouvement même de la vie, et en lequel les fastes de tous les désirs sans faille ni dichotomie, à parts égales, dans une vigueur unitive, au plus profond s’inscrivent. Un corps d’un réservoir infini, une grille, une arche poétique, perpétuellement en alerte, un de ces « qui-vive », captant toutes les espèces d’étincelles, des plus fondamentales, des plus matérielles aux plus oniriques, et qui n’en aurait jamais fini de se tendre, d’éprouver, de se confronter. Vingt-quatre heures de la vie d’un corps qui naît sans discontinuer de sa quête, ses prismes intrinsèques, aussi de sa présence aux événements du monde, y apportant son « commentaire », au plus vrai, son commentaire concret et substantiel, au sens de se rendre au mystère, au sens de vivre et d’aimer, agissant pragmatiquement par le biais des écrits, érigeant sa beauté inté-rieure en vindicte, versant l’action des lettres dans l’indigence et l’immobilisme. Il y a, dans cet homme qui consigne, un chirurgien averti qui traite, avec les instruments de la parole et des signes, les plaies et les ulcères de son temps. Il y a un homme qui opère avec justesse et précision, les yeux ouverts sur l’infection, et s’achemine de guerre en guerre, de passion en passion, vers l’ouvert et la transparence. Car jamais les mains du poète ne se déprennent du matériau vivant, jamais elles ne battent pour leur propre compte ; je le répète, il y a dans sa cure d’écriture, une morsure guérissant tous les maux du dégoût de l’injustice et de la solitude. Christophe Dauphin est un meneur de rêves, de rêves solides, coriaces, de rêves d’élite qu’il lance dans le feu de toutes les batailles. Dressé, toujours nouveau dans son armement sensuel de mots - chez lui le verbe a un sexe -, dans une poétique efficiente du partage et de l’engagement. Car le comble de Christophe Dauphin est cette générosité de l’intelligence. Pour preuve, je cite l’ensemble de l’oeuvre et l’ensemble du corps, d’un seul tenant, prêt à défier, au seuil d’un poème d’avenir, tous les carcans de la désespérance."
Odile COHEN-ABBAS (in Les Hommes sans Epaules n°35, 2013).
"Christophe Dauphin est un poète majeur du monde contemporain, un poète qui assume pleinement la fonction d’éveilleur, fonction traditionnelle du poète. C’est dans le choix de l’alternative nomade que Christophe Dauphin transmet, avec une grande originalité, non une connaissance, mais un art de se relier librement au réel. Il maintient en alerte, une double alerte, l’une pour la personne afin qu’elle ne se laisse pas engluer par la bêtise envahissante, l’autre à la l’individu, la part indivisible, afin qu’elle préserve les chemins sinueux qui conduisent à l’être. Poèmes de queste, profondément initiatiques, voyages au centre de soi-même, ses textes sont sans concession au monde des apparences. C’est le réel qu’il veut, et rien d’autre, ce réel qui pointe dans le temps du rêve où les mots se défont pour s’assembler dans une langue inconnue qui résonne comme la cloche du monastère qui annonce l’heure du silence, tout prêt du sommet de la montagne. Réenchantement des mondes, les poèmes de Christophe Dauphin libèrent les espaces des carcans de préjugés des mondes normés afin que l’esprit se déploie. Après Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2001-2008, ce nouveau recueil rassemble les poèmes de la période 1985-2000 dans un volume de près de 500 pages. Essayiste et critique littéraire, Christophe Dauphin, inscrit consciemment dans le poème continu de la vie, laisse une trace subtile avec l’encre des émotions."
Rémi BOYER (in incoherism.owni.fr, le 1er décembre 2012).
"Imprégné par les avancées du Surréalisme, Christophe Dauphin s’en est dégagé autant par son inspiration que par son écriture. Son livre est par excellence la somme qui le prouve. Elle permet aussi de voir un pan du chemin de celui qui caresse l’utopie comme il ouvre parfois à des chants moins sereins. Adepte des voyages sous toutes ses formes, « par la rivière Kwai » comme sur « les pas de Baudelaire dans les voiles », de la nuit mexicaine aux touffeurs de Samarkand, à travers un tableau de Monet, de Madeleine Novarina ou de Frida Khalo le poète est toujours au plus près de la vie : le monde est là. L’idéalisme du poète ne l’expurge pas de ses miasmes. De même sa propension à l’absolu ne prive pas le lecteur de toute une sensualité. Dauphin crée une œuvre qui se dérobe à l’ombre même s’il se dit « un crépuscule aux mains coupées ». Et si la poésie ne sauve pas elle cicatrise un peu. Certes la peau est souvent prête à éclater à nouveau, le sang pulse mais il n’empêche que l’écriture métamorphose tout – jusqu'au « collier de Buick et de Lada » sur l’île de Cuba.
Il existe dans une telle œuvre des sortes de narrations plastiques poétiques qui forcent l'espoir en luttant contre la réalité lorsque nécessaire. L’écriture est donc la source de la résistance à la vérité instrumentalisée comme à l’amour déçu. La femme y est d’ailleurs présente de manière paradoxale, hors champ. Et le poème devient parfois par-delà la douleur le lieu sourd de rêves provoqués par les attentes que la femme comme les lieux provoquent. Dans ces derniers réside toujours quelque chose d’intime qui joue de l’entre deux : l’ici et le là-bas, l’avant et l’après.
Le visible et l’énoncé suggèrent de l’invisible et du tu, du nous, du liant et du lien – c’est d’ailleurs une idée mère chez Dauphin. Un tel livre permet de traverser les couches sédimentaires d’une œuvre et d’une existence. Certes son contenu ne se confond pas avec le signifié. Dauphin élabore des énoncés qui n’ont rien de « médico-légaux». Ils expriment un état particulier de la visibilité du monde et de la profondeur des émotions et leur charge d'ineffable que l’artiste engendre et nourrit. Chaque texte révèle le cri de vie, d'amour, d'exigence intérieure. C’est pourquoi il se conçoit comme un espace à relire et relire pour découvrir ce qu’il en est - par-delà le poète - de l’être et de ce qui le met en question et l’affecte dans sa relation au monde. "
Jean-Paul GAVARD-PERRET (in incertainregard.hautetfort.com, 7 octobre 2012).
"Ce n'est pas la première fois que Christophe Dauphin rassemble dans un gros livre ses poèmes de longues périodes de son passé, soit une production incroyablement imposante. Ce fut d'abord Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2011-2008 (lire Inédit Nouveau n°248) et maintenant L'ombre que les loups emportent, qui rassemble les poèmes publiés et/ou inédits, de la période allant de 1985 et 2000. Par conséquent cette fois, des poèmes de jeunesse. On y retrouve d'ailleurs les préfaces, très instructives, de Jean Breton, Henri Rode et Alain Breton. Le temps écoulé indique que le poète a changé, et cela aussi aide à mieux comprendre les différences. car Dauphin ne cesse de modifier son approche de la poésie. Il a même lancé le terme d'"émotivisme". Pas pour se séparer de son surréalisme d'origine, auquel il reste absolument fidèle, mais pour marquer sa place dans l'histoire littéraire... Dauphin n'hésite pas à présenter ses successives admirations, sinon ses révoltes, comme cela est le cas, à travers l'assassinat de Malik Oussekine en 1986, mais aussi ses réflexions, qui le construisent aux yeux du lecteur. Quelques exemples: "L'amitié, je la porte comme une écharpe qui réchauffe", ou: "Un ami est quelqu'un avec qui on peut se taire sans s'ennuyer." Un peu plus loin, c'est la poésie qui prend le relais: "Il n'y a que la poésie qui soit vie, tout le reste n'est que boniments." Plus loin encore, Rode le signale: "Christophe Dauphin sait exalter les grands humiliés du temporel par le sentiment", et lui-même refuse "le mètre classique." D'un voyage au Mexique, il a rapporté Frida Kahlo et toute la civilisation aztèque. Décidément, Dauphin est un poète du monde entier ! "
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°260, janvier 2013, La Hulpe, Belgique).
"Avec L'ombre que les loups emportent, Christophe Dauphin rassemble ses poèmes de 1985 à 2000. A ceux qui croient que le surréalisme est mort comme à ceux qui espèrent qu'il est (vraiment) toujours vivant, je conseille cet ouvrage constellé de comètes verbales et d'aphorismes pyrotechniques: "Le printemps est un révolver d'herbes claires". "Il est minuit - Vos doigts ne servent à rien". "La nuit est une gare aux pas invisibles". Oui, le surréalisme - mais humaniste et pas dictatorial à la Breton - est bien vivant. Christophe Dauphin l'actualise sous le nom d'émotivisme."
Roland NADAUS (in Le Petit Quentin n°283, mars 2013).
CE POETE SE NOURRIT DE LA VIE.
" Seule la poésie est vie, tout le reste n'est que boniment ou subsistance", entend démontrer le poète Christophe Dauphin, dans L’ombre que les loups emportent. Christophe Dauphin signe un recueil de poèmes en prise directe avec le monde. Reconnu par le milieu littéarire, l'artiste est originaire de Nonancourt (Eure) où il naît en 1968, dans une demeure de famille acquise depuis plusieurs générations. Il y vit avec ses grands-parents jusqu’à l’âge de 3 ans avant de rejoindre ses parents à Colombes (Hauts-de-Seine). Leur logement surplombe un bidonville où survivent des immigrés de tous bords politiques. L’enfant n’a pas pleinement conscience de cette situation potentiellement explosive mais il observe et s’imprègne de ces images. Pendant les vacances, il retourne dans l’Eure. Son grand-père lui transmet son esprit d’« ouverture culturelle, sa fibre littéraire et sa passion de l’Histoire ». A 9 ans, Christophe découvre Napoléon, Flaubert et Maupassant. Il lit, dessine, s’interroge à propos de la Société et écrit des poèmes. Cette enfance, suivie d’une adolescence tourmentée, constitueront la « matière vivante » de son art poétique. « On naît et on est poète », dit-il. Christophe rencontre des hommes illustres (Léopold Senghor), des écrivains, des poètes (Jean et Alain Breton, Henri Rode). Il se reconnaît dans le surréalisme (une influence qui correspond à l’intrusion du rêve dans la réalité) et dans un courant de la poésie contemporaine dénommé La Poésie pour vivre qui se veut non-élitiste, « émotiviste »* et en lien avec le monde. Jean Breton le définit comme « le poète-phare de sa génération ». A 45 ans, l'Eurois a derrière lui une œuvre constituée d’une trentaine de recueils, essais, anthologies, critiques littéraires. Il est aussi Directeur de l’une des plus prestigieuses et ancienne revue Les Hommes sans Epaules.
* La poésie émotiviste par l’exemple : « Le cœur en papillote - Je tremble d’amour - Dans le calme d’une rue peinte par Giorgio de Chirico » : devant une œuvre plastique du peintre italien Chirico, « chef de file de la peinture métaphysique », le poète ressent une émotion intense proche du sentiment d’amour. « Si le mot oiseau ne vole pas - l’idée me donne des ailes » : l’auteur fait appel à un souvenir. Son ami poète Jean Rousselot lui avait dit que « le mot oiseau comportait toutes les voyelles et que c’était ce qui lui donnait des ailes ». Ici, le poète utilise le pouvoir des mots pour signifier que le mot oiseau vole. « Ne lâche jamais la vie - elle te lâchera elle-même - toujours assez tôt » : en faisant sienne la pensée « Je cherche l’or du temps » d’André Breton, fondateur du surréalisme, l’auteur signifie qu’il faut savoir saisir les doux moments de la vie.
Marie-France Escofier (in Paris Normandie, 25 mars 2013).
"Si vous vous interrogez sur ce qu'est devenu le dadaïsme, le surréalisme, le communisme, la beat generation, ces courants que la flamme poétique embrasa, lui donnant son excès, sa révolte, sa vitesse, son immédiate simplicité, et que vous regardez notre siècle comme une plage à marée basse où le sable, à peine mouillé, si peu scintille et la mer, si loin, trop se confond avec un ciel irréel, ouvrez, ouvrez cette anthologie des poèmes de Christophe Dauphin. Tout est là, généreux, ouvert, fraternel. Aucune nostalgie, mais "la même innocence essentielle" comme l'écrivit Henri Rode. La discussion à peine interrompue, reprend. La parole retrouve ses habits du grand libre. Tout redevient force, envie, combat, rêve, camaraderie. La poésie, à nouveau prolixe, arrose tout ce qu'elle touche, ravive, rafraîchit, reprend le combat au nom de la conscience universelle, se laisse pénétrer par le monde; mourra - nous le savons - sera "l'ombre que les loups emportent", mais les chants qu'elle nous offre, nous feront frères et soeurs des étoiles, des fleuves, des rêves des hauts fonds qui nous rendent plus grands que nos larmes. Dites avec lui, au moins une fois: Je parle de l'homme libre - L'homme aux paupières de fleurs électriques - Que j'étais - Je suis - Je serai."
Pierrick de Chermont (in revue Nunc n°30, juin 2013).
"Selon moi, Christophe Dauphin écrit à main armée. Puisqu’ici c’est le poète qui est évoqué, il est inimaginable - comme pour Michel Voiturier - de concevoir son travail de création annexe ou parallèle à celui du critique, du biographe, de l’animateur des Hommes sans Épaules, agitateur de mémoires sans nostalgie et sentinelle insomniaque sur la ligne de front de la création contemporaine. Il propose dans ses poèmes une lecture boulimique de l’existence, de l’être pris au piège des désirs les plus inutiles de l’humain, ce qui revient à dire : vivre. Christophe Dauphin propose de vivre. Contre la pédanterie, parfois contre soi. Même. N’aurait pas manqué d’ajouter Rrose Sélavy. Christophe Dauphin n’est pas un poète de Poësie, mais de l’intelligence au service d’un quotidien. Il évoque Malik Oussekine. Son poème ne prend pas de coups : il saigne. Christophe Dauphin est l’instant même. Il est toujours possible de dévier avec les fausses toiles « sur le motif » des Impressionnistes d’aujourd’hui. Toute modernité qui se prévaut d’elle est mondaine. Christophe Dauphin comme Michel Voiturier sont aujourd’hui et n’ont pas besoin de se prétendre poètes pour donner ce qu’aucune autre forme de langage n’aborde. Rentrer ici dans les diverses conceptions de la poésie - chacune jamais partagée que par celui-là même qui a développé la sienne - est futile. Lorsque je lis ou entends des poèmes de ces deux-là, unis par l’amitié qui me lie à chacun d’eux, j’espère fermement que c’est bien de cela qu’il s’agit : s’entretenir.
Éric SÉNÉCAL (in Les Hommes sans Epaules n°37, 2014).
*
"Poésie de l'émotion qui s'insurge contre les maux du siècle."
Electre, Livres Hebdo, 2013.
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Je n’imaginais pas écrire une lettre ouverte aujourd’hui. Mais Jean-Pierre Thuillat me rappelle amicalement que je n’en ai pas écrit depuis longtemps pour la revue. Et comme je viens de consacrer une émission RCF (« Dieu écoute les poètes ») à Christophe Dauphin, j’ai pensé que je pourrais la prolonger ici, dans ce numéro 118 de Friches.
Justement, commençons : Christophe Dauphin s’auto-proclames athée, parfois à grand renfort d’imageries surréaliste : il a écrit, par exemple, une charge violente contre et pour (« Thérèse, Cantate de l’Ange vagin », éditions Rafael de Surtis, 2006) celle que j’appelle « ma copine » : Thérèse Martin, plus connue sous le nom de sainte Thérèse de Lisieux et à laquelle j’ai, alors maire de Guyancourt, consacré une voie publique… parce qu’elle était aussi poète… Il est vrai que cette grande petite sainte est, comme Dauphin, Normande et que ce dernier porte en lui profondément ce que Léopold Sédar Senghor, dont il fut l’ami et par certains côtés le disciple, appela sa « normandité ». L’œuvre poétique de Christophe Dauphin y fait très souvent référence avec bonheur et il a même consacré une belle anthologie aux poètes en Normandie du XIe siècle à nos jours : « Riverains des falaises » (éditions clarisse, 2012).
A propos de l’anthologie, Dauphin, qui est un boulimique de la lecture et de l’écriture, a également publié « Les riverains du feu » (Le Nouvel Athanor, 2009), un ouvrage anthologique dédié aux poètes qu’il rassemble sous le vocable émotivisme ». Ce concept, qu’il développe et qu’il illustre de cinq cents pages et qui reprend des extraits de recueils de plus de deux cents poètes (!), est au cœur de sa pensée et son écriture.
Car si Christophe Dauphin s’insère dans une filiation surréaliste, ce n’est pas pour singer un mouvement disparu, mais au contraire pour en poursuivre l’esprit – dont il juge qu’il est toujours extrêmement vivant. Et il est vrai que ses poèmes brillent souvent d’un éclat surprenant grâce aux images dont il a le secret et qui laissent le lecteur pantois et admiratif devant leur inventivité et leur puissance. Dans son recueil, « Le gant perdu de l’imaginaire » (Le Nouvel Athanor, 2006), qui est un choix de poèmes écrits entre 1985 et 2006, on en trouve à toutes les pages, ainsi à la première :
« La lune a mis ses bretelles sur l’idée de beauté
Un train déraille dans la bouteille de la nuit
Il est temps de décapiter la pluie
D’égorger l’orage… »
Mais si j’ouvre ce beau recueil à n’importe quelle autre page, je reconnais le poète prince de l’image, roi de la métaphore :
« Le sourire d’une femme est la lame de fond du regard
Debout entre trois océans »
Il faudrait aussi parler de son livre « Totems aux yeux de rasoirs » (éditions Librairie-Galerie Racine, 2010), préfacé par son ami Sarane Alexandrian, qui fut le très proche collaborateur d’André Breton et le directeur de la revue « Supérieur Inconnu », à laquelle Dauphin collabora. Ou bien encore parler de ce gros ouvrage recueillant des poèmes, des notes, des aphorismes : « L’ombre que les loups emportent (Les Hommes sans Epaules éditions, 2012). Henri Rode surnomme Christophe Dauphin « l’ultime enfant du siècle et la fête promise ». C’est que, très tôt, dauphin a senti bouillonné en lui la poésie, indissociable de la révolte et de l’amour.
L’amour n’est d’ailleurs pour Dauphin pas loin de l’amitié à laquelle il sacrifie fidèlement notamment à travers la revue qu’il dirige : « Les Hommes sans Epaules », qui a d’ailleurs consacré une anthologie à ses collaborateurs de 1953 à 2013 sous le titre « Appel aux riverains » (Les Hommes sans Epaules éditions, 2013). A ce propos, il faudrait aussi évoquer son œuvre considérable de critique littéraire et de critique d’art. Dauphin a décidément une capacité de travail et de création qui, au sens propre, m’époustouflent !
Et comme il est encore jeune, bien que dans l’âge mûr, je lui souhaite de continuer ainsi avec la même vigueur et la même ferveur. Maintenant qu’il est devenu secrétaire général de l’Académie Mallarmé, il n’en aura que plus de force pour défendre et illustrer la poésie contemporaine, et pour soutenir ses créateurs.
Fraternellement en notre diversité,
Roland NADAUS (cf. « Lettre ouverte à Christophe Dauphin », in revue Friches n°118, mai 2015).
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