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critique

"Prose poétique, exacte, rythmée, musicale, toujours belle. On y chante juste « l'inépuisable intérêt de Dieu ». Le poète suit la lumière des yeux, « lance un chant aux étoiles », et sait relancer dans une certaine joie secrète le fil interrompu de sa singularité. Un sens du Sacré qui impose le respect. Un verbe suspendu, parfois de façon énigmatique, « entre les sautes d'un jour ». « Avec la faim comme bâton », Pierrick de Chermont est un pèlerin qui marche vers ce Dieu fidèle et jamais vu. "

Jean-Luc Maxence (La Nouvelle Lanterne n°9, octobre 2013, in lenouvelathanor.com)

"D'aucuns penseront que je suis bien placé pour parler de cette plaquette de Pierrick de Chermont puisque, seul, un abîme nous sépare, lui le croyant et moi l'athée !  Ils n'ont pas tout à fait tort dans la mesure où je suis sensible à la parole qui parcourt ces quinze chants. Des chants qui sont comme des laisses de versets, comme on dit des laisses de mer : des versets comme des mots drossés sur la page par la foi religieuse du poète. Et comme la mer est toujours recommencée, l'enjambement, parfois présent, souligne une pensée coulant comme une source qui, jamais, ne se tarit…

Pierrick de Chermont célèbre à sa façon un monde dans lequel il déambule, un monde pris dans sa diversité : ville/nature, violence/douceur… Mais il n'en reste pas moins que des passages comme "Demain, ouvrir au feu le silence, au verbe la présence, tel autrefois le chant de Siméon, puits de lumière dans un puits de lumière", même s'il me donne une idée du projet de Pierrick de Chermont, reste obscur au mécréant que je suis qui ignore tout de ce Siméon sans doute biblique… De même le mécréant laisse de côté toutes les occurrences des mots Dieu, âme, chapelet, psaume… (du moins dans le sens que leur donne l'auteur) pour ne s'intéresser qu'à la célébration du monde qui traverse ces chants.

Un poème comme le chant IX est révélateur à la fois de la démarche de Pierrick de Chermont et de la lecture que je peux en faire. Si Pierrick de Chermont annonce clairement sa quête de sens dans des expressions comme "Une lumière pleine de lenteur perce les flancs de mon âme" (on pense au Christ crucifié dont un soldat de Pilate perce le flanc de sa lance) ou "Par la foi, satisfaction de faire tomber les âges d'or, de fabriquer de l'histoire toutes portes ouvertes",  je peux lire cet autre passage en me passant de l'hypothèse de Dieu : "La pluie sur un parc zoologique, la pluie sur les rues de la ville. Chacun se rapproche et se renouvelle, // Se revêt de milliers d'étoiles et recommence, avec le trouble d'avoir été visité dans ses profondeurs". L'un nomme Dieu ce trouble, l'autre le nomme mystère ou beauté du monde. Reste que les deux ont été sensibles à la même réalité. Et je pourrais multiplier les exemples, au risque de lasser le lecteur. C'est que Pierrick de Chermont se confronte au monde, au réel, tout comme les matérialistes. Il en tire sa conclusion alors que Guillevic, pour ne puiser que dans cette œuvre, en tirera une autre par son attention aux êtres et aux choses les plus humbles : "Oui, coquelicot, / Tu es l'empereur / De ton royaume. // Je ne sais pas t'imiter, / Mais continue à régner / Sur toi comme sur moi." (in Quotidiennes) ou, à propos d'un modeste jardin : "Rien que le temps / Qui s'est retiré là / Et n'attend rien." (in Creusement).

Les images de Dinah Diwan qui accompagnent le texte de Pierrick de Chermont sont en harmonie avec le ton prophétique du poète et sa volonté de décrypter le réel (à sa façon, faut-il le redire ?). Il s'agit de collages sur un texte soigneusement raturé et ainsi rendu illisible : métaphore de la révélation ? Ou quoi d'autre ?

En tout cas, si la poésie est un outil pour atteindre Dieu ("Poésie, tu nous élèves à l'opiniâtre décision de vivre. Poésie, mer éternelle du sans-horizon - je cueille au matin la rose, // Tu m'affilies à la terre, à la promesse de mon Dieu…"), elle est aussi pour le mécréant ou le mystique sans dieu une simple façon de dire le monde, dans toute sa complexité et dans tout son mystère, un mystère dont la science ne fait que reculer les limites. "


Lucien Wasselin (in Recours au poème, décembre 2013).

"Une écriture inspirée dans l’écrin de délicatesse des mots, qui n’exclut ni la transgression ni la surprise. Ce beau livre, texte et illustrations, transporte. Quelle est la réalité de la réalité, que ce soit dans le quotidien qui s’étend ou la transcendance de l’instant qui persiste ?

Extraits :

« Sonnerie dans un préau vide. Une lumière, le feutre roux des platanes, un trottoir ravi de son mutisme.

Ah, si je connaissais les sources du vent, je leur dédierais l’été pour qu’elles le relancent avec une forêt

De nuages ! Nuages que je goûte en riant seul, peinture, croupes, crinière que les enfants empoignent,

Figures du libre qui s’épargnent et se prolongent comme une mémoire ayant choisie de se taire !

Le soir, à nouveau les faux de l’indicible : un halo de lune, une voiture qui manœuvre dans un présent immobile.

Finie la journée, fini le dehors où Dieu est le grand cherché ; voici la nuit avec ses escaliers et ses langues oubliées... »

« … Je vous rejoins, apprends vos mœurs où l’on s’approche par la distance, où l’on pèlerine seuls et ensemble, ébranlés et fraternels ;

L’abeille n’est-elle pas l’égale de l’astre quand elle le couvre de frémissements ? Et tous ces chants et tous ces mystères qui nous unissent !

Boire à la sainte nudité du jour, chair à chair s’ouvrir à la plénitude, où, par une mesure sans mesure,

Nos âmes aspirent et tètent le monde. Oui, par une libre admiration, se métamorphoser en prosodies intérieures.

Au bout du bout, je disparaîtrai. T’embrasserai-je alors, Homme-dieu, du plein baiser de notre terre ? »

Poète et dramaturge, Pierrick de Chermont, allie l’originalité avec la rigueur de l’ordonnancement des mots. Il explore le monde comme intériorité, l’intériorité comme poésie, la poésie comme monde. Ce ternaire libère la pensée et révèle une joie secrète propre à la vie qui demeure.

Rémi Boyer (in incoherism.wordpress.com, décembre 2013).




Lectures critiques

« Les mots viennent sans cesse tressaillir du côté du vivant », écrit Alain Brissiaud dans Jusqu’au cœur (Collection Les HSE /éd. Librairie-galerie Racine,162 pages, 15 €). Oh que cela résonne ! D’autant qu’il évoque tout aussitôt cette « terre des mots, limon d’où surgissent nos fragilités, ici comme autrefois ». Avec ce poète né à Paris en 1949, qui n’a publié son premier recueil qu’en 2015, nous voici en pays d’humanité. Il cherche « l’étroit chemin menant de l’un à l’autre » dans des regards, des caresses, des amours… Il guette les présences visibles ou non d’autres humains. « Il y aura toujours un mot pour dire ce lien », affirme-t-il. »

Philippe SIMON (in Ouest France, 18/19 novembre 2017).

*

" Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète  acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire  des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes,  fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.

 

« L’ange de la mort l’ange de personne
chantait les mots de la chanson
tu savais qu’ils venaient

peu importe que cachaient ces paroles
des éclats des cris
coups ou rires
il n’y avait pas de nom
pour le dire

la chanson du matin
la chanson du soir
la chanson du sang à la nuit
revenait et enfilait
lavant ton esprit de sa lumière

maintenant
depuis le bord du pré
tu écoutes le bruit des pierres fracassées
sous un ciel de mots

ton espoir
est la pire des choses »

 

Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le  référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.

 

« Ta voix se creuse à mesure du message
jusqu’à couler
dans le papier
et ta paupière tremble
dans l’œil autour du visage
puis s’efface

tu me parles dans le cercle d’écume
en silence
gardant les mots en toi
avant la voix
dans les poumons noirs de tes désirs

et ta paupière
boit l’écrit qui se forme sur ton visage

incendié »

 

« Endormi à la nuit consumée
tu n’écris pas
tu marches dans le sommeil

vers quelle frontière fraternelle

et dérives cherchant ta place dans le monde
tu n’es plus visible
enclos
derrière les murs de la parole

j’entends
que rien ne s’ouvre
comme si
un poing de solitude s’abattait »

 

L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience  à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.

 

« Vers toi tendus jusqu’au cœur
à l’échéance
suceront le lait de ta pensée
pour s’en vêtir

enclos dans l’ultime moment
tu ne sauras retenir
cet effroi de lumière

viendront les spasmes
les paroles traduites

ces paroles
jaillies de ta voix
cabossée »

 

« Quand je te lis je t’écoute
j’emprunte alors
un autre chemin que le mien
guidé par la voix
couchée derrière tes paupières

et je nage contre tes cils
à l’avant de ton ombre naissante

aussi
la voix
du souvenir
entêtant »

 

Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.

 

« Tu me montres parfois ton visage
cousu de fruits sauvages
absolument
et sa détresse
et son exil comme un mot
écrit à la machine

sérieuse tu caches la couleur de tes yeux
ce chalet d’angoisse
leur beauté enlaidie
et ta psychose noient mon regard
comme un privilège
c’est ainsi
tout ce que j’ai voulu
se brise

c’est long d’aimer »

 

Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.

 

« Est-ce le rêve où
ma main
saisissant l’ombre de ton épaule
se changea en pierre

ou bien
le souvenir
de nos visages enlacés
glissant sur la rivière

non

seulement
cet exil
circulant dans nos
veines
comme un crachat »

 

Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.

 

« Maintenant
je n’ai pas de mot

la première chaleur

flacon d’innocence déversé
dans le langage neuf
soif entaillée

le vacarme s’éloigne
libérant nos craintes

vient un flot de lumière
pareil à l’eau du souffle

terre vaine
sortie des crevasses de l’aube

se recompose »

 

C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.

 

« Quand s’étirent les branches du tremble
jusqu’à toucher la braise
où tout souffle se perd
quand vient ce moment d’innocence
loin de l’écorce
tendre
dans le lit du cri de l’oiseau

je voudrais m’arrêter de vivre »

 

« Couple
corps et toi ensemble
couvrant
le bégaiement de la parole
et l’anarchie des mots
dans une vague de lumière

quand planent gestes et souffle affranchis
du choix des lèvres

viennent et se posent
dans le silence
pour me vêtir »

Carole MESROBIAN ( in recoursaupoeme.fr, octobre 2017).

*

« Alain Brissiaud est éditeur, libraire et poète. Editeur, il a notamment édité des auteurs de la Beat Generation ou de la Pataphysique comme Alfred Jarry.

Après un très beau premier recueil intitulé Au pas des gouffres, Alain Brissiaud nous propose un deuxième opus en cinq parties. Toujours, la poésie constitue un approfondissement de la langue qui révèle alors des étendues insoupçonnées. La langue est à la fois un véhicule pour naviguer sur l’océan de la conscience et un outil magique pour traverser les apparences et libérer toujours plus d’Être.

Si les mots révèlent ici l’extrême fragilité de ce qui se présente, la multiplication des impossibilités, l’écho d’un « ce qui demeure » s’impose avec une élégance rassurante. Peut-être juste la beauté, mais n’est-ce pas déjà l’infini ?

En cinq parties, Terre d’octobre, Balise de brume, La presqu’île, Les Yeux fermés, Communion solennelle, Alain Brissiaud invite et incite à l’intime, non l’intime personnel, mais l’intime indicible qui ne peut qu’être suggéré, pressenti.

Au bord de l’abîme, la langue se montre la seule solution ailée pour ne pas sombrer. »

Rémy BOYER (in incoherisme.wordpress.com, août 2017).

*

"C'est le second recueil d'Alain Brissiaud chez le même éditeur, aprèsAu pas du gouffre, en 2016. Cinq parties jalonnent ce nouvel opus, où l'on passe petit à petit de la réalité extérieure à l'intériorité profonde: successivement: "Terre d'octobre, journal", "Balises de brume", "La presqu'île", "Les yeux fermés", "Communion solennelle".

Dès les premières pages, il est question de paroes - d'alluvions et de promesses - dissoutes, mais c'est le mois, la saison ou le lieu qui garde le coeur du poème : Se noie dans le martèlement - de la rosée. Mais rapidement la houle osseuse laisse la place à celles à qui s'adresse le poème, la mère, la fille, la femme. Et les sentiments, et les émotions se mêlent pour évoquer l'amour aussi bien que la mort: je mettrai sur mon corps une bâche - un poème impraticable. Et un certain lyrisme teinte toutes ces pages où Alain Brissiaud tente de démêler les noeuds psychologiques dans leurs contradictions: Tu me tends d'impeccables nausées, ou plus simplement dans l'analyse lucide du déroulement mental: de vains soulèvements - cisaillent notre pensée.

Une emprise de la foi se fait sentir comme en atteste la partie finale, même si la révolte lui fait écrire: ô mon âme - devenue sciure... On a parfois l'impression d'être un peu à côté du dialogue instauré dans le poème, mais la conviction de l'auteur rétablit l'écoute."

Jacques MORIN (in revue Décharge n°176, décembre 2017).




Critiques

"Un recueil surprenant, dense et varié. Marie-Christine Brière a l'art d'écrire des poèmes cadrés. En une page, on découvre un portrait, souvent de quelqu'un, nommé parfois en titre, ou bien un paysage d'un lieu de même titré. Et l'on embarque pour ces photos comme dans un album, chaque texte guidant une visite aux confins des êtres ou du monde... le mot bonheur qui répandu placerait son bandeau - lisse sur les yeux d'enfants perdus. Amour, amitié, voyage. Empathie avec les gens et la nature. La seconde observation que l'on retient se trouve être dans la forme; les mots passent les vers, enjambant facilement, et enchaînant les phrases, ce qui provoque fluidité et vitesse: l'eau passe à peine sur le dos des pierres. Son écriture si particulière ne se prive pas de raconter, tout en chevauchant l'image si l'occasion se présente. Rien n'est prémédité, la poésie se matérialise au fur et à mesure que l'encre sèche sur le cahier. Un nuage a égaré sa guimbarde. On pense surréalisme bien sûr, dans une version baroque, et pourquoi n'en serais-ce pas ? mais je crois qu'il y a surtout le regard de Marie-Christine Brière à focalisations variées, et qui bouge instantanément, macro, plan large ou panoramique... le lecteur change de plan à chaque vers: Un train dans son roulement d'oreille - révèle une route lointaine, oubliée."

Jacques Morin (in Décharge ,n°160, décembre 2013).

"Le titre du recueil de Marie-Christine Brière sonne comme une invitation à embarquer aux côtés du poète, à nous laisser emporter au gré des lignes noircies de mots. Ainsi le parcours proposé au lecteur est-il jalonné par les titres de parties qui annoncent les étapes du voyage : « Amarrages », « A bord penchés tremblants », « Attaches », « Embarqués », « Humour rameur », « Et sur l’arche, un pépiement de création ». Comment ne pas deviner ici qu’il s’agit d’une liste des étapes progressives qui mènent à l’accomplissement du parcours poétique, ainsi qu’une manière d’énumération du périple auquel est invité le lecteur enserré à l’énoncé dans les pluriels employés par l’auteur ?

Alors qu’est-ce à dire ? Avant même la lecture des textes nous voyons se déployer le champ lexical de la navigation, métaphore de la traversée du réel portée par l’énonciation poétique dans sa puissance à décaler les rouages du signe. Un trajet au-delà des apparences données à voir à travers un quotidien dont le poète s’imprègne et dont elle énonce les détours sans apitoiement mais avec toujours un regard à l’Humanité. Le paysage habituel n’est plus insignifiant, il n’est plus tableau d’habitudes égrainées jour à jour. Grâce aux mises en œuvres paradigmatiques, dans le choix du lexique, et à une syntaxe qui permet les glissements sémantiques, il se dévoile à travers des dispositifs ainsi dévolus à la parole poétique.

En plongée dans les attentes
A la table du café
Les paroles contenues
Disent le dehors des femmes
Talons fins, robes noires

Un planeur descend des yeux
Le repas, heure légale
Assène son cliquetis
Par un trou de porte ouverte
 

Barreau de fer midi coupe
L’ombre en loques des auvents
Vêtus de bleu unanime
Les passants cherchent le soir
 

Dans sa forme, une poésie au vers et à la rime libres de toute contrainte, et des titres qui précèdent chaque texte. Pas de ponctuation ou rarement employée, et une syntaxe qui rythme la structure du vers. Une disposition à la page qui fait sens tant la gestion de l’espace typographique est signifiante : strophes en retrait, groupes de vers détachés, la forme soutient le paradigme dévolu à un lexique servi par des mots appartenant au registre courant, afin d’étayer la totalité des envolées du signe.

Alors il n’est pas étonnant lorsque nous suivons ce parcours poétique de constater que cette prégnance du réel au discours en propose une lecture herméneutique. Les étapes du quotidien énoncées par Marie-Christine Brière ne sont qu’occasions d’ouvrir à une dimension qui en transcende les apparences. Et la parole poétique emporte alors au-delà des contours. Ainsi ce titre oxymore, telle la poésie du recueil qui dit les apparences et leurs revers, Flocons noirs :
 

De là-bas et si haut tout est oie
Mais tout n’est pas cygne
Les nuages tombèrent en suie
Un jour où nous avions gobé l’œuf
Entrées dans une maison à terre
Les mésanges de l’enfance
Ne pouvaient en sortir
Sans curiosité de nous
 

De là-bas en bas des gloires
Portaient bonheur pas de nuage
Sans frange d’argent dit le proverbe
Mais les humains occupés donnent
Miettes à celui-là le crucifié
Etonnés de trouver l’homme-dieu
Dément, torturé même à l’offert
Sur la table d’une brocante
 

A partir d’une lecture sensible du réel, Marie-Christine Brière mène le lecteur au seuil d’un univers poétique qui en dévoile les arcanes grâce à la puissance des images évoquées. Et cette ambition herméneutique des textes de Cœur passager ne se limite pas seulement à une percée métaphorique de la vie ordinaire. Elle se propose aussi d’énoncer une réflexion sur le langage, qui sous-tend certains textes du recueil. Cette écriture spéculaire invite donc le lecteur à s’interroger sur le signe, à l’envisager comme trace inaboutie mais capable dans sa dimension poétique de mener à une vision transcendante du quotidien :
 

L’Oiseau c’est trop
 

………
 

L’accent sur le mot ciel par mégarde
N’a même pas glissé au parapet où l’oiseau
-toujours sans nom-sifflote entre
deux silences. Comment faire sans livre
 

pour nommer, dessiner sur la paroi leurs
mécaniques de plumes vertes ? bleues ?
bleuvertes ? Le noir n’est que du gris
la mouette et son œil bouton
 

deviendra plus tard une bottine
Comment approcher du jeune né qui se
Cogne sur la pierre, l’ouvrier l’imitera
Sur son théâtre de planches
 

….
 

Comment rendre compte de cette perception accrue et sans concession des évidences, telle est la question que pose ici l’auteur. Comment énoncer une réalité si souvent violente, ancrer la poésie au réel mais ne pas l’y perdre.

Lire Cœur passager c’est se laisser embarquer dans l’univers de Marie-Christine Brière. La prégnance du quotidien ne fait en rien de cette poésie une poésie du réel. Bien au contraire, qu’il s’agisse de l’appareil paratextuel ou du choix d’une mise en œuvre syntaxique et paradigmatique qui permet les envolées sémantiques du signe, tout est prétexte à porter une réflexion sur la nature du langage poétique ainsi que sur l’ordinaire de l’existence dont l’auteur propose une lecture sensible. Les épigraphes sont à cet égard éloquentes : pour épigraphe d’œuvre, choisir une citation d’Anne Teyssiéras qui précède immédiatement une phrase de Philippe Jaccottet tirée de L’Ignorant, placée au début du premier chapitre, n’est pas neutre : ici s’énonce la volonté de se placer dans le sillage de ces auteurs et dit l’ambition de faire de la parole poétique un outil qui ouvre à une perception herméneutique du monde, et qui mène à son exégèse. Et Bernard Noël convoqué au chapitre trois sous le titre « Embarqués » soutient ces présences liminaires. La poésie est carte et boussole, outil et objet, nécessaires assemblages des signes qui peuvent rendre compte de ce regard  prégnant, spéculaire, révélateur. Mais n’est-ce pas là, dans les déflagrations du signe, que se trouve l’accomplissement, que s’énonce la liberté ?
 

La Pédagogie
 

Mâchez la poésie
Mâchez le poème
Elèves inouïs
Sortis des bois à peine
Sauvages nez à nez
Avec ceux qui les ont écrits
vous êtes de ce monde
 

Ou alors naviguez
C’est le bon moment
Prenez le large
Dans le débris du bruit aigu
Des carreaux cassés
Dans les fuites des décharges
Dans vos minuscules incendies
Vos nuées oranges
Et jeux de cailloux


Carole Mesrobian (in recoursaupoème.fr, sommaire n°112, septembre 2014).




Dans la revue Les Cahiers du Sens

"Chaque abonné aux HSE, avec ce seizième numéro, a reçu un CD passionnant intitulé « autour de Jean Cocteau ». Le témoignage de Jean Breton, direct et chaleureux, sur Cocteau, un « aîné capital », est sans nul doute utile. Il remet en place la vérité historique sur ce « Feu » qui ne voulait pas être comparé au Jeu. Dans le même esprit, l’ensemble de ce CD (avec Christophe Dauphin, Henri Rode, Jean Breton et Yves Gasc) constitue une sorte d’événement poétique à ne pas manquer…. En ce début de vingt-et-unième siècle, Les Hommes sans Épaules me semble être une grande revue de poésie, ouverte et libre qui mérite un coup de chapeau par son esprit de découverte poétique, le sérieux de sa démarche, l’indépendance des auteurs qui rendent compte des nouveautés poétiques de l’année. Elle me semble de haute tenue et d’utilité publique."

Jean-Luc Maxence (Les Cahiers du Sens n°14, mai 2004).




Critique

(..) Il s'agit de deux entretiens accordés par Jean Breton, décédé en septembre 2006, à Christophe Dauphin en 2003 et début 2006. Christophe Dauphin, toujours très bien documenté interroge Jean Breton en suivant deux chronologies imbriquées: la biographique et la bibliographique. Et sur l'une comme sur l'autre, ses questions pertinentes permettent aisément de mieux cerner à la fois l'homme et le poète... Je dois dire que j'ai été assez séduit par le poète à partir de son recueil Serment-tison en 1990. son manifeste Poésie pour vivre, écrit avec Serge Brindeau en 64, avait nettement matérialisé la séparation entre poètes de la sensibilité, l'émotivisme en effet, et la tendance tel quel qui commençait à sévir sérieusement à l'époque. Cette disjonction bruyante est toujours de mise aujourd'hui et la ligne de démarcation durable. Sa définition de l'image est intéressante, à l'opposé de celle de Reverdy et des surréalistes, elle "naît d'un choc de deux réalités les plus proches possibles." Jean Breton conclut son prmeier entretien par cette constatation à laquelle j'adhère entièrement: On ne peut faire joujou avec la poésie. On est obligé de passer sa vie avec celle-ci dans notre tête, en sachant qu'on ne gagnera jamais un sou et que le public non initié, jusqu'au bout, nous boudera... Le second est offert sur disque. on y perçoit à peu près la même chose. Les question y sont lues d'une voix atone, les réponses donnent à entendre la parole chaleureuse de Jean Breton.

Jacques MORIN

(Revue Décharge n°152, novembre 2011).



Dans Inédit Nouveau

Disparu en 2006, Jean Breton, né en 1930, voit publier ses Entretiens avec Christophe Dauphin, après avoir fondé la revue Les Hommes sans Epaules en 1953 et la remarquable collection (je ne veux pas l'appeler seulement revue) Poésie 1, gageure qui au départ ne coûtait qu'un seul franc (de l'époque), grâce à l'idée géniale d'y introduire des pages de publicité, mais hélas ratrappée par le marché ! Elle n"a donc pu durer que de 1969 à 1987. Il fut l'auteur aussi, avec Serge Brindeau, d'un remarquable "Manifeste de l'homme ordinaire" et d'une oeuvre poétique importante, de 1952 à 2004. Un CD joint au livre reprend un entretien réalisé quelques mois à peine avant sa mort. Il fallait rappeler cet animateur que d'ailleurs le petit monde littéraire surtout parisien a tant "utilisé". Merci à Dauphin de célébrer ainsi son ami de la Librairie-Galerie Racine.

Paul VAN MELLE

(Revue Inédit Nouveau n°250, mai/juin 2012, La Hulpe, Belgique).


Seul sait écrire qui se permet de vivre. La poésie, ce qui nous est donné par surcroît, est le luxe ordinaire des riches en vie. Jean Breton (1930-2006) écrit son premier poème à 19 ans. Parmi ses lectures initiales, il faut mentionner Blaise Cendrars, Henry Miller... Il va rapidement s'engager dans la revue Les Hommes sans Epaules. S'il se dit influencé par le Sud, par sa rencontre avec le surréalisme et avec le peintre Antonio Guansé, Jean Breton sera sa vie entière tourné contre l'odre bourgeois et proche de l'érotisme. Parmi ses titres principaux: Chair et Soleil (1960), L'Eté des corps (1966), En mon absence (1992), Nus jusqu'au coeur (1999). Il résume lui-même sa philosophie de vie : "Je n'étais pas d'accord avec le protocole. J'ai écrit pour dire que j'étais là, pour regarder le monde dans les yeux, pour me venger et pour jouir, sans écarter les autres du soleil, parce que l'amour rôdait à pas de loup entre les pages." Quelques photographies, un CD et des extraits de poèmes vont clore cet entretien avec Christophe Dauphin, qui a su mettre en valeur, après tant d'autres (Ilarie Voronca, Marc Patin...) la personnalité de Jean Breton.

Gérard PARIS

(Revue Bleu d'encre n°27, 2012).



Dans Texture

"La Librairie-Galerie Racine publie les entretiens de Jean Breton avec Christophe Dauphin, qu’ils ont réalisés à Paris les 12 mars 2003 et 29 janvier 2006 (année du décès de Jean Breton). Ce livret d’une quarantaine de pages comprend également, outre le texte des entretiens, quelques photos et extraits de textes ; il est accompagné d’un CD de l’interview, qui permet d’entendre la voix de Jean Breton. Celui-ci parle de ses rapports difficiles avec son père, comment et pourquoi il a créé la revue « Les Hommes sans épaules » en 1953 (revue relancée et aujourd’hui animée par Christophe Dauphin, entre autres), explique ses rencontres et amitiés avec René Char, Follain, Becker, Bérimont, Rousselot, Chambelland, Pierre Chabert, puis sa défense et illustration d’une poésie de l’émotion et de l’image, de la sensualité et, le cas échéant, de l’engagement, en tout cas du refus des ukases religieux comme de l‘intellectualisme pédant qui prétendait imposer son carcan aux poètes de l’époque - bref d’une « poésie pour vivre », comme la définit le manifeste écrit avec Serge Brindeau. Jean Breton évoque aussi ses principaux recueils, « Chair et soleil » et « L’été des corps » dont les titres disent assez l’inspiration solaire, érotique et amoureuse. Un document éclairant."

Michel BAGLIN

(revue en ligne Texture, août 2012).




Critique

Alain Breton refuse les facilités des "comme" qui dépaysent. les métaphores atteignent aux extrêmes de la compression de sens à laquelle peut résister la métonymie. De justesse. L'image bifurque vers une autre image qui ne semblait pas l'attendre, engendre le plaisir poétique réel, qui est bien de découvrir que ler dévoiement contrôlé des mots, leurs rebonds inattendus sont source d'enchantement et de significations intenses. Dans la Chambre avec légende, on dort dans un éveil secret : "nuit perdue en mer sur la page blanche des seins - nuit tardive aux mouchards du soleil - nuit dans le soupir de l'aulne où des larmes resquillent - fais que jamais je ne retombe - du mâchicoulis de ton amour." Ah! Ce mâchicoulis ! Si près d'un amour à nouveau nommé, trois, voire même quatre sens...

Jean DUBACQ

(in Les Hommes sans Epaules n°9, 2000).




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