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Critiques

"Un livre tout d’abord à regarder, comme un objet, tant les couleurs ocres de la couverture mettent à l’honneur la délicatesse du dessin qui la compose pour moitié. Le titre, Mains d’ombre, discrètement déposé au-dessus, dans un vert pastel, vient discrètement s’harmoniser avec ces couleurs, et annonce les tonalités aériennes de l’iconographie liminaire. Le recueil s’ouvre en effet sur un dessin de même facture, reproduit en couleur. Dès l’abord Elodia Turki sollicite le regard, et prépare le lecteur à la découverte de ces magnifiques lignes tracées en arabe littéraire qui ornent les pages de son recueil et proposent une traduction de ses textes, assumée par Habib Boulares. Le vis à vis rythme le livre, et les caractères orientaux dessinent des vagues de dentelle en regard de textes courts pour majorité écrits en italique sur les pages de droite. Ainsi cette version bilingue place l’écriture à un double niveau de réception, celui de la lecture proprement dite, et celui d’une réception sémantique de l’image. « De gestes en paroles » Elodia Turki invite le lecteur sur la quatrième de couverture à entrer dans cet univers plurisémantique. Là nous rencontrons une énonciatrice qui évoque sa difficulté à être, et suggère les épreuves traversées avec une pudeur et une discrétion non démenties. Un pronom personnel à peine incarné apparaît parfois, mais c’est dans la pudeur de l’évocation des étapes rencontrées.

 « Tremblée défaite et rire
comme un manque à rêver

Je-suave tourbillon-
fleur lacérée-dessin-
jasminée repentie
silence pire

C’est ce que je sentais »

 Une parole féminine qui suggère les difficultés de l’affirmation de soi-même mais aussi les ombres dessinées par les êtres rencontrés et aimés.

 « Autour de ses poignets
d’autres mains d’autres gestes

elle et toi
immenses arlequins sur le pont sans rive

Tu m’avais oubliée
ne retenant de moi que l’ombre de mon chant

que le son de mes doigts sur tes jours
ne retenant de moi
que toi
sans moi »

 Faut-il pour autant affirmer que ce recueil n’évoque qu’une expérience personnelle ? Loin s’en faut, car l’auteure fait partager au lecteur ses interrogations sur la matière de ses textes et sur l’acte d’écrire.

 « Sa main-la tienne
telle une ombre jalouse

dans la fleur innombrable de ma peur

Peut-être eut-il suffit-il
que la lenteur des yeux
épelle en
fin le trouble

pour que toujours soit
l’improbable partage »

 Mains d’ombre n’est donc pas uniquement le lieu d’une parole personnelle, et la volonté d’opérer un syncrétisme artistique soutient cette réflexivité sur le travail de l’écriture. L’iconographie qui entoure les textes ainsi que la graphie magnifique de l’écriture arabe forment écho à la récurrence de l’évocation de la musique. Et il faut comprendre la convocation de ces vecteurs artistiques comme métaphore de ce désir de mener l’humanité à la source de paix d’une communauté enfin unie dans le verbe mais aussi dans le silence, ainsi que l’énonce si magnifiquement l’épigraphe d’œuvre signée Omar Khayyam :

 « There was a Door to which i found no Key
There was a Veil through which I could not see

Some little Talk awhile of Me and Thee there was
And then no more of Thee and Me

Omar Khayyam (Quatrains) »

Carole MESROBIAN (cf. "Fil de lectures" in www.recoursaupoem.fr, mars 2016).

*

"Ce livre bilingue, arabe et français, d’une poésie magnifique, est disponible alors que Habib Boulares, essayiste, historien, poète et homme de théâtre tunisien, est décédé. Il a fait davantage que traduire la poésie d’Elodia Turki, il l’a inscrite dans l’écrin de la langue arabe qui est en poésie en soi.
 
« Ici, nous dit Elodia Turki, nous sommes, comme pour toujours, perdus retrouvés dans notre souffle, entourés de murmures, les mains ouvertes sur le vide apparent qui nous enveloppe. Nous hésitons : sommes-nous seuls ? Sommes-nous avec les autres ? Sommes-nous l’autre ? Tous les autres ? Qui parle à qui quand nous parlons ? Et à travers nous, qui parle ? De gestes en paroles, de rêves en éveil, le monde nous entraîne dans sa ronde… Certaines choses que l’on dit… Certaines choses que l’on nous dit, puis… plus rien de ce que l’on s’est dit. »
 
 La mer dessinée par ma soif
 portera mes vaisseaux

Tout sera car je suis
 fantastique animale
 Enfant illégitime
 d’une grotte… et d’une étoile

 La beauté, la grâce, la profondeur… le silence. Le lieu de la langue est le reflet du cœur, de l’intime. La poésie se fait queste, un fragile esquif, insubmersible toutefois sur l’océan de la vie.
  
 Le monde à travers moi se crée

Si je vis Tu existes
 Et Tu meurs si je meurs

A l’intérieur de moi
 un domaine effrayant
 martèle mes secondes

J’ai recousu l’entaille
 Enfermé ce moteur et ma peur
 et
 dans le lisse et la beauté
 de mes masques

j’ai chanté !


Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 août 2015).

*

"De courts poèmes plein de ferveur et d'amour qui se lisent avec tranquillité."

Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°63, septembre 2015).

*

Subtile, féline parfois, exigeante et concise, cette poésie impose une noblesse assez rare. Ce partage des mots est peuplé d'émotions fortes et féminines, on y sent « le cristal d'une présence », mieux qu'une lumière floue « dans laquelle se perdre », comme « l'hésitation d'un rêve ». Si l'on compte le nombre de mots utilisés, cela peut paraître court. Mais, à relire dans le silence, on aime ces « gestes en paroles », ces « rêves en éveil », cette voix de brûlures fascinantes comme « des soleils dans tes yeux » (sic). Oui, voilà bien une magie, des secrets dérobés, des arabesques de velours, du sang de poète authentique qui coule...

Jean-Luc Maxence

(La Nouvel Lanterne n°4, in lenouvelathanor.com, juin 2012).


*



Dans 7 a dire

"J'avais écrit qu'était mauve l'écriture d'Elodia Turki; qu'elle était haute et lisse; qu'elle s'égouttait doute à doute en des poèmes prunes, violets, bordeaux ou lilas. Comme la gazelle qu'elle demeure, dame de grands cours et d'interminables courses, assoifée d'errance, en sans cesse partance, enjambeuse de méditerranées, danseuse de sa vie, aérienne et libre de tout lieu. Et voilà que celle qui souvent chnate pour ne plus s'entendre penser dans l'une ou l'autre des sept ou huit langues qui dansent dans sa tête était passée au rouge. S'était mise à aimer en anglais et rouge. Ce fut Ily Olum. Puis elle avait repris l'écheveau de son existence pour nous tricoter La Chiqueta afin de retrouver les couleurs de la vie, de sa vie. Pour tenter d'oublier le reste. Or voici que resurgit ici le poème, en sa précise et vive langue de poésie. Dont notre revue sut orner ses pages au long de quatre numéros, égrenant une quinzaine de textes de haute tenue. Mains d'ombre est tirée de la mer de la mémoire qui n'arrête pas ses allers venues de marées chez Elodia Turki. La mer dessinée par ma soif - portera tes vaisseaux nous dit-elle d'entrée, se définissant comme l'enfant illégitime - d'une grotte... - et d'une étoile. Elodia Turki expose ici comment la légende d'un grand et fort passé survit à l'histoire: C'était de tous les souvenirs - le plus doucement triste - Quelque chose rouge - quelque chose fort - dans mes doigts dénoués... Dans un passé qu'elle repousse en un ailleurs, du bout de bras où s'expriment ses mains: Mes mains aveugles... - Mes mains sombre mémoire. On sent l'amour aller vers cet ailleurs qu'elle imagine mais ne veut pas savoir: Mon regard aligné sur la nonchalance de ton - renoncement - Ainsi se noyant - dans le lointain de toi - perdant les choses sues... Au passé bien enfui se mêle le désespoir d'une espérance qui appelle encore, avec son lot de promesses, de rêves et d'offrandes, d'utopies peut-être. Puis le toi devient lui: J'avais pour toi - pour lui - lissé tous les chemins dans le brouillon du soir... Jusqu'à préciser.... poser sur ta personne - la sienne - l'ocre de ma terre brûlée. Elle pose alors le bilan de cette histoire avant de souligner: J'étais celle - qui de lui qui de toi - attendait - dans les pointillés du jour - l'étreinte. Avant de conclure, ainsi qu'à l'issue d'un rapport, sachant enfin inoubliable son oubli: Ainsi lui parlait-elle - à même son oubli. Comme nouvellement sortie d'affaire, de l'affaire. Mais on sent, on sait que le rouge reste mis. De la poésie de juste noblesse et de la précise allure. inimitable Elodia."

Jean-Marie GILORY (in revue 7 à dire n°53, novembre 2012).

*

"Pour reprendre les mots de Pierrick de Chermont dans son étude « L’appel de la muse chez Elodia Turki », cette dernière « est née dans une prison espagnole à la fin de la guerre d’Espagne, où sa mère antifranquiste militante était enfermée et condamnée à mort. Au bout de dix mois, elles rejoignirent la Tunisie où son père se trouvait déjà ». Ce qui explique peut-être son goût pour la culture arabe et, en partie, la présente publication de « Mains d’ombre » (déjà édité en 2011 à la Librairie-Galerie Racine) où ses poèmes en français dialoguent avec la traduction en arabe due à Habib Boulares.

« Mains d’ombre » est un chant d’amour. Un chant d’amour à la graphie arabe car Elodia Turki écrit dans son avant-propos (qui est un hommage à Habib Boulares) à cette édition : « Je sais que la traduction qu’il a faite des poèmes de mon recueil "Mains d’ombre" est non seulement fidèle, mais, aux dires de ceux qui ont comparé les textes dans les deux langues, il y a tellement de poésie dans sa proposition que l’on oublie très vite qui a écrit et qui a traduit ». Nous voilà loin du vieil adage qui assimile la traduction à une trahison. Ne connaissant pas l’arabe, je n’ai rien à ajouter à ces mots…

Mais chant d’amour également dans les poèmes d’Elodia Turki dont l’écriture rend fidèlement une perception originale de l’amour. Si l’obscurité n’est pas absente de ces textes, le dialogue amoureux que le lecteur devine traduit la vocation ultime de la femme qui est l’amour. Là encore, la culture arabe (et je suis conscient que cette dernière expression manque de précision) qui érige l’amour en règle n’est pas loin : Elodia Turki a publié en 1999 un recueil intitulé « Al Ghazal », ce qui rappelle au lecteur occidental qui est familiarisé aux genres poétiques définis par des règles de construction très strictes que le ghazal (dépositaire de la poésie amoureuse dans la culture arabe) ne renvoie pas aux formes comme dans la poésie occidentale mais au thème abordé. D’où l’extrême liberté de ton d’Elodia Turki.

Mais il faut aussi s’arrêter à l’iconographie de ce recueil. Pour remarquer tout d’abord que l’illustration de couverture (reprise sur la page de titre) est différente, quant au style, du frontispice. Ce qui prouve que la culture arabe n’existe pas, mais qu’il existe des cultures arabes… Cependant ces deux illustrations représentent un couple, amoureux (?) dans un jardin. Dans les deux cas, la femme tient un flacon ou une carafe. Sur la couverture, la femme a dans la main droite une coupe dans laquelle elle semble avoir servi un peu du breuvage de la carafe pour l’offrir à l’homme face à elle. Comment interpréter ces éléments visuels ? Il faut se souvenir que dans la culture arabe, on trouve de nombreux jardins dédiés au plaisir et de nombreuses représentations de ces jardins. On n’est pas loin, dans certains, cas, du jardin d’amour auquel font penser ces illustrations. Si chez les musulmans l’alcool est frappé d’interdit, le vin est considéré comme la récompense suprême au Paradis : « Les Purs seront abreuvés d’un vin rare » (Le Coran, Sourate LXXXIII, 25). Et dans l’histoire, les époques où les poètes (Omar Khayyam en est un bel exemple), chantèrent le vin et l’ivresse ne sont pas rares.

De là à penser que ce recueil s’inscrit dans cette tradition particulière, il n’y a qu’un pas facile à franchir… Elodia Turki ne nomme jamais l’objet ou le sujet de son amour. Et elle se situe comme l’égale de l’homme : « Tu succombais aux mots / je t’offrais l’hésitation du rêve ». Ces mains d’ombre sont des mains faites pour la caresse, pour l’interrogation. Ce que résume admirablement ce vers « Elle vers lui avançait une esquisse ». Pierrick de Chermont dit d’Elodia Turki qu’elle a « une foi sans Dieu ». Ses poèmes ruissellent d’une foi très forte mais quant au Dieu, ne parle-t-elle pas de « croix sans Christ » ? Au-delà de ces affirmations, « Mains d’ombre » est un beau livre à la poésie subtile, en même temps qu’un bel objet…  "

Lucien WASSELIN (cf. Chemins de lecture in revue-texture.fr, 2016)




Critique

Subtile, féline parfois, exigeante et concise, cette poésie impose une noblesse assez rare. Ce partage des mots est peuplé d'émotions fortes et féminines, on y sent « le cristal d'une présence », mieux qu'une lumière floue « dans laquelle se perdre », comme « l'hésitation d'un rêve ». Si l'on compte le nombre de mots utilisés, cela peut paraître court. Mais, à relire dans le silence, on aime ces « gestes en paroles », ces « rêves en éveil », cette voix de brûlures fascinantes comme « des soleils dans tes yeux » (sic). Oui, voilà bien une magie, des secrets dérobés, des arabesques de velours, du sang de poète authentique qui coule...

Jean-Luc Maxence

(La Nouvel Lanterne n°4, in lenouvelathanor.com, juin 2012).



Dans 7 a dire

"J'avais écrit qu'était mauve l'écriture d'Elodia Turki; qu'elle était haute et lisse; qu'elle s'égouttait doute à doute en des poèmes prunes, violets, bordeaux ou lilas. Comme la gazelle qu'elle demeure, dame de grands cours et d'interminables courses, assoifée d'errance, en sans cesse partance, enjambeuse de méditerranées, danseuse de sa vie, aérienne et libre de tout lieu. Et voilà que celle qui souvent chnate pour ne plus s'entendre penser dans l'une ou l'autre des sept ou huit langues qui dansent dans sa tête était passée au rouge. S'était mise à aimer en anglais et rouge. Ce fut Ily Olum. Puis elle avait repris l'écheveau de son existence pour nous tricoter La Chiqueta afin de retrouver les couleurs de la vie, de sa vie. Pour tenter d'oublier le reste. Or voici que resurgit ici le poème, en sa précise et vive langue de poésie. Dont notre revue sut orner ses pages au long de quatre numéros, égrenant une quinzaine de textes de haute tenue. Mains d'ombre est tirée de la mer de la mémoire qui n'arrête pas ses allers venues de marées chez Elodia Turki. La mer dessinée par ma soif - portera tes vaisseaux nous dit-elle d'entrée, se définissant comme l'enfant illégitime - d'une grotte... - et d'une étoile. Elodia Turki expose ici comment la légende d'un grand et fort passé survit à l'histoire: C'était de tous les souvenirs - le plus doucement triste - Quelque chose rouge - quelque chose fort - dans mes doigts dénoués... Dans un passé qu'elle repousse en un ailleurs, du bout de bras où s'expriment ses mains: Mes mains aveugles... - Mes mains sombre mémoire. On sent l'amour aller vers cet ailleurs qu'elle imagine mais ne veut pas savoir: Mon regard aligné sur la nonchalance de ton - renoncement - Ainsi se noyant - dans le lointain de toi - perdant les choses sues... Au passé bien enfui se mêle le désespoir d'une espérance qui appelle encore, avec son lot de promesses, de rêves et d'offrandes, d'utopies peut-être. Puis le toi devient lui: J'avais pour toi - pour lui - lissé tous les chemins dans le brouillon du soir... Jusqu'à préciser.... poser sur ta personne - la sienne - l'ocre de ma terre brûlée. Elle pose alors le bilan de cette histoire avant de souligner: J'étais celle - qui de lui qui de toi - attendait - dans les pointillés du jour - l'étreinte. Avant de conclure, ainsi qu'à l'issue d'un rapport, sachant enfin inoubliable son oubli: Ainsi lui parlait-elle - à même son oubli. Comme nouvellement sortie d'affaire, de l'affaire. Mais on sent, on sait que le rouge reste mis. De la poésie de juste noblesse et de la précise allure. inimitable Elodia."

Jean-Marie GILORY (in revue 7 à dire n°53, novembre 2012).




Critique


La rencontre de Christophe Dauphin avec l’œuvre de Lucien Coutaud (1904-1977), est l’histoire d’un coup de foudre. Christophe Dauphin – qui nous offre la monographie la plus complète du peintre -, a été séduit, envoûté par l’imagerie coutaldienne. Lui seul, comme l’a écrit Jean Binder, pouvait ressentir aujourd’hui encore toute la poésie et la surréalité de l’univers d’un peintre qui fut reconnu et admiré par les plus grands peintres et poètes de son temps (Picasso, Brauner, Labisse, Tanguy, Dominguez, Hérold, Éluard, Lely…) Car l’œuvre de Lucien Coutaud est une mythologie magistrale de la vie sensible ; une mythologie qui découle d’un monde profondément ancré dans la mémoire et l’imaginaire du peintre… Lucien Coutaud, qui évolua en marge du surréalisme (il n’a jamais participé à la vie du groupe, préférant toujours côtoyer les individus), est l’un des peintres les plus singuliers et les plus féconds du XXe siècle ; un peintre qui excelle dans tous les domaines… La peinture de Coutaud, ce novateur exceptionnel au niveau de la conception de l’image, affirme l’être, soleil de pur bleu fracassant le réel.

Rémi BOYER (La Lettre du crocodile, 2009).

"Après l’essai remarqué de Christophe Dauphin intitulé Le peintre de l’Eroticomagie, publié chez le même éditeur, Lucien Coutaud est de nouveau à l’honneur avec l’exposition qui s’est tenue à Gaillac, au Musée des Beaux-Arts des 27 juin au 21 septembre 2014 et le catalogue très riche qui l’accompagne.

Lucien Coutaud (1904 – 1977) est un personnage complexe, « l’un des peintres les plus singuliers et les plus féconds du XXème siècle nous dit Christophe Dauphin dans son étude introductive sur les rapports du peintre, et poète, avec le mouvement d’André Breton. Son œuvre demeure mystérieuse à bien des égards même si des périodes peuvent être déterminées, culminant dans une période dite « métaphysique », pendant laquelle, poursuit Christophe Dauphin, « la création de Coutaud prend toute son ampleur, se diversifie, s’impose par ses recherches et la puissance de sa thématique. Cette période reflète les angoisses du peintre et le traumatisme de la guerre. »

« La peinture de Lucien Coutaud active autant notre conscience que nos émotions. Ses images se présentent à nous chargées de désirs et d’angoisses, réclamant une éclatante matérialisation de l’espace ; elles brisent les cadres usés de la réalité pour faire apparaître le réellement vrai, dont l’expression la plus directe est l’image éroticomagique, qui, en vertu du pouvoir qui lui est conféré d’objectiver l’union de tous les éléments, aussi opposés qu’ils soient, dans des ensembles insolites, inattendus, pousse l’intellect à une audace culminant avec l’absolu discrédit de la raison statique. »

Christophe Dauphin évoque à propos de cette œuvre une association entre pensée magique et pensée pragmatique, une dialectique, non sans tension, entre inconscient et conscient.

La relation entre Lucien Coutaud et le surréalisme ne va pas de soi, elle fut et demeure interrogée. Lucien Coutaud a fréquenté les membres du groupe, sans fréquenter le groupe. Il fait partie de ces artistes, assez nombreux, qui passèrent dans l’orbite du groupe sans se laisser happer, refusant d’appartenir et libres de la reconnaissance. Le surréalisme ne fut pour lui qu’une tentation suggère Jean Binder qui retrace à travers les œuvres la quête initiatrice du peintre-poète.

La puissance d’évocation des œuvres est renversante. Elle met à terre les représentations courantes et désigne les espaces inexplorés, inexplorables pour certains, comme les dimensions de l’esprit dans l’érotisme. S’il traverse une période dite ésotérique dans les années 30, c’est surtout trente ans plus tard qu’il s’intéressera aux cathares et aux templiers, notamment au mythe entretenu autour de Gisors.

L’association par la désassociation, l’union par la déstructuration, la présence absolue des éléments absents, concourent chez Coutaud à une traversée, à un « transparaître » qui conduit à l’essentiel. Un presque rien infiniment signifiant."

incoherism.wordpress.com, novembre 2014.




Critiques

"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.

Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.

Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."

Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).

*

"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru  en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.

La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera  pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."

Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).




Lectures :

Cet ouvrage dont le titre fait écho à l’alchimie, rassemble trois livres de poèmes épuisés, Le Ministère des verges (2011), L’émoi du non (2013), Les rires fois d’AlefBêt… (2016) ainsi que trois inédits : Une mystique sexuelle, Sans titres ou points d’O et Les inutiles.

L’œuvre est aussi forte que déconcertante, aussi lumineuse que sombre, d’une lumière qui se cache derrière les drapés les plus obscurs. L’érotisme très présent ne doit pas masquer la dimension ontologique profonde de la poésie d’Odile Cohen-Abbas, souvent intransigeante, ne laissant au lecteur aucune échappatoire.

Nous chevauchons le même corset de sexe, la touffe astrale,

et l’ecchymose sans fixation,

nous chevauchons l’aune à deux branches,

le même fermoir humide, licite,

petit segment sécant de gauche et de droite

entre nos cuisses.

Et ton genre masculin, lissant sa nudité en moi

aux racines d’une rose et très tendre épilepsie,

de moitié, se féminise.

L’article lent à deux becs,

flèches à boire, oscille

d’un marais à l’autre de nos chairs,

grapille des unités de mémoire.

La profondeur le happe et l’enveloppe

d’un bandage de bonheur.

Extrait de Trait d’union

S’agit-il d’un songe qui révèle ou du kaléidoscope pathologique des rêves ? Le lecteur pris dans la multiplicité des images risque la folie s’il ne cherche avec la même volonté que l’auteur à traverser ce qui est donné, tenir bon, quoi qu’il arrive, sans même savoir pourquoi.

Il regarde les joints desserrés de la terre :

ce mal blondasse et bancal de la mer.

Deux et trois de ses balancements visibles font un tamis à l’eau.

Il a conçu une petite phrase en prévention d’un scintillement qui l’enserre de trop près,

un barrage aux soubresauts de sa pensée sous la forme d’une question :

peut-on rêver cette cornue translucide sous l’aspect d’un triangle ?

– n’importe quoi pourvu que la cervelle marine ne songe pas à s’assoupir

avec ses droites de part en part mutilées.

Peut-on… il ne sait pas ! il rit très fort

quand les chemins de l’eau se parfument.

Peut-on… sceller un don de cercle, ou de losange ?

Il s’est trompé, et son erreur est si vive

qu’elle l’a fait saigner du nez.

Mais le saignement se répare

Extrait de L’autiste et l’eau

 Désespérante peut sembler la poésie d’Odile Cohen-Abbas. Certes, elle ouvre la boîte de Pandore, mais elle n’en conserve pas même l’espoir, un mal parmi les autres après tout. Ni espoir ni désespoir mais une implacable exploration de ce qui reste quand on a tout réduit en poussière.

« Si ce hideux te rencontre… »

Au mieux, s’il me rencontre ?

S’il entre dans le pendule de mes yeux

acquittant ou annulant sa place,

cuisant ses vieux bubons de mon feu,

faisant aboyer mes biens de l’âme ?

S’il est fait comme un homme du drame,

commis aux bancroches, aux hybrides,

s’il est fou, s’il est double,

s’il est femme

qu’il ose !

Qu’il joue, qu’il perde ou y gagne,

accroisse les tam-tam, les roulements

des visions

C’est là, dans le tambour, qu’il se cache,

elle si c’est une femme.

« Si ce hideux te rencontre… »

Cela a dû arriver

Extrait de Jérémie. 23 : 29

Dérive, errance, auto-exil, hors-soi… qu’importe la qualification du mouvement, le plus souvent immobile, il se suffit à lui-même. Nul besoin d’un but, d’une finalité, d’un sens. Toute analyse est vouée à l’échec. L’expérience est plus profonde, relève du « Sens-plastique » d’un Malcolm de Chazal, parfois chamanique, parfois prophétique, essentielle surtout. 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 25 juin 2018).

*

"Cet ouvrage propose trois recueils de poèmes parus entre 2011 et 2016 ainsi que trois inédits. L'auteure évoque dans une veine surréaliste différents thèmes, notamment la sexualité, la religion ou la nature."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

*

Long feu aux fontaines : dès le titre couronnant l’œuvre poétique d’Odile Cohen-Abbas jusqu’en 2017, soit trois livres de poèmes épuisés (Le Ministère des verges (2011), L’Émoi du non (2013), Les Rires fous d’AlefBêt… (2016)) et trois livres inédits (Une Mystique sexuelle, Sans titre ou Points d’O et Les Inutiles (2017)), une durée incertaine s’installe (celle du « long feu ») et ouvre la porte aux images les plus troublantes – à l’imaginaire tout aussi bien.

Dans les corridors des pages, le lecteur, en quête avec l’auteur, découvre des scènes de rêves ou de cauchemars, des paysages mentaux, des pensées qui ont pris corps. L’imagination, la « reine des facultés » (selon Charles Baudelaire), rayonne ici selon mille fenêtres et mille entrelacs.

Le lecteur est un Dante que dirige Virgile et que parfois vient rejoindre Béatrice. Il faut se laisser emporter par Odile Cohen-Abbas : elle nous égare plaisamment, mais sans jamais nous abandonner en chemin – sinon pour nous retrouver à quelque carrefour inattendu.  Faut-il se souvenir du regard d’un enfant étonné, faut-il convoquer l’adulte impatienté ? L’un et l’autre certainement.

Le poème, chez Odile Cohen-Abbas, se regarde et se lit lui-même pour, souvent, rire ou s’étonner de ses mots et se renverser : là, le sérieux n’est pas toujours ce que l’on croit, et l’humour tout aussi bien. Son miroir est un don : il se renouvelle avec quelque sourire ou quelque abîme. Tout est inextricablement mêlé, à l’image du désordre du monde et du désir – de l’éros. Au commencement, nul doute : une solitude qu’il faut franchir, une tension vers l’union : Que ma voix dépose le présent,/ que des frissons de liège nous déniaisent le souffle,/ que l’on donne à manger du grain au diseur/ et des guitares, à l’abat-jour,/ que l’on garde le silence pour le centre,/ pour le bain de millet de l’amour,/ un midi de notre vie/ s’habille de nos deux corps, / s’empare de notre chance, l’enlace,/ la revend aux saisons.  (« Sans suite », Le Ministère des verges).

Une voix se dégage, un corps parle – un corps de femme, sensuel et sexué jusqu’à l’ongle et au cil – et ce corps chante, joue, hurle, rit, se cache, désire, souffre, jouit, attend. Dans cette voix toutes les ressources de la langue sont convoquées : tour à tour appels, soupirs, fièvre et ivresse (à l’image du feu et de l’eau du titre générique de l’œuvre), célébration, exhortation, palpitation, spasmes, tremblements, pouls, les mots les plus crus côtoient les plus rares, dans une véritable fête du vocabulaire répondant, à chaque page, à la fête de l’expérience sensible : Les lointains sont à naître, souffle-t-elle,/ tandis qu’il fouit encore parmi son puits à thème,/ entre ses parois volitives/ sa piscine de chrysanthèmes. /[…] Son dos fait ses pyramides, ses bonds d’escorte. (« Maintenant », L’Émoi du non).

Les mots se câlinent, se repoussent, se rejoignent et s’entrechoquent pour s’aimer encore ; ils serpentent autour de leur objet pour soudain le mordre ou l’enlacer, sans que l’on sache toujours distinguer la blessure de l’embrassement. Mais toujours l’auteur prend de la distance avec son propre langage : Je t’exhorte, je t’abstrais,/ je te délarde, verge miellée, mon éloquence, ma robe du soir,/ à petits coups de cœur et d’apnée,/ je te réduis à un dé de manne,/ à une raie, à un fil d’archal. / Je t’érode, églogue, sonnet salant, […] (« Glose linguale », Le Ministère des verges). Jackie Pigeaud, dans Poésie du corps, cite le médecin érudit du début du XIXe siècle Étienne Sainte-Marie qui, lui-même s’appuyant sur les traités du médecin grec Hérophile (vers 330-320 - vers 260-250 av. J.-C.), écrit : « Le rythme existe dans toute la nature, et le corps humain est réglé par ce principe universel. […] Le cœur et le poumon frappent une mesure à deux temps, marqués dans le premier de ces organes par la systole et la diastole, et dans le second par l’inspiration et l’expiration. Le corps humain a donc été organisé et animé d’après les lois de la musique. […] Ce rapprochement n’avait point échappé aux Anciens ; et l’on voit dans leurs allégories que le dieu de la musique était aussi honoré comme dieu de la médecine. (Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2009, pp. 175-176. C’est l’auteur qui souligne).

À bien des égards la poésie moderne retrouve cette analogie ; elle en est traversée ; et les rythmes nouveaux qu’elle découvre dans la langue (songeons à Antonin Artaud, à Henri Michaux, sans oublier le Pierre Jean Jouve de Sueur de sang) l’inscrivent dans cette recherche d’un poème qui déchiffrerait l’anatomie humaine et ses mouvements. La « poésie du corps », chez Odile Cohen-Abbas, tantôt caressante, tantôt haletante, est rythme, heurt, souffle et danse : Sept chats longs, ces feux-là comme varans/ dévoient des déplacements en flammes,/ communément des sphères./ « Apprenti feu ! »/crie un rayon de cercle./ Cages de médianes, de/ diagonales,/ décollements, raccordements de crânes, / séries des râbles et des queues. / Muscles, mues propres, / vitesse. (« Danseurs », Les Rires fous d’AlefBêt…). Les trois livres écrits en 2017 ouvrent encore de nouvelles perspectives. Avec humour – et rappelons que l’humour vrai, en poésie, est une réussite fort rare –, Odile Cohen-Abbas signale en incipit les titres non retenus d’un ouvrage (Sans titre ou Points d’O eût pu s’intituler, par exemple, Centons des mers, et Odile en usage ou Satyres en prière !) ou commente entre parenthèses certains passages de son poème. L’auteur inclut dans ses livres (ce qui résonnera dans Voyelle, cet ouvrage au confluent de nombreux genres paru aux éditions Rafael de Surtis en 2018) toute sorte de signes non-verbaux, photographies, dessins, reproductions d’œuvres d’art (tableaux et sculptures), portées musicales, pictogrammes, qui nourrissent la page en accompagnant les poèmes de motifs qui les prolongent ou les interrogent.

Odile Cohen-Abbas use également de toutes les ressources typographiques, de l’italique au corps mouvant des caractères imprimés, non pas ici pour tenter d’« élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé » (selon Paul Valéry évoquant le Coup de dés de Stéphane Mallarmé), mais comme pour éparpiller le livre à l’intérieur de lui-même – et accomplir une danse dans une chambre d’échos : Je ne veux pas d’un mariage lettré/ avec le « Palais de têtes »,/ je ne veux pas de son marbre, ses flambeaux instruits,/ et syntaxe qui tombe comme neige vêtue de noir/ – ainsi qu’on la voit s’éloigner dans son texte minoré. (« Tout-et-rien, 14 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Tout le langage est tancé, par le langage lui-même ; c’est l’être du poète qui est en jeu, et sa vérité : Nouvelle prière :/ TA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quel surgissement inique !/ Dans quelle catégorie,/ quel espace l’inclure ?/ Tout avait si bien commencé, Éternellement, Éternellement,/ descendait si bien la côte./ LA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quelle faute, quelle défaite de la chair, autoportrait,/ s’est  immolée dans le texte ? (« [Ici la photographie du détail d’une toile représentant le baiser d’Anne et de Joachim] 19 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Il n’est pas jusqu’aux textes bibliques qui ne soient convoqués en tant que fondateurs d’un sens mouvant, toujours à questionner : Poème à face d’Ève coiffée en brosse, / cachant une caméra carcérale sous son crâne,/ prière occipitale/ disant la viduité syntaxique d’une femme,/ rescapée de la chambre, pauvre en air, du texte,/ pensées robots de moelle ! » (« Restitution », Les Inutiles) ; le dernier poème des Inutiles, évoquant les quatre figures du Tétramorphe évangélique, ne signalera-t-il pas, tandis que les mots du poème s’effacent ou sont raturés, une « main séparée » qui « dépose dans la marge/ l’ange d’un adieu ?

Et les énigmes nombreuses dont sont parsemés les livres d’Odile Cohen-Abbas ne sont pas sans rappeler que le poème, selon une très ancienne tradition, est également perçu et conçu tel un objet construit avec des mots, et qu’il s’offre au regard du lecteur comme la serrure en attente de quelque clef. Cependant, qu’avons-nous à répondre à un poème sinon tout d’abord lui dire « oui » et l’aimer, même maladroitement ? Et ces quelques lignes, devant Long feu aux fontaines, ne tentent-elles pas d’esquisser une réponse à quelque danse souveraine, une danse inquiète, la danse baroque et sûre d’un désir attentif ?

Frédéric TISON (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).




Lectures

" Ce pauvre monde n’a plus / Que ses rêves sur ses os. Ces vers datent de mars 1943. Ils sont signés Marc Patin, 23 ans, réquisitionné au service du travail obligatoire en Allemagne. Il pressent peut-être qu’il n’a plus qu’un an à vivre. Il meurt d’une pneumonie en 1944. La mort l’a fait oublier jusqu’à la publication, cette année, de Les Yeux très bleus d’une nuit pareille à un rire sans regret (Les Hommes sans Epaules, 496 pages, 22 €). Il était l’égal d’un Paul Éluard qui l’avait d’ailleurs reconnu le qualifiant de « détenteur véritable des moyens de production de la liberté ». Car cet homme célèbre, ici et partout, la liberté, toute la liberté. Avec des mots simples et des images percutantes. "

Philippe SIMON (cf. Cultures-Magazine in Ouest France, 19/20 novembre 2016).

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"Malgré la biographie que lui a consacrée Christophe Dauphin en 2006, Marc Patin demeure injustement méconnu, dans l’ombre de Noël Arnaud et Jean-François Chabrun, ses deux collègues du groupe surréaliste La Main à Plume, bien qu’étant reconnu comme le poète du groupe. Ce volume consacré à son œuvre poétique (1938-1944) vient comme un nécessaire hommage de réparation.

Né en 1919 et mort dramatiquement en 1944 en Allemagne laissant une œuvre déjà exceptionnelle à 24 ans. Sarane Alexandrian évoque Marc Patin comme le « Rimbaud du surréalisme ». Christophe Dauphin parle de lui comme d’un grand poète surréaliste de l’amour qui sort enfin de son purgatoire », purgatoire qu’il analyse en ces mots :

« Comment expliquer alors ce silence inextricable autour du poète et de son œuvre ? Comment expliquer le silence autour du génie de ce poète que Paul Eluard, bien plus que son ami, avait salué son égal, l’une des voix les plus prometteuses de sa génération et du surréalisme, et qui fut foudroyé dans la force de l’âge ? Marc est mort jeune à l’âge de vingt-quatre ans, dans une époque trouble, et a peu publié de son vivant. Cependant ce silence n’est pas gratuit ; il a été entretenu par ceux qui n’hésitèrent pas à le lâcher et à le calomnier dans ce qui demeure la période la plus critique de Patin. Des accusations qu’il subit, Guy Chambelland sera le premier à démontrer l’absurdité et l’inanité, tout en saluant la « ferveur et les images aériennes » du poète. Il s’agissait d’un premier pas d’importance devant nous mener vers la « réhabilitation » de la mémoire de Marc Patin, comme vers la découverte de son œuvre. »

Fin 1937, est fondé le groupe d’inspiration Dada Les Réverbères autour de Michel Tapié, Jacques Bureau, Pierre Minne et Henri Bernard, que Marc Patin rejoint rapidement. Poésie, jazz, peinture, théâtre, le groupe est très actif, publie une revue du même nom dans laquelle Marc Patin publie régulièrement des poèmes. En 1938, il tombe amoureux de Christiane qui va exalter son don pour la poésie. Le premier numéro de la revue propose un manifeste « Démobilisation de la poésie » dont Marc Patin est signataire. Rejet des formes, y compris celles de la révolution poétique, et installation dans le merveilleux.

Après Christiane (1938-1940) et Les Réverbères (1937-1939) vient la période Vanina (1940-1944) et La Main à Plume (1941-1943). Vanina (ou l’Etrangère) va devenir, nous dit Christophe Dauphin, « le grand mythe de l’œuvre de Marc Patin ». La Main à Plume naît de la volonté de rassembler les surréalistes restés sur le territoire français pendant le deuxième conflit mondial. Son action s’inscrit dans la continuité des deux manifestes surréalistes. Marc Patin se rapproche alors de Paul Eluard. Leurs œuvres respectives se croisent de bien des manières, l’amour bien sûr mais aussi les incertitudes d’un monde en ruine. Mais Marc Patin tend vers « une libération totale de l’esprit ». « La grande affaire de la poésie de Patin, précise Christophe Dauphin, est de révéler l’homme à lui-même, de lui donner la possession de soi : « La poésie, depuis toujours, établit les rapports entre l’homme et le monde, retrace les moindres nuances de leurs conjonctions, replace l’homme dans son élément, lui incorpore l’élément cosmique… ». Au cœur de cette queste, la Femme magique, Vanina, tient une place essentielle, à la fois inspiratrice, initiatrice et clé de réalisation.

Dans sa courte vie, Marc Patin va écrire près de sept cents poèmes, la plupart encore inconnus, dont plus de la moitié ont été rassemblés dans ce magnifique volume."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 11 avril 2016).

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"J'adore que les voyages et les cultures gomment âges, tailles, couleurs et tutti quanti! En particulier grâce au gros volume d'un trop jeune et tragiquement duisparu en camp de travail allemand vers la fin de la guerre, en 1944, Marc Patin, qui n'avait publié qu'une plaquette de poèmes, alors qu'il a fallu le bel effort de Christophe Dauphin pour assembler après sa mort à 24 ans à peine, les restes imposants de l'oeuvre inachevée, sous un titre lui aussi imposant: Les Yeux très bleus d'une nuit pareille à un rire snas regret. Surréalisme en temps de guerre, poèmes soigneusement datés et remplacement d'André Breton exilé pendant l'Occupation tandis que qu'une amitié fervent l'unissait à Paul Eluard. Le livre mélange sans regrets poèmes anciens et récents, jeunes et à peine moins, d'amours adolescentes et déjà de beautés qui annonçaient un futur grand poète. Retenons le nom de Marc Patin pour nos lectures. comme de tout poète mort dans les camps."

Paul VAN MELLE (in revue Inédit Nouveau n°279, avril 2016).

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"C’est là un travail exemplaire de Christophe Dauphin, qui a conçu le projet du livre de cette œuvre de première importance, dont quelques fragments – dans un premier temps –, puis une Anthologie suivie de Vanina ou l’Étrangère, dans un second temps, furent publiés par Guy Chambelland. De son côté, Sarane Alexandrian, dans sa revue Supérieur Inconnu, publia des poèmes et des récits de rêves de Marc Patin.

Quant à Christophe Dauphin, il découvrit les archives du poète, ce qui lui permet aujourd’hui de nous offrir près de 450 pages de poèmes rares et d’une belle efficacité ; poèmes assortis d’une présentation d’une vingtaine de pages et d’un portrait de Marc Patin avec, en prime, un dessin de couverture signé Tita.

Œuvre giboyeuse que celle de Marc Patin (1918-1944), qui rejoignit le collectif d’artistes se manifestant sous l’aile de la main à plume. Sa passion pour la pianiste Helena Delcourt – passion platonique, nous révèle Christophe Dauphin – l’entraîne à écrire abondamment. Ce livre énorme en témoigne. Rien de mieux que cela, pour nous faire découvrir les secrets poétiques et amoureux, ainsi que les élans superbes du poète.

Mieux qu’une anthologie, ce livre est un tout et ce tout est la vie même d’un artiste disparu prématurément et resté dans l’ombre durant trois quarts de siècle et qui, grâce à quelques passionnés, surgit comme une flamme dans l’univers poétique. L’écrivain surréaliste Sarane Alexandrian parle à son propos de « Rimbaud du surréalisme », et il est vrai que durant sa trop brève existence, vingt-cinq ans, il écrivit énormément, datant chacun de ses poèmes, les localisant même avec précision. Au gré des textes, qui forment cette révélation tardive, on découvre cette œuvre de premier plan.

Quant au titre quelque peu insolite : Les Yeux très bleus d’une nuit pareille à un rire sans regret ; il s’agit du dernier vers du dernier poème (« Écoute ! ») que le poète composa le 20 février 1944 et qu’il dédia à son meilleur ami, Jean Hoyaux. Marc Patin décéda le 13 mars de la même année, victime d’une embolie pulmonaire. Un livre indispensable."

Jean CHATARD (in Les Hommes sans Epaules n°42, 2016).

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"L'ensemble de l'oeuvre poétique de Marc Patin (1919-1944), le poète le plus doué et le plus brillant de sa génération: il fut membre du groupe d'inspiration Dada, Les Réverbères, qui comprendra une vingtaine d'artistes et d'intellectuels, et organisera des manifestations artistiques ; il fut par la suite l'un des fondateurs et des principaux animateurs du groupe surréaliste de La Main à plume (dont le nom se réfère à Arthur Rimbaud).

Dans sa courte vie, Marc Patin va écrire près de sept-cent poèmes, la plaupart encore inédits, dont plus de la moitié ont étét rassemblés dans ce volume. Son oeuvre, marquée par la solitude et le malaise existentiel, atteint des sommets dans la quête du désir et du Merveilleux. "Marc Patin, dit Paul Eluard, est très précisément un oeuvrier, c'est-à-dire le détenteur véritable des moyens de production de la liberté." Ou, selon Sarane Alexandrian, "Marc Patin est le Rimbaud du surréalisme!"

Mirela Papachlimintzou (in revue Contact n°81, Athènes, Grèce, mars 2018).

 




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