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Sur Remue.net

"De temps en temps, dans la trop lointaine galaxie du surréalisme, une étoile filante apparaît ; alors, il faut vite saisir le sillage qu’elle laisse dans l’ombre ou la suie ambiante. Robert Rius, né le 25 février 1914, est mort le 21 juillet 1944, fusillé par les nazis pour faits de résistance : il vécut ainsi seulement trente ans, d’une guerre à l’autre. Il demeure l’inventeur en 1937, avec Benjamin Péret et André Breton, du jeu « le dessin communiqué ». Pour la préparation de l’Anthologie de l’humour noir (publiée en 1939, réimprimée en 1947, édition définitive en 1966 par Jean-Jacques Pauvert), il aida André Breton à sélectionner quelques-uns des écrivains qui y figurent de belle manière. Robert Rius aimait la littérature, la peinture, la photographie. Il lança la revue La Main à la plume en 1941, écrivit notamment l’Essai d’un dictionnaire exact de la langue française en 1943 (Editions Les Cahiers de Poésie) et un Picasso en janvier 1944 (Pages libres de La Main à la plume, édition clandestine). On peut lire, sur le site que vient d’ouvrir l’Association qui se consacre à la mémoire de Robert Rius, un tract adressé à Léon-Paul Fargue le 28 mars 1943 - impeccable traité du style en abrégé."

Dominique Hasselmann (Remue.net, 24 octobre 2006).




Critique

Jean BRETON, in Les Hommes sans Épaules, 3ème série, n° 10, 1er trimestre 2001, p. 111 :

"Qui sommes nous, sans cesse « en perte de visage » ? Un labyrinthe que le va et vient onirique éclaire d’une lampe de poche. Il y a chez Paul Farellier une pudeur, un refus aussi de toute surenchère verbale. On est lié à un mot à mot presque janséniste. Le poète se défie de la parole qui « tombe en limaille », il veut l’humilité, la clarté, la sécurité du silence ; il aspire au besoin peu répandu de « loger au point aveugle » des choses. D’où son goût pour la nuit – qui va plutôt à l’essentiel. Nous voici alors à fond dans notre « attente », notre perception accrue. Égalisons les vibrations, les contradictions. Scrupule, modestie, lucidité reine, c’est le tremblé de ce trio qui écrit notre identité, même si elle bouge à peine. […] L’homme est guetté par l’effacement du lieu et de l’être qui l’habite. Mais il sera souvent coopté par le regard des « étoiles » et « le cri de beauté » qu’elles nous lancent. Rôde une certitude que le poète, avare de confidences, ne nous livre que de biais : « une voix » saura un jour nous atteindre. On rejoint ici un mysticisme tout de prudence : J’ai rêvé :/ il restait ce carrefour d’éternités »..."




Lectures critiques :

Ce livre n'est pas, en dépit de son titre, uen suite aux "Dits du Sire de Baradel" (édités en 1968 par Jehan mayoux et illustré par Jorge Camacho à l'enseigne des éditions Péralta). Composé pour une part essentielle de textes en prose, il est précédé d'une préface : "Une visite au sire de Baradel" qui nous donne à lire un entretien entre Christophe Dauphin et Hervé Delabarre. Ce dernier déclare que "l'écriture automatique est le matériel de base pour tout...., à partir des années soixante la pratique de l'écriture automatique a occupé près de trente ans une place quasi quotidienne dans ma vie..." C'est là sans doute une des raisons qui font que l'oeuvre d'Hervé Delabarre se situe dans els parages de la poésie de Benjamin Péret.

La dernière partie intitulée "Divers d'hiver et d'autres en corps" rassemble des fragments de poèmes où alternent aphorismes, jeux sur le langage, jongleries sonores où l'humour n'est jamais très loin. On se laisse éblouir par des images fulgurantes où les mots se tiennent au bord du précipice : "Combien de lèvres - pour signifier l'abîme - et souligner les lueurs - qui frémissent encore aux balcons." On se laisse surprendre par des images étonnantes: "Au coeur des robes froissées d'effroi - sombrent les mains qui rêvent." En un instant, on passe de l'inquiétude au rire: "Quoi de plus terrible - qu'une brosse à dents - égarée dans la fosse aux lions", que n'aurait certainement pas renié Benjamin Péret.

Et puis, dans la veine du poème de Xavier Forneret "Un pauvre honteux", Hervé Delabarre donne sa propre version en n'y allant pas de main morte su je puis dire : "Un doigt - puis deux - puis trois - puis c'est bientôt le bras - l'appétit lui vient en mangeant." Certes, tout n'est pas constamment de la même qualité, mais c'est justement là le parti d'Hervé Delabarre : rester fidèle au murmure automatique", car "il y a toujours anguille sous roche".

Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°11, septembre 2022).

*

Hervé Delabarre n’a de cesse que de réduire les oppositions et notamment celle entre rêve et réalité. Il est en cela très proche des philosophies de l’éveil pour lesquelles, rêve et réalité ne sont qu’un mais son approche demeure celle du surréalisme. C’est la queste du « point suprême » voulue par André Breton ou de « l’imaginal » chez Henry Corbin.

Hervé Delabarre utilise depuis plusieurs décennies l’écriture automatique pour obtenir le matériau de base de ses œuvres. Il en a fait une pratique quotidienne facilitant ainsi l’accès à une « étrange source ». Si le premier texte, Les Contes du Sire de Baradel est en prose, le second est un ensemble de poèmes, composés de « messages automatiques ».

Si certains textes sont purement automatiques, d’autres sont très légèrement retouchés. Enfin, une troisième catégorie de textes est faite de ces « matériaux » automatiques, reçus le plus souvent de nuit et retravaillés le jour.

D’ailleurs, il évoque ces « nocturnes » dans un texte du 5 octobre 2005, La nuit :

« La nuit regorge de coïncidences. Dans les soupirs du temps s’évapore l’ange androgyne. Baisers après baisers, les rives soumises aux doigts des lavandières s’abandonnent aux déclarations d’amour et les sentes, qui s’enténèbrent, prennent plaisir à laisser les langues vaticiner dans les dortoirs immaculés où les cierges devenus inutiles se lamentent, en attendant qu’un blasphème vienne ranimer leur flamme. »

Coïncidences des opposés, traversée des formes et des temps, transgressions des conformismes d’adhésion, c’est un univers infini qui s’ouvre, nul besoin de le qualifier, abolissant les limites entre rêves et réalités et conduisant ainsi au surréel.

Les poèmes ont parfois la nuance et l’intensité racée du haïku :

 

« Une robe

 

Simple éclat pervers

 

D’un jour qui étonne »

 

« Sur le sable

 

Gît un corset

 

Quand la mer émue se retire »

 

Mais parfois, c’est tout une histoire qui est contenue en quelques vers :

 

« Un conte méconnu

 

où la fée tombée de son carrosse

 

ne trouvait pour la secourir

 

que les mains attendries

 

du lecteur qui la désirait »

 

Hervé Delabarre ne repousse pas les limites entre les mondes et les songes, reconnaissant leur caractère artificiel, il les laisse se dissoudre. Ou, au contraire, il tranche d’un mot la représentation, ouvrant une brèche sanglante et lumineuse vers une autre dimension du réel.

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, octobre 2021).

*




critique

"Prose poétique, exacte, rythmée, musicale, toujours belle. On y chante juste « l'inépuisable intérêt de Dieu ». Le poète suit la lumière des yeux, « lance un chant aux étoiles », et sait relancer dans une certaine joie secrète le fil interrompu de sa singularité. Un sens du Sacré qui impose le respect. Un verbe suspendu, parfois de façon énigmatique, « entre les sautes d'un jour ». « Avec la faim comme bâton », Pierrick de Chermont est un pèlerin qui marche vers ce Dieu fidèle et jamais vu. "

Jean-Luc Maxence (La Nouvelle Lanterne n°9, octobre 2013, in lenouvelathanor.com)

"D'aucuns penseront que je suis bien placé pour parler de cette plaquette de Pierrick de Chermont puisque, seul, un abîme nous sépare, lui le croyant et moi l'athée !  Ils n'ont pas tout à fait tort dans la mesure où je suis sensible à la parole qui parcourt ces quinze chants. Des chants qui sont comme des laisses de versets, comme on dit des laisses de mer : des versets comme des mots drossés sur la page par la foi religieuse du poète. Et comme la mer est toujours recommencée, l'enjambement, parfois présent, souligne une pensée coulant comme une source qui, jamais, ne se tarit…

Pierrick de Chermont célèbre à sa façon un monde dans lequel il déambule, un monde pris dans sa diversité : ville/nature, violence/douceur… Mais il n'en reste pas moins que des passages comme "Demain, ouvrir au feu le silence, au verbe la présence, tel autrefois le chant de Siméon, puits de lumière dans un puits de lumière", même s'il me donne une idée du projet de Pierrick de Chermont, reste obscur au mécréant que je suis qui ignore tout de ce Siméon sans doute biblique… De même le mécréant laisse de côté toutes les occurrences des mots Dieu, âme, chapelet, psaume… (du moins dans le sens que leur donne l'auteur) pour ne s'intéresser qu'à la célébration du monde qui traverse ces chants.

Un poème comme le chant IX est révélateur à la fois de la démarche de Pierrick de Chermont et de la lecture que je peux en faire. Si Pierrick de Chermont annonce clairement sa quête de sens dans des expressions comme "Une lumière pleine de lenteur perce les flancs de mon âme" (on pense au Christ crucifié dont un soldat de Pilate perce le flanc de sa lance) ou "Par la foi, satisfaction de faire tomber les âges d'or, de fabriquer de l'histoire toutes portes ouvertes",  je peux lire cet autre passage en me passant de l'hypothèse de Dieu : "La pluie sur un parc zoologique, la pluie sur les rues de la ville. Chacun se rapproche et se renouvelle, // Se revêt de milliers d'étoiles et recommence, avec le trouble d'avoir été visité dans ses profondeurs". L'un nomme Dieu ce trouble, l'autre le nomme mystère ou beauté du monde. Reste que les deux ont été sensibles à la même réalité. Et je pourrais multiplier les exemples, au risque de lasser le lecteur. C'est que Pierrick de Chermont se confronte au monde, au réel, tout comme les matérialistes. Il en tire sa conclusion alors que Guillevic, pour ne puiser que dans cette œuvre, en tirera une autre par son attention aux êtres et aux choses les plus humbles : "Oui, coquelicot, / Tu es l'empereur / De ton royaume. // Je ne sais pas t'imiter, / Mais continue à régner / Sur toi comme sur moi." (in Quotidiennes) ou, à propos d'un modeste jardin : "Rien que le temps / Qui s'est retiré là / Et n'attend rien." (in Creusement).

Les images de Dinah Diwan qui accompagnent le texte de Pierrick de Chermont sont en harmonie avec le ton prophétique du poète et sa volonté de décrypter le réel (à sa façon, faut-il le redire ?). Il s'agit de collages sur un texte soigneusement raturé et ainsi rendu illisible : métaphore de la révélation ? Ou quoi d'autre ?

En tout cas, si la poésie est un outil pour atteindre Dieu ("Poésie, tu nous élèves à l'opiniâtre décision de vivre. Poésie, mer éternelle du sans-horizon - je cueille au matin la rose, // Tu m'affilies à la terre, à la promesse de mon Dieu…"), elle est aussi pour le mécréant ou le mystique sans dieu une simple façon de dire le monde, dans toute sa complexité et dans tout son mystère, un mystère dont la science ne fait que reculer les limites. "


Lucien Wasselin (in Recours au poème, décembre 2013).

"Une écriture inspirée dans l’écrin de délicatesse des mots, qui n’exclut ni la transgression ni la surprise. Ce beau livre, texte et illustrations, transporte. Quelle est la réalité de la réalité, que ce soit dans le quotidien qui s’étend ou la transcendance de l’instant qui persiste ?

Extraits :

« Sonnerie dans un préau vide. Une lumière, le feutre roux des platanes, un trottoir ravi de son mutisme.

Ah, si je connaissais les sources du vent, je leur dédierais l’été pour qu’elles le relancent avec une forêt

De nuages ! Nuages que je goûte en riant seul, peinture, croupes, crinière que les enfants empoignent,

Figures du libre qui s’épargnent et se prolongent comme une mémoire ayant choisie de se taire !

Le soir, à nouveau les faux de l’indicible : un halo de lune, une voiture qui manœuvre dans un présent immobile.

Finie la journée, fini le dehors où Dieu est le grand cherché ; voici la nuit avec ses escaliers et ses langues oubliées... »

« … Je vous rejoins, apprends vos mœurs où l’on s’approche par la distance, où l’on pèlerine seuls et ensemble, ébranlés et fraternels ;

L’abeille n’est-elle pas l’égale de l’astre quand elle le couvre de frémissements ? Et tous ces chants et tous ces mystères qui nous unissent !

Boire à la sainte nudité du jour, chair à chair s’ouvrir à la plénitude, où, par une mesure sans mesure,

Nos âmes aspirent et tètent le monde. Oui, par une libre admiration, se métamorphoser en prosodies intérieures.

Au bout du bout, je disparaîtrai. T’embrasserai-je alors, Homme-dieu, du plein baiser de notre terre ? »

Poète et dramaturge, Pierrick de Chermont, allie l’originalité avec la rigueur de l’ordonnancement des mots. Il explore le monde comme intériorité, l’intériorité comme poésie, la poésie comme monde. Ce ternaire libère la pensée et révèle une joie secrète propre à la vie qui demeure.

Rémi Boyer (in incoherism.wordpress.com, décembre 2013).




Critique

 

Jeanne MAILLET, in revue L’Estracelle, n° 4 – 2006 :

" On ne saurait imaginer l’auteur de Tes rives finir que vivant dans la nuance, le froissement d’un temps de vivre entre « arbres d’espérance », « alerte de plaisir » et obsession, presque, d’un vide existentiel. D’où ce mouvement de balancier qu’expriment les textes de ce recueil : un pas en avant, on « ose » dire ce qu’on cherche, puis un temps de recul, par crainte d’entendre ce qu’on ne souhaitait pas. Et justement ceci : que les ruines rognent toujours la vie, que les rêves s’effritent ; bref que nous sommes condamnés à être « flagellés d’instants ». Plongée des regards sur les paysages, soupir « lentement soulevé comme un sein de falaise » (la belle, la puissante image !), et l’aube sans reproche, nette, claire, promise où l’imagination se perd, nous sommes entraînés malgré nous par les images comme un troupeau affolé (mais attentif) vers quelque catastrophe imminente. On frémit, on tremble un peu avec le poète de ce manque de certitude, de cette fuite des autres, lui qui souhaiterait tant trouver « pensé de distance » les mots définitifs qui seraient délivrance. Le texte qui clôt l’ouvrage est, nous semble-t-il, explicite et livre même discrètement, la clef de l’énigme : et si « mémoire et souffle » (ce qui nous constitue donc) n’étaient que « longs recommencements » ? Dans les difficiles définitions du temps, ce serait comme une révélation géographique et métaphysique ! Des millénaires de souvenirs ployés comme les strates d’une montagne et l’écho, en infinie résonance ! De quoi égarer le raisonnement et alimenter la « foi ». "

 




Lectures critiques :

Deux poètes qu’on a dit maudits. Deux poètes aux destinées tragiques : Jean-Pierre Duprey, suicidé à 29 ans, Jacques Prével, mort de la tuberculose à 36 ans. Tous les deux venaient de Normandie et fréquentaient à Paris les mêmes cafés, les cafés de la bohème à Montparnasse et à Saint-Germain-des-Près. Ils ne se sont sans doute jamais rencontrés. Christophe Dauphin les rassemble dans un essai magnifique, Derrière mes doubles.

Le titre fait allusion au premier livre de Jean-Pierre Duprey aux éditions du Soleil Noir, Derrière son double. Duprey était un grand silencieux, un ange muet, un « taiseux » comme seuls savent l’être les Normands. C’était un jeune homme écorché et révolté, qui avait grandi à Rouen, dans une ville ravagée par les bombardements en 1944. Traumatisme durable. Seule compte pour lui la poésie.

« Duprey était un garçon de seize ans, d’excellente famille bourgeoise, raconte Jacques Brenner qui a publié ses premiers poèmes en revue. Il était très médiocre élève au lycée, ne parvenant pas à s’intéresser à ce qu’on lui enseignait et poursuivait des rêveries qui inquiétaient ses parents. »

Il quitte Rouen et sa famille et s’installe à Paris dans une chambre d’hôtel avec Jacqueline, la femme de sa vie. Il fait parvenir son manuscrit à la librairie de la Dragonne que fréquentent les surréalistes. André Breton demande à le voir et lui écrit avec enthousiasme : « Vous êtes certainement un grand poète doublé de quelqu’un d’autre qui m’intrigue. Votre éclairage est extraordinaire. »

Duprey a 20 ans lorsque paraît son premier livre et il entre aussitôt dans la légende du surréalisme. La même année, 1950, Breton l’intègre dans son Anthologie de l’humour noir. 

Duprey, souligne très justement Christophe Dauphin, est posté « au bord de ce précipice  où coule l’eau noire de la nuit ». La couleur noire occupe une place centrale dans sa poésie.

 

« Je nage en mon ombre

 

Trop de noir dedans.

 

Mon ombre est la tombe

 

Pénétrable au vent. »

 

Deux ans plus tard, Jean-Pierre Duprey  quitte le groupe surréaliste. Il délaisse l’écriture, apprend le travail du fer et de la soudure chez un maître ferronnier et se consacre à la sculpture en fer forgé, une exploration indissociable de sa poésie. Il revient d’ailleurs à l’écriture en 1959. Le 2 octobre, il met le manuscrit de son dernier recueil dans une enveloppe à l’adresse d’André Breton. Il demande à sa femme d’aller le poster. « A son retour Jacqueline trouve Jean-Pierre pendu à la poutre de son atelier. Quelques jours auparavant, il avait répondu au téléphone à un ami : « Je suis allergique à la planète. » Jean-Pierre ne laisse ni mot ni explication. »

Poète maudit, a-t-on dit et répété : Christophe Dauphin ne le croit pas : « Il ne faut pas confondre le « poète malheureux » et le « poète maudit ». En revanche Jacques Prével, lui, fut bien un poète maudit. « Duprey était un ange, Prével un spectre », résume quant à lui Gérard Mordillat dans sa préface.

Jacques Prével fut l’ami et le disciple d’Antonin Artaud. C’est un Normand du Pays de Caux. Un homme habité par la douleur, instable, torturé, irascible, plongé très jeune dans l’horreur de la destruction, au Havre, dans une ville dévastée par les bombes.

« Je lutte contre une mélancolie terrible, un sentiment de l’inutilité de tout et de mes efforts en particulier et que je vomis pourtant de toutes mes forces », écrit-il dans son journal.

Lui aussi monte à Paris, passe ses journées à écrire dans les cafés de Montparnasse, dans une grande solitude. « J’ai souffert autant qu’on peut souffrir au monde. »

Ses compagnons d’infortune ne reconnaissent pas sa voix de poète et le tiennent à distance. Seul Roger Gilbert-Lecomte, le poète du Grand Jeu, l’entend et, lui semble-t-il, comprend ses poèmes. « Devenir un voyant, écrit Prével dans son journal. Etre un grand artiste dans la vie, dans l’amour, dans la mort. » Mais cette amitié sera brève : Roger Gilbert-Lecomte, celui qui, selon la belle formule de Zéno Bianu, s’était promis « de n’écrire que l’essentiel », meurt à 36 ans d’une crise de tétanos.

Aucun éditeur ne publiera les poèmes de Prével. Il est obligé de sortir à compte d’auteur son premier livre Poèmes mortels en 1945 à Paris. Mais bientôt il va faire la rencontre de son mentor, Antonin Artaud, à la maison de santé d’Ivry-sur-Seine. Alors il ne quitte plus le Momo, à qui il voue une admiration totale, mais cette amitié ne se situe pas sur un pied d’égalité. « C’est bien une relation de maître à disciple », montre Christophe Dauphin. « Deux hommes, deux poètes gravement malades et incompris, tels sont Artaud et  Prével. Le premier souffre d’un mal mental, mais aussi physique dont on ne connaîtra la nature qu’un mois seulement avant sa mort : un cancer du rectum. Le deuxième est atteint d’une tuberculose pulmonaire. Il l’ignora encore, malgré ses quintes de toux et ses douleurs à la poitrine. »

Toujours à compte d’auteur, Prével publie Les Poèmes pour toute mesure en 1947. Artaud mourra l’année suivante. « Antonin Artaud était mon seul ami. C’était le seul homme que j’aimais. Maintenant je n’ai plus personne. »

Jacques Prével s’éteint en mai 1951 dans un sanatorium de la Creuse. Dans une solitude absolue.

On attendait un récit qui soit à la hauteur de ces deux existences tragiques et déchirées. C’est chose faite avec le livre de Christophe Dauphin, dont on aime aussi la touchante obstination à souligner la « normandité » de ces deux poètes. L’un orienté vers le surréalisme, l’autre vers le Grand Jeu.

Bruno SOURDIN (in brunosourdin.blogspot.com, février 2022).

 

*

Dans la préface à cet essai important pour saisir à travers la poésie l’esprit de ce changement de millénaire, Gérard Mordillat dresse un sombre état des lieux de la poésie, « une écriture sans retour ».

« La poésie n’est pas rentable ni glamour ; sa voix est inaudible dans notre société dominée par le slogan et l’injure. Le poète est mal vu, il doit raser les murs, se satisfaire de l’ombre, s’excuser d’être. » « La poésie se diffuse dans des plaquettes, dans des revues, sous le manteau. C’est de la contrebande littéraire, de la clandestinité textuelle. »

Christophe Dauphin jette ainsi « les bases d’une future anthologie des poètes maudits du XXIème siècle » en provoquant la rencontre entre Jean-Pierre Duprey et Jacques Prevel, qui, probablement ne se sont jamais croisés. Cette rencontre à trois et non à deux puisque Christophe Dauphin, en provoquant l’événement, s’en fait pleinement acteur, s’inscrit dans la normandité poétique, tous les trois étant normands (voir le n° 52 de la revue Les Hommes sans Epaules consacrée aux poètes normands), normandité qui se caractérise par un métissage culturel.

Ce ternaire poète nous permet d’approcher l’essence de la poésie car à travers ces trois regards, ce sont les voies douloureuses vers toujours plus de liberté qui sont sillonnées. Christophe Dauphin met en évidence les parcours différents et complexes de ces deux poètes libres. Il évoque les rencontres déterminantes, le rayonnement d’Artaud et plus largement tous ceux qui les ont éclairés, parfois indirectement, par leurs œuvres. Il raconte les abîmes qu’ils ont explorés depuis l’enfance, les solitudes noires, les combats contre les « terribles simplifications » des différents milieux dans lesquels ils ont évolué, souvent contraints. Le prix de la lucidité peut être exorbitant et terrifiant.

Jean-Pierre Duprey a connu une réelle reconnaissance, particulièrement auprès d’André Breton et du groupe surréaliste, au contraire de Jacques Prevel qui fut « maudit » au-delà du possible, peut-être, partiellement, en raison de sa proximité avec Antonin Artaud. Il n’est pas éloigné du Grand Jeu de René Daumal et ses amis, ce qui ouvre bien des perspectives sur la profondeur de ses écrits. Tous les deux ont écrit avec leur sang, et l’amour de leurs compagnes respectives ne suffira pas à éteindre les souffrances car si Jean-Pierre Duprey fut moins malmené par la vie que Jacques Prevel, il n’en fut pas moins « un poète malheureux ».

Le face à face entre les deux poètes, jeu de miroirs tantôt ensanglantés tantôt lumineux, révèle la puissance à la fois créatrice et destructrice de la révolte quand celle-ci est la dernière citadelle où l’être peut se réfugier.

Ce livre est le premier tome d’une Chronique des poètes de l’émotion, expression plus ajustée et moins tordue par l’usage que « poètes maudits ». L’émotion est, dans la poésie intransigeante de ces deux poètes, à la fois matière première d’un processus alchimique et chemin.

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 20 novembre 2021).

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Poète et essayiste, Christophe Dauphin s’attache à sortir de l’oubli des poètes méconnus de la mouvance surréaliste. « Creusant sa falaise », il s’intéresse particulièrement aux météores qui ont eu un destin tragique. Le premier tome de sa « chronique des poètes de l’émotion », préfacé par Gérard Mordillat, met en lumière deux poètes normands qui ne se sont jamais rencontrés, bien qu’ayant fréquenté les mêmes lieux.

Ils ont pour points communs d’avoir consacré leur vie à la poésie et d’avoir eu une existence brève sans avoir obtenu la reconnaissance méritée : Jean-Pierre Duprey né en 1930 et suicidé à 29 ans, Jacques Prével né en 1915 et mort de la tuberculose à 36 ans. « Leur révolte était absolue, leurs œuvres uniques » résume César Birène dans sa postface. Christophe Dauphin éclaire leur vie et leur œuvre. Il nous apprend au passage le rôle joué en 1950 par notre discrète amie Colette Wittorski, alors étudiante, auprès de Jacques Prével dont elle a tapé les manuscrits qui furent ensuite édités à compte d’auteur.

Marie-Josée Christien, chronique "Nuits d'encre" du n°28 de la revue "Spered Gouez / l'esprit sauvage"




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