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Critique

Subtile, féline parfois, exigeante et concise, cette poésie impose une noblesse assez rare. Ce partage des mots est peuplé d'émotions fortes et féminines, on y sent « le cristal d'une présence », mieux qu'une lumière floue « dans laquelle se perdre », comme « l'hésitation d'un rêve ». Si l'on compte le nombre de mots utilisés, cela peut paraître court. Mais, à relire dans le silence, on aime ces « gestes en paroles », ces « rêves en éveil », cette voix de brûlures fascinantes comme « des soleils dans tes yeux » (sic). Oui, voilà bien une magie, des secrets dérobés, des arabesques de velours, du sang de poète authentique qui coule...

Jean-Luc Maxence

(La Nouvel Lanterne n°4, in lenouvelathanor.com, juin 2012).



Dans 7 a dire

"J'avais écrit qu'était mauve l'écriture d'Elodia Turki; qu'elle était haute et lisse; qu'elle s'égouttait doute à doute en des poèmes prunes, violets, bordeaux ou lilas. Comme la gazelle qu'elle demeure, dame de grands cours et d'interminables courses, assoifée d'errance, en sans cesse partance, enjambeuse de méditerranées, danseuse de sa vie, aérienne et libre de tout lieu. Et voilà que celle qui souvent chnate pour ne plus s'entendre penser dans l'une ou l'autre des sept ou huit langues qui dansent dans sa tête était passée au rouge. S'était mise à aimer en anglais et rouge. Ce fut Ily Olum. Puis elle avait repris l'écheveau de son existence pour nous tricoter La Chiqueta afin de retrouver les couleurs de la vie, de sa vie. Pour tenter d'oublier le reste. Or voici que resurgit ici le poème, en sa précise et vive langue de poésie. Dont notre revue sut orner ses pages au long de quatre numéros, égrenant une quinzaine de textes de haute tenue. Mains d'ombre est tirée de la mer de la mémoire qui n'arrête pas ses allers venues de marées chez Elodia Turki. La mer dessinée par ma soif - portera tes vaisseaux nous dit-elle d'entrée, se définissant comme l'enfant illégitime - d'une grotte... - et d'une étoile. Elodia Turki expose ici comment la légende d'un grand et fort passé survit à l'histoire: C'était de tous les souvenirs - le plus doucement triste - Quelque chose rouge - quelque chose fort - dans mes doigts dénoués... Dans un passé qu'elle repousse en un ailleurs, du bout de bras où s'expriment ses mains: Mes mains aveugles... - Mes mains sombre mémoire. On sent l'amour aller vers cet ailleurs qu'elle imagine mais ne veut pas savoir: Mon regard aligné sur la nonchalance de ton - renoncement - Ainsi se noyant - dans le lointain de toi - perdant les choses sues... Au passé bien enfui se mêle le désespoir d'une espérance qui appelle encore, avec son lot de promesses, de rêves et d'offrandes, d'utopies peut-être. Puis le toi devient lui: J'avais pour toi - pour lui - lissé tous les chemins dans le brouillon du soir... Jusqu'à préciser.... poser sur ta personne - la sienne - l'ocre de ma terre brûlée. Elle pose alors le bilan de cette histoire avant de souligner: J'étais celle - qui de lui qui de toi - attendait - dans les pointillés du jour - l'étreinte. Avant de conclure, ainsi qu'à l'issue d'un rapport, sachant enfin inoubliable son oubli: Ainsi lui parlait-elle - à même son oubli. Comme nouvellement sortie d'affaire, de l'affaire. Mais on sent, on sait que le rouge reste mis. De la poésie de juste noblesse et de la précise allure. inimitable Elodia."

Jean-Marie GILORY (in revue 7 à dire n°53, novembre 2012).




critique

"Prose poétique, exacte, rythmée, musicale, toujours belle. On y chante juste « l'inépuisable intérêt de Dieu ». Le poète suit la lumière des yeux, « lance un chant aux étoiles », et sait relancer dans une certaine joie secrète le fil interrompu de sa singularité. Un sens du Sacré qui impose le respect. Un verbe suspendu, parfois de façon énigmatique, « entre les sautes d'un jour ». « Avec la faim comme bâton », Pierrick de Chermont est un pèlerin qui marche vers ce Dieu fidèle et jamais vu. "

Jean-Luc Maxence (La Nouvelle Lanterne n°9, octobre 2013, in lenouvelathanor.com)

"D'aucuns penseront que je suis bien placé pour parler de cette plaquette de Pierrick de Chermont puisque, seul, un abîme nous sépare, lui le croyant et moi l'athée !  Ils n'ont pas tout à fait tort dans la mesure où je suis sensible à la parole qui parcourt ces quinze chants. Des chants qui sont comme des laisses de versets, comme on dit des laisses de mer : des versets comme des mots drossés sur la page par la foi religieuse du poète. Et comme la mer est toujours recommencée, l'enjambement, parfois présent, souligne une pensée coulant comme une source qui, jamais, ne se tarit…

Pierrick de Chermont célèbre à sa façon un monde dans lequel il déambule, un monde pris dans sa diversité : ville/nature, violence/douceur… Mais il n'en reste pas moins que des passages comme "Demain, ouvrir au feu le silence, au verbe la présence, tel autrefois le chant de Siméon, puits de lumière dans un puits de lumière", même s'il me donne une idée du projet de Pierrick de Chermont, reste obscur au mécréant que je suis qui ignore tout de ce Siméon sans doute biblique… De même le mécréant laisse de côté toutes les occurrences des mots Dieu, âme, chapelet, psaume… (du moins dans le sens que leur donne l'auteur) pour ne s'intéresser qu'à la célébration du monde qui traverse ces chants.

Un poème comme le chant IX est révélateur à la fois de la démarche de Pierrick de Chermont et de la lecture que je peux en faire. Si Pierrick de Chermont annonce clairement sa quête de sens dans des expressions comme "Une lumière pleine de lenteur perce les flancs de mon âme" (on pense au Christ crucifié dont un soldat de Pilate perce le flanc de sa lance) ou "Par la foi, satisfaction de faire tomber les âges d'or, de fabriquer de l'histoire toutes portes ouvertes",  je peux lire cet autre passage en me passant de l'hypothèse de Dieu : "La pluie sur un parc zoologique, la pluie sur les rues de la ville. Chacun se rapproche et se renouvelle, // Se revêt de milliers d'étoiles et recommence, avec le trouble d'avoir été visité dans ses profondeurs". L'un nomme Dieu ce trouble, l'autre le nomme mystère ou beauté du monde. Reste que les deux ont été sensibles à la même réalité. Et je pourrais multiplier les exemples, au risque de lasser le lecteur. C'est que Pierrick de Chermont se confronte au monde, au réel, tout comme les matérialistes. Il en tire sa conclusion alors que Guillevic, pour ne puiser que dans cette œuvre, en tirera une autre par son attention aux êtres et aux choses les plus humbles : "Oui, coquelicot, / Tu es l'empereur / De ton royaume. // Je ne sais pas t'imiter, / Mais continue à régner / Sur toi comme sur moi." (in Quotidiennes) ou, à propos d'un modeste jardin : "Rien que le temps / Qui s'est retiré là / Et n'attend rien." (in Creusement).

Les images de Dinah Diwan qui accompagnent le texte de Pierrick de Chermont sont en harmonie avec le ton prophétique du poète et sa volonté de décrypter le réel (à sa façon, faut-il le redire ?). Il s'agit de collages sur un texte soigneusement raturé et ainsi rendu illisible : métaphore de la révélation ? Ou quoi d'autre ?

En tout cas, si la poésie est un outil pour atteindre Dieu ("Poésie, tu nous élèves à l'opiniâtre décision de vivre. Poésie, mer éternelle du sans-horizon - je cueille au matin la rose, // Tu m'affilies à la terre, à la promesse de mon Dieu…"), elle est aussi pour le mécréant ou le mystique sans dieu une simple façon de dire le monde, dans toute sa complexité et dans tout son mystère, un mystère dont la science ne fait que reculer les limites. "


Lucien Wasselin (in Recours au poème, décembre 2013).

"Une écriture inspirée dans l’écrin de délicatesse des mots, qui n’exclut ni la transgression ni la surprise. Ce beau livre, texte et illustrations, transporte. Quelle est la réalité de la réalité, que ce soit dans le quotidien qui s’étend ou la transcendance de l’instant qui persiste ?

Extraits :

« Sonnerie dans un préau vide. Une lumière, le feutre roux des platanes, un trottoir ravi de son mutisme.

Ah, si je connaissais les sources du vent, je leur dédierais l’été pour qu’elles le relancent avec une forêt

De nuages ! Nuages que je goûte en riant seul, peinture, croupes, crinière que les enfants empoignent,

Figures du libre qui s’épargnent et se prolongent comme une mémoire ayant choisie de se taire !

Le soir, à nouveau les faux de l’indicible : un halo de lune, une voiture qui manœuvre dans un présent immobile.

Finie la journée, fini le dehors où Dieu est le grand cherché ; voici la nuit avec ses escaliers et ses langues oubliées... »

« … Je vous rejoins, apprends vos mœurs où l’on s’approche par la distance, où l’on pèlerine seuls et ensemble, ébranlés et fraternels ;

L’abeille n’est-elle pas l’égale de l’astre quand elle le couvre de frémissements ? Et tous ces chants et tous ces mystères qui nous unissent !

Boire à la sainte nudité du jour, chair à chair s’ouvrir à la plénitude, où, par une mesure sans mesure,

Nos âmes aspirent et tètent le monde. Oui, par une libre admiration, se métamorphoser en prosodies intérieures.

Au bout du bout, je disparaîtrai. T’embrasserai-je alors, Homme-dieu, du plein baiser de notre terre ? »

Poète et dramaturge, Pierrick de Chermont, allie l’originalité avec la rigueur de l’ordonnancement des mots. Il explore le monde comme intériorité, l’intériorité comme poésie, la poésie comme monde. Ce ternaire libère la pensée et révèle une joie secrète propre à la vie qui demeure.

Rémi Boyer (in incoherism.wordpress.com, décembre 2013).




Lectures :

Cet ouvrage dont le titre fait écho à l’alchimie, rassemble trois livres de poèmes épuisés, Le Ministère des verges (2011), L’émoi du non (2013), Les rires fois d’AlefBêt… (2016) ainsi que trois inédits : Une mystique sexuelle, Sans titres ou points d’O et Les inutiles.

L’œuvre est aussi forte que déconcertante, aussi lumineuse que sombre, d’une lumière qui se cache derrière les drapés les plus obscurs. L’érotisme très présent ne doit pas masquer la dimension ontologique profonde de la poésie d’Odile Cohen-Abbas, souvent intransigeante, ne laissant au lecteur aucune échappatoire.

Nous chevauchons le même corset de sexe, la touffe astrale,

et l’ecchymose sans fixation,

nous chevauchons l’aune à deux branches,

le même fermoir humide, licite,

petit segment sécant de gauche et de droite

entre nos cuisses.

Et ton genre masculin, lissant sa nudité en moi

aux racines d’une rose et très tendre épilepsie,

de moitié, se féminise.

L’article lent à deux becs,

flèches à boire, oscille

d’un marais à l’autre de nos chairs,

grapille des unités de mémoire.

La profondeur le happe et l’enveloppe

d’un bandage de bonheur.

Extrait de Trait d’union

S’agit-il d’un songe qui révèle ou du kaléidoscope pathologique des rêves ? Le lecteur pris dans la multiplicité des images risque la folie s’il ne cherche avec la même volonté que l’auteur à traverser ce qui est donné, tenir bon, quoi qu’il arrive, sans même savoir pourquoi.

Il regarde les joints desserrés de la terre :

ce mal blondasse et bancal de la mer.

Deux et trois de ses balancements visibles font un tamis à l’eau.

Il a conçu une petite phrase en prévention d’un scintillement qui l’enserre de trop près,

un barrage aux soubresauts de sa pensée sous la forme d’une question :

peut-on rêver cette cornue translucide sous l’aspect d’un triangle ?

– n’importe quoi pourvu que la cervelle marine ne songe pas à s’assoupir

avec ses droites de part en part mutilées.

Peut-on… il ne sait pas ! il rit très fort

quand les chemins de l’eau se parfument.

Peut-on… sceller un don de cercle, ou de losange ?

Il s’est trompé, et son erreur est si vive

qu’elle l’a fait saigner du nez.

Mais le saignement se répare

Extrait de L’autiste et l’eau

 Désespérante peut sembler la poésie d’Odile Cohen-Abbas. Certes, elle ouvre la boîte de Pandore, mais elle n’en conserve pas même l’espoir, un mal parmi les autres après tout. Ni espoir ni désespoir mais une implacable exploration de ce qui reste quand on a tout réduit en poussière.

« Si ce hideux te rencontre… »

Au mieux, s’il me rencontre ?

S’il entre dans le pendule de mes yeux

acquittant ou annulant sa place,

cuisant ses vieux bubons de mon feu,

faisant aboyer mes biens de l’âme ?

S’il est fait comme un homme du drame,

commis aux bancroches, aux hybrides,

s’il est fou, s’il est double,

s’il est femme

qu’il ose !

Qu’il joue, qu’il perde ou y gagne,

accroisse les tam-tam, les roulements

des visions

C’est là, dans le tambour, qu’il se cache,

elle si c’est une femme.

« Si ce hideux te rencontre… »

Cela a dû arriver

Extrait de Jérémie. 23 : 29

Dérive, errance, auto-exil, hors-soi… qu’importe la qualification du mouvement, le plus souvent immobile, il se suffit à lui-même. Nul besoin d’un but, d’une finalité, d’un sens. Toute analyse est vouée à l’échec. L’expérience est plus profonde, relève du « Sens-plastique » d’un Malcolm de Chazal, parfois chamanique, parfois prophétique, essentielle surtout. 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 25 juin 2018).

*

"Cet ouvrage propose trois recueils de poèmes parus entre 2011 et 2016 ainsi que trois inédits. L'auteure évoque dans une veine surréaliste différents thèmes, notamment la sexualité, la religion ou la nature."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

*

Long feu aux fontaines : dès le titre couronnant l’œuvre poétique d’Odile Cohen-Abbas jusqu’en 2017, soit trois livres de poèmes épuisés (Le Ministère des verges (2011), L’Émoi du non (2013), Les Rires fous d’AlefBêt… (2016)) et trois livres inédits (Une Mystique sexuelle, Sans titre ou Points d’O et Les Inutiles (2017)), une durée incertaine s’installe (celle du « long feu ») et ouvre la porte aux images les plus troublantes – à l’imaginaire tout aussi bien.

Dans les corridors des pages, le lecteur, en quête avec l’auteur, découvre des scènes de rêves ou de cauchemars, des paysages mentaux, des pensées qui ont pris corps. L’imagination, la « reine des facultés » (selon Charles Baudelaire), rayonne ici selon mille fenêtres et mille entrelacs.

Le lecteur est un Dante que dirige Virgile et que parfois vient rejoindre Béatrice. Il faut se laisser emporter par Odile Cohen-Abbas : elle nous égare plaisamment, mais sans jamais nous abandonner en chemin – sinon pour nous retrouver à quelque carrefour inattendu.  Faut-il se souvenir du regard d’un enfant étonné, faut-il convoquer l’adulte impatienté ? L’un et l’autre certainement.

Le poème, chez Odile Cohen-Abbas, se regarde et se lit lui-même pour, souvent, rire ou s’étonner de ses mots et se renverser : là, le sérieux n’est pas toujours ce que l’on croit, et l’humour tout aussi bien. Son miroir est un don : il se renouvelle avec quelque sourire ou quelque abîme. Tout est inextricablement mêlé, à l’image du désordre du monde et du désir – de l’éros. Au commencement, nul doute : une solitude qu’il faut franchir, une tension vers l’union : Que ma voix dépose le présent,/ que des frissons de liège nous déniaisent le souffle,/ que l’on donne à manger du grain au diseur/ et des guitares, à l’abat-jour,/ que l’on garde le silence pour le centre,/ pour le bain de millet de l’amour,/ un midi de notre vie/ s’habille de nos deux corps, / s’empare de notre chance, l’enlace,/ la revend aux saisons.  (« Sans suite », Le Ministère des verges).

Une voix se dégage, un corps parle – un corps de femme, sensuel et sexué jusqu’à l’ongle et au cil – et ce corps chante, joue, hurle, rit, se cache, désire, souffre, jouit, attend. Dans cette voix toutes les ressources de la langue sont convoquées : tour à tour appels, soupirs, fièvre et ivresse (à l’image du feu et de l’eau du titre générique de l’œuvre), célébration, exhortation, palpitation, spasmes, tremblements, pouls, les mots les plus crus côtoient les plus rares, dans une véritable fête du vocabulaire répondant, à chaque page, à la fête de l’expérience sensible : Les lointains sont à naître, souffle-t-elle,/ tandis qu’il fouit encore parmi son puits à thème,/ entre ses parois volitives/ sa piscine de chrysanthèmes. /[…] Son dos fait ses pyramides, ses bonds d’escorte. (« Maintenant », L’Émoi du non).

Les mots se câlinent, se repoussent, se rejoignent et s’entrechoquent pour s’aimer encore ; ils serpentent autour de leur objet pour soudain le mordre ou l’enlacer, sans que l’on sache toujours distinguer la blessure de l’embrassement. Mais toujours l’auteur prend de la distance avec son propre langage : Je t’exhorte, je t’abstrais,/ je te délarde, verge miellée, mon éloquence, ma robe du soir,/ à petits coups de cœur et d’apnée,/ je te réduis à un dé de manne,/ à une raie, à un fil d’archal. / Je t’érode, églogue, sonnet salant, […] (« Glose linguale », Le Ministère des verges). Jackie Pigeaud, dans Poésie du corps, cite le médecin érudit du début du XIXe siècle Étienne Sainte-Marie qui, lui-même s’appuyant sur les traités du médecin grec Hérophile (vers 330-320 - vers 260-250 av. J.-C.), écrit : « Le rythme existe dans toute la nature, et le corps humain est réglé par ce principe universel. […] Le cœur et le poumon frappent une mesure à deux temps, marqués dans le premier de ces organes par la systole et la diastole, et dans le second par l’inspiration et l’expiration. Le corps humain a donc été organisé et animé d’après les lois de la musique. […] Ce rapprochement n’avait point échappé aux Anciens ; et l’on voit dans leurs allégories que le dieu de la musique était aussi honoré comme dieu de la médecine. (Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2009, pp. 175-176. C’est l’auteur qui souligne).

À bien des égards la poésie moderne retrouve cette analogie ; elle en est traversée ; et les rythmes nouveaux qu’elle découvre dans la langue (songeons à Antonin Artaud, à Henri Michaux, sans oublier le Pierre Jean Jouve de Sueur de sang) l’inscrivent dans cette recherche d’un poème qui déchiffrerait l’anatomie humaine et ses mouvements. La « poésie du corps », chez Odile Cohen-Abbas, tantôt caressante, tantôt haletante, est rythme, heurt, souffle et danse : Sept chats longs, ces feux-là comme varans/ dévoient des déplacements en flammes,/ communément des sphères./ « Apprenti feu ! »/crie un rayon de cercle./ Cages de médianes, de/ diagonales,/ décollements, raccordements de crânes, / séries des râbles et des queues. / Muscles, mues propres, / vitesse. (« Danseurs », Les Rires fous d’AlefBêt…). Les trois livres écrits en 2017 ouvrent encore de nouvelles perspectives. Avec humour – et rappelons que l’humour vrai, en poésie, est une réussite fort rare –, Odile Cohen-Abbas signale en incipit les titres non retenus d’un ouvrage (Sans titre ou Points d’O eût pu s’intituler, par exemple, Centons des mers, et Odile en usage ou Satyres en prière !) ou commente entre parenthèses certains passages de son poème. L’auteur inclut dans ses livres (ce qui résonnera dans Voyelle, cet ouvrage au confluent de nombreux genres paru aux éditions Rafael de Surtis en 2018) toute sorte de signes non-verbaux, photographies, dessins, reproductions d’œuvres d’art (tableaux et sculptures), portées musicales, pictogrammes, qui nourrissent la page en accompagnant les poèmes de motifs qui les prolongent ou les interrogent.

Odile Cohen-Abbas use également de toutes les ressources typographiques, de l’italique au corps mouvant des caractères imprimés, non pas ici pour tenter d’« élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé » (selon Paul Valéry évoquant le Coup de dés de Stéphane Mallarmé), mais comme pour éparpiller le livre à l’intérieur de lui-même – et accomplir une danse dans une chambre d’échos : Je ne veux pas d’un mariage lettré/ avec le « Palais de têtes »,/ je ne veux pas de son marbre, ses flambeaux instruits,/ et syntaxe qui tombe comme neige vêtue de noir/ – ainsi qu’on la voit s’éloigner dans son texte minoré. (« Tout-et-rien, 14 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Tout le langage est tancé, par le langage lui-même ; c’est l’être du poète qui est en jeu, et sa vérité : Nouvelle prière :/ TA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quel surgissement inique !/ Dans quelle catégorie,/ quel espace l’inclure ?/ Tout avait si bien commencé, Éternellement, Éternellement,/ descendait si bien la côte./ LA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quelle faute, quelle défaite de la chair, autoportrait,/ s’est  immolée dans le texte ? (« [Ici la photographie du détail d’une toile représentant le baiser d’Anne et de Joachim] 19 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Il n’est pas jusqu’aux textes bibliques qui ne soient convoqués en tant que fondateurs d’un sens mouvant, toujours à questionner : Poème à face d’Ève coiffée en brosse, / cachant une caméra carcérale sous son crâne,/ prière occipitale/ disant la viduité syntaxique d’une femme,/ rescapée de la chambre, pauvre en air, du texte,/ pensées robots de moelle ! » (« Restitution », Les Inutiles) ; le dernier poème des Inutiles, évoquant les quatre figures du Tétramorphe évangélique, ne signalera-t-il pas, tandis que les mots du poème s’effacent ou sont raturés, une « main séparée » qui « dépose dans la marge/ l’ange d’un adieu ?

Et les énigmes nombreuses dont sont parsemés les livres d’Odile Cohen-Abbas ne sont pas sans rappeler que le poème, selon une très ancienne tradition, est également perçu et conçu tel un objet construit avec des mots, et qu’il s’offre au regard du lecteur comme la serrure en attente de quelque clef. Cependant, qu’avons-nous à répondre à un poème sinon tout d’abord lui dire « oui » et l’aimer, même maladroitement ? Et ces quelques lignes, devant Long feu aux fontaines, ne tentent-elles pas d’esquisser une réponse à quelque danse souveraine, une danse inquiète, la danse baroque et sûre d’un désir attentif ?

Frédéric TISON (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).




Critiques

  

" Lisez ce beau recueil qui convie le lecteur à une recherche patiente, là où jour et nuit se mélangent en de curieuses et bouleversantes alchimies, alors que l’instant, par sa fragilité même, ouvre les chemins de la durée: (...) il te faudra te ressaisir, / recommencer contre l’obscurité, / l’amenuiser de son triomphe même, / tenir des promesses précaires. Car il s’agit bien d’un perpétuel recommencement, non sans douleur, mais sans amertume, puisque cette vie quotidienne et menacée doit conduire à sa propre naissance. "

Catherine FUCHS, in La Revue de Belles-Lettres, n° 2, 1995, p. 137.


" Dans les trois parties de cet ouvrage […], Paul FARELLIER se met à l’épreuve, avec une rigueur impitoyable et douce. Être est d’abord descendre en soi, avec certitude et quelque effroi mais c’est aussi en venir à ce point d’acuité qui épouse les choses défaites, jusqu’à délivrer « le flux rapide de l’éternel ». […] Toujours, Paul FARELLIER a un sens aigu des pouvoirs de perception : la moindre vibration libère un sens multiple, une lumière dont l’excès serait mortel. La fin provisoire du chemin, dans la complexité indiscernable, s’émerveille des cris les plus élancés malgré la lancinante prison intérieure. Un secret, terrible, rassurant, veille. "

Gilles LADES, in Friches, n° 45, hiver 1994.




Lectures critiques :

Poète aussi précis qu’aérien lorsque il parle l'amour, Tison  transforme les corps en étoiles lointaines et proches. Il fait de sa passion pour une fleur disparue une longue patience.
Plus désirable en effet devient la princesse lorsqu'elle est séparée de son guerrier. C'est comme si sa promesse ne fut que différée. D'où des mélodies insistantes mais discrètes par respect à son "silence".

Frédéric Tison rejoint ainsi celle qui ne serait désormais l'autre que par miracle. Mais surgissent ces "nuages rois" en retour, en offrande. C'est comme si la lune tendait sa psyché à un tel visage.
La langue rôde au bord des ténèbres des nuages dont les voiles se défont loin de tout énoncé convenu. Le texte devient un miroir luminescent, instrument gigogne en latence pour celle qui arme encore le scribe toujours lesté de son amour.
Les lecteurs deviennent les pèlerins d'un tel voyage de retour mais aussi de redécouverte pressentie. Et ce, en un éventail d'émotions charnelles ou divines. Clôtures et ouvertures, invitations sensorielles caractérisent une œuvre qui reste tout autant érotique que spirituelle.

Tison trouve le moyen de s'opposer au dualisme âme/corps en penchant pour une entité indivisible où tout fonctionne de manière interactive. La pensée vient de l'expérience sensorielle et vice-versa en un  travail où se combine l'expression de la chair et de l'esprit en un cycle ininterrompu.  


Jean-Paul Gavard-Perret (in salon-litteraire.linternaute.com, 23 avril 2021).

*

Frédéric Tison a baigné chaque mot dans son Styx, son fleuve de mort personnel, avant de le déposer, rutilant, neuf, dans le poème. Chaque mot lâché par la bouche du poète est capital, sa vie en dépend. Sa vie ? Son chant intérieur, qu'on entend comme si le poète parlait à côté de nous. Mieux : en nous. C'est de la musique, c'est un rythme, discret et intime. Musique de l’âme.

À partir de là, nuages, ciels, barques, sentiers, d'essence divine, d'essence royale, ne cessent de nous hausser vers toujours plus de beauté et de liberté.  Le souffle de la Nature a passé : Marcheur, épouse-moi dans mes détours de pierre" : Parole du sentier, qui monte vers toi. - Que ton pas sourde au sein de ces cailloux, parmi le chardon bleu, le bouton d'or, toute l'haleine. En lien avec la Nature se tient une civilisation magique où rois, reines, châteaux, sont fantasmagories sacrées du poète : Une reine se dérobe en ces lieux. - Elle avait quitté ce paysage ; ses larmes étaient tombées ainsi que des offrandes. - Son visage, ci-gît, se révèle sans parler, ainsi que la neige sur les toits. Les mots sont hiératiques, simples et forts.

La civilisation magique se perpétue dans le présent avec des éléments mythifiés comme la rue, la fenêtre, la chambre. Impression onirique très prégnante, presque hallucinatoire : Le désordre s'accroissait. Les statues égarées dans les rues, les passants de hasard, les sources noires étaient des songes pour mes yeux. - Et l'eau-forte du ciel n'entamait pas les nuages. - Des corps survenaient dans la ville qui étaient parlés par le vent. La vue à ses outils rêvés, déclinés sous la forme récurrente de miroirs, d'ombres, de silhouettes, bref de reflets. C’est l'image en variations du poète lui-même, mais aussi de tous êtres et choses aimés par lui, qui traverse telle une brise ville et campagne.

Dans Nuages rois, le lexique est aérien : oiseau, vent, toits, nuages, ciels, ailes, montagne, tout monte, vers quelle divinité intérieure ? Tu apprends du nuage sa leçon blanche et légère, sa lyre transparente, toute seule jouant ; ses haltes et ses hâtes ; ses éparpillements. Voici un art poétique, que l'on retrouve un peu plus loin : Hâte-toi - et ne te hâte pas ; ce que le vent vient de te dire ne s'annule pas : le ciel, l'oiseau, la terre et l'arbre ont lieu.

Car entre les poèmes sont des passerelles, des ponts légers comme un fil de toile d'araignée, et c'est bien un royaume de fils d'or tendus qu'est chaque livre de Frédéric Tison, un castel d'échos sans fin où se perdre avec délices, dans l'éternelle lutte contre la prison terrestre, dont la clé unique est la beauté : Elle se souvient. Belle détenue dans les miroirs, elle sait encore la lumière libre. - Elle sait qu'elle est de la même source que l'ombre, dans l'interrègne des fleurs. - Et toujours cette retenue, cette suspension, un dieu délicat : (...) entendez-vous ma prière éparpillée, vos neiges m'attendent-elles tandis que je passe devant votre visage et retiens doucement votre image en pleurs ?

Tout est délicatesse et dignité, telle cette notation du couchant : Inestimable rouge à l'horizon, inestimable rose, inestimables bleu et noir. Il s’agit bien d’amour, et d’un trop-plein de beauté : Il pleut ; mon Dieu, la pluie est bleue, face au vide intersidéral : Tu créeras ta barque éblouissante. - Ton navire dévorant l'amour sera sur la mer l'écriture qui tremble et la parole qui vibre. À la toute fin, le poète est le prince.

 

Claire BOITEL (in Les Hommes sans Epaules n°52, octobre 2021).




Lectures :

Je suivrai la découpe en quatre parties de cette œuvre.

1 – « Brûlant l’été ». Il y a dans l’écriture de Paul Farellier ce que l’on serait tenté d’appeler, telle une source de signes et d’appels sous-jacents, une imagerie musicale. Je ne parle pas de sonorité, mais bien d’une émanation des images, des constructions poétiques, métaphoriques, associatives, autant de parties qui, par une jonction supérieure entre la vue et une ouïe absolue, métaphysique, et qui ne tranche pas, dispensent de très justes, nouvelles et lisibles harmonies.

Ces sons d’images nous pénètrent et changent notre rapport à la lettre et à notre posture, créant à notre insu un imperceptible mouvement spirituel. Nous sommes en état d’écoute totale, d’engagement manifeste ; en désir d’écoute sacrée. La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe, / à des mains en pente de lumière. Voilà un flux qui se retrouve, se reprend sans fin à son début. Écoute le corps, le corps blessé, exténué du poète dans le mystère du ciel, de la vie et de la mort. Pas n’importe quel corps, le corps donné, trop éprouvé, subtilisé, du poète, offrande et quête, celui-ci toujours à la tâche, soucieux, secret, liturgique, hiératique, éthéré, intemporel.

Tant d’absences, de séparations, de sanctions d’être gisent en lui ! Aussi sommes-nous en état de miroir sublimé, de miroir rituel. Quel dieu sans paupière / dans le regard des morts ? / Quel jamais dessillé ? / La main tremble encore / d’avoir fermé ce bleu. Paul Farellier a un sens si altier de l’être poétique que tout en lui, les mots durs sur le temps qui passe, les angoisses solennelles sur les jours qui s’amenuisent, sur l’exposant sensible des disparitions, le constat insatiable sur le sens de sa vie en écriture et l’exigence d’en rendre compte dans sa claire et douce tonalité, tout en lui est dignité de la langue et célébration.

Il est bon de capter la noblesse, les étincelles lyriques de son parcours intérieur. Il est bon de les faire siennes, de les laisser rallumer la chaleur du cœur. Le faux, le mensonge, la lâcheté, le refus de se voir en héros tout autant qu’en vaincu, le feu pur de ses mots les aura dissipés. Et dans ce feu, qui ne voudrait s’y entendre nommer ? Partager la tragédie du vrai avec lui. Paul Farellier, ce n’est pas un feu qui s’épuise en un livre. C’est celui dont il nous fait don et qui se propage en nos propres assises. La trace ? Une très sensible et presque en larmes reconnaissance. Ce bref recueil est d’un bout à l’autre un champ d’honneur poétique. 

2 – « Dessiné dans le noir et dans le blanc ». Et le voici à nouveau dans cette exténuation du vivre et du dire qui sollicite de nouvelles forces en lui. Je ne connais rien de plus admirable que ce poète à bout de tout qui, dans une majesté, un soulèvement quasi biblique, une tension de pauvre, de défait et d’invulnérable, une puissance poétique hors d’atteinte, inaltérable, défie les lois et les décrets de l’existence. Figure mythique, c’est au moment où tout fait clôture ici, / tout est serré dans ce poing / qui pourtant n’enferme que le vide / oblige à des riens d’ombre, à des façons de taire, que ces forces tant espérées, et au-delà, lui sont conférées, car ce que

Paul Farellier énonce ainsi, retranché de tout énoncé fautif et impur, est lumière. Plus son propos s’obscurcit, plus jaillit un point lumineux immesurable, infinissable, et ce seul point nous aurait suffi pour concevoir et recevoir toute sa clarté, si ce n’est qu’il s’allonge sans cesse, varie, se fluidifie tant que notre souffle, notre savoir et notre expérience, peuvent l’appréhender. Nous avons entendu les temps riches, les temps mornes, infinis, du combat, mais la splendeur du vrai qu’il nous transmet, cette beauté nue, cette communion incorruptible, cette joie que nous concevons de cette transmission, l’entend-il ? Sa solitude est notre présent / futur, notre totalité, notre envergure.

3 – « Approches ».  Deux mondes, deux horizons temporels se font face, beaucoup plus subtils, plus éthérés que la distinction entre passé et avenir, ou alors dans le sens où ils seraient devenus deux nébuleuses consacrées, deux textes saints sur les fins et les crépuscules de la connaissance. Partout des saisies de mystère s’esquissent, s’agrègent, des avènements mystiques, certains sans prise, ni forme, ni habit qui ont eu le temps cependant de nous enchanter, de laisser une empreinte éblouie dans le mouvement de notre pensée. Mais il y a une modestie suprême dans l’âme du poète Paul Farellier, qui laisse les trésors à leur place et refuse de s’en emparer. L‘itinéraire est doublé : / il faut errer sur les deux bords. / C’est cela, les anciens, qui nous donne / des glissades au regard / - demi-sourire, / demi-larme. 4 – « Le pas de l’heure ».

Nous avons vu que l’amour des évocations, des questions et réponses dans des échanges éblouissants de style, de tension, de chants neufs et aveugles, s’éludait parce que l’élévation innocente de l’auteur, pour que se perpétue cette élévation, les avait conçus ainsi, jusqu’à ce que dans « Le pas de l’heure » l’interrogation consente à naître dans son entièreté, et que la mort animale – symétrique – prête son flanc à l’animal poétique. Mais cette fois avec la main, les armes et les larmes du poète nous y sommes préparés. Abolition du mode vivant, litanie des disparus, doutes sur les fondements même de l’origine, lave, ruines, sentier brûlé d’oubli, tout émerge enfin de la sidération et de la douleur de survivre, et la pensée s’affine, s’aiguise, devient comme un stylet, une main rituelle pour dévoiler le sacré, laisser sa trace dans le sillon de l’inconnu.

« Le pas de l’heure » résiliant le cauchemar, le contrat du faux pas, est cette lisière où la surprise, l’étonnement, le foudroiement de l’homme et de l’être se régénèrent partiellement et attendent le passeur / passant tout au bout de cette route… / si même il reste une route. / Toi qui dors, flottant sous ta fenêtre, - es-tu le songe - d’une barque adossée à l’orage ? - Sens-tu mourir cette heure où la mer - soudain te freine, - affale sa voile dans ton souffle ? - Puisse l’éclair te prêter une aube : - brise ta vitre, - sois l’enfant des désordres du ciel.  

Pierrick de Chermont (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).

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C’est tout le jeu des polarités peu sereines de la vie qui est condensée dans la poésie de Paul Farellier. Un précipité d’incertitudes qui devrait nous angoisser et qui pourtant nous libère. L’épure du verbe de Paul Farellier est aussi épure de l’expérience humaine. Il rend ainsi l’essentiel accessible. Les mots, par « leur pointe aiguisée », retrouvent leur puissance.

 

Vivre n’a pas suffi

à te frayer le passage.

 

Et rien n’est visible encore

dans ta vitre embuée.

 

En travers de ta porte,

un dragon reste couché.

 

Au loin peut-être

                              et plus tard,

ton pas sur le sentier.

 

L’ouvrage, porté par les monotypes de Béatrice Cazaubon qui appellent à une méditation tranquille, sans objet et sans sujet, rassemble deux ensembles de poèmes, Chemin de buées puis Le pas de l’heure, un titre qui a lui seul évoque aussi bien la mort que l’éternité.

 

Quel dieu sans paupière

dans le regard des morts ?

 

Quel jamais dessillé ?

 

La main tremble, encore

d’avoir fermé ce bleu.

 

C’est l’intensité de l’instant présent, fusse-t-il un combat perdu d’avance, qui ouvre un intervalle enchanté, une porte lumineuse au cœur de l’obscur. Rien ne peut empêcher la beauté des mots de révéler l’innommable, le « vrai visage ». Nous sommes touchés par la lente irradiation des mots.

 

Quelle absence as-tu creusée

 

pour n’y trouver que la peur,

n’en exhumer que le cri ?

 

Va plus loin dans ton mur d’ombre,

 

franchis l’embrasure,

dépasse le rideau qu’entaillent les vents,

 

Reprends-leur la main de ta mémoire,

 

entends-la qui souffle sur le seuil

dans les mille voix de sa feuillure,

 

A deux battants de lumière

qui t’ouvre ses portes bleues

 

Dans l’œil et l’oubli futurs.

 

Pour l’ensemble de son œuvre, Paul Farellier a reçu en 2015 le Grand Prix de Poésie de la Société des gens de lettres couronnant son livre L’Entretien devant la nuit, Poèmes 1968-2013.

Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, janvier 2025).

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Il y a une forme d’indécence à parler de ce dernier recueil de Paul Farellier, à entrer à sa suite au plus intime d’un être, à l’écouter dans son ultime dialogue avec la mort, qui est ce pas de l’heure. Oui, il y a une gravité dans cette voix déjà au loin – et comme l’heure est soudainement immense tandis que la main amie que vous teniez dans la vôtre s’efface er s’indistingue dans la lumière qui l’ensevelit ! « La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe / à des mains en pente de lumière, / à des voix qu’il fut donné de perdre. »

Ainsi débute le recueil, s’ouvrant sur l’été et son « jardin de cendres » où les mots avec « leur pointe aiguisée » brillent comme des « tessons » et où l’on demeure perdu avec les « yeux de ton silence ». Nous le regardons, nous voudrions l’assurer de notre présence, offrir à son regard le nôtre. Sans nous voir il nous interroge : « Dites […] Y a-t-il un chemin […] Est-il une fin / où vont les pas / hors limite / avalés par le vide. » Puis, après un silence, la voix se prolonge en un solitaire monologue : « Vivre n’a pas suffi / à te frayer un passage » et ici « même la lumière est sans sépulture » et l’on n’est qu’« un songe à l’urne glacée ».

Dans le silence et la brièveté des jours, le poète s’interroge sur un rythme qui l’entend battre. Une houle, s’interroge-t-il, ou « la vieille vie / soudain hérissée en esprit » ? ou encore, est-ce, lors ces instants qui l’ont vu monter et descendre, « la bruissante échelle / qu’on voyait appuyer sur le ciel ». Quelqu’un s’approche-t-il ? poursuit-il. Et sa voix à nouveau retombe et se répond : « D’avoir tant écouté / l’appelant des distances / le grand sommeil te mure / dans les lointains du temps. »

Alors, si frêle, commence l’exode et la lutte « contre quelqu’un qui voulait / m’arracher la peau » ; et à qui désormais il s’adresse et se confie : oui, j’ai rêvé « l’immérité d’un signe », attendu « de tremblantes nouvelles ». Oui j’ai cherché un mouillage sur l’île « où il reste à vivre », même si, ultime ironie railleuse, vivre alors ne signifie que « dormir sous un nom de pierre ».

Maintenant vient le dernier poème du recueil où le poète s’impose cette consigne : « Pose le crayon, n’ajoute rien à l’épure » tandis que « la rive te délivre et tu vas » vers « une ignorance neuve ». Peut-être que toute la poésie de Paul Farellier, dont Les Hommes sans Épaules avaient publié en 2014 une anthologie, L’entretien avec la nuit, ne visait qu’à préparer ces ultimes poèmes qui s’avancent si près de la rive intérieure où il ne sait « s’il rajeunit ou s’il meurt » tandis que penché en lui se laisse découvrir « le sombre du vrai visage ».

Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).

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Juriste international et poète, Paul Farellier, né en 1934, a publié son premier livre L’Intempérie douce, au Pont de L’Épée de Guy Chambelland, en 1984. Il est membre du comité de rédaction de la revue Les Hommes sans Épaules, que dirige Christophe Dauphin.

C’est dans la collection « Peinture et Parole », que paraît son dernier livre, Le pas de l’heure, dont le titre est aussi celui de la dernière section.

L’ensemble est ponctué d’énigmatiques monotypes de bris, effacements et griffures : vestiges d’impressions ombrées, en déshérence, de Béatrice Cazaubon. Poésie en vers libres d’une musicalité subtile, la parole de Paul Farellier sonde la difficulté d’être et la fugacité du passage de l’âge d’homme à) la fin sur le mode métaphorique : « Vivre, - ce n’était plus qu’une saison, - l’épuisement d’une aile, - ce jardin de cendres : / à l’épais du feuillage / brûlant l’été – le vert écobuage / du soleil enseveli. »

L’écrit singulier pourtant demeure : « Il ne reste que les mots, - leur pointe aiguisée ; / le flanc percé de la parole, - poussière et sang… » Bouteille à la mer, encre ou buée sur la vitre, sans espoir de salut : « sac de gravats – que l’on jette en travers de la selle ». Dernier galop avant le saut dans le vide, la nuit éternelle : « N’as-tu fait que durer, / n’as-tu rien pelleté que ce petit tas du vivre ? »

Pourtant la quête du sens, jusqu’au bout continue : « Passé le poste frontière, / le temps n’est plus fléché, - ta course est un vide. / Tu vis sur parole : - ton fin mot est chemin… » Vers le haut qui exige effort et concentration, le regard avide : « Cette lumière – à gravir, l’œil serré sur la soif – tel un silence de plus en plus aride, - efface le chemin… »

Gravir encore, se dépasser enfin, résister à l’écroulement, « à l’absence promise » : « S’agripper là, - à flanc de roche ? / Se poursuivre seul – sur l’étroite rive ? » (Approches).

Dans cette même section du livre, le poète réunit tous les arts dans sa démarche de célébration de la beauté partout où il l’accueille : « A des moments – j’étais, dit-il, le peintre – affolé de lumière, - et à d’autres le graveur – qui tentait d’inaugurer les ombres, / puis même le musicien, - le madrigaliste, - quand j’ai descendu et remonté – la bruissante échelle – qu’on voyait appuyée sur le ciel. »

Dans Le Pas de l’heure, le vieux poète sommeillant rêve : « es-tu le songe – d’une barque adossée à l’orage ? » En un sursaut d’ardeur, il s’exclame : « Puisse l’éclair te prêter une aube : - brise ta vitre, - sois l’enfant des désordres du ciel. »

L’absence des disparus, de l’amour perdu, ravive « le sourd sanglot » : « Seul à seule étiez-vous – seule à seul a-t-il fui – le dieu d’entre vos souffles » Il anticipe sa propre disparition tel un Exode : « j’ouvre un chemin, - je surprends une autre terre ».

Suit ce combat contre la mort, glaçant, esquissé au réveil : « Toute la nuit, j’ai lutté – contre quelqu’un qui voulait – m’arracher de ma peau ; / C’était comme un vêtement, / un drap que l’on tirait de mon corps, - une dépouille, un filet de vie, / le tissu de mon nom. »

Livre d’adieu : « Pose le crayon, n’ajoute rien à l’épure… » Lyrisme sobre, chant profond.

Michel MENACHE (in revue Europe n°1153, mai 2025).




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